Chapitre 13

 — Et c'est à cette époque que le comte de Piscibus finança la rénovation de l'entièreté des pontons d'Hydran, qui étaient tout de même – je le rappelle – bien moins nombreux qu'aujourd'hui.

Le professeur parlait d'une voix lente, en articulant chaque mot pour que les élèves puissent les copier, ou au moins prendre des notes.

Fly était penché sur son cahier, et traçait les lettres bleues à toute vitesse. C'était son seul espoir de pouvoir tout écrire. Miss Lalie, à côté de lui, avait la tête dans les nuages, comme toujours. De temps en temps, elle écrivait une phrase, ou juste quelques mots, en s'appliquant à bien dessiner les lettres. C'était un peu décourageant, tout de même, de voir quelqu'un à côté de soi ne rien faire tandis qu'on travaille le plus possible.

— Le ciel est bleu aujourd'hui, chuchota la jeune fille.

Fly lui aurait bien intimé de se taire, mais il ne voulait pas la blesser et n'avait de toute manière pas le temps de relever le nez de sa feuille.

— Oh ! Fly a vu ? s'émerveilla-t-elle.

— Non, répondit l'intéressé sans s'arrêter d'écrire.

— Miss Lalie a vu passer une hirondelle !

— Super, répondit Fly, toujours sans bouger.

— Miss Lalie aime bien les hirondelles, insista la jeune fille.

Le jeune homme l'ignora complètement. Elle ne s'arrêterait donc jamais ? Miss Lalie était gentille mais il n'avait vraiment pas besoin de se déconcentrer maintenant. Tout ça pour une hirondelle...

Fly écarquilla les yeux quelques secondes. « hirondelle », c'était le mot d'alerte, c'était Ella !

Lorsque le professeur eut fini son propos et prit quelques secondes avant de commencer le suivant, le jeune homme se tourna vers sa voisine qui lui lança un regard agressif. C'était bien Ella.

A la sortie du cours, Fly prit les devants et chercha, pour la récréation, un coin reculé et discret de la cour. Ce fut finalement Ella qui trouva, et les deux amis s'installèrent à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes.

— Pardon, Ella, je n'ai pas tout de suite compris que c'était le mot, s'empressa de dire Fly, d'un ton timide. J'avais oublié...

— Espèce d'idiot, susurra la jeune femme. J'ai dû le répéter deux fois pour que tu comprennes, et encore, tu as mis bien dix secondes !

— Oui, pardon, pardon...

— Bon, reprit-elle sèchement. Pourquoi tu as cherché un endroit discret ?

— C'était pour te parler tranquillement...

— Oui, ça je me doute !

— Je voulais te dire que je suis d'accord pour t'accompagner à Géopolis.

Ella ne répondit pas, cette fois. Elle resta figée, debout, comme un bâton.

— Tu... tu es sûr ? balbutia-t-elle.

— J'en suis certain, répondit-il. J'ai déjà demandé à Laura si je pouvais partir en vacances à Géopolis avec toi, et elle m'a dit oui. Enfin, elle se faisait un peu de soucis mais elle a accepté donc c'est l'essentiel !

— Merci, répondit-elle simplement, en esquissant un sourire.

Elle semblait vraiment reconnaissante, elle laissait même percer de la joie ! Fly fut soulager de ne pas contribuer à son malheur.

Ils n'eurent pas beaucoup plus de temps avant que la sonnerie ne retentisse et qu'ils doivent retourner en cours.

La journée se déroula sans accroc. Ella était de très bonne humeur, en plus de jouer la joie de Lalie, ce qui rendait les discussions plus agréables. Jouer la joie quand on est énervé, il n'y a rien de pire.

— Bon bah alors à demain, lança Fly lorsqu'ils furent presque à son ponton.

— Non, répondit Ella en lui saisissant le bras. On va d'abord chez le vieux Kan.

Fly ne la contredit pas et la suivit tranquillement, espérant juste que le vieil homme ne lui ferait pas peur.

Ils arrivèrent bientôt à sa cabane et Ella toqua à sa porte sans une hésitation.

Le vieil homme ouvrit, méfiant, et laissa entrer les deux adolescents.

— Pourquoi venez-vous me voir ? demanda-t-il sans colère ni inquiétude.

— Nous partons à Géopolis, annonça Ella. Enfin, nous partirons pendant les vacances scolaires.

— Intéressant, répondit le vieil homme. Tu emmènes Fly avec toi ?

— Oui, il s'occupera de Miss Lalie pour qu'elle ne fasse pas de bêtise.

— Et pourquoi est-ce que vous décidez de partir maintenant ? Est-ce que c'est à cause du journal dont Fly m'a parlé ?

Ella lança un regard à Fly. Ils avaient parlé d'elle sans elle, mais ce n'était pas si grave, si ?

— Le joaillier sur la photo porte la broche symbole de la guilde des joailliers, répondit la jeune femme. Et cette broche, je la connais. Il la portait. Donc je vais à Géopolis, pour me renseigner sur cette guilde et tenter de le retrouver, car c'est ma seule piste.

Elle se tourna vers Fly.

— Notre seule piste, je devrais dire, ajouta-t-elle.

Le jeune homme ne put s'empêcher de sourire. Il était content de faire partie de cette aventure avec elle.

— Très bien, répondit le vieux Kan. Tu penses avoir besoin d'armes ?

Fly manqua de s'étouffer. Des armes ?!

— J'aimerais en avoir au cas où. Tu peux réviser mon stylo aussi ?

C'était à n'y rien comprendre. Des armes et maintenant un stylo !

— Oui bien sûr, donne le moi et je m'en occuperai d'ici ta prochaine visite. Je verrai si je trouve une arme qui pourrait se cacher sur toi.

