Suite des interrogations
Trois jours s'étaient passées avant qu'elle ne soit à nouveau contactée par le commissariat. Elle n'avait toujours pas vu Ethan et elle ignorait où il habitait avant l'Éclipse. Elle savait que son anniversaire était passé, et elle espérait qu’il n’avait pas disparu, même si cela n’aurait pas été logique. Elle s’était retenue lorsque Huges lui avait demandé des informations sur son coleader de lui demander des nouvelles de lui.
Elle savait que parler de sa relation des plus particulières avec Ethan ne l’aiderait pas à se sortir de ce pétrin. Par la même occasion, elle avait profité du retour de ses parents. Mais c'était différent. Elle avait changé. L'Éclipse l'avait changée. Et ses parents avaient du mal à la regarder dans les yeux.
Diana ne savait pas s'ils avaient honte de ce qu'elle était devenue, un hors-la-loi, s'ils étaient tristes de n'avoir pas été aux côtés de leur fille pendant ses deux dures années ou s'ils la voyaient comme une étrangère à présent. Ils n'en avaient pas discuté. Personne n'avait osé aborder le sujet. Il lui semblait que ses parents faisaient comme si rien ne s'était passée, comme si leur fille n'avait pas vieilli d'un coup de deux ans. Et elle leur en voulait un peu de ne pas faire face à la réalité.
Car dans toute cette histoire, le plus stupéfiant était qu'aucun adulte n'avait le moindre souvenir. Quand ils étaient revenus, ils étaient persuadés d'être le même jour qu'il y a deux ans en arrière. Sauf que ce n'était pas le cas.
On prenait tous les moins de vingt-deux ans pour des fous, mais finalement, c'était bien eux qui avaient disparu autant de temps et qui n'en gardaient aucun souvenir !
Diana poussa la porte de la salle où elle avait été interrogée la dernière fois. Une pièce stérile, blanche, neutre avec pour seuls meubles apparents une table et trois chaises. Elle s'installa en lorgnant les caméras. Il n'y en avait plus une, mais trois au total dans la pièce.
Que se passait-il ? Avaient-ils décidé qu'elle était bien trop dangereuse et qu'ils devaient renforcer la surveillance ? À sa droite, il y avait toujours cette vitre sans teint, derrière laquelle se trouvait sans doute des enquêteurs, des psychologues, des experts comportementalistes.
Elle souffla, elle n'aimait pas cette impression d'être cernée, déjà la seule issue de cette pièce était la porte, dans son dos, qu'elle venait de passer. Il n'y avait rien d'autre. Elle arrêta brusquement le cours de ses pensées. À quoi songeait-elle tout à coup ? Elle n'était plus comme durant ses deux ans, en perpétuel danger. Et les forces de l'ordre ne lui feraient pas de mal, c'était une certitude. Il fallait qu'elle arrête d'être sur la défensive. Sinon cela risquait de lui jouer quelques tours.
Elle avisa la troisième chaise. Visiblement, elle ne serait plus en tête à tête avec l'inspecteur Huges. Ils allaient avoir un invité. Allez savoir qui.
La porte dans son dos s'ouvrit, et Diana entendit la voix de l'inspecteur en question, ainsi qu'une plus claire qu'elle ne connaissait pas. Sans doute l'invitée. Elle sentit immédiatement l'arôme de café emplir la pièce. L'inspecteur arriva dans son champ de vision.
Il s'installa devant elle en posant le gobelet de café sur le bureau avec le dossier, avant de la saluer en lui serrant la main. La femme qui l'accompagnait avait la trentaine, un visage avenant, bien que pour le moment sur la réserve et une attitude professionnelle. Il se dégageait d'elle une aura douce et élégante, ce qui était renforcé par sa beauté, ses longs cheveux blonds comme les blés cascadant dans son dos, sa jupe noire moulante et son haut rouge lie-de-vin aux manches bouffantes.
Diana avait l'impression de faire tâche au milieu de ses deux êtres charismatiques et soignés, avec sa veste en cuir et son jean délavé. La psychologue tenait dans la main un calepin ouvert, vierge pour le moment, même si la jeune femme se doutait qu'il ne le resterait pas. Elle n'avait pas besoin des présentations pour savoir face à quel corps de métiers elle se trouvait.
— Diana, je te présente Emilia Rise, psychologue juridique. Elle nous assistera durant nos séances. Tu n'as rien contre ça ?
La jeune fille se retint de grimacer. Elle ne dirait pas non, mais elle restait malgré tout sur la défensive. Emilia intervint alors, l’œil vif.
— Enchanté de te rencontrer, Diana, si tu me permets de te tutoyer. Comme vient de me présenter l’inspecteur Huges, je suis psychologue spécialisée dans ce qu’on appelle les micromouvements faciaux, les froncements de sourcils, le mouvement des yeux. Si tu me permets, je viens de te voir tiquer, peux-tu m’expliquer pourquoi ?
Cette dernière se rétracta encore plus. Cette psychologue était forte, elle avait réussi à lire ses expressions bien trop facilement à son goût. Mais surtout, elle était rusée, elle se présentait d’un air accueillant, se permettait de la tutoyer pour la mettre en confiance et assurer une certaine proximité entre elles, sans doute pour qu’elle se sente assez à l’aise pour lui avouer ce qu’ils voulaient qu’elle leur dise.
Sauf qu’elle n’était pas née de la dernière pluie, et aujourd’hui ne serait pas le jour où elle la considérait comme une amie. Elle contourna la question pas une autre affirmation que celle qu’attendait la psychologue. Diana n’était pas prête à lui dire qu’elle n’était pas enchantée de sa venue.
— Je ne suis pas contre votre venue, mais dans ce cas, je ne vois pas l'utilité de toutes ses caméras.
L'inspecteur fronça les sourcils, consterné par sa remarque avant de tourner la tête pour aviser les trois caméras. Il sembla aussi perplexe qu'elle a leur vue, mais répondit avec nonchalance.
— Elles sont sûrement éteintes, nous n'avons plus besoin de filmer maintenant que Mlle. Rise est là.
Cette fois-ci, Diana resta impassible. Mais l'inspecteur la prenait clairement pour une idiote. Le voyant rouge qui clignotait ponctuellement était le signe évident qu'on l'enregistrait en ce moment même. Elle ne rétorqua rien et fit comme si elle vivait le mensonge de l'inspecteur. Le nombre de caméras avait augmenté, et ce n'était pas anodin.
— Bien reprenons si tu me le permets Diana. Pour donner suite aux quelques révélations que tu nous as faites précédemment, d'autres questions se sont soulevées. Et tu es là pour en éluder une bonne partie.
Diana hocha la tête, consentante. Si elle avait été contre, elle n'aurait jamais accepté de revenir. Bien que tout ce cinéma l’insupportât au plus haut point.
— Débutons si tu veux bien. Tu nous as fait part que tu avais recueilli déjà trois nourrissons. Mais nous souhaitons savoir combien de bébés avais-tu à ta charge durant ses deux ans ? Demanda-t-il, en la regardant droit dans les yeux.
— Si on considère qu'un bébé a moins d'un an, j'en ai recueilli dix la première année. Lâcha-t-elle sans hésiter.
Ces nourrissons, ces enfants, ces adolescents étaient devenus sa famille. Et même si son esprit avait été accaparé par mille choses à la fois, elle connaissait tous leurs noms, tous leurs âges, leurs passions, leurs angoisses. Même si elle n’était pas souvent là, partant tôt le matin, elle faisait en sorte de leur consacrer un peu de temps. C’était elle après tout qui les avait embarqués dans cette folle histoire.
— Et par la suite, tu n'en as pas rapporté d'autre ? Parut-il surpris.
— Inspecteur Huges, soupira-t-elle, comme une maîtresse faisant la leçon à un enfant, je crois que vous oubliez l'essentiel. Personne n'avait au-dessus de vingt-deux ans et il est rare d'enfanter à cet âge. Donc ça fait deux ans qu’il n’y a pas eu de naissances.
— Par rapport à ça, tient, vu que tu en parles. Plusieurs personnes nous ont affirmé qu'il y avait une possibilité de ne pas disparaître à l'âge fatidique si on était enceinte le jour des vingt-deux ans, car le corps accueille à ce moment-là un nouvel être humain qui, lui, n'a évidemment pas vingt-deux ans. Tu étais au courant ?
Diana sentit son sang se vider intégralement de son corps. Elle espérait que cela ne se voyait pas sur son visage, qu'elle n'avait pas subitement blanchie. Sans quoi Rise percerait à jour son jeu.
— Non, pas du tout, mentit-elle, feignant la surprise, plaquant un air stupéfait sur son visage.
— Bon, tant pis, ce n'est pas grave, nous cherchions juste à savoir si cette théorie était fondée. Mais revenons à ce que tu nous avais dit... ah oui, tu nous as parlé que tu avais découvert que vous disparaissiez à vingt-deux ans grâce à Louis. Comment a-t-il "disparu" ?
