Chapitre 25

 — Fly a vu ? demanda Miss Lalie, enthousiaste.

L'intéressé entrouvrit les yeux, somnolent. La jeune femme était collée au hublot, et il ne voyait d'elle que ses deux couettes. Le paysage devait être très beau à cette hauteur, il n'en doutait pas.

Il se pencha pour regarder par dessus son épaule, et il ne lui fallut qu'un instant pour reconnaître les plumes brunes d'un oiseau de Toritoshi. Il ne put s'empêcher de sourire. Il allait retrouver les oiseaux, pouvoir voler de nouveau. Retrouver sa terre natale le rendait heureux, et suscitait chez lui plus d'émotions qu'il ne l'aurait cru.

Miss Lalie s'agita de nouveau.

— Fly a vu ? répéta-t-elle, sûrement au passage d'un second volatile.

— Oui, j'ai vu, répondit-il, ému.

Il regardait sans grand intérêt ses mains, et se remémorait toutes les sensations de sa ville. Le vent sur ses bras et son visage, le bruit des battements d'ailes, la douceur des plumes. Sans s'en apercevoir, ça lui avait manqué.

L'avion ne tarda pas à atterrir, sans que Miss Lalie ne jette une seule fois un regard ailleurs qu'à travers le hublot.

Il faisait plutôt beau, le Soleil déversait sur l'aéroport une lumière agréable, qui était loin d'égaler la chaleur de plomb qui tapait parfois à Hydran.

Le premier réflexe de Fly en descendant de l'avion fut de lever les yeux vers le ciel. Il était plutôt dégagé, mais quelques oiseaux commençaient à le repeupler, maintenant que l'avion était au sol. Certains portaient avec eux une paire de jambes, un oiselier. Il avait soudain envie de voler.

Miss Lalie était juste à côté de lui et l'avait manifestement imité. Son grand sourire témoignait de son admiration, et Fly pouvait presque voir les étoiles scintiller dans ses yeux.

— Tu aimes les oiseaux ? demanda-t-il.

Sans décrocher son regard du flux de plumes qui filaient rapidement au dessus d'elle, elle hocha la tête, sans prononcer un mot.

— Tu pourras en voir de plus près, ajouta-t-il, content à l'idée du sourire qu'elle ferait.

— Miss Lalie veut voir les oiseaux ! entonna-t-elle en le regardant enfin.

Elle avait ce sourire d'ange qui avait le don de le rendre heureux.

— Allons-y, proposa-t-il en empoignant ses bagages.

Il se dirigea fièrement vers la sortie de l'aéroport. Pour une fois, il connaissait les lieux. Ce n'était pas à Lalie de le guider, ni à Clémence, ni aucune autre personne. Il savait où il était et comment aller où il voulait.

Miss Lalie ne regardait jamais où elle allait. Son regard se baladait partout autour d'elle, à droite, à gauche, au dessus, parfois même derrière. Elle restait cette fois dans le sillage de Fly, mais son visage ébahi remuait plus que tout son corps à lui.

— Tu aimes la ville ? demanda Fly.

Il pouvait parfaitement la comprendre. Encore une fois, la ville différait énormément de celles qu'ils avaient déjà visitées. Contrairement à Hydran et Géopolis, il n'y avait pas que des chemins étroits entourés de barrières impossibles à franchir. Pas de mur, pas d'eau, juste de l'herbe, des jardins et des maisons. Des champs, parfois. Toritoshi était bien plus productive que ses deux homologues en matière d'agriculture. Partout où il y avait des humains, il pouvait y avoir des champs. On apercevait ici ou là des troupeaux qui broutaient gaiement et le patchwork bariolé des différentes cultures.

Fly inspira pleinement. Il aimait l'odeur de sa ville, celle de l'herbe et des bêtes. Il se sentait serein ici.

— C'est chez moi, affirma-t-il, le cœur léger.

Miss Lalie tourna vers lui un regard interrogateur.

— J'ai grandi ici, continua-t-il, et ça me rend heureux d'être revenu, même si ce n'est que pour un temps.

— Miss Lalie n'est jamais venue à Toritoshi, et elle adore déjà cette ville avec Fly !

— Je suis content de te la montrer. Elle me tient vraiment à cœur.

Son interlocutrice lâcha soudainement ses bagages et se mit à courir dans une direction toute autre. Elle s'arrêta quelques mètres plus loin et se mit à genoux.

Fly se saisit de ses affaires et marcha vers elle, curieux. Elle avait les yeux rivés sur la parcelle de terre qu'elle surmontait de sa tête. Au milieu des brins d'herbe se trouvait une petite fleur aux pétales blancs, que la jeune femme semblait dévorer du regard.

— Miss Lalie aime les fleurs ! s'écria-t-elle lorsqu'il se fut suffisamment rapproché.

