Chapitre 15

Rien ne laissait présager qu'il y aurait une ville. On voyait une plaine recouverte d'herbe verte légèrement jaunie et assez courte sur laquelle gambadaient divers animaux sauvages venus se délecter de sa saveur. Quelques buissons poussaient ici et là, et des morceaux de forêts n'étaient jamais loin de la grande clairière.

Tout ce que l'on voyait de la civilisation, c'était une immense allée de béton à côté de laquelle une unique maison sans étage trônait, et un sol de gigantesques vitres de verre, seulement entouré de quelques barrières, sûrement pour dissuader la plupart des animaux d'y marcher.

Les passagers attachèrent rapidement leur ceinture sous les ordres de la voix calme des haut-parleurs, et l'on sut bientôt que l'avion s'était posé grâce à quelques soubresauts qui soulevèrent plusieurs cris et soupirs dans l'assistance. Il ne lui fallut plus que quelques mètres pour ralentir et s'arrêter, et les passagers purent bientôt se lever.

Fly s'engouffra dans la file compacte de voyageurs devant Miss Lalie afin de la guider, et s'assura d'ailleurs régulièrement pendant son avancée qu'elle était toujours derrière lui. Lorsqu'enfin ils purent descendre, le Soleil vint frapper les yeux et les bras nus du jeune homme. L'ambiance n'était pas du tout la même qu'à Hydran. Là-bas, on sentait l'océan, on entendait aussi l'océan, d'ailleurs. Il y avait partout cette nappe bleue secouée d'une main invisible qui définissait l'intégralité des ressentis et des structures de la ville.

Ici, il n'y avait plus rien de cela.

Miss Lalie souriait jusqu'aux oreilles, les yeux grand ouverts et la bouche bée. Elle n'avait jamais vu de paysages tels, ou en tout cas, elle les avait profondément enterrés dans le cimetière de sa mémoire.

— Il y a de la terre partout, balbutia-t-elle.

Fly n'avait rien à répondre. Il savourait, un sourire tendre sur les lèvres, le bonheur insensé de son amie, devant un paysage assez banal – quoi que toujours agréable à voir – qui laissaient totalement indifférents les autres voyageurs. Voir des arbres et des prairies ne changeait pas beaucoup du quotidien de Toritoshi que le jeune homme avait vécu pendant presque toute sa vie, ainsi reportait-il son attention sur les quelques constructions humaines qui perçaient au milieu de la verdure.

La maison qui leur faisait désormais face était construite en bois. Bien que le matériau fut identique, elle ne ressemblait en rien aux cabanes d'Hydran qui semblaient parfois n'être rien de plus que des abris de jardins. Celle-ci était d'un bois sombre, et sa porte était très volumineuse, pour un débit adapté à la foule, sûrement.

Au loin, le sol remplacé par du verre était des plus étonnants. On n'en voyait qu'un angle minuscule de lumière se refléter sur la surface que l'on savait immense grâce à la vue aérienne, et il semblait d'ici que la prairie asséchée laissait soudainement place à un océan complètement calme.

Les passagers entrèrent calmement dans la maison lorsque la porte s'ouvrit, et furent surpris de ne pas trouver grand-chose à l'intérieur. Il y avait quelques bancs pour que patientent ceux qui avaient à attendre, et une zone de réception des bagages.

Le reste de la maison consistait en des escaliers qui descendaient en dessous du niveau du sol. Ils menaient, comme il fallait s'y attendre, à Géopolis, la ville sous la terre.

Fly et Miss Lalie allèrent récupérer leurs bagages, puis après quelques contrôles, s'engouffrèrent dans les escaliers.

La descente dura plusieurs minutes, le dénivelé parcouru semblait énorme, et Fly se demanda combien de mètres de terre et de pierres recouvraient la cité. Une fois arrivés en bas, il semblait que rien n'avait changé, sinon que la maison n'était absolument plus en bois : les voyageurs étaient dans un petit bâtiment avec peu de meubles et une grande porte menant vers l'extérieur.

Des employés de la compagnie entreprirent d'ouvrir ladite porte, et l'on put alors voir les changements. L'herbe parsemée d'arbres et de buissons avait été remplacée par des sortes de ruelles entièrement fermées, mais pas pour autant étroites, dont le sol était pavé ou recouvert d'une fine couche de terre, pour plus de confort que les pierres brutes et inégales qui recouvraient déjà les parois.

— Bienvenue à Géopolis, annonçaient, tout sourire, les hôtes et hôtesses qui ouvraient les portes.

Les voyageurs s'engouffrèrent un à un dans les tunnels de pierre, Fly et Miss Lalie parmi eux.

Le jeune homme marchait lentement, les yeux grands ouverts pour les remplir de la structure étonnante de la ville. Miss Lalie, à côté, ne pouvait s'empêcher – littéralement – de sauter de joie. Elle pliait puis dépliait rapidement ses longues jambes et martelait le sol de ses chaussures rouges, tout en agitant des bras. Son sourire ne se perdait pas et elle ne cessait de répéter « Miss Lalie aime les voyages » ou « Miss Lalie aime Géopolis ».

Quelques fois, elle courait jusqu'à un mur pour en palper la roche, puis traversait la galerie dans l'autre sens, manquant de renverser quelques personnes, pour faire de même sur l'autre paroi. Elle s'affairait même à toucher le sol, et explosait de joie lorsqu'elle trouvait de la terre en la faisant voler dans tous les sens, ce qui recouvrait les cheveux et les vêtements des passants, et surtout de Fly.

C'était un peu désagréable, mais il ne lui en voulait pas : elle était tellement joyeuse qu'il le devenait à son contact. Il avait eu raison de venir ici, ne serait-ce que pour voir les étoiles dans ses yeux et son sourire réparateur.

Il y avait parfois des terrasses de restaurants, notamment dans les rues pavées, et les maisons semblaient creusées dans la roche, leur façade ressortant à peine, ou pas du tout. L'éclairage était entièrement constitué de lampes électriques, et il faisait bien entendu plus sombre qu'à l'extérieur. On arrivait tout de même à voir assez clair pour lire où qu'on aille, ce qui était, selon Fly, un exploit dans une ville entièrement souterraine.

Les rues étaient bondées. Contrairement à Hydran, qui en dehors des îles centrales ressemblait à un petit village de pêcheurs étendu, Géopolis avait l'air concentrée, dense. Les foules s'entassaient dans des rues comme celle que le binôme empruntait actuellement et on voyait ici et là des panneaux et des affiches, voire même quelques écrans, publicitaires.

D'un côté, c'était Dermaphrodite qui soignait votre peau. De l'autre, c'était Palisol qui vous aidait à pallier le manque de Soleil. Mais l'affiche qui attira tout de suite le regard de Fly, ce fut celle de Géosécure.

On y voyait des amies, souriantes, sautiller dans une galerie déserte de Géopolis. Ailleurs, c'était une famille, qui souriait dans une position à peu près naturelle, ou un homme assis à une terrasse, lisant son journal. On n'y voyait que des gens heureux, ou en tout cas dans une position naturelle, dans une galerie de la cité sous la terre. Il y figurait cependant toujours le même message : « Vos galeries sont sûres grâce à Géosécure ».

— Il faut beaucoup d'entretien pour des galeries comme ça ? demanda Fly, presque pour lui-même.

— Quand le ciel est fait de pierres, il faut l'empêcher de nous tomber sur la tête, répondit Miss Lalie, qui recommença à sautiller quelques secondes après.

Fly resta un instant les pensées fixées sur la phrase soudainement philosophique de son amie, avant que cette dernière ne le tire elle-même de ses réflexions.

— Fly sait quand on va manger ? demanda-t-elle.

En effet, ils avaient pris l'avion le matin, et il devait être aux alentours de midi. Lui aussi commençait à sentir la faim lui taillader l'estomac, et les terrasses qui défilaient tranquillement sous leurs yeux se ressentaient soudain comme une invitation.

Ils n'avaient que deux pas à faire pour s'asseoir à la prochaine et commander de quoi combler leur appétit, mais il ne pouvait ignorer le poids des valises que lui et Miss Lalie traînaient.

— Tu penses qu'on peut manger avec nos valises ? demanda-t-il.

La jeune femme ne répondit même pas et rangea l'objet en question à côté d'une chaise sur laquelle elle s'assit en un éclair.

Un peu incommodé par sa charge, Fly la rejoignit donc, et il héla un serveur pour obtenir le menu.

— Il n'y a presque pas de poisson, remarqua Miss Lalie.

Le jeune homme ne put s'empêcher de rire.

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