— Je ne sais pas trop quoi vous dire dessus. C'est comme le jour de l'Éclipse quand ma mère a disparu. Sauf que là, Louis était devant moi, je le regardais quand il a atteint l'âge. C'est comme un battement de cils, tu fermes les yeux une demi-seconde, et quand tu les rouvres, il n'est plus là. C'est ce qu'il s'est passé. Comme si son existence avait brutalement été effacé de la surface de la Terre.
— Pourquoi étais-tu avec Louis à ce moment-là précis ? Demanda la psychologue, coupant l'inspecteur qui s'apprêtait à continuer.
— Il nous était tombé dessus au cours de l'une de nos missions. Il nous avait réservé une embuscade. Il voulait se venger de moi. Du moins, c'est ce que j'ai cru au départ. Il a accepté de laisser tous les autres partir si je restais pour parler avec lui. Il a même renvoyé ses gars à lui en preuve de bonne volonté de sa part. J'ai accepté et j'ai dit à mon équipe de rentrer à la base. Louis était en fait terrorisé.
— Par quoi ? Continua la psychologue, elle aussi aspirée par le récit.
— À l'époque, je ne savais pas qu'on disparaissait à nos vingt-deux ans. Je savais juste que tout ceux ayant plus de cet âge avaient disparus. Mais Louis savait. Je ne sais pas comment. Peut-être avait-il vu un de ses amis disparaître ? Je ne sais pas sincèrement. Il faudra lui poser la question.
— Oui, en effet, si on parvient à le retrouver. Soupira Huges.
— Comment ça ? Il n'est pas réapparu en même temps que vous tous ? S’exclama-t-elle, faussement consternée.
— Non. Ou si c'est le cas il se cache. C'est pour ça qu'on a besoin de savoir ce qu'il s'est passé avant qu'il ne disparaisse.
— Il m'a appris que l'on disparaissait à vingt-deux ans. Et qu'aujourd'hui était son anniversaire. Il était paniqué, il ne voulait pas disparaître. Ce qui est plutôt normal. Je ne sais pas pourquoi, mais il pensait que j'aurais une solution, car jusque-là j'avais réussi à plutôt bien m'en tirer. Mais je ne savais pas quoi faire pour l'aider. Je venais juste d'apprendre cette nouvelle, c'était déjà un choc pour moi qui avait vingt ans, alors pour lui, ça devait être pire de se dire qu'il ne lui restait que quelques minutes. Il a commencé à s'énerver, à dire que j'étais responsable de sa mort. Et alors qu'il sortait son arme, il a disparu.
Diana se tut, l'image de Louis disparaissant ancrée dans son esprit. Elle retint sa peine à ce souvenir. Louis n'était pas un gars bien. Mais il ne méritait pas de finir ainsi. Personne ne le méritait.
— On va faire notre possible pour le retrouver. Il n'avait pas de famille, pas d'amis hormis ceux qui l'ont connu durant l'Éclipse. Or, ils ne veulent pas parler pour le moment et font tout pour nous éviter. La dernière fois, tu as dit avoir pris nos armes, pour te défendre au cas où Louis reviendrait à la charge et menacerait l’un des tiens, combien en as-tu volé ?
— Cinq. Deux pistolets et trois Famas. Je les ai déjà rendus, il y a le même nombre de balles que quand je suis venue les prendre il y a deux ans. Je ne m'en suis jamais servie. Je ne sais de toute manière pas tirer.
— Il semblerait que sept armes aient disparu au total ici, grimaça Huges. Tu sais quelque chose sur les deux autres armes manquantes ?
— Non, mais la Squad était bien armée aussi donc c'est possible qu'ils soient venus vous en subtiliser aussi, songea-t-elle à voix haute.
— J’ai également quelques questions pour toi, intervint Rise, toujours aussi calmement. J’ai visionné ta précédente audition avec l’inspecteur, et tu dis à un moment « une courte période déni ». Pourquoi courte ?
— Lorsque l’on a des enfants à charge, qui bougent, qui ont faim, qui ont besoin d’attention, on n’a pas le temps de se demander si ce qui nous arrive est la réalité ou un rêve. On doit agir. Expliqua Diana d’un froncement de sourcils, comme si c’était la logique même.
