Chapitre 23

Ella attendait juste devant la porte. Elle était assise par terre, adossée au mur, les bras autour de ses jambes repliées.

— Ah, tu es là ? s'étonna Fly d'une voix lasse.

L'intéressée ne répondit pas. Elle avait le regard plongé dans le mur d'en face, le menton sur les genoux.

— Tu as entendu ce qu'on a dit ? demanda timidement le jeune homme.

Ella se leva, toujours muette, et toujours sans le regarder. Elle se dirigea vers la sortie du couloir, lentement, l'air délavé, inexpressif. Fly la suivit, sans vraiment savoir quoi dire. Elle avait l'air d'aller mal, mais il lui semblait qu'aucune parole ne pourrait l'aider.

Elle rejoignit le palier, puis descendit les escaliers, en se parant de son plus beau sourire naïf, qui sonnait cela dit un peu plus faux que d'habitude.

Dès que la porte de l'imposant bâtiment se referma derrière eux, son sourire s'évapora, ne laissant derrière lui qu'une mâchoire contractée et des poings serrés. Elle fit encore quelques pas, puis s'arrêta.

La placette qui s'étendait devant le siège de l'entreprise était déserte. On entendait seulement au loin quelques rares rumeurs venant de la ville, et certains bruits étouffés des travailleurs de Géosécure. Le silence qui régnait couplé à l'immobilité de Fly et d'Ella avait quelque chose de glaçant, et donnait l'impression que le temps était suspendu, et que tout mouvement était désormais impossible.

Ella avait le regard comme planté dans un des murs de terre. Tout son corps était contracté et tendu, et pourtant ses yeux semblaient renvoyer une lueur qui éclairait son visage, à l'image d'un vent frais, et donnait par la même occasion l'impression que son esprit lui-même s'illuminait dans des réflexions limpides.

— Fly, dit-elle d'un ton déterminé au bout d'un temps que l'intéressé n'aurait su estimer.

Le son de sa voix le fit presque sursauter, et le sortit de la sorte de torpeur qui l'avait saisi jusque là.

Elle se tourna lentement vers lui, jusqu'à déposer ses iris de miel au cœur de ses yeux.

— Je dois aller à Toritoshi, affirma-t-elle.

Fly fronça les sourcils.

— A Toritoshi ? Tu ne veux pas continuer de chercher des indices à Géopolis ?

Ella secoua la tête.

— J'ai trouvé, Fly. On n'apprendra rien de plus ici, et on court toujours le risque que Miss Lalie fasse des crises à cause des souvenirs.

Elle ne bougeait toujours pas, elle parlait, seulement. Sa voix affirmait si franchement tout ce qu'elle disait qu'il semblait impossible d'apporter une quelconque objection.

— Estelle Aurston, reprit-elle, c'est elle, notre indice. J'ai eu ce que je voulais : un stimulus en entendant son nom. Monsieur Lyndon a dit qu'elle était partie à Toritoshi, donc c'est là-bas qu'on aura le plus de chances de la trouver.

Fly baissa les yeux, réfléchissant. Elle avait raison : un stimulus dans la mémoire d'Ella ne pouvait pas être écarté, surtout au vu de sa réaction violente.

Il la regarda finalement de nouveau en souriant, puis répondit :

— D'accord, on fera comme tu veux.

Ella sourit à son tour. Fly était heureux de la confiance qu'elle lui accordait. Cette quête semblait lui permettre de s'épanouir, de sortir du jeu d'actrice couplé à la haine qu'elle entretenait dans sa vie quotidienne.

Le jeune homme arrêta de sourire et regarda quelques instants dans le vide. Ce ne serait pas si simple. Il se tourna à nouveau vers Ella, concentré.

— Il faudra par contre, remarqua-t-il, qu'on annule la réservation du gîte pour le reste des vacances – si c'est possible – et qu'on organise le trajet jusqu'à Toritoshi...

— S'il faut du temps, répondit la jeune femme, on pourra le prendre, de toute façon je doute que Miss Lalie me laisse tranquille demain... et si on ne peut pas, on pourra aussi y aller aux vacances suivantes...

Elle essayait de dire ça du ton le plus factuel possible, voire doux pour mettre Fly en confiance, mais les regrets se ressentaient quand même dans sa dernière phrase. Il lui coûterait d'attendre sagement à Hydran toute une période scolaire.

— Je vais essayer de faire ça le plus vite possible, tenta de la rassurer Fly, surtout que je ne sais pas si Laura me laisserait repartir une fois de plus... en tout cas ça deviendrait louche.

Ella hocha la tête, et serra les poings.

— J'espère que je ne te causerai pas de tort. Au moins... financièrement.

Fly baissa les yeux. Il était vrai que Laura ne lui avait pas donné de l'argent en pensant qu'il voyagerait d'une ville à l'autre et partirait avant la fin d'une réservation.

— Ne t'inquiète pas, répondit-il. Si ça te tient à cœur, alors je veux t'aider. S'il le faut, on aura qu'à travailler les années d'après pour regagner de l'argent !

Il disait ça d'un ton léger, essayant vraiment de s'en convaincre lui-même. Ils ne pouvaient pas s'arrêter là.

— On ira à Toritoshi, affirma-t-il. Je te le promets.

Ella détourna pour la première fois depuis le début de la conversation le regard, baissant les yeux dans un sourire doux, comme émue.

Le silence s'installa à nouveau, mais il ne semblait pas oppressant, cette fois-ci.

— Merci, annonça finalement Ella, d'un ton posé et réfléchi qui renvoyait une impression de sincérité surprenante.

Fly ne put s'empêcher de prendre cet unique mot très à cœur, et ressentit une vive émotion grésiller entre ses entrailles.

Ella elle-même semblait peiner à lui parler, habituée à cracher la haine plutôt que des remerciements.

— Merci, reprit-elle, hésitante, de m'aider dans ma quête et de faire tout ça pour moi, malgré ma... différence.

Fly voulut répondre quelque chose, mais les mots se bousculaient dans sa tête, et il ne savait pas en fin de compte quelle serait la réponse appropriée pour un aveu pareil, sans le considérer comme un « merci » plat et purement conventionnel comme ceux qu'il entendait tous les jours. Un « de rien » serait une insulte aux émotions qui circulaient entre eux à travers le silence éloquent que la jeune femme avait laissé derrière elle.

Le jeune homme esquissa un sourire, et continua de la regarder dans les yeux. Les deux amis restèrent immobiles, face à face, jusqu'à ce qu'Ella détourne le regard, souriante, elle aussi. Elle s'assit contre la paroi, aussitôt imitée par Fly. Rien n'avait bougé depuis qu'ils étaient sortis du bâtiment, mais Clémence n'allait sûrement pas tarder.

— Du coup, reprit Ella, hésitante, je peux compter sur toi pour organiser tout ça ?

Elle se tourna de nouveau vers lui. Sa voix restait calme et douce, il n'y avait toujours pas trace de son animosité habituelle, ce qui ne pouvait qu'attirer la compassion de son ami.

— Tu peux compter sur moi, répondit l'intéressé.

Il n'avait alors qu'une envie : se surpasser pour satisfaire la jeune femme blessée qui lui demandait de l'aide.

— Repose-toi et profite de la ville de ton enfance, continua-t-il, le regard dans le vague. Je m'occupe du reste. Après tout, ce ne sont que des détails techniques, ça n'a pas de raison d'être difficile !

Ella ne répondit pas. Elle avait l'air de réfléchir, le visage neutre. Fly l'imita, et plus un mot ne fut échangé jusqu'à l'arrivée de leur guide.

C'est une dizaine de minutes plus tard que Clémence apparut à l'angle d'une galerie. Ella et Fly se levèrent immédiatement en la voyant approcher.

— Vous ne m'avez pas attendue trop longtemps ? demanda la nouvelle venue, sur son ton fier, qui contrastait avec l'inquiétude de sa phrase.

Fly secoua la tête dans un sourire rassurant.

— On en a profité pour discuter un peu, affirma-t-il dans un regard à Ella.

— Parfait ! ne manqua pas de se congratuler la guide. J'espère que cette entrevue vous a aidés dans votre quête !

Le jeune homme hésita un instant. Il devait prendre le temps de réfléchir pour ne pas en dire trop. Trahir la confiance d'Ella était la dernière chose qu'il souhaitait.

— Oui, merci Clémence ! répondit-il dans un sourire enfantin, qu'il échangea aussitôt avec un autre, plus sérieux et sincère. On a trouvé de précieux indices. J'étais un peu surpris au début, mais... on y voit plus clair grâce à toi.

L'intéressée le regardait d'un air attendri ; elle avait manifestement oublié sa fierté le temps d'écouter son interlocuteur. Cela ne dura pas longtemps : elle se redressa fièrement dès qu'elle se remit à parler, en martelant ses mots avec entrain.

— Je suis contente si j'ai pu vous être utile, quoi que vous cherchiez, fanfaronna-t-elle. Quelle est la prochaine étape ?

Fly baissa les yeux, un peu triste pour elle. Il jeta un regard à Ella, qui hocha la tête imperceptiblement.

— Toritoshi, murmura-t-il, presque honteux.

Clémence s'arrêta, comme si elle avait vu un fantôme.

— Vous partez ? demanda-t-elle d'une voix faible, sans aucune trace d'éloquence ni d'entrain.

Fly lui sourit tendrement.

— Ne t'inquiète pas, répondit-il d'un ton attristé et pourtant dans un sourire, on pourra échanger nos adresses et s'envoyer des lettres, peut-être même se téléphoner de temps en temps !

Il espérait sincèrement rester en contact avec la jeune femme. Après seulement quelques jours, il s'était attaché à elle, et manifestement, c'était réciproque.

— Je me sentirai bien seule, moi, sans mes clients privilégiés...

Elle plaisantait, mais sa voix tremblait légèrement, et ses muscles se tendaient, comme si elle se retenait de pleurer. Elle ferma un instant les yeux, puis se remit en marche, l'air un peu plus naturel.

— Quand partez-vous ? demanda-t-elle d'un ton le plus neutre possible.

— On ne sait pas encore, répondit Fly, sérieux. Sûrement demain, ou peut-être après-demain, le temps que je m'occupe des annulations...

— Si tu as besoin d'aide pour ça, tu sais que je suis là. Je suis une experte en négociations!affirma-t-elle avec ses manières habituelles.

Fly sourit de la voir encore une fois surjouer sa confiance et son égo. Décidément, elle allait lui manquer. 

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