Chapitre 15
Cette nuit-là, il dormit chez Harry, décidant que s'il devait tout révéler à sa mère alors il ferait mieux de faire le point – il laissa son téléphone de côté pendant les deux premières heures, choisissant simplement de l'ignorer, puis il l'éteignit quand le flux d'appels et de messages persista. Il espérait qu'en restant à l'écart, il l'inquiéterait, que peut-être son anxiété adoucirait son animosité envers lui quand il expliquerait toute la situation avec Harry. Bien qu'il n'avait toujours pas la moindre idée de comment il allait exactement faire ça – il ne pensait pas qu'aller directement vers elle et lui annoncer promptement « Je suis gay » serait le meilleur plan d'attaque. De même, faire en sorte qu'elle les surprenne, lui et Harry, dans les affres de la passion sur son canapé ne serait pas la meilleure façon de lui présenter l'idée qu'il n'était pas le fils bien dans les normes qu'elle avait toujours cru qu'il était.
Bizarrement, entre eux deux, c'était Harry qui semblait le plus réticent à confronter la famille de Louis et expliquer ce qu'il se passait. Louis avait finalement accepté que ça n'allait pas bien se finir, quelle que soit la façon dont ça se déroulerait ; soit il perdrait sa famille sans n'avoir commis aucune faute, autre que leur ignorance, soit il perdrait Harry pour exactement la même raison. Harry, cependant, semblait toujours être aux prises avec lui-même et avec Louis pour essayer de trouver une solution pacifique, obstinément déterminé à ce qu'il ait une façon de persuader Jay. Le geste était mignon, et Louis l'appréciait beaucoup, mais il savait que pour une quelconque raison, Harry repoussait simplement l'inévitable.
Il faisait probablement ça pour essayer de protéger Louis, mais honnêtement, ce dernier en avait un peu marre d'être protégé.
Pourtant, alors qu'ils se tenaient, main dans la main, sur le pas de sa porte le lendemain matin, il ne put empêcher la nervosité de lui nouer l'estomac comme les racines d'un arbre tarabiscotées s'enroulant autour de ses organes vitaux, l'écrasant de l'intérieur. Essayant d'adoucir le choc, Harry avait proposé de s'habiller plus sobrement, de porter un peu moins d'eyeliner, mais Louis avait obstinément attrapé certains des habits les plus scandaleux qu'il pouvait trouver dans l'armoire de Harry – une veste en cuir noire avec des clous sur les épaules et drapée de chaînes en argent, un débardeur noir, un jeans slim noir, des bottes noires, et autant de bracelets qu'il pouvait glisser sur le poignet de Harry, où ils se chevauchaient et tintaient ensemble à chaque fois qu'il bougeait – il aimait le fait que sa mère soit probablement un peu moins furieuse si elle voyait Harry ayant l'air plus 'normal', mais il s'en fichait. La normalité n'était pas Harry, et il ne voulait pas que son petit-ami ait à faire semblant d'être quelqu'un qu'il n'était pas simplement pour faire plaisir à ses parents. C'était ce que Louis avait fait pendant des semaines, et il savait à quel point ça vous rongeait, comme des milliers de parasites affamés, à l'intérieur comme à l'extérieur. Et il était convaincu que ça avait été la meilleure décision à prendre quand, dans ses vêtements habituels, avec son enveloppe de punk féroce intacte et donc sa confiance renforcée, Harry apparut complètement calme, bien qu'il poussait l'anneau à sa lèvre avec le bout de sa langue, un signe distinctif de sa nervosité.
D'une certaine manière, ça rendit Louis beaucoup plus calme, sachant que Harry n'était nullement invulnérable, et sachant que cette fois il avait quelqu'un d'autre que lui pour le protéger – il s'était tassé devant sa mère lorsqu'elle lui avait hurlé dessus et l'avait violemment frappé quand il avait eu peur et que le seul destinataire de sa colère avait été lui, mais il ne la laisserait pas toucher à Harry. Il était beaucoup plus fort quand il devait l'être pour quelqu'un.
Il prit une profonde respiration puis leva sa main, ses doigts recourbés dans un poing lâche, pour toquer à la porte, mais avant que ses jointures puissent même frôler la surface de la porte d'entrée, Harry attrapa son poignet, l'arrêtant dans son mouvement.
