Chapitre 27

Quand Fly se leva le lendemain matin, Augustin et Ingrid leur avait préparé le petit déjeuner. Miss Lalie goûtait les différentes nourritures avec son grand sourire habituel.

Fly réfléchissait. Qu'allait-il faire aujourd'hui ? Il savait bien ce qu'il devait faire : trouver Estelle Aurston, pour la présenter à Ella. Mais il ne savait pas vraiment comment s'y prendre.

Miss Lalie semblait réellement heureuse. Pas de regard assassin glissé en coin, pas d'hirondelle ou de coup de poing. Pas d'Ella.

Fly ne savait pas s'il devait se lancer seul ou l'attendre pour lui demander conseil. Mais il avait envie de commencer ses recherches. Il pouvait le faire de manière discrète, et puis Augustin pouvait l'aider à veiller sur Miss Lalie. Il n'avait pas envie de lui révéler quoi que ce soit sur leur affaire – Ella n'aurait certainement pas été d'accord – mais il le savait assez bienveillant pour prendre soin de la jeune femme. Mais Fly ne comptait de toute manière pas s'en défaire.

Il hésitait cependant à demander de l'aide à Augustin sur certains points. Il avait beau connaître la ville comme sa poche, il ne savait pas du tout comment retrouver quelqu'un dont il ne connaissait que le nom.

Un peu stressé, il prit garde à ce que Miss Lalie et Ingrid soient un peu plus loin, et s'approcha de son ami. Il tentait de paraître décontracté, pour ne pas attirer de soupçons, même si le voir stressé ne devait plus être étonnant pour personne.

— Tu cherches quelque chose, petit frère ? demanda Augustin en voyant son hésitation.

— En fait je cherche quelqu'un dans la ville, répondit Fly, mais je ne connais que son nom donc je ne sais pas trop comment la trouver...

— Ah oui ? s'étonna son aîné. Tu cherches qui ?

Fly était un peu embêté de lui mentir. La confiance qui circulait entre eux n'avait jamais failli, et il ne voulait pas la perdre. Mais Augustin comprendrait s'il connaissait Ella. Il aurait certainement fait pareil.

— C'est pas quelqu'un de connu, répondit Fly. Vu que je sais qu'elle habite à Toritoshi, j'aimerais l'interroger pour... un travail de classe.

Il espérait que ses hésitations n'étaient pas trop visibles. En réalité, Augustin devait certainement se rendre compte de son malaise, mais il ne lui en tint pas rigueur.

— Tu peux peut-être chercher dans un annuaire, répondit-il. Il y a peut-être son numéro, et tu pourras l'appeler dans ce cas. Sinon si tu sais un peu dans quoi elle travaille par exemple, tu peux chercher parmi les organisations qui correspondent. Il y a peut-être leur numéro dans l'annuaire d'ailleurs. Je peux t'en passer un si tu veux.

— Oh merci ! s'écria Fly, soulagé, sans attendre plus longtemps.

Augustin chercha pendant quelques minutes dans les tiroirs et étagères du salon, mais finit par en extirper un immense livre à la couverture fluide comme celle des magazines, mais épais comme un dictionnaire.

Il lui tendit en remettant en ordre le contenu des meubles, dans un sourire satisfait.

— Hésite pas à me demander si tu as besoin d'aide, concernant cette... personne !

Il esquissa un léger sourire malicieux avant de retourner faire ce à quoi il était occupé jusqu'alors.

Fly s'installa à table, l'immense livre devant lui. Il soupira. Il ne savait pas vraiment par où commencer, mais il devait s'y mettre.

« Aurston ». Fly se rendit à la page qui correspondrait à sa place dans l'ordre alphabétique. Il n'y avait rien.

« Estelle ». C'était peu probable qu'on la nomme dans un tel livre par son prénom, mais il valait mieux tenter au cas où. Comme il s'y attendait, rien non plus.

Fly leva les yeux. Où pourrait bien se trouver cette femme ? Tout ce qu'il savait d'elle, c'est qu'elle avait eu un grave accident. Il ne connaissait rien de plus. Elle ne vivait peut-être même plus à Toritoshi à l'heure actuelle.

Un peu désespéré, Fly ouvrit le livre à la première page. Des noms se succédaient, notamment des entreprises ou des personnes importantes. Il s'avachit sur la table et se mit à lire, pour se donner une idée, peu convaincu que ça serve réellement.

Après avoir balayé des électriciens, des agences de publicité, des éleveurs d'oiseaux et toute autre sorte d'entreprise dont le nom commençait en a, Fly referma le livre et se leva. Il marcha un peu autour de la table – il faisait les cent pas, si Augustin était revenu dans la pièce à cet instant, il aurait tout de suite compris l'état émotionnel de son protégé.

Comment pouvait-il la trouver ? Estelle Aurston avait forcément un métier. Ou plutôt disons que c'était probable. Si elle n'en avait pas, il pouvait estimer n'avoir vraiment aucune chance.

Fly fronça les sourcils. Et si elle était assez vieille pour être à la retraite ? Elle serait alors tranquillement chez elle, sans aucun moyen de la contacter sans la connaître.

Fly jeta un regard à Miss Lalie. Elle était toujours souriante. Elle discutait avec Ingrid quand elle passait dans la pièce – Augustin aussi, il s'en souvenait, mais il n'était pas entré au salon depuis qu'il lui avait donné le livre – elle s'étonnait et s'émerveillait de tout ce qu'elle pouvait voir, les livres comme les décorations comme de simples plantes en pot. La jeune femme croisa son regard, et lui renvoya toute la bonne humeur qu'elle pouvait. Toujours pas de trace d'Ella. Fly aurait tant aimé qu'elle soit là pour l'aider à cet instant.

