Garde à vue
Diana avait passé la nuit au commissariat. À regarder le plafond blanc aux nombreuses irrégularités. Elle s'était empêchée de dormir la nuit durant. L'œilleton rouge de la caméra ne la lâchait pas du regard, fixe. Même si elle n'avait pas bougé depuis qu'on l'avait installé ici.
Elle était placée en garde à vue durant la poursuite de l'enquête. Elle n'avait même pas pris la peine de prévenir ses parents, n'ayant guère l'envie de les entendre s'inquiéter alors qu'elle était grande. Elle n'était plus la jeune fille lâche et introvertie de deux ans auparavant. Elle pouvait comprendre que la transition pour eux avait dû être brutale. Passer d'une adolescente en admiration devant ses parents à une adulte responsable et détachée, c'était loin d'être évident.
Elle savait que Huges avait dû se charger des formalités comme les prévenir. Aussi ne s'en inquiéta-t-elle pas. De toute manière, son portable était resté chez elle, gisant sur son bureau, inutilisé. Diana sentit en voyant le jour se lever, que cette journée allait être aussi longue que la précédente. Elle ne bougea pas, allongée sur son matelas de fortune, les yeux fixés au plafond.
Elle était parvenue à ne pas s'endormir. Ce qui était en soi déjà une victoire pour elle. Elle ne voulait pas cauchemarder et laisser dans son sommeil des bribes de vérité s'ébruiter. Rester éveillé constituait la meilleure solution. La seule également. Car si Diana contrôlait sa vie d'une main de fer, elle ne pouvait pas en dire autant de ses rêves.
Dans cette cellule, elle n'avait pas froid, ni chaud à vrai dire. C'était à cette période de l'année où les journées étaient bien trop étouffantes, mais que les nuits étaient agréables. La température était parfaite selon elle, exactement celle qu'elle appréciait pour dormir, mais elle devait se restreindre, éviter de somnoler dans de telles conditions. Elle ne savait pas combien de temps elle parviendrait à garder les yeux ouverts dans de telles circonstances. La pièce était dépourvue d'objets, même des plus basiques, si bien qu'elle ne pouvait que regarder les aspérités du plafond.
Elle aurait voulu laisser son esprit vagabonder, comme autrefois, mais c'était impossible. Trop d'éléments lui parcouraient la tête, si bien qu'elle ne parvenait pas à se fixer sur une idée bien précise. Ce qui n'était pas plus mal car elle avait parfois l'impression de flotter dans un nuage brumeux de questions.
Dire que son anniversaire approchait. Elle le craignait encore comme la peste. Comme si elle allait brusquement disparaître. Elle faisait tout pour se convaincre que tout irait bien. Mais une peur irrationnelle lui tenaillait le ventre. Ethan, lui, n'avait pas disparu, c'était un signe évident qu'elle n'avait pas à s'en faire. Mais cette peur irrationnelle était ancrée en elle depuis bien longtemps pour qu'elle puisse seulement l'ignorer. Ce qui était autrefois un jour allègre et festif, résonnait aujourd'hui comme le son du glas.
Une clé tourna subitement dans la serrure de la cellule, la surprenant. Elle était si plongée dans ses réflexions qu'elle n'avait pas tout de suite perçue les bruits qui s'éveillait autour d'elle. Le trafic des voitures, dehors, qui s'était fait plus dense, le bruit des agents du commissariat, savourant un café matinal en discutant affaire. Elle discernait même le champ lointain de quelques oiseaux piaillant en cette aube animée.
La porte bascula sur ses gonds, crissant sur le sol pourtant lisse de sa cellule. Elle ne se tourna pas pour voir qui entrait. Elle en avait peu faire. C'était un homme qu'elle reconnut comme étant l'enquêteur qui était venu auditionner Anna et Lya, la dernière fois. Celui spécialisé dans les interrogatoires de mineurs. Son expression chaleureuse avait disparu. Ne laissant qu'une attitude professionnelle d'une personne rompue par le métier.
