Rêves et réalité
Diana tenait son Sig-sauer 2022 dans son poing. Louis la toisait en chien de faïence. Chacun avait l'arme visant la tête de l'autre. Cette situation pouvait durer des heures. Jusqu'à ce que Louis disparaisse. La jeune femme avait encore du mal à y croire. Elle était sonnée par la nouvelle qu'elle venait d'apprendre. Il lui restait moins de deux ans à vivre. Avant de disparaître comme tous les autres adultes. Elle sentit un frisson l'agiter à cette perspective. Mais elle se reconcentra sur Louis, dont les yeux gris pétillaient de haine.
- Tu sais, Diana, je t'admirais beaucoup.
Il eut un mouvement et Diana sut qu'il allait tirer. Alors elle fit ce qu'elle s'était juré de ne jamais faire. Le corps de Louis s'écrasa par terre. On aurait pu dire qu'elle avait gagné. Mais pour elle, c'était une défaite. Louis avait une balle dans la tête et elle ne vint pas à son aide. Car elle savait qu'il n'y avait plus rien à sauver. Il était mort. La lueur de vie dans ses yeux s'était déjà éteinte. Peut-être même avait-elle déjà disparu quand il avait pris conscience que sa vie allait se terminer à ses vingt-deux ans.
Diana s'écroula au sol en larmes. Elle caressa sa tête en hoquetant, comme une mère auprès de son enfant. Il ne disparut pas. La jeune femme ne connaissait pas son heure de naissance et ça pouvait aussi bien être dans deux minutes et que sans deux heures. Enfin, s'il disparaissait. Car elle n'avait aucune certitude qu'un homme mort comme l'était à présent Louis soit effacé. Elle n'allait pas creuser des tombes de défunts pour savoir si leurs corps y étaient encore.
La mare de sang se répandait sur le sol pavé, tel une rigole d'eau. La trace, elle, resterait, jusqu'à ce que la pluie vienne laver ces larmes vermeilles. Le corps, non. Louis ne méritait pas de rester ici, à la proie des intempéries. Elle le souleva comme elle le put et le tira jusqu'à la voiture la plus proche, une petite citadine noire. Elle l'allongea sur la banquette arrière, avant de s'installer elle-même à l'avant. L'aspect pratique de l'Éclipse était que tous les véhicules étaient restés à l'arrêt, les clés sur le contact. Si bien que se déplacer était devenu d'une facilité enfantine. Enfin, quand les voitures n'avaient pas eu d'accidents ou que la Squad n'avait pas pompé l'essence pour leurs quads.
Diana avait roulé à cinq minutes à peine de la place, à la périphérie de la ville, là où les sapins et les chênes dominaient les maisons comme des gardiens. Elle s'était enfoncée dans la forêt jusqu'à atteindre la partie la plus sauvage et lugubre du sous-bois. À cet endroit où le feuillage était si épais qu'il ne laissait pas passer le moindre rayon de soleil. La petite citadine n'avait pas bien aimé la route chaotique et avait déjà paru sur le point de rendre l'âme.
Mais le pire avait été d'extirper Louis de la banquette arrière et de creuser le trou. Cela avait été un calvaire pas possible. Encore heureux que la terre était si fraîche, gorgée d'humidité, cela avait été si simple. Peut-être un peu trop pour une personne qui s'était apprêtée à enterrer un cadavre. Elle avait creusé avec ses doigts, ses ongles, un enjoliveur qu'elle avait arraché. Tout était à même de lui servir d'outil pour creuser. Il lui avait fallu une bonne partie de l'après-midi pour parvenir à avoir un trou assez large et profond.
Elle avait déposé à grande peine Louis au fond, après avoir vérifié une dernière fois pour la bonne conscience qu'il n'avait plus de pouls. Il avait disparu à ce moment. Au fond du trou. Elle avait recouvert le fossé sans le corps, de la terre qu'elle avait déblayée peu avant. Si un jour il réapparaissait, il serait au moins en paix.
Diana se réveilla en sursaut, couverte de sueur. Affolée, elle manqua de sauter sur ses jambes. Mais elle s'arrêta en reconnaissant les murs bleu saphir de sa chambre. Elle passait une main lasse sur son visage tiré par la fatigue. Elle ne pensait pas rêver encore de l'Éclipse. Cela faisait un moment déjà qu'elle n'avait pas revécue son passé durant son sommeil. En particulier sur ce passage de sa vie. Tout ça, c'était à cause de ses enquêteurs qui remuaient le couteau dans la plaie, malgré le fait que deux ans se soient écoulés. Et l'interrogatoire musclé du militaire n'en était pas de reste.