— Sinon, je n'ai qu'à la donner à Fly, quand je ne l'utilise pas. Ça réduira le risque que Miss Lalie la voie !

— Oui, c'est une bonne idée. Viens là, Fly. Je vais regarder un peu où on pourrait cacher une arme sur toi.

— Eh ! Mais je ne veux pas être lié à des armes et à de la violence !

Sans lui prêter attention, le vieil homme le fixa de la tête au pied, et fit le tour du jeune homme. Il scrutait chaque détail, et partit dès son tour achevé sans prononcer un mot.

Ella le suivit, et Fly resta, abasourdi, en retrait.

Le vieux Kan sembla actionner une sorte de levier presque invisible dans la pénombre de sa cabane, et une porte s'ouvrit au milieu du mur.

La pièce dans laquelle il pénétra alors était, contrairement aux autres, bien éclairée. Elle était assez vaste et il y avait toutes sortes d'armes blanches entreposées sur une table et accrochées aux murs.

— J'ai développé un modèle de lame fine, commença le vieux Kan en saisissant une arme sur la table. Elle est moins ergonomique et moins résistante, mais elle peut plus facilement se cacher et te sauver en cas de besoin.

Fly s'approcha pour voir tout de même de quoi il parlait. C'était une sorte de dague, mais donc la lame et le manche étaient fins, comme aplatis.

— Je peux aussi te donner une dague plus résistante, que tu ne pourras par contre pas avoir toujours avec toi et que tu devras bien cacher.

— On pourrait en cacher une sur Fly ? demanda Ella d'un ton neutre.

— Eh, on ne cache rien du tout sur moi ! tenta d'intervenir l'intéressé.

— Je pense que ça serait possible, répondit le vieil homme en ignorant totalement Fly. Au moins la lame fine, mais il pourrait être plus intéressant de la cacher sur toi et de mettre l'autre sur lui.

— Je ne pense pas, répondit Ella. Si je suis attaquée, il pourra me la passer, et si je suis sans lui, j'aurai mon stylo, je ne serai pas sans défenses.

— La lame résistante serait peut-être plus utile alors.

— Je pense. Il faudra en trouver une qui passe quelque part dans les vêtements de Fly alors.

— Mais puisque je vous dis que je ne veux pas ! s'écria-t-il à nouveau.

Ella se tourna vers lui, l'air agacé.

— Tu veux m'aider, oui ou non ? lâcha-t-elle. Tu vas juste porter une arme ! Tu ne vas pas t'en servir, et d'ailleurs moi-même je ne m'en servirai pas à la légère.

— Et si quelqu'un la trouve !

— Personne ne la trouvera ! En revanche, si elle est sur moi, Miss Lalie risque bien de la trouver et de paniquer en la voyant.

— Enfin, rectifia le vieux Kan, on ne sait pas vraiment comment elle réagirait, mais vu son caractère, ça ne peut pas être une bonne réaction.

Le cœur de Fly battait plus fort. Dans quoi s'était-il embarqué ?!

— Tu comprends ? continua Ella. C'est extrêmement dur pour moi d'avoir des armes sur moi. Je suis obligée d'avoir des stratagèmes poussés pour que Miss Lalie ne les trouve pas ! C'est le cas par exemple de mon stylo. C'est le vieux Kan qui l'a créé. Le stylo contient en réalité une lame, mais pour la trouver, il faut l'ouvrir d'une certaine façon et avec vigueur – ce que naturellement, Miss Lalie n'a pas. Il faut des ruses comme ça pour que je puisse avoir des armes, et tu comprends que le vieux Kan ne peut pas en créer à souhait, et que cela sacrifie des qualités de l'arme originale, la taille ici par exemple.

— Oui... mais pourquoi as-tu besoin d'une arme ? On ne va pas chercher des informations pour retrouver quelqu'un ?

— Ce quelqu'un a tué ma mère !

Ella criait désormais. Ses yeux étaient exorbités et elle respirait plus fort. Elle avait comme un air torturé que Fly ne lui connaissait pas jusque là.

— Tu ne penses pas qu'il serait capable de nous tuer aussi ?! Il faut bien qu'on se défende, bon sang !

Ella marcha d'un pas rapide jusqu'à l'autre bout de la cabane, énervée, piétina quelques instant le sol du salon et se laissa tomber sur un fauteuil miteux, désespérée.

Fly et le vieux Kan restèrent quelques secondes face à face à se regarder. Le vieil homme semblait toujours impassible. Fly, lui, était bouleversé par l'attitude de son amie. Elle semblait vraiment triste, presque torturée, et avait presque l'air d'avoir peur.

— Nous déciderons des armes à emporter la prochaine fois, affirma le vieillard. Il faut de toute manière que je révise le stylo donc vous serez obligés de revenir me voir avant votre voyage.

Fly acquiesça en silence et se décala pour que son hôte puisse refermer la salle secrète avec la même manette cachée.

Le bois grinça amèrement lorsque le vieil homme fit quelques pas en direction de la cuisine.

On n'entendait pas un bruit : Ella était silencieuse depuis au moins cinq minutes.

— Voulez-vous un verre d'eau ? demanda le vieux Kan depuis la pénombre de sa cuisine, presque dans un murmure.

— Je veux bien, oui, répondit poliment Fly.

— Et toi ? réitéra le vieillard en un coup d'œil vers la silhouette sombre d'Ella sur le fauteuil.

La jeune fille releva alors la tête, et un sourire s'étira sur son visage à moitié noirci par l'ombre.

— Oui ! Miss Lalie a soif !

Fly lança un regard désespéré au vieux Kan. Le vieil homme le regarda, toujours impassible. Il avait l'habitude, lui. 

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