Elle la regardait sous tous les angles, comme s'il s'agissait d'un objet rare qu'elle avait la chance inouïe de pouvoir approcher d'aussi près.

— Il y en a tout plein d'autres comme ça dans la ville, précisa Fly en se penchant un peu.

La jeune fille se releva en un éclair.

— Il y a des fleurs partout dans la ville, chantonna-t-elle, il y a des fleurs partout dans la ville !

Elle se rassit aussi subitement devant la petite plante à qui elle offrit son plus beau sourire, puis se leva de nouveau et s'éloigna sans demander son reste.

— Allons voir les autres fleurs de la ville ! entonna-t-elle en reprenant leur direction initiale.

Fly ramassa tous leurs bagages et s'efforça de la rejoindre le plus vite qu'il le put. La jeune femme récupéra ses affaires sans même qu'il ait à le lui demander, et le laissa repasser devant pour la guider. Elle restait sage, mais son grand sourire cachait mal son excitation. Après tout, pourquoi la cacher ?

Fly était heureux que la ville lui plaise. Lui-même était assez excité en fin de compte.

— Où va-t-on maintenant ? demanda-t-elle gaiement.

Il s'arrêta un instant. Il leur fallait trouver un endroit pour dormir. Il ne s'en était pas inquiété avant leur départ : il connaissait les lieux, il connaissait les gens, il ne trouverait pas de mal à se faire héberger. Il avait maintenant un peu plus de doutes quant à comment s'y prendre, mais il avait cela dit deux principales options en tête. La première consisterait à retourner dans le quartier où il habitait, aller voir près de son ancien lycée ou de son collège. La seconde aurait été de contacter Augustin... Fly hésitait un peu. Il avait son adresse, mais il ne l'avait pas revu depuis plusieurs années. Et il ne savait pas si son ami avait de quoi les loger.

— Fly hésite ? demanda Miss Lalie, un peu inquiète.

— Oui, soupira-t-il, c'est-à-dire que... j'hésite à aller voir quelqu'un.

— Est-ce que Fly a envie de le voir ?

Surpris, il tourna la tête. Elle le regardait d'un léger sourire tendre. Son regard d'ambre lui semblait pourtant aussi profond et sérieux que celui d'Ella dans ses airs graves.

— Je... je ne sais pas vraiment, balbutia-t-il, je...

Miss Lalie ne répondit pas. Elle le regardait toujours avec ce sourire joyeux, et toujours avec le même regard. Fly était bien embêté. Elle l'avait pris au dépourvu, et ne semblait pas décidée à reprendre la parole. Le tumulte des oiseaux dans le ciel remplissait complètement l'espace qu'il aurait voulu qu'elle occupe. Elle attendait seulement qu'il parle, silencieuse.

— En fait je crois que oui, répondit-il finalement. Ça doit être pour ça, j'ai juste envie de le voir.

— Est-ce que Fly va y aller ? demanda-t-elle.

L'intéressé réfléchit. C'est vrai qu'il en avait envie. S'il y avait bien une personne qu'il aurait souhaité revoir, c'était bien lui.

Il releva les yeux et sourit à son tour.

— Allons-y.

Miss Lalie sembla encore une fois rayonner de joie, alors même qu'elle ne connaissait rien d'Augustin.

— Est-ce que Fly sait où le quelqu'un habite ? demanda-t-elle lorsqu'ils se furent remis en route.

— Oui, j'ai son adresse, répondit Fly.

Il sortit de sa poche un morceau de papier sur lequel elle était inscrite.

— Est-ce que c'est loin ? demanda la jeune femme en tentant de lire par dessus son épaule.

— Assez, oui, répondit Fly. Sa faculté est à plusieurs quartiers de l'aéroport.

Miss Lalie souffla, déçue.

— Il va falloir beaucoup marcher, alors, fit-elle.

Fly se retourna soudainement, un immense sourire au lèvres. Il écarta les bras d'un geste théâtral.

— Mais pour qui me prends-tu ! s'exclama-t-il. Tu es dans la ville des oiseaux avec Fly, celui qui vole !

Il se mit à rire.

— Nous irons en volant !

La jeune femme écarquilla de grands yeux, émerveillée.

— Fly va voler sur un oiseau ? répéta-t-elle, surexcitée.

Il hocha la tête, fier, et lâcha ses bagages. Soudain nettement plus embêté, il se retourna pour en estimer la quantité. Plusieurs grosses valises, il pouvait dire que c'était beaucoup.

Il se tourna vers le ciel et s'écria :

— Heka !

Miss Lalie le fixait, admirative. Elle restait immobile – et souriante ! – quelques mètres plus loin tandis qu'il attendait qu'un oiseau daigne s'approcher.

— Heka ! réitéra-t-il.

Cette fois-ci, un immense volatile descendit en piquée vers lui et se posa délicatement à quelques mètres de sa position. Satisfait, Fly s'élança vers lui.

