Chapitre 9-3 : Nouvelles Rencontres
( Région Centre 4 septembre 10h45)
Après son combat avec Liam, Thibaut s'éloigne de son groupe pour se rafraîchir dans la rivière. C'est là qu'il rencontre Chloé. Malgré son inquiétant mutisme, la fillette réussit à lui réparer son nez cassé, puis le mène à Galilée. Hélas, cette dernière semble avoir à nouveau perdu la mémoire.
Galilée
J'ai tellement hâte de dissimuler mon anatomie que j'enfile son cadeau sans protester. Le garçon enfonce ses mains dans ses poches et regarde par terre, jouant les mecs indifférents. Toutefois, je ne peux m'empêcher de le reluquer à mon tour. Avec son nez un peu tordu qui vient de pisser le sang, son torse meurtri et griffé, il semble avoir échappé de justesse à la raclée du siècle !
Devinant mon regard inquisiteur, il redresse brusquement la tête et ses yeux trop bleus se posent sur moi. Ou plutôt sur mon nouveau tee-shirt : mouillé et presque transparent, il moule délicieusement mes seins !
Le spectacle est visiblement à son goût ! Sa respiration s'accélère et le rouge lui monte aux joues.
L'air indifférent, je ramasse mon M16. Pourtant, mon esprit s'échauffe, des souvenirs s'éveillent puis s'estompent. Ces yeux, ce visage, il me semble les avoir déjà vus. D'ailleurs, lui, semble me reconnaître. Pourquoi n'en parle-t-il pas?
Une araignée de mon cerveau, plus tenace que les autres, émerge, parmi la foule de ses congénères, et dirige sur moi ses yeux vairons. Mon cerveau bogue totalement. C'est la seule certitude à laquelle je peux me raccrocher pour le moment.
— Moi, c'est Thibaut ! fait le garçon, gêné. Et toi ? Que t'est-il arrivé ?
Réalisant mon incapacité à répondre à ces questions pourtant fort simples et ne voulant surtout pas avouer ma faiblesse, je montre du doigt le flingue qu'il vient de replacer à sa ceinture et un peu dubitative, je demande :
— Tu sais t'en servir ?
Il desserre à peine la mâchoire pour me lancer un oui définitif. Je l'étudie de la tête aux pieds. Son air résolu. Son attitude combative. C'est finalement un gars prometteur. Vraiment très prometteur !
Liam
Le moteur bredouille et marmonne. La bécane tressaute puis s'immobilise. Par acquis de conscience, j'ouvre le réservoir d'essence.
La panne sèche. Tout à mes réflexions acides, je n'ai rien remarqué.
À quoi ça sert d'avoir des sens hypertrophiés, si c'est pour se faire avoir par de la mécanique ?
Je descends de mon engin et lui assène un coup de pied formidable. Ce qui ne risque absolument pas de faire avancer les choses mais me détend.
Des larmes de désespoir s'échappent de mes yeux. Accablé par la fatigue, je les laisse couler. De toute façon, dans ce trou paumé, il n'y a personne pour me voir et me juger. Titubant et courbatu, je cache la moto dans le fossé, récupère mon sac à dos et entreprends de continuer à pied. Quelle distance reste-t-il à parcourir ? Je ne veux pas y réfléchir et me contente de mettre un pied devant l'autre, sous un soleil de plomb. Parce que, bien entendu, les nuages se sont effilochés. L'astre du jour, à son zénith, me bombarde de ses rayons nocifs et rigole en assistant à mon calvaire.
Pourquoi la moindre de mes entreprises vire-t-elle au désastre ?
Tex me donne un coup de bec compatissant mais n'ose pas m'adresser la parole. Léo, plus cruel que son compagnon, m'admoneste :
— Arrête de jouer les victimes ! T'as une sacrée propension à te fourrer dans des situations pénibles, d'accord ! Mais, rappelle-toi, tu possèdes aussi une habileté certaine à t'en sortir indemne !
Comme je sais qu'il a raison, je bloque mes mauvaises pensées et chemine. Ayant dépassé le stade de la fatigue, j'ai l'impression de flotter. Ce qui ne m'empêche pas de distinguer, dans le lointain, des ronflements de moteur et d'identifier le ronronnement si particulier des Harley Davidson.
Je quitte aussitôt la départementale pour progresser dans les champs environnants. Les motos dérapent et font demi-tour. Les échos d'une conversation lointaine parviennent jusqu'à moi.
Je cours à couvert, le cœur battant à tout rompre. Puis me faufile à travers les haies qui bordent la route et m'abrite derrière un transformateur.
Tout à la joie de cette rencontre inopinée, les bikers ne prêtent aucune attention aux alentours.
Ils sont neuf en tout, six hommes, trois femmes ; des caricatures d'eux-mêmes avec leur blouson noir, leurs tatouages, leurs piercings.
Moi : Jamais je ferai le poids, même avec mon flingue, même avec mon arbalète !
Léo : Personne sait que t'es là. Tu peux repartir ni vu ni connu.
Tex : ...
Léo : Tu vois, la chiffe-molle qui me sert de coloc approuve. Personne le saura jamais ! Va-t-en !
Moi ( rampant le long du muret et me faufilant derrière le fourgon) : Tu fais chier !
Léo : Tu vas te faire tuer !
Moi : La ferme ! Si tu continues à me distraire, c'est toi qui auras ma mort sur la conscience !
Charlotte tient une Sampa hirsute par le collier, Maeva recroquevillée contre elle. Rémy tente de les protéger en formant un rempart ridicule avec son corps. Nicolas et Claire, main dans la main, restent paralysés. Et Thibaut ? Où est-il ? En train d'agoniser dans le fossé ? S'est-il caché à temps ?
Aucun de mes amis n'a d'arme. Contrairement au biker qui se dresse devant eux...
— Alors, les mômes, on se promène ?
Il s'avance en roulant des mécaniques. Dans les un mètre quatre-vingts et cent kilos de graisse et de muscles. Son crâne rasé brille dans la lumière de midi. Il ressemble à Bruce Willis, mais à un Bruce Willis qui serait passé du Côté Obscur de la Force. Les membres de son club attendent ses ordres, adoptant l'attitude passive de ceux qui sont incapables de penser par eux-mêmes.
Tous, sauf un. Un individu, aux long cheveux embroussaillés et à la maigreur tranchant sur la robustesse de ses comparses, se tient un peