Confidence pour confidence

Diana était assise dans le couloir, sur une chaise, en attendant qu'on l'autorise à rentrer chez elle. Cette situation la pesait. Et pas seulement à elle. C'était dur aussi pour ses parents de la voir partir dans un commissariat comme si elle était coupable. Sans savoir si elle allait en revenir. Ils ne savaient pas encore la date de la condamnation, du passage devant le juge. Habituellement, ces affaires traînaient en longueur. Mais tout semblait aller beaucoup plus vite. Tout le monde semblait vouloir oublier ce qui s'était passé pour tourner la page. Comme si rien de grave ne s'était passé.
 
Peut-être pour eux non, mais pour ceux qui étaient restés oui. 
 
Diana était elle aussi excédée par tout ça. Ça l'énervait d'être injustement accusé. Pour le moment, elle essayait de se concentrer sur le présent, si bien que même si l'électricité avait fini par revenir, elle ne regardait pas la télé, et ne touchait pas plus à son portable. Un jour où elle était entrée dans le salon où ses parents regardaient les nouvelles, elle avait vu le nombre de mort et les dernières images qu'un satellite avait pris d'un avion, rempli plus que d'enfants s'écraser quelque part en Égypte. 
 
Elle était ressortie aussi sec de la pièce pour aller vomir.
 
Pendant l'Éclipse, elle n'avait pas été confronté à ses chiffres sur le nombre d'enfants morts. Maintenant qu'elle les avait, ça rendait la situation encore plus dramatique. Elle savait qu'elle plongeait dans la dépression de plus en plus. On l'avait interdit pour le moment de reprendre les pompiers tant que l'affaire avait lieu et elle ne faisait rien chez elle. Si bien qu'elle ne cessait de ruminer ses derniers jours. 
 
Elle soupira en fermant les yeux. Elle bascula sa tête en arrière jusqu'à ce qu'elle rencontre le mur. Il n'y avait pas un bruit dans le bâtiment. Comme avant, lors de l'Éclipse. Elle soupira, comme d’habitude, elle ramenait tout ce qu’elle vivait à cette période. C’était presque plus fort qu’elle. Elle l’avait dans la peau. Elle était seule, comme depuis le retour des adultes, dans ce couloir. La plupart des personnes avaient pris un congé pour rester avec leurs familles. Visiblement, ni Huges, ni Rise n'en avaient.
 
Elle tendit l'oreille et fut surprise d'entendre la conversation qui avait lieu derrière le mur. Huges et Rise étaient rentrés dedans pour statuer sur les informations qu'elle leur avait donnée. Elle était curieuse de savoir ce qu'ils en pensaient tiens !
 
- Elle ment. Déclarait Rise, je l'ai senti dans sa manière de se comporter. Elle est très forte pour cacher ce qu'elle ressent, mais il a quelque chose qui ne colle pas. Elle était au courant pour les rumeurs de la fécondité. C'est une certitude.
 
- Pourquoi ment-elle sur ce point ? S’étonna Huges. Qu'a-t-elle à gagner à cacher cette info ? D'ailleurs, est-ce que ses rumeurs étaient vraies ?
 
- Elle cherche à protéger quelqu'un visiblement, ou du moins quelque chose, c'est la seule raison pour laquelle elle mentirait. D'après un rapport récent, oui, elles sont vraies. Les femmes enceintes ne disparaissaient pas lorsqu'elles atteignaient les vingt-deux ans. On ne dénombre pas moins de vingt cas dans tout le pays pour le moment. 
 
- Autre chose sinon ? Demanda l'inspecteur.
 
- Elle n'est pas à l'aise avec le fait de parler de Louis. Éluda la psychologue. Elle ne nous a pas tout dit. 
 
- Elle est encore sur la défensive, on l'a bien vu quand on lui a parlé d'Ethan. Il faut qu'on parvienne à les mettre tous les deux en confiance, mais ce n'est pas gagné. Visiblement, l'Éclipse les a en quelque sorte traumatisé. Ils ne font confiance à personne d'autre qu'à eux-mêmes. Que pensez-vous de la relation possible entre eux ? 
 
- Je ne saurais dire pour le moment. Je ne pense pas qu'ils soient amoureux. On dirait plus... des meilleurs amis ? Ou plutôt deux capitaines d'armées qui se côtoyaient peut-être. Comme une entente tacite entre eux pour en tirer le meilleur. Reste à voir combien de temps ils vont rester sur la même longueur d'onde. J'en ai appris déjà pas mal sur leurs caractères respectifs, ou du moins, sur leur manière de se comporter en face du danger. Car ils nous considèrent encore comme une menace, en toute apparence. Ils sont très alertes, rien ne leur échappe. Diana a tout de suite remarqué les caméras, et Ethan en a fait d'autant. Que faisaient-elles là d'ailleurs ? Cela n'a fait qu'augmenter leurs méfiances à notre égard.
 
- Je l'ignore. Je ne savais même pas qu'on en avait rajouté. Je dois aller voir mon patron après ça pour discuter de ses manières. Je sais qu'ils souhaitaient recueillir un témoignage filmé pour le jugement, mais je croyais que l'idée était tombée à l'eau suite aux droits d'image qui n'ont pas été donné sur une longue durée. 
 