Ils échangèrent un regard, celui de Harry inquiet et tendu, celui de Louis confient et sûr. Ils étaient à présent arrivés à un stade où ils pouvaient communiquer avec de simples regards, de simples contacts, des petits bruits venant du fond de leurs gorges, en quelque sorte leur propre langage secret. Ils ne s'étaient pas encore, exactement, mis d'accord là-dessus, mais de toute façon ça s'était glissé entre eux, cette compréhension mutuelles était tellement forte que Louis n'eut qu'à simplement courber le coin de sa bouche en un sourire, et faire un petit hochement de la tête pour que Harry comprenne parfaitement, comme une promesse, que Louis était sûr à propos de ça, qu'il croyait que ça allait bien se passer.
Le coup de Louis sur la porte fut court et rapide, juste comme il avait l'intention que soit son approche de la grande nouvelle à sa mère. Il frappa deux petits coups sur le bois, puis fit un pas en arrière sur le seuil, redescendant au niveau de Harry. Il prit la main de ce dernier et frotta son pouce contre les jointures du plus jeune pour le rassurer.
Presque comme si elle avait été plantée derrière la porte, la silhouette de sa mère apparut soudainement dans le couloir et elle commença à marcher vers eux, grommelant pour elle-même tellement fortement et désagréablement que Louis ne put s'empêcher de penser qu'il était supposé entendre ses remarques.
« Il reste dehors toute la nuit puis revient en rampant vers moi, et il s'attend à ce que je l'accueille avec les bras ouverts ! Eh bien, il sera puni pendant un mois de plus, sans aucun doute, et peut-être même deux ; le message n'est clairement pas passé. Oh, il découche comme pour me donner une leçon puis il revient en rampant sur le ventre, eh bien, je ne l'accepte pas. Il va apprendre à faire ce qu'on lui dit, et il le fera ou croyez-moi, il va souhaiter – » Au milieu de la phrase, elle ouvrit brusquement la porte.
A la seconde où elle réalisa que Louis n'était pas seul, ses yeux se plissèrent comme ceux d'un félin – quand elle remarqua exactement qui se tenait à ses côtés, leurs bras tellement collés qu'ils auraient tout aussi bien pu fusionner physiquement ensemble, elle fit un grognement de colère et s'éloigna d'eux, ses lèvres courbées en une grimace antipathique. Puis, elle baissa le regard, aperçut leurs mains entrelacées et poussa un cri d'horreur, reculant en chancelant. Elle s'empara de son pendentif en forme de croix comme si c'était une bouée de sauvetage, enroulant ses doigts autour, et elle commença à marmonner pour elle-même avec les yeux écarquillés d'effroi. Ils n'entendirent seulement quelques bribes de ce qu'elle murmurait nerveusement entre ses dents, mais ils leur semblaient qu'elle était en train de prier – aucune surprise là-dedans.
Ils attendirent tous les deux patiemment qu'elle finisse. Une fois que ce fut le cas, elle reposa son poing fermé sans défaire ses doigts d'autour du crucifix, et elle lança à Harry un regard méfiant, noir, méchant et plein de soupçons et d'accusations.
« Non, » dit Louis en signe d'avertissement.
Elle l'ignora. « Qu'est-ce qu'il se passe ici, Louis ? Explique-toi ! » Elle pointa un doigt vers l'endroit où ses doigts étaient liés à ceux de Harry. Instinctivement, Louis resserra un peu sa prise, sentant les bracelets frôler sa peau, plusieurs d'entre eux tintant ensemble, ce son le réconforta légèrement.
Pendant un moment, Louis se demanda par où il devait commencer, puis il abandonna avec un haussement d'épaule. « Je ne pense pas que ça ait vraiment besoin de beaucoup d'explication, non ? » Il leva leurs mains jointes pour qu'elle puisse les observer. « J'aurais pensé que c'était assez clair sur la situation. »
Alors que leurs mains retombaient entre eux, toujours liées en toute sécurité, Jay lança un regard malveillant à Harry qui suggérait qu'elle avait plusieurs idées complètement désagréables et non-chrétiennes sur ce qu'elle aurait aimé lui faire.