Elle ne voulait pas ruiner ses nuits parce que trois inspecteurs passaient leur temps à faire remonter en elle les plus lointains de ses souvenirs. Elle revoyait encore lorsqu'elle fermait les yeux, le corps sans vie de Louis. Elle espérait sincèrement qu'il reposait en paix, là où elle avait creusé sa tombe. Il aurait détesté l'endroit. Lui qui se vantait d'être un citadin dans l'âme. Qui rechignait tout ce qui avait trait à la nature, sous toute forme qu'elle soit. Même la vue des fleurs l'énervait. S'il savait qu'il reposait à présent entre deux noisetiers, dans la nature à l'état brut, primaire, il l'insulterait sans aucun doute.
La mort de Louis l'avait à l'époque beaucoup affectée, bien qu'elle ne le connût pas personnellement. Elle l'avait après tout longtemps détestée. Mais avec le temps, tout s'évapore, la rancœur, les souvenirs, même les hommes. Elle lui en voulait à l'époque parce qu'il avait été le premier à mourir sous ses yeux. Et par sa faute de plus. Elle n'avait pas souhaité que ça se passe ainsi. Mais tout était allé trop vite. Elle s'en était voulu longtemps après encore. Et comme l'hiver laisse place au printemps, les remords avaient été remplacé par une mélancolie certaine. Tout ce que Diana espérait à ce jour, c'était que personne ne découvrirait son corps.
Mieux valait-il le laisser en paix. Loin de tout ce que l'Éclipse avait engendré.
Elle se retourna dans son lit, froissant les draps chauds, et jeta un coup d'œil à son réveil. Il était neuf heures passées. Cela expliquait qu'elle avait à nouveau rêvé, elle avait trop dormi. C'est la raison principale pour laquelle elle avait besoin du strict minimum en termes de sommeil. Pour ne pas être entraîné dans des rêves qui la tourmentaient.
Pendant l'Éclipse, elle se restreignait à sept heures de sommeil au maximum. Jamais plus, sous peine de ne pas supporter la pression de la journée à venir. Elle s'étira et s'extirpa de ses draps. Le sol sous ses pieds nus était froid, malgré la chaleur qui devait déjà régner dehors. Elle soupira en sortant de sa chambre.
Ses parents étaient passés du tout au tout en quelques jours à peine. Alors qu'il y a peu, ils faisaient comme si l'Éclipse n'existait pas, et que leur fille était devenue une étrangère, maintenant, ils la traitaient comme si elle était une statue de cristal risquant d'imploser. Sauf qu'elle n'était pas en sucre.
D'autant plus qu'ils l'encourageaient à parler de l'Éclipse, de ce qu'elle avait vécu durant cette période. Si bien qu'elle fuyait sa maison dès qu'elle le pouvait. Elle ne supportait pas déjà qu'on l'interroge au commissariat mais si ses parents s'y mettaient également, elle allait devenir folle !
Elle les suspectait d'être allé voir un psychologue. Mais ça ne l'arrangeait pas personnellement. Son propre comportement l'étonnait parfois. Elle pensait qu'elle serait réjouie du retour de ses parents. Mais en fait, non. Elle n'éprouvait plus que de l'indifférence à leurs égards. Ils étaient devenus des étrangers pour elle au final. Bien sûr, cela la peinait. Mais elle n'y pouvait rien.
En deux ans, elle s'était persuadée qu'ils étaient morts. Si bien qu'elle avait fait son deuil, ne pensant plus jamais les revoir. Et la douleur, l'affection qu'elle ressentait pour eux s'étaient estompées avec le temps. Pour ne plus rien laisser. Hormis l'apathie.
Elle descendit les marches et se rendit dans la cuisine. La maison était silencieuse. Peut-être ses parents étaient-ils partis quelque part ? Peut-être chez leur psy ? Pensa-t-elle ironiquement, ou alors une nouvelle Éclipse avait-elle eu lieu !