Un silence suivit. Diana sentit l'appréhension monter. Elle savait que cette psychologue était dangereuse. Rise avait déjà percé à jour de nombreux de ses points faibles. Elle devait se montrer encore plus méfiante. Il y avait des secrets qui devaient rester enterrés, littéralement. C'était préférable.
 
Elle savait où était Louis, mais il était hors de question qu'elle leur avoue la vérité. Car même s'il était loin d'être un chic type, personne n'avait le droit de critiquer sa décision. Certes, il était un trouillard. Mais tous les moins de vingt-deux ans l'avaient été au moins une fois pendant l'Éclipse. Elle aussi, elle n'était pas un cas à part, contrairement à ce qu’avait pensé Louis. 

À de maintes reprises, elle l'avait constatée. Elle se souvenait surtout de ses muscles se tétanisant de terreur face au trou noir charbonneux du canon. Du sang dans sa bouche quand elle s'était rendu compte qu'elle se mordait l'intérieur de la joue par stress. Face aux enfants, jamais elle n'avait versé une larme. Elle pleurait la nuit, quand tout le monde était couché. Du moins, les premiers temps.
 
Puis la peine, l'absence de ses parents s'était estompée pour ne laisser plus qu'un vide en elle. Elle n'était plus que de la glace, insensible. Son corps entier semblait être anesthésié face aux sentiments. C'était son moyen de survivre à elle, devenir telle une automate. Tant qu'elle restait en action tout allait bien. Elle en oubliait presque que cette situation, l'Éclipse, la Squad, que rien de tout ça n'était normal. Pendant tout ce temps, elle s'était enfermée dans une routine, même si les jours ne se ressemblaient jamais. 
 
Elle avait rencontré Ethan une semaine à peine après l'Éclipse, lorsqu'elle cherchait les gamins paumés dans les rues en quadrillant la ville. Il était comme elle. Indépendant, solitaire comme un loup. Et parallèlement, il était comme un leader, charismatique, brillant. Rise avait raison, ils étaient comme deux commandants d'armées, tirant le meilleur l'un de l'autre. Comme des collègues qui avaient grandi à la même école de la vie. 
 
Diana l'avait intégré à la caserne, et comme attendu, il avait été accueilli comme un deuxième chef. Elle n'était pas si surprise de ça de savoir que les enfants les voyaient tout deux comme des dirigeants, car c'était un peu ce qu'ils étaient alors. Ils s'étaient battus contre la Squad côte à côte comme des soldats. 
 
Peut-être durant ses deux ans étaient-ils devenus amis ? Mais elle ne saurait le dire. Il y avait toujours une bonne entente entre eux deux, parfois amicale, souvent très professionnelle. Puis tout avait dérapé dernièrement. Elle plongea sa tête entre ses bras. Elle devait essayer d'oublier cette période. Personne n'était au courant et elle comptait garder cela secret.
 
Elle savait que les secrets finissaient toujours par ressurgir, mais elle espérait sincèrement qu'elle emporterait celui-ci dans sa tombe. Elle savait qu'Ethan ne dirait jamais rien là-dessus. Il savait combien cela la pesait.
 
Elle entendit Rise et Huges se lever dans le bureau derrière elle, le raclement des choses sur le sol, les talons de la psychologue lorsqu'elle se rendait vers la porte. Diana était certaine qu'en l'ouvrant et en la voyant, elle lui offrirait son sourire étincelant pour la mettre en confiance, comme elle le disait si bien. Et ça ne manqua pas. 
 
La jeune femme essaya d'en faire autant sans succès. Peut-être avait-elle oublié comme on faisait après tout. Elle ne souriait habituellement qu'aux enfants et aux bébés. Ne plus les voir auprès d'elle, comme lorsqu'ils l'entouraient quand elle revenait de mission l'attristait. Ils avaient tous rejoint leurs foyers, leurs parents. Au final, elle se sentait déphasée face à cette nouvelle vie normale. Comme si elle était devenue complètement inutile.
 
- Tout va bien, Diana ? Demanda Rise avec sollicitude.
 
- Oui, ne vous en faites pas pour moi, j'en ai dans la boîte depuis le temps. Je peux m'en aller ?
 
- Bien sûr, nous en avons terminé pour le moment. Nous te rappellerons quand nous aurons à nouveau besoin de toi.
 
- Super. Au revoir ! Lâcha-t-elle sèchement en se levant brusquement pour quitter les locaux. 
 
Elle se sentait frustrée par cette situation. En colère face au si peu d'humanité qu'on lui accordait. Elle avait l'impression que ces deux années l'avaient transformées en extraterrestre aux yeux de tous. Pire, elle sentait peser sur elle des regards méfiants, comme si elle était responsable de la disparition des adultes. 
 
Sauf que ce que tout le monde oubliait, c'est qu'en dépit de sa nonchalance et son aisance apparente, elle était comme tous les autres : une victime.

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