Pour la première fois, Harry parla, ses lèvres s'ouvrant avec un bruit sec et doux qui rendit Louis franchement chancelant. « Pourrait-on s'il vous plaît en parler à l'intérieur, Madame Tomlinson ? Je ne suis pas sûr que ce soit le genre de conversation à avoir sur le pas de la porte. »
Immédiatement, elle fit un mouvement comme pour fermer la porte, rendant l'écart entre elle et le couloir plus petit de sorte à ce qu'ils doivent la pousser pour pouvoir entrer à l'intérieur. « Non. Si vous avez cette conversation avec moi, alors c'est que vous n'avez clairement pas honte de vous – alors vous ne vous souciez pas de qui peut entendre, non ? »
Louis soupira. « Très bien, faisons comme tu veux, alors. » En réponse à l'air légèrement incertain de Harry, il fit à nouveau courir son pouce sur ses jointures et chuchota, « Chéri, c'est bon. Vraiment. Je pensais ce que j'ai dit – je me fiche de qui sait pour nous. Ils le sauront bien assez tôt, alors pourquoi pas maintenant ? D'ailleurs, on sait tous les deux qui va être peint dans un mauvais jour à la fin de cette conversation – ce n'est pas nous. » Puis il se tourna vers sa mère. « Je peux voir que tu débordes de choses à dire – eh bien, avant que tu le fasses, écoute-nous. Ecoute-moi. J'aime toujours Dieu. Je crois toujours en tout ce dont j'ai toujours cru. Toi, papa et les filles comptez toujours pour moi, évidemment. La seule chose qui a changé, c'est que je ne vais plus faire semblant d'être quelqu'un que je ne suis pas, ça va seulement nous rendre tous malheureux. Je suis désolé je ne peux plus être ton fils modèle, parfait et bien dans les normes. Mais ce n'est pas qui je suis, ce n'a jamais été moi. Je suis ça. » Il pencha sa tête vers la droite pour indiquer Harry, se tenant en silence à côté de lui, semblant vide mais caressant légèrement la main de Louis avec tellement de fierté que ça en faisait mal « Je serai toujours ça. Je t'aime, j'aime papa, j'aime Daisy et Lottie et Fizzy et Phoebe. J'aime Dieu, et Jésus. » Il prit une profonde respiration, la retint pendant un seconde, puis expira et dit, « mais j'aime aussi Harry. »
« Non. »
Louis n'était pas vraiment sûr de ce qu'il s'attendait de sa part. Il avait anticipé certaine forme de déni, mais qu'elle laisse échapper simplement une courte phrase énigmatique, sans même être en colère contre lui, le prit un peu au dépourvu. Il n'était pas sûr de comment agir.
« Euh – non quoi ? » Etait-elle en train de l'accuser de ne pas aimer sa famille, ou Dieu, ou quoi ?
« Tu ne l'aimes pas. Tu crois l'aimer. Il te fait penser ça. » Elle fit un pas en avant, ignorant Harry comme s'il n'était même pas là ; Louis s'écarta d'elle en tressaillant, s'attendant à un claque, elle ne le toucha même pas. « Oh, Louis. J'ai essayé de t'avertir. Ne peux-tu pas voir ce qu'il se passe ? Tu l'as laissé t'entraîner dans cette – cette pratique contre nature. Tu ne sais pas ce qu'est l'amour – comment le pourrais-tu ? Tu n'es qu'un enfant. Il t'a contraint à ça parce que tu as pris cette affreuse amitié qu'il a initié entre vous pour de l'amour. Je te l'ai déjà dis, il veut te détourner du droit chemin. Il te mène par le bout du nez. Il veut que tu renies Dieu et tombes dans les affres de quelconques pratiques sataniques que lui et ses ignobles amis passent tous leur temps à faire – »
« En fait, non, » dit sèchement Harry. « Je ne suis pas un sataniste, et mes amis non plus. Je crois aussi en Dieu, et peut-être que j'ai commencé tout ça, mais Louis ne s'y est pas opposé. Je ne l'ai pas forcé à quoi que ce soit. Et il n'y a rien d'anormal à ce sujet. Si ça l'était, alors il n'y aurait aucune façon d'être capable de faire quelque chose. Je suis sûr que vous savez de quoi je parle, et c'est tout à fait possible, avant que vous n'émettiez des objections. »
Lui lançant un regard noir comme si c'était un tas de fumier qui avait une bouche et commençait à essayer de raisonner avec elle au sujet de ses opinions sur la sexualité, Jay cracha, « Ne t'avance même pas sur ce terrain ! Si tu touches à mon fils sexuellement, j'appellerai la police, et cette fois je le ferai vraiment ! Le sexe est pour la procréation, ce dont vous deux êtes clairement dans l'incapacité – à moins que ce que tu essayais de me dire était que tu peux le mettre enceinte d'une certaine manière, » elle ricana. « Ce n'est pas naturel. Ce n'est pas la volonté de Dieu. Ne t'avise pas à le toucher, si j'apprends que tu t'es approché de lui avec ce genre d'intentions, alors je te ferai enfermé pour agression sexuelle ! »
Harry renifla. « Je crois que c'est un peu tard pour ça, » marmonna-t-il dans sa barbe.