— Viens, fit-il à Miss Lalie qui le rejoignit aussitôt. Nous allons mettre nos valise dans ces filets.

Il y avait largement la place pour toutes les transporter, et l'oiseau était assez grand pour les soulever sans problème. Les grands oiseaux pouvaient transporter de lourdes charges, sûrement dix fois plus que leurs bagages.

Lorsque les valises furent toutes installées et stables, Fly contourna les ailes de sa monture et se hissa sur la selle en prenant appui sur l'étrier. Une fois bien en place, il invita Miss Lalie à le rejoindre. N'ayant pas l'habitude, elle eut un peu de mal à monter, mais elle parvint finalement à s'installer derrière lui.

Fly accrocha le cordon de sécurité à sa ceinture et invita Lalie à faire de même si elle le pouvait.

— Ne t'inquiète pas, dit-il avant de partir, les grands oiseaux volent moins vite et moins haut que les autres, donc tu ne devrais pas avoir peur.

Il leva ensuite les yeux vers le ciel.

La circulation était assez dense. Comme à son habitude. Un sourire malicieux s'étira sur ses lèvres.

La première zone était libre. D'un mouvement de ses chevilles, l'oiseau s'envola et s'inséra entre les autres oiseliers. Miss Lalie s'était accrochée à lui, mais ne montrait pas d'autre signe de terreur. L'oiseau avançait lentement, jusqu'à ce que Fly l'emmène se placer dans la deuxième zone. La circulation y était un peu plus rapide, mais cela n'était toujours pas assez.

Fly jeta un léger regard à Miss Lalie, qui ne semblait toujours pas inquiétée, bien que moins détendue qu'à son habitude.

L'oiseau s'éleva jusqu'à la troisième zone. Ici, la vitesse correspondait à celle qu'il pouvait considérer comme normale. Il aurait aimé s'élancer d'une traite jusqu'à la cinquième zone et virevolter en fendant l'air, mais leur chargement le lui interdisait.

— C'est parti, murmura-t-il.

L'oiseau s'élança à travers ses congénères, tandis que Fly guettait par intermittence le déroulement des quartiers en dessous.

Les regroupements d'habitations se succédaient, entourés de verdure et de filaments de vie humaine. En leur centre, les Tours d'Oiseaux élevaient leur silhouette élancée au-delà des nuages de plumes qui sillonnaient le ciel. Elles contrastaient avec les maisons toujours basses, qui ne dessinaient du ciel qu'une nappe brune.

Fly connaissait chacun de ces villages. Ici, c'était Norière, là-bas, Auynne, puis enfin, il reconnut le quartier de Villomne, là où habitait Augustin.

Son ventre se noua un peu. Il ne savait pas vraiment quoi faire, comment se comporter, quoi dire, et le moment où il devrait le faire se rapprochait. L'inconnu, c'était juste ça qui lui faisait peur. Pourtant, Augustin n'était pas un inconnu, loin de là.

— Fly va bien ? demanda Miss Lalie d'un air inquiet.

— Oui oui, répondit-il tranquillement en détendant ses muscles crispés.

Entre les volatiles qui passaient à toute vitesse, on pouvait voir l'Arbre, qui trônait majestueusement au cœur de l'horizon. Fly s'attarda quelques secondes sur son feuillage immense. C'était le lieu le plus emblématique de Toritoshi. Il dépassait – et de loin – les Tours d'Oiseaux, et avait certainement sa place dans le cœur de tous les habitants.

L'oiseau filait toujours, jusqu'à ce que Villomne soit assez proche.

Fly redescendit alors dans la deuxième zone, puis dans la première, avant de se poser sur un espace dégagé proche de l'adresse.

Les deux amis récupérèrent leurs bagages, puis l'oiseau repartit.

Fly n'était jamais venu ici. Il n'avait pas revu Augustin depuis qu'il avait déménagé, celui-ci lui avait seulement fait parvenir son adresse, au cas où il voulait lui rendre visite. Il avait bien fait, visiblement, même s'il ne se doutait sûrement pas que ce serait pour chercher un hébergement, pour deux personnes en plus. Il n'aurait peut-être pas beaucoup de temps à lui consacrer.

Fly se tourna vers Miss Lalie. Elle souriait. C'était le même sourire que d'habitude, mais cette fois-ci, il lui donnait du courage.

Fly s'élança dans les rues, talonné par son amie, cherchant à l'aide des panneau l'endroit précis où il devait se rendre.

Augustin habitait une petite maison aux murs couverts de crépi blanc et aux tuiles brunes conformes à celles de ses voisines. Elle était entourée d'une petite bande d'herbe, peut-être pas assez grande pour être appelée jardin, mais qui lui donnait un air paisible, serein.

Fly expira, tendu, puis s'approcha pour toquer à la porte.

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