Face à Face

Elle était de retour dans la salle blanche à la vitre sans teint. Ils avaient mis une semaine à la recontacter, ce qui n'était pas pour déplaire à Diana qui avait vécu sept jours de tranquillité loin des questions embarrassantes, personnelles qui ne faisaient que lui rappeler son passé, rarement joyeux.

 

Elle parut surprise de voir que les caméras n'y étaient plus. Mieux encore, ils avaient décoré le petit espace. Il y avait une pendule accrochée au mur en face d'elle, un pot avec une grande plante dans le coin droite. Un petit réveil matin digital affichant l'heure sur le bureau et même quelques tableaux. Tout cela lui paraissait malgré tout étrange. Jamais personne ne lui ferait croire que ce n'était pas prémédité.

 

Peut-être était-ce dans le but de la mettre en confiance ? Ils voulaient sans doute rendre le lieu moins impersonnel ? C'était raté car elle n'avait pas la moindre fibre décorative ou artistique. Elle ne trouvait le lieu pas moins austère. D'autant plus qu'elle ne pouvait oublier la vitre sans teint sur sa droite. 

 

Le grincement de la porte dans son dos annonça l'entrée de l'inspecteur Huges. Il ne prit même pas la peine de s'asseoir et lui annonça.

 

- Aujourd'hui, tu ne seras pas ici. Nous allons t'auditionner autre part avec le Docteur Rise. Viens, suis-moi !

 

Diana se leva et emboita le pas à l'enquêteur Huges. Elle fut surprise de voir qu'on la transférait dans la pièce juste à côté, de l'autre côté de la vitre sans teint. La psychologue était déjà là, assise de manière décontractée comme si rien n'était étrange. La jeune femme, elle, était mal à l'aise. Et elle était plus que certaine que sa gêne et son air perdu n'échapperait pas à Rise.

 

Cette dernière lui fit signe de s'asseoir à sa gauche, sur une chaise inoccupée, bien qu'elle gardât le silence. Huges s'installa et elle se retrouva coincée entre les deux, sans comprendre ce qu'il se passait. Huges s'accorda enfin à lui confier la raison de sa présence de l'autre côté du miroir.

 

- Aujourd'hui, l'un de nos agents spécialisés dans les enquêtes sur mineurs va interroger des enfants qui étaient avec toi à la caserne. Nous allons juste suivre la conversation, il n'y aura pas de questions pour toi aujourd'hui et nous ne t'importuneront pas avec Ethan, promis !

 

Au même moment, la porte de l'autre côté de la vitre s'ouvrit, ne laissant pas le temps à Diana de répondre. Une femme d'âge mûr s'avança, les traits doux, le visage rond et une expression chaleureuse plaquée sur sa tête. Elle était suivie d'une petite forme qui lui tenait la main, craintive. Diana retint sa respiration avant d'apercevoir son visage. C'était Anna. La première survivante de l'Éclipse qu'elle avait rencontré après l'accident. Et ce devait être sa mère avec elle. Elles étaient suivies par le père, tenant dans ses larges mains la petite Lya, maintenant âgée de deux ans. Ses petites boucles blondes encadraient encore ses joues de bébé, surmontées de ses grands yeux verts curieux.

 

La jeune femme sentit son cœur fondre en voyant les deux en bonne santé. Elle s'était personnellement occupée de Lya, lui donnant le biberon, comme à tous les bébés à l'époque à la caserne. Mais elle était restée spéciale dans son cœur. La petite famille s'assit sur les chaises. Et un homme en tenue s'installa en face d'eux. 

 

Il souriait à Anna, qui était tout le contraire de sa sœur, brune aux yeux marrons, sans doute pour la mettre en confiance. Ils discutèrent pendant quelques minutes de la vie quotidienne, et l'aîné commença à se détendre en riant même parfois des pitreries de l'agent. Il n'y avait pas de doute, ce dernier était doué dans son travail. Diana sentit néanmoins immédiatement l'atmosphère changer quand l'agent commença à poser des questions sur elle-même à Anna. 

 

La fillette était encouragée par sa mère, qui lui tenait la main. Elle raconta d'abord à l'agent à quel point elle trouvait Diana fantastique, de ses yeux d'enfants, comme une héroïne de dessin animé. Si la conversation était plutôt gentille au départ, elle se corsa peu après.

 

- Et dis-moi, Anna, Diana t'a-t-elle déjà fait du mal ? Est-ce qu'elle t'a déjà tapé ? Demanda l'agent en essayant d'être le plus décontracté possible, comme s'il ne s'agissait que d'une question anodine.