Il l'emmena jusque dans sa salle favorite. Elle s'y assit avec un soupir. Ils étaient tous déjà là. Huges, Rise et l'adjudant. Le triumvirat de génie. C'était la première fois qu'elle les voyait tous ensemble, et elle savait que ça signifiait qu'aujourd'hui serait sa fête. La psychologue semblait mal à l'aise, tandis que l'inspecteur, lui, affichait une mine grave et sombre. Pour une fois, le militaire était assis, en face d'elle, tenant dans sa main un dossier qui ne chercha pas à lui cacher. Elle lut à l'envers le mot en rouge qui avait été tamponné dessus. "Autopsie". Ça avait été rapide.
Une sueur froide coula le long de sa colonne vertébrale. Ce qu'il y avait là-dedans, c'était la preuve irréfutable qu'elle mentait depuis le départ. Et à en voir par leurs têtes, ils l'avaient déjà lu. Elle ne pourrait pas contrer les arguments qu'ils auraient, car tout serait contre elle. Elle resta immobile, dans un silence total. Rien ne servait d'essayer de se défendre, quoi qu'elle dise, ses arguments seraient remis en cause. Le temps s'étirait et elle crut ne jamais pouvoir supporter cette pression autour d'elle.
Le militaire finit par se racler la gorge pour attirer son attention. Il semblait fatigué, et déçu, visiblement. Il était néanmoins le seul à la regarder dans les yeux, les autres évitant son regard comme si elle avait été capable de provoquer leurs morts ainsi.
- Nous avons reçu les résultats de l'autopsie du corps de Louis, débuta-t-il consciencieusement. As-tu encore quelque chose à nous avouer au dernier moment avant que nous entamions les questions ?
- Non, rien à ajouter, souffla-t-elle, butée.
- Alors on peut commencer, soupira-t-il d'une voix éteinte. Toutes les preuves prouvent que tu es responsable de son meurtre. Attends, laisse-moi parler ! La coupa-t-il impérieusement alors qu'elle ouvrait la bouche. Louis est mort d'une balle dans la tête. Je te passe les détails médicaux et les termes trop techniques. La balle est un neuf millimètre, provenant vraisemblablement d'une de nos armes, un Sig-Sauer 2022. D'après les premières analyses, ton ADN a été retrouvé sur son corps. Selon l'expertise des médecins légistes, il est mort depuis deux semaines. Mais comme l'Éclipse a eu lieu entre temps, cela pourrait être il y a en réalité bien deux ans. On a retrouvé ton ADN également dans la voiture d'un particulier, retrouvée dans une ferme abandonnée, ainsi que celui de Louis à l'arrière.
Il fit une pause. Hésita, mais sembla se décider à lui avouer la dernière information. Il sortit d'un sac, qu'il avait à ses pieds, une pochette en plastique, contenant une arme. Diana la reconnut immédiatement et se décomposa intérieurement.
- Cette arme a été retrouvé dans ta chambre, chez toi. Ce sont tes parents qui nous l'ont remis. Tu nous as une nouvelle fois menti, Diana, tu avais bel et bien les pistolets qui avaient disparu ici et tu t'es bien servi d'eux, car des balles manquent. Ton ADN a également été retrouvé dessus. Et figure-toi que cette arme est un Sig-Sauer 2022, qui, de surcroît, tire des balles en neuf millimètres. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?
Diana se sentit trahie. Par ses proches, par cette institution qu'elle pensait juste. Sous la table, elle serra le poing. Elle n'était pas en colère, juste attristée qu'on lui fasse si peu confiance. Avait-elle la tête d'une meurtrière de vingt-et-un an ?
- Je ne l'ai pas tué, asséna-t-elle placidement.
- Allons, Diana, soit raisonnable. Tous les éléments sont en ta défaveur. Lâcha-t-il résigné. Ces informations ont déjà été envoyées au tribunal. Ils attendent juste le compte-rendu de notre enquête pour statuer sur ton cas. Si tu admets tes actes, ils seront plus cléments.