Elle s'en fichait après tout. Elle avait l'impression d'avoir déjà tout vécu. Elle se tartina de la confiture sur un morceau de pain frais qu'elle enfourna dans sa bouche et savoura. C'était si bon de retrouver ce confort qui avait disparu pendant l'Éclipse. La nourriture en soi était devenu pour elle un bien précieux. Elle avait vécu deux ans en se contentant du strict minimum, et bien souvent c'était de la nourriture en conserve insipide. Mais quand tout était revenu à la normale, il avait fallu un moment au monde pour aller à nouveau dans la bonne direction. Cela avait nécessité de tout relancer, l'agriculture, l'économie, l'électricité... et elle en passait encore.
Par chance, ils ne manquaient de rien chez eux, mais elle savait que d'autres n'avaient pas été aussi chanceux. Elle déposa la brique de lait dans son frigo après s'être servi un verre et remarqua un petit carré jaune fluo aimanté dessus. Elle avisa le post-it et l'écriture soignée et si familière de sa mère. C'était une habitude que cette dernière avait gardée en dépit de l'Éclipse : lui faire des petits mots dès qu'ils s'absentaient. Si autrefois, elle les adorait, aujourd'hui, elle trouvait ça bien trop enfantin. Peu lui importait où ses parents se trouvaient à cette heure, ils pouvaient bien faire ce qu'ils souhaitaient de leurs vies, elle n'en avait plus cure. Cependant, elle prit tout de même le soin de le lire rapidement. Sa mère l'informait juste qu'ils étaient sortis et qu'ils reviendraient vers midi avec le repas et qu'elle n'avait donc pas besoin de le préparer.
Elle froissa le papier et le jeta, contrariée. Cela venait contrecarrer ses plans pour éviter de penser au passé. Depuis le retour des adultes, elle s'efforçait à s'occuper pour ne pas ruminer. Et la cuisine était devenue son meilleur allié. Mais pour aujourd'hui, c'était peine perdue. Tant pis, elle opterait pour la moto, d'autant plus que le temps était en sa faveur.
Elle remonta les escaliers avec la volonté de se changer pour aller parcourir les routes du coin avec sa bécane. Mais arrivée dans sa chambre elle se stoppa en entendant la sonnerie de son téléphone.
Il n'y avait que deux personnes qui pouvaient l'appeler depuis la fin de l'Éclipse. Ses parents et l'inspecteur Huges. Les premiers étant aux courses, ou du moins, c'est ce qu'elle supposait, elle se douta qu'il s'agissait du second. Elle reconnut en effet son numéro et décrocha, la mort dans l'âme, voyant déjà disparaître au loin ses balades en moto.
- Allô Diana ? C'est Alan Huges, du commissariat, résonna la voix de ce dernier, étrangement atone.
- Bonjour inspecteur, salua-t-elle sans grande joie, craignant déjà d'apprendre quelque chose qui finirait de mettre sa vie en l'air.
- Nous aurions besoin de vous voir aujourd'hui, commença-t-il, avec précaution. Quelque chose est arrivé et on a besoin de vous auditionner à nouveau.
- Que se passe-t-il ? Souffla-t-elle d'une voix blanche, imaginant déjà les pires scénarios possibles.
Il y eut un blanc. Comme si Huges hésitait à lui dire. Mais elle entendit sa voix à travers le combiné, lointaine, en train de parler avec quelqu'un d'autre. Sans doute avec Rise. Huges ne l'appelait presque jamais. Les seules fois où ils avaient besoin qu'elle se rende au commissariat, ils passaient par ses parents. Pour qu'il en vienne à faire son numéro, c'était que quelque chose de suffisamment important venait de se passer.
- Écoute Diana, je veux bien te le dire, mais en contrepartie, tu dois me promettre de ne pas te mettre en danger sur la route à cause de ça, marchanda-t-il en bon samaritain.
La jeune femme sentit le sang quitter brutalement son corps. Que se passait-il pour qu'il lui dise une telle chose ? Pas de doute, sa voix perceptible dans le combiné était tendue. Quelque chose de grave s'était produit. Elle savait pertinemment que quoi qu'elle dise, elle roulerait vite.
- D'accord, je vous le promets, mentit-elle un peu trop aisément.
Il soupira avant de s'élancer dans la révélation. Une seconde s'égrena avant qu'il ne lâche enfin, mettant fin à son supplice.
- On vient de retrouver le corps de Louis.
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