 

Diana sentit la colère l'envahir. Comment pouvaient-ils supposer qu'elle ait ne serait-ce que lever la main sur un enfant ? Elle serra les poings. Ils semblaient chercher à la piéger par tous les moyens. Par ailleurs, Anna semblait perdue. Elle regarda sa mère, puis l'agent comme si elle ne comprenait pas.

 

- Pourquoi Diana me frapperait-elle ? Lâcha la petite fille de sa voix cristalline. Elle est ma grande sœur, elle ne m'a jamais tapé, même quand je me suis cachée dans le véhicule pour partir en mission avec elle. Elle m'a même sauvé la vie d'un méchant monsieur avec une arme.

 

- Qu'est-ce qu'elle a fait au méchant Monsieur Anna ? Ajouta l'agent, une lueur d'intérêt dans les yeux, se détournant du sujet principal.

 

- Elle lui a donné un coup de poing dans la tête et ça l'a assommé. Puis on est rentré à la maison. Elle m'a disputé parce qu'elle avait eu peur pour moi, et m’a dit de ne jamais recommencer.

 

Diana s'en souvenait parfaitement, Anna s'était cachée sous un des sièges du véhicule, bêtement de plus, elle jouait juste à cache-cache avec les autres enfants. Sauf que quand ils avaient fait une halte pour aller chercher ce qu'il y avait dans le commerce d’une rue du centre, la Squad les avait attaqués. Terrorisée, la petite avait crié de tout son être. La jeune femme l'avait entendu et en moins de deux, tout l'équipe avait compris qu'ils avaient un passager clandestin. 

 

Mais l'un des membres de la Squad avait aussi compris et voulait en faire un otage pour marchander. Mais c'en était hors de question pour Diana qui savait que l'expérience traumatiserait la pauvre Anna. Elle s'était jetée sur l'homme en le bousculant avant de l'assommer avec la crosse de son arme, même si Anna avait cru qu’il s’agissait de son poing. Ils s'étaient repliés à vitesse grand V, mais la Squad les avait pourchassés pendant un moment encore avant d'abandonner. 

 

Ce jour-là, ils avaient siphonné le plein entier de la voiture. Par chance, la caserne, étant la réserve départementale, disposait d’une pompe à essence dont ils pouvaient se servir pour faire le plein. C'est ce qui les avait aidés à s'en sortir pendant ces deux ans.

 

- Ça veut dire que Diana t'empêchait de quitter la caserne ? Demanda l'agent, toujours aussi piégeux.

 

- Non, mais elle disait que dehors c'était dangereux, et que beaucoup de personnes se battaient pour un quignon de pain parfois. Angelo lui, il est parti il y a deux mois. Il voulait rentrer chez lui. On lui a donné une conserve de viande hachée en sauce pour son départ, c’était son plat préféré. Il a dû arriver chez lui maintenant, songea-t-elle à haute voix.

 

Diana se tourna vers Huges, elle n'avait pas le droit de demander des nouvelles de ses protégés à cause du procès, mais elle voulait savoir si Angelo allait bien, s'il avait pu retrouver sa famille. Avec la fin de l’Éclipse, son esprit avait été accaparé par les interrogatoires.

 

- Avez-vous eu des nouvelles d'Angelo ? Il était dans la liste des enfants que j'ai hébergé que je vous ai faite parvenir à votre retour.

 

Huges détourna le regard mal à l'aise et Diana sentit la crainte monter en elle. Lui était-il arrivé quelque chose ? Il n'habitait pourtant pas en centre-ville, donc il y avait peu de chance que la Squad lui tombe dessus.

 

- Je suis désolé, Diana, soupira Huges en détournant le regard, il fait parti des corps qui ont été retrouvé.

 

La jeune femme sentit le monde s'écrouler autour d'elle. Sa vision se flouta quand les larmes affluèrent. Mais elle ne voulait pas pleurer. Pas devant eux qui guettait ses moindres actions, expressions. Elle ferma les yeux et respira pour juguler sa propre peine, revenue à l'assaut. Elle serra les dents en prononçant, la gorge nouée.

 

- Comment ?

 

- Je peux juste te dire qu'il a été renversé par un véhicule et écrasé.

 

Diana était persuadée que c'était l'œuvre de la Squad. Le clan la portait responsable de la disparition de Louis, car ils ignoraient tout de la limite d'âge de vingt-deux ans. Ils semblaient vouloir se venger au quadruplé. Et toucher à ses protégés comme Angelo l'avait blessé en plein cœur. Et ça la Squad le savait pertinemment. Elle inspira calmement pour empêcher les larmes de monter à nouveau.

 

Elle se reconcentra sur les paroles d'Anna pour chasser de son esprit le visage souriant de ce petit enfant qui ne méritait de mourir si atrocement.