Ses sourcils s'haussèrent tellement qu'ils disparurent presque dans ses cheveux. « J'espère pour votre bien à tous les deux que tu plaisantes – de toute façon ce n'est pas comme si vous pouvez avoir des relations sexuelles de façon appropriée. »
« Je peux vous assurer que le sexe 'inapproprié' est plus qu'un substitut adéquat. » Harry fut incapable de retenir un flamboyant sourire de se répandre sur son visage.
Elle lui lança un regard dégoûté, puis rappela avec instance à Louis, « Le Seigneur nous a dit d'être féconds et de nous multiplier – comment exactement comptes-tu faire ça ? Tu as peut-être l'équipement pour un... pauvre substitut de toutes sortes, mais tu ne peux pas avoir d'enfants, et là tu ne peux pas réussir à trouver un moyen de te dégager de ça, hein, Houdini ? Tu ne peux pas nier qu'aucun de vous ne peut donner naissance. Aucun de vous n'a les bonnes... » Faisant un geste vague, elle dit mollement, « parties. »
« Je ne veux pas être fécond et me multiplier ! Du moins, pas maintenant. Maman, je suis encore étudiant, Harry est toujours au lycée, la procréation est la dernière chose qu'on a en tête. Mince, tu ne peux pas t'attendre à ce que je sois capable de prendre une telle décision à mon âge ? »
« Je ne l'aurais pas mieux dit moi-même. Tu te rends compte que faire ça va avoir impact sur la façon dont les gens vont te voir en ville pour le reste de ta vie ? Veux-tu gagner en notoriété en étant le garçon qui est gay et sort avec – avec lui ? » Elle regarda Harry, qui n'essaya même pas de cacher son agacement à être visé avec tant de dégoût. « Les choses comme ça te collent à vie, tu sais. Les gens n'oublieront pas. Dans trente ans, quand tu iras te promener dans des petites rues anodines, tu auras toujours le droit à des regards amusés et des moqueries, parce que tu seras toujours ce garçon qui est sorti par erreur avec le monstre local quand il avait dix-sept ans, parce qu'il pensait être assez mature pour prendre la décision la plus stupide de sa vie. »
« Dans trente ans, quand j'irai me promener dans cette rue, si les gens me critiquent toujours à cause de ce 'monstre', je ne m'en soucierai même pas un peu, parce que je lui tiendrai toujours la main. »
Le froncement de Harry s'adoucit, et il jeta un regard plein d'adoration dans la direction de Louis.
Devenant clairement un peu désespérée, Jay changea brusquement de tactiques avec si peu de subtilité que ça en fut presque amusant. « Louis, tu dis que tu aimes toujours Dieu – voudrait-il que tu agisses de cette façon ? Penses-tu qu'il aimerait te voir tourner le dos à ta famille, manquer de respect à tes parents, coucher avec un homme alors qu'il devrait le faire avec une femme ? »
« Si c'était si répugnant pour lui, alors pourquoi m'aurait-il donné cette option ? Pourquoi aurait-il fait en sorte que je puisse être attiré par un homme ? Ne serait-il pas intervenu pour m'arrêter, ou rendre ça physiquement impossible pour nous de faire quoi que ce soit de sexuel ? Il m'a donné la chance de décider si je le voulais. S'il pensait que c'était si mal, ne m'aurait-il pas arrêté ? »
« Ça s'appelle le libre arbitre. On nous donne la possibilité de choisir une ligne de conduite particulière, mais ce n'est pas parce qu'on peut le faire que ça signifie qu'on doit. Tout est une question de jugement à la fin de la journée. Le Seigneur a confiance en nous pour faire la chose juste, et il nous donne la liberté de faire le choix par nous-mêmes. Cependant, le choix d'obéir t'appartient. »
« Le libre arbitre ! » dit amèrement Louis, avec un rire jaune. « Eh bien, c'est gonflé. Qu'est-ce que je connais du libre arbitre ? Puisque je n'y ai jamais eu le droit ? Aussi loin que je me souvienne, toi et papa avaient toujours essayé de me modeler comme le fils parfait que vous pensez que je devrais être, et vous ne vous êtes même pas souciés d'à quel point vous me pliez, me brisez, me déchirez, peu importe du moment où j'entrais dans la petite boîte rassurante de la 'normalité' pour la société à la fin. Vous m'avez oppressé, tiré vers le bas toute ma vie, et puni quand je m'opposais à ça, et tu oses mesermonner à propos du libre arbitre ? »
« Louis, » avertit Harry.