《 Sauf que je ne l'ai vraiment pas tué. Soupira-t-elle, excédée. Je pensais que vous auriez été plus intelligent, que vous auriez compris tout seuls, mais ce n'est visiblement pas le cas. Vous me demandiez qui je cherchais à protéger ? C'est l'image de Louis que je voulais sauvegarder. Je vous ai dit la vérité, Louis était loin d'être un saint. Tout ce que je savais de lui était qu'il n'avait pas eu une enfance très saine. Son père avait fini sous les barreaux à la suite de nombreux délits, où il était mort à cause d'un conflit entre détenus. C'est comme ça que Louis avait eu une arme dès le départ. Car elle appartenait à son père.
Il a fait régner la peur sur toute la ville pendant tout le début de l'Éclipse. Il se prenait pour la nouvelle police. Mais il était loin d'être juste et sage. Il a créé bien plus de problèmes qu'il n'en a résolu. Et avec le temps, ça s'est empiré. Je crois que son groupe avait pris la grosse tête, et que peu à peu, leurs actions le dépassaient. Puis est venu le moment où Louis a pris conscience que tout dérapait, qu'il n'avait plus de contrôle sur rien. Il n'était plus le chef. Jamais il ne serait aller si loin dans certaines de leurs actions. Il ne savait pas comment stopper tout ça. Alors il restait parfois à l'écart et observait. Il voulait les arrêter, mais plus personne ne l'écoutait.
La Squad s'est servie plus tard de sa disparition comme prétexte pour commettre encore plus de délits. Alors qu'ils n'en avaient rien à faire. Ils étaient heureux qu'on leur ait retiré cette épine du pied. 》
- Comment sais-tu tout ça ? Demanda Rise, sceptique et surprise.
- C'est Louis qui me l'a dit, ce jour-là quand il est venu me chercher. Il m'a expliqué les problèmes qui se sont développés peu à peu dans son groupe. Ils émanaient tous d'une même personne : Jérémie. Il encourageait au pire et les plus jeunes étaient enthousiasmés à l'idée de faire des choses illégales et excitantes. Sauf qu'ils ne se rendaient pas compte du mal qu'ils faisaient. Ils se croyaient dans un jeu, comme de ceux qu'on jouait avant l'Éclipse, remplis d'ennemis qu'il faut tuer sans état d'âme. Alors Louis m'a demandé d'essayer d'aider les plus jeunes à revenir dans le droit chemin. L'Éclipse a eu de nombreuses répercussions, elle a fait ressortir le pire chez des personnes, et chez d'autres, elle les a changés. C'était le cas de Louis.
Elle se perdit dans ses souvenirs un instant. De ce jour, sur cette place, où cet homme perdu lui avait avoué tout ça.
- Il m'a regardé dans les yeux et j'ai su qu'il avait pris conscience du propre mal qu'il avait fait. Il avait gagné en maturité ses dernières semaines à force d'observer Jérémie. Avec du recul, il s'était rendu compte qu'il n'avait pas fait mieux, et que s'ils en étaient arrivés à là, c'était en partie de sa faute. Alors il m'a supplié. Je me souviens encore parfaitement de ses mots : S'il te plaît, ne les laisse pas devenir comme Jérémie, ou comme moi je l'ai été.
- Pourquoi nous avoir menti sur ça ? La coupa Rise, perplexe. Tu cherchais à le protéger, mais tu nous en avais jusque-là dépeint un portrait uniquement négatif.
- En effet. Mais si je vous avais dit tout ça, vous auriez eu du mal à accepter qu'il m'ait par la suite menacé. Si je vous dis la vérité aujourd'hui, c'est à l'unique condition qu'elle ne sorte pas de là. Bien sûr, le juge sera au courant car vous n'avez pas le choix. Mais il est hors de question que la presse s'empare de cette information. Que ce soit clair pour tout le monde, siffla-t-elle avec détermination.
Ils hochèrent tous la tête, sans un mot. Même le militaire n'intervint pas. Ils étaient sans doute trop heureux que sa langue se soit enfin déliée. Mais elle ne le faisait pas pour eux, ni pour son propre salut. Elle le faisait pour ne pas que Louis soit à jamais méprisé à tort. Tant que quelques-uns savaient ce qu'il s'était passé et serait là pour le respecter, cela lui suffirait.
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