 

- ... Maman m'avait beaucoup manqué, disait la fillette. Je suis contente de l'avoir retrouvée ! Mais...

 

- Qu'est-ce qui ne vas pas Anna ? Encouragea l'agent avec un sourire amical.

 

- Diana me manque. Elle était gentille avec nous. Tous les soirs, elle nous lisait une histoire, même si elle semblait fatiguée. Elle prenait toujours le temps de venir nous voir, de prendre de nos nouvelles.

 

- Qu'est-ce qu'elle vous lisait comme histoire ? Questionna l'agent, intéressé visiblement par la réponse.

 

- Des contes, lâcha la fillette. On aimait beaucoup Peter Pan, elle nous confiait qu'on était comme les enfants perdus, qu'on ne vieillirait jamais ! On était comme des petits hors-la-loi qui se battaient contre la terrible Squad, qui n'était rien d'autre que le maléfique Capitaine Crochet et ses pirates.

 

Diana plongea son visage dans ses mains. Ses paroles étaient à double tranchant. On pouvait l'interpréter comme le conte d'origine, mais également comme le reflet de leur Éclipse. Ces enfants à ce moment-là ne vieilliraient jamais, ils n'auraient jamais le moindre cheveu blanc, étant donné qu'ils ne vivraient pas au-delà de vingt-deux ans. Mais ça les plus jeunes l'ignoraient. Ils leur avaient fallu toutes les excuses du monde pour les protéger de cette réalité. 

 

À travers Peter Pan, elle voulait leur apprendre à être libre, mais aussi les habituer, lorsqu'ils seraient en âge de comprendre la situation et de l'accepter, à cette idée.

 

- Mais elle inventait aussi des histoires ! Elle était super forte ! Chaque soir, un de nous devenait le héros de son histoire. On avait des pouvoirs magiques et on sauvait le monde, c'était super ! S'exclama Anna, les yeux pétillants. 

 

Aussi subitement, son excitation retomba, ce qui sembla inquiéter sa mère qui agrippait la main de sa fille comme si c'était elle qui allait disparaître. 

 

- Mais on refuse de me laisser la voir, murmura la fillette, les larmes au bord des yeux. Tout le monde autour de moi dit que Diana est une mauvaise personne, qu'elle nous a beaucoup fait souffrir et que je ne la reverrais plus jamais car sa place est en prison.

 

Diana sentit son être entier se déchirer en deux tandis que la colère bouillonnait dans ses veines. D'autant plus quand elle vit de petites larmes perler aux coins des yeux de la petite. Elle serra le poing jusqu'à ce que ses jointures deviennent blanches et que la pression ne la fasse relâcher. Elle avait besoin de se défouler pour évacuer cette rancœur qui empoisonnait son âme et ce dégoût qu'elle avait pour sa vie redevenue normale. Mais aucune altère n'était à disposition.

 

- Et qu'en penses-tu de ça, Anna ? Tu es d'accord avec ce qu'on te dit ? Enchaîna l'agent toujours aussi professionnel.

 

- Non ! S'écria-t-elle. Ils ont tout faux ! Ils ne connaissent pas Diana, ils ne savent rien d'elle, du nombre de sacrifices qu'elle a dû faire pour nous ! 

 

- Quel genre de sacrifices ?

 

Le regard d'Anna devint sombre et tendu. Subitement, ils ne se trouvaient plus face à la naïve petite fille de dix ans qui adorait qu'on lui raconte des histoires. Mais à une personne plus mature, à même de comprendre les problèmes des grands en dépit de son jeune âge. Même sa voix devint basse et grave.

 

- Vous ne pouvez imaginer la sensation que ça fait de vivre l'Éclipse, loin de ses repères habituels. Deux ans. Sept cent trente jours au total. Cent quatre semaines. À craindre pour sa vie et celle de ceux à qui on tient. Tous les matins, comme une horloge, Diana se levait à cinq heures pour nous préparer le repas, et commençait sa journée de bon train. Elle ne s'arrêtait pas avant vingt-trois heures du soir. Enfin, ça s'était quand elle parvenait à dormir tout de suite, sinon elle pleurait, cauchemardait, réfléchissait à un moyen de nous sortir vivant de ce pétrin ou montait la garde. 

 

Elle s'arrêta un instant comme à bout de souffle. L'agent ne semblait plus savoir quoi dire, pas plus que ses parents qui la regardaient en hésitant.

 

- En deux ans, elle ne s'est pas accordée une seconde de répit. Vous, pensez-vous que vous auriez été capable de faire preuve de tant de dévouement durant un aussi long terme ? Permettez-moi d'en douter.

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