Surpris et, selon Harry, un peu blessé par la réprimande, Louis se tourna vers lui, et pendant un moment il sembla sur le point de retirer sa main. « Mais j'ai raison, tu sais que j'ai raison ! Ecoute ce qu'elle dit, tu sais que c'est un tas de conneries ! »
« Je sais, bébé, bien sûr que je le sais, mais crier ne va pas aider la situation, d'accord ? Crier tes opinions à des idiots ne va pas faire en sorte qu'ils les comprennent ou soient d'accord avec toi, peu importe à quel point tu as raison. En fait, ça fera plutôt empirer les choses. Tu en es la preuve vivante. Tu te souviens de nos conversations, hein ? Tu te souviens de celle au magasin, quand je m'en suis pris à toi, que je t'ai jeté dehors, qu'on était tous les deux en colère et déraisonnables et que ça a fini à peu près aussi mal que possible ? Réfléchis. De toutes les fois où j'ai essayé de t'approcher, quand étais-tu le plus enclin à écouter – quand je te criais dessus, ou quand je te parlais calmement comme une personne raisonnable ? »
Ils échangèrent un long regard, l'expression faciale de Harry patiente tandis que celle de Louis était remplie de frustration. Pourtant, la couleur verte sapin des iris de Harry était étrangement apaisante, et après un long moment où ils se fixèrent et où il prit de profondes respirations, Louis eut moins envie de crier et beaucoup plus de l'embrasser sans jamais s'arrêter. Cependant, avec sa mère se tenant toujours avec les bras croisés et un air désapprobateur sur le visage, il eut le sentiment que ce n'était peut-être pas la meilleure idée. A la place, Louis se mit sur la pointe des pieds pour être un peu plus à la même hauteur que Harry, puis lui fit un petit sourire comme pour dire, qu'est-ce que je ferais sans toi ? Le sourire plein d'affection en réponse de la part de Harry sembla dire quelque chose suivant les lignes de perte et fracas, et ils rigolèrent tous les deux doucement à la façon dont ils se comprenaient tellement bien sans dire un seul mot. Puis ils retournèrent à nouveau vers Jay.
« Je n'ai jamais pu faire ce que je voulais, maman. J'ai dix-huit ans maintenant, je dois commencer à faire mon propre chemin dans la vie. Le truc, c'est que je n'ai pas changé. A l'intérieur, j'ai toujours été... quelque chose de différent de ce que tu voulais que je sois. Tu veux savoir un secret ? Je déteste le football. Tu m'as conduit aux entraînements pendant des années et des années, et tu n'écoutais jamais quand je te disais que je n'aimais pas ça, alors finalement j'ai arrêté de te le dire. Je n'ai jamais voulu prendre des cours de piano ; le jour où tu m'as finalement laissé arrêter a été le plus beau de ma vie. Je ne suis pas un supporteur des Doncaster Rovers, et je ne supportais pas tous ces matchs où papa m'a emmené pour me sortir de mon ennui. Ce sont que des petites choses, mais je n'ai jamais rien osé dire à ce sujet. Et maintenant c'est un gros problème, et tu utilises toujours la carte du 'honore ton père et ta mère' pour essayer de me faire faire ce que tu veux. Eh bien, désolé, mais je ne peux pas, ne peux plus. »
« Très bien, » dit Jay dans un ton un peu hésitant. « Peut-être que parfois, je t'ai fait faire certaines choses que tu n'aimais pas. Peut-être que je ne t'ai pas toujours écouté quand tu disais ne pas apprécier quelque chose. Mais tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour ton propre bien – parce que tu es mon fils, et que je t'aime, j'ai fais ce que je pensais être le mieux parce que je voulais le meilleur pour toi. »
« Oui, je sais. Je ne te blâme pas pour ça. Mais ce pour quoi je te blâme est le fait que tu le fais toujours, même si c'est clair que ce n'est pas ce que je veux. T'essaies toujours de forcer le problème, t'essaies toujours de balayer toute ma rébellion sous le tapis. Arrête. S'il te plaît. Je peux te pardonner pour toutes les autres choses – ce n'est pas ce qu'on est supposé faire, hein ? Pardonner et oublier. Aimer tout le monde. Alors je te pardonnerai pour toutes les fois où tu m'as rendu malheureux par le passé, si tu passes outre tes préjugés et me pardonnes pour quelque chose qui n'a pas besoin d'être pardonné. Je suis amoureux de Harry, maman. S'il te plaît ne me fais pas choisir entre vous deux. »
« C'est juste une phase, » dit obstinément Jay.