Une idée lui vint à l'esprit. Si Estelle Aurston avait eu un grave accident, elle avait sûrement subi des soins – voire même en subissait toujours. Elle avait forcément dû se rendre dans un établissement de ce type. Un hôpital ? Au passé, assurément, mais c'était dix ans auparavant tout de même, Fly espérait pour elle qu'elle en était sortie depuis.

Il se prit la tête entre les mains. Un hôpital accepterait-il de donner la liste des patients ? S'il arrivait et demandait « est-ce que Estelle Aurston est là ? », ne le prendrait-on pas pour un fou ? Et on ne ressortirait certainement pas spécialement pour lui la liste de tous les patients depuis dix ans !

Miss Lalie passa juste derrière lui et vint s'asseoir à la chaise d'à côté.

— Fly va bien ? demanda-t-elle.

— Oui, répondit-il dans un sourire qui se voulait rassurant.

Mais il avait du mal à détacher ses pensées de ses préoccupations. Elle pouvait sourire autant qu'elle le voulait, cela ne remplacerait pas son échec.

— Fly essaye de trouver quelqu'un ? demanda-t-elle en regardant l'annuaire.

— Euh, non ! s'empressa-t-il de répondre, gêné. J'ai juste vu l'annuaire et... je voulais regarder !

— Fly voulait regarder quoi ?

— Je voulais... voir combien de personnes mettaient leur numéro dans ce genre de livres !

La jeune femme inclina la tête.

— Et alors ?

Elle semblait réellement s'intéresser à la question. Fly ouvrit la première page et soupira.

— Il y a quelques personnes, répondit-il, mais surtout des entreprises, j'ai l'impression. Enfin je n'ai pas tout lu bien sûr, mais au début en tout cas...

Satisfaite, Miss Lalie hocha la tête, contente de cette information.

Les deux amis restèrent muets un moment. Fly fixait l'annuaire. Il n'osait pas chercher autre chose, comme paralysé, tant que Lalie était juste à côté. Il aurait pu réfléchir, mais il ne voyait pas de solution simple et ne parvenait pas à mieux se concentrer dessus, de peur que ses traits ne le trahisse. Lalie le regardait, le visage plutôt joyeux mais sans sourire pour autant. Ils étaient tous les deux passifs.

Ingrid passa devant eux pour aller dans la cuisine se servir un verre d'eau. Elle les regarda un instant, puis but une gorgée.

— Vous ne vouliez pas visiter la ville ? demanda-t-elle, d'un sourire timide.

Sorti de sa torpeur, Fly regarda Lalie, qui semblait parfaitement d'accord avec l'injonction de leur hôte.

— Fly, continua-t-elle, tu es déjà venu à Villomne ?

— Quelques fois, répondit-il, mais je n'ai jamais vraiment visité.

Un sourire au lèvres, Ingrid sortit de la pièce. Elle en revint quelques instants plus tard aux côtés d'Augustin.

— Ça vous dirait, une sortie tous les quatre ? proposa-t-elle.

Elle arborait un sourire satisfait et passionné, qui contrastait avec l'attitude distante qu'elle avait adoptée jusque là. Fly se sentait réchauffé par ce sourire, qui était pourtant très différent de ceux de Miss Lalie. Il lui donnait l'impression qu'à l'intérieur de la femme qui ne lui avait pas beaucoup montré sa personnalité se trouvait un immense monde plein d'envie et d'amour. Il l'imaginait fière de son quartier, il imaginait un filtre dans ses yeux qui le rendait plus beau.

C'est toujours ce sourire au lèvre qu'elle enfila un gilet et se dirigea vers la porte, talonnée par son compagnon. Fly et Lalie les suivirent et débouchèrent sur l'extérieur qu'ils avaient quitté la veille.

— Tu veux aller où ? demanda Augustin à Ingrid.

— Je pensais les emmener au centre de Villomne, déjà, et aviser ensuite, répondit-elle. J'ai quelques idées mais je pense qu'on verra à ce moment-là.

Satisfait, Augustin lança un regard interrogatif à ses invités. « Ça vous va ? » semblait-il demander. « Bien sûr, on vous suit » renvoya Fly du mieux qu'il le put à travers un hochement de tête.

Le groupe marcha quelques secondes, vers une place plus dégagée pensait Fly, pour appeler des oiseaux. Deux certainement, un oiseau pouvait très bien porter deux personnes – et Lalie ne savait pas du tout voler.

Un endroit qu'il aurait jugé parfait se présenta, mais le groupe continua sa marche sans s'arrêter.

— On ne vole pas ? demanda Fly, étonné.

— Je préfère marcher, répondit Ingrid. Je trouve que pour visiter, c'est mieux. Et puis nous n'habitons pas très loin du centre du quartier, on ne tardera pas à y arriver.

Perplexe, le jeune homme ne tenta pas de répondre. Pour lui qui aimait tant voler, préférer marcher était une aberration. Un peu las, il tenta de la comprendre et regarda le paysage autour de lui. Que des maisons pourtant, rien d'exceptionnel.

Ce n'était manifestement pas ce que pensait Lalie, au vu de son sourire. Pour elle, ce paysage banal était fantastique. Pas de cabane de bois, pas de pontons qui résonnent sous les pas, la liberté de marcher où on veut sans tomber dans l'eau, et puis surtout, des fleurs. Fly la comprenait un peu, même s'il avait du mal à ressentir le même intérêt pour des maisons et des petits jardins.

Cette marche lui rappelait d'ailleurs leurs interminables déplacements à travers la ville sur l'eau. Décidément, voyager à dos d'oiseau n'était pas de trop.

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