— D’accord, souffla-t-elle en écrivant à toute vitesse sur le bloc-notes qu’elle avait entre les mains. Et je voulais savoir, tu as confié que cinq jours après, tu as commencé à chercher les enfants qui s’étaient retrouvés seuls suite à l’Éclipse, mais j’imagine que ce ne t’a pas pris qu’un seul jour ?
— Non, en effet, acquiesça Diana, ne voyant pas où elle voulait en venir. Nous étions une quinzaine à partir durant ce que nous appelions les « missions » pour ne pas choquer les plus jeunes. Mais même avec autant de personnes, il nous a fallu plus d’un mois à faire toute la ville.
— Et vous avez toujours trouvé les enfants…
Rise hésita. Mais elle n’avait pas besoin de finir sa phrase, Diana avait sais ce qu’elle voulait dire. La jeune femme ferma les yeux, laissant apparaître à travers ses paupières des images qu’elle avait pris l’habitude de refouler pour ne pas sombrer dans la dépression. Sans doute se voilait-elle la face. Mais c’était plus simple. Elle se torturait suffisamment l’esprit la nuit dans ses cauchemars pour se plomber l’ambiance la journée.
— En vie ? Compléta-t-elle en articulant une grimace. Non, en effet, beaucoup d’entre eux étaient morts, parfois de faim, parfois dans des accidents dramatiques, surtout pour les plus jeunes.
— Combien ?
— Je ne sais plus, bredouilla Diana, perdant pour la première fois ses moyens, tentant de déglutir tandis que l’horreur de certaines scènes lui revenaient en tête. Beaucoup trop.
Le silence s’ensuivit, ce silence qu’elle avait l’habitude de côtoyer durant l’Éclipse. Rise avait-elle volontairement voulu la placer dans une situation indélicate, car elle avait réussi. Elle semblait néanmoins touchée par cette révélation.
— Bien. Se racla la gorge Huges, gêné, pour dissiper l’ambiance morbide qu’avait pris l’audition. Alors je sais que tu ne souhaites pas nous en parler, mais il faut qu'on sache qu'elle était ta relation avec Ethan.
Diana se braqua immédiatement. Pourquoi fallait-il qu'il revienne à la charge une nouvelle fois ! Il lui semblait avoir été assez clair hier.
— Je ne vois pas ce qui vous intéresse chez lui. Déclara-t-elle faussement ennuyée.
— Que sais-tu de lui, Diana ? Connais-tu son histoire avant l'Éclipse ?
— Non. Et ça ne m'intéresse pas. Vous n'avez pas vécu tout ça. La peur, les doutes, le stress. À ce moment-là, rien n'était plus pareil. Peu importe qui nous étions avant, nous devions nous serrer les coudes pour survivre sans électricité, avec peu de nourriture et face à la Squad. Alors je m'en fiche de qui était Ethan avant l'Éclipse.
— Alors dis-nous comment il était pendant l'Éclipse ! S’exclama Huges, saisissant la perche. Des enfants et des adolescents nous ont dit que vous étiez tous les deux un peu leurs mentors, c'est vous qui gériez tout ça, les missions, le rationnement. Que vous étiez un peu comme leurs parents de substitution.
Diana sentit un léger sourire s'épanouir sur ses lèvres tandis que la tendresse l'étreignait. Elle était contente de savoir que les enfants avaient réussi à être préservé de tout ça. Que leur Éclipse à eux n'avait pas été aussi terrible que la sienne. Mais elle chassa ce sentiment.
— Je refuse de dire quoi que ce soit sur lui. Je suis certaine que vous l'interrogez aussi de votre côté. Il vous en dira plus. Et c’est parce que « j’ai géré » ça, comme vous le dites que je suis là.
— Et bien, non justement, il refuse de dire quoi que ce soit sur vous. Je ne sais pas si vous vous êtes passé le mot ou pas mais vous semblez être sur le même diapason. Pourquoi faites-vous ça, Diana ?
— Vous ne comprenez pas ? Souffla-t-elle exaspérée. Si je suis là, en ce moment, c'est pour déterminer si je suis coupable de l'enlèvement de mineurs et de majeurs en plus de séquestration. J'accepte de témoigner sur ses deux ans car je ne me considère pas comme responsable de quoi que ce soit ! J'ai juste fait mon possible pour les sauver, mais vous ne voyez que l'aspect négatif. Si vous voulez m'emmener en prison, pas de soucis, mais je refuse d'entraîner Ethan dans ma chute, d'avoir un quelconque lien avec lui. À lui de se débrouiller avec vous.
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