« Non, ça ne l'est pas. »
« Louis, je te connais. Ce garçon t'a retourné la tête. Tu n'as jamais regardé de façon intéressée un autre garçon avant que tu sois empêtré dans sa vie et qu'il te convainc que tu es gay, t'es juste confus, tu ne sais pas ce qu'est l'amour ou ce que tu es supposé ressentir – »
« Je pense que je le sais beaucoup mieux que toi. D'ailleurs, peut-être que je n'ai jamais regardé un autre garçon avant Harry – mais est-ce que tu m'as déjà vu être intéressé par une fille ? Te souviens-tu m'avoir déjà vu accrocher des poster de jolies filles sur mes murs, ou les regarder dans la rue, ou les convoiter, hein ? Je suppose que tu prenais ça pour de la décence et assez d'égard pour ne pas mater – eh bien, honnêtement, je n'étais simplement pas intéressé. Je ne suis pas gay, maman. Je ne tombe pas amoureux d'un sexe – je tombe amoureux d'une personne. Je suis pansexuel. »
Harry et lui avait passé des heures et des heures à en parler la nuit précédente, parce que Louis avait été frappé par une envie soudaine de se comprendre, de savoir exactement qui il était et ce qu'il voulait. Il en avait été assez sûr de toute façon. Harry avait proposé une liste interminable de classification pour les orientations sexuelles de tous les genres, ainsi que les définitions leur correspondant, jusqu'à ce que finalement 'pansexualité' ait surgi, et le sens avait touché une corde sensible en Louis. Bien sûr, Harry était magnifique, mais Louis avait le sentiment que même s'il avait été petit, avec les cheveux gras, un ado boutonneux avec une voix monotone, simplement écouter les mots qu'il rendait magiques avec cette voix aurait été suffisant pour le faire tomber éperdument amoureux tout aussi facilement.
De même, si Harry avait été une fille, avec les cheveux roses et verts coupés courts, un piercing au nez et un rouge à lèvre très voyant, qui portait des minishorts, des leggings déchirés et mâchait constamment du chewing-gum, si elle avait eu exactement les mêmes opinions, manières et une aussi belle personnalité que Harry, alors il se trouverait aussi à cette porte en train de lui tenir la main.
Malheureusement, il avait le sentiment que sa mère l'aurait beaucoup mieux pris.
« Tu peux utiliser autant de termes sophistiqués que tu veux, mais tu pratiques quand même l'homosexualité, et je ne l'accepte pas ! »
Malgré lui, Louis roula des yeux. « Oh, franchement – 'pratiquer l'homosexualité' ! C'est comme être à nouveau persécuté pour pratiquer la sorcellerie. Qu'est-ce que tu vas faire – me noyer ? M'attacher et me jeter dans une piscine, et si je coule, alors c'était une erreur et je ne suis pas vraiment amoureux d'un autre garçon ? »
« J'en ai marre de toi et ta grande bouche ! Vas-tu entrer à l'intérieur, dire à ce garçon de partir, et arrêter d'être un tel mauvais exemple pour tes sœurs ? C'est sur toi qu'elles prennent exemple pour savoir comment se comporter, et qu'est-ce qu'elles voient ? Cette impolitesse, cette rébellion, cette désobéissance stupide, ça doit s'arrêter, Louis ! Ce n'est pas toi, vraiment. C'est juste une phrase. Laisse ce garçon et toute cette horrible négativité dehors, on peut mettre tout ça derrière nous. Reviens à la maison, » implora-t-elle.
Prenant une profonde respiration Louis lâcha la main de Harry et monta la marche, se tenant au même niveau qu'elle pour pouvoir la surplomber légèrement. « Alors ce que tu dis, c'est que... c'est mon ultimatum. »
« Je suppose. Pour ainsi dire. »
« Ça l'est. Ne reviens pas en arrière. Tu es en train de me faire choisir. »
Gagnant en confiance, Jay acquiesça, « Exactement. »
« Vous ou lui. »
« C'est ça, » dit-elle triomphalement.
« Mon petit-ami ou ma famille. »
Apparemment, Jay avait déjà décidé qu'elle serait la gagnante de ce choix révoltant qu'elle obligeait son fils à faire ; sa seule réponse fut un petit signe de la tête suffisant. Sur la marche inférieure, Harry ne dit rien, mais il mordillait anxieusement son piercing à la lèvre. Il semblait extrêmement petit, fixant le sol avec une expression défaitiste, parce qu'apparemment, il croyait également avoir interprété la décision de Louis, et dans sa tête il n'était pas celui qui gagnait la faveur de Louis. Un boucle solitaire et teinte en violet retomba sur son front, une éclaboussure indisciplinée de violet contre sa peau totalement blanche. Son regard vert traînait sur le sol comme s'il n'osait pas relever ses yeux, lui donnant beaucoup l'air d'être un petit garçon baissant sa tête de honte.
C'était l'un de ces rares moments où Louis avait vraiment l'impression d'être le plus âgé des deux. Une de ces rares occasions où il avait l'impression qu'il devrait peut-être être celui prenant soin de Harry, plutôt que l'inverse.
Reculant à nouveau sur le sol, loin de sa mère, il mit un bras autour de Harry. Pas autour de ses épaules mais autour de sa taille, pour montrer qu'il était sérieux. « Dans ce cas, tu as pris la décision à ma place. Parce que je sais que la personne qui m'aime le plus ne me ferait pas choisir. Et elle est juste là. » Il montra Harry. « Je suis désolé, mais c'est ce qui je suis. Ce n'est pas juste une phase, je ne suis plus un gamin, peu importe à quel point tu pouvais me traiter comme tel. Je suis ton fils, malgré tout, il n'y a rien que tu puisses faire pour ça. J'ai enfin accepté qui je suis – ne pourrais-tu pas au moins en faire de même ? »
Il y eut un long et lourd silence pendant que sa mère le fixa sans bouger, sa poitrine se soulevant fortement et les yeux écarquillés. Ni Louis ni Harry ne dit quoi que ce soit d'autre – en fait, Louis se sentait totalement vide, et il serait tombé de fatigue contre Harry s'il n'était pas déterminé à rester fort pour leur bien à tous les deux. Il avait l'impression qu'ils avaient échangé des coups physiques plutôt que des mots, comme si chacun de ses commentaires méchants et pleins de préjugés l'avait frappé avec la force d'une massue. Son ventre se serra, se nouant à cause de la tension et lui donnant l'impression qu'elle l'avait frappé à l'estomac.
Tout d'un coup, Jay tendit la main vers le crucifix attaché autour du cou de Louis, identique au sien, et il resta sur le bout de ses doigts pendant un moment. Louis baissa son regard vers lui, puis cligna des yeux lorsqu'il disparut à l'intérieur du poing fermé de sa mère.
« Tu n'es pas mon fils, » dit-elle brutalement.
Elle tira d'un coup sec et fort sur le collier ; Louis sentit la chaîne forcer contre sa nuque, puis le fermoir délicat en argent cassa dans un tintement, les deux parties du collier glissant sur son torse comme des petits serpents métalliques. Il fixa, en état de choc, l'endroit où la chaîne cassée pendait pathétiquement d'entre les doigts fermés de sa mère, se balançant un peu et semblant incroyablement pitoyable. Il poussa un petit cri lorsqu'elle le libéra, l'éloignant de lui. Instinctivement, il porta une main à l'endroit où la petite croix reposait normalement sur son torse ; il avait porté ce collier chaque jour de son vie depuis qu'il l'avait reçu comme cadeau lors de sa confirmation à douze ans, et en le lui enlevant, il avait l'impression qu'elle aurait tout aussi bien pu lui arracher ses bras.
Jay leva son poing fermé, la délicate chaîne du collier brisé tombant le long de son poignet en des lignes argentées brillantes, puis elle ouvrit sa main et lui montra la petite croix qui avait été pendue à son cou depuis le jour où elle lui avait offert. Ils fixèrent tous les deux sa forme nichée dans sa paume, semblant aussi fragile et cassable que Louis l'était à ce moment-là, avec sa respiration faible et sa tête tournant comme un carrousel incontrôlable.
« Et tu n'es plus, non plus, un enfant de Dieu. »
Puis elle s'éloigna de lui tellement rapidement qu'on aurait pu penser qu'elle essayait d'éviter d'attraper une affreuse maladie, et elle lui claqua la porte au visage.
Pendant deux battements de cœur, Louis resta immobile, sous le choc. Il ne pouvait pas croire ce qu'il venait de se passer ; clignant plusieurs fois des yeux comme si c'était une hallucination qui pourrait se dissiper en quelques battements de cils, puis quand elle ne disparut pas, il ferma ses yeux et compta doucement jusqu'à dix. Son bras s'était détaché de la taille de Harry, mais la main de ce dernier était dans le bas de son dos, le supportant. Une bonne chose, aussi – il tremblait tellement qu'il n'était pas sûr de comment il ferait pour rester debout sans aide.
Les yeux remplis de larmes, aussi humides que l'océan de la couleur à laquelle ils ressemblaient, il se tourna vers Harry. « C'est tout ? » demanda-t-il d'une voix tremblante. « J'suis foutu dehors, comme ça ? Juste parce que je ne ferais plus ce qu'elle veut, je ne mérite plus de faire partie de sa vie ? Ou de celles de mes sœurs ? »
« Oh, Lou. Je suis tellement, tellement désolé. Je ne savais pas – je pensais qu'elle se reprendrait, je ne pensais pas que quelqu'un pourrait avoir autant de préjugés que ça – oh bébé, c'est bon, viens là ! » Harry tira Louis dans une étreinte, et ce dernier enfouit son nez dans son épaule et commença à sangloter, toute sa force s'effritant en poussière.
« Qu'est-ce que je suis supposé faire maintenant ? » pleura Louis. « Toutes mes affaires sont dans cette maison, tout ce que je possède – tout mon argent, mes vêtements, et je n'ai nulle part où aller et rien à porter et aucune façon de m'acheter d'autres affaires, parce que je ne connais pas mes coordonnées bancaires, je n'ai pas la procuration sur mon foutu compte en banque bordel de merde, simplement je, je ne – »
« Chut, c'est bon. Ne parle pas comme ça. Tu crois que je vais te laisser à la rue alors que tout est de ma faute ? Je te l'ai dit, tu peux rester chez moi quand tu veux, j'ai déjà expliqué à ma mère ce qu'il s'est passé la dernière fois, ça ne la dérange pas. Je suis tellement désolé, Louis, vraiment, mais s'il te plaît, ne pense jamais que tu es seul là-dedans, tu m'entends ? Promets-moi que tu ne penseras pas ça une seule seconde. » Il attrapa le menton de Louis et le releva, le regardant droit dans ses yeux plein de larmes, puis dit d'un ton féroce, « Ne laisse pas des personnes comme elle se dresser dans ton chemin. T'es beau. T'es intelligent. C'est dur, et ça craint, mais envoie-les se faire foutre. Dis leur d'aller se faire enculer par un cactus plein d'épines. Je t'aime tellement. Je suis toujours là pour toi. Je sais que je ne vaux grand-chose, mais pour ce que je vaux, je suis toujours là. C'est toujours toi et moi, d'accord ? Contre tout. »
Louis ne lui répondit pas, il attrapa simplement son haut dans ses deux poings et pleura sur son épaule jusqu'à ce qu'il fut étonné de pouvoir encore produire des larmes, et pendant tout ce temps Harry lui chuchota des mots réconfortants, frotta son dos et jeta un regard noir à la maison appartenant à la famille qui avait mis Louis à la porte sans aucune autre raison que leur propre étroitesse d'esprit, comme si la seule force de son regard plein de dégoût pourrait mettre le feu à toute la bâtisse.
Il aimerait vraiment, vraiment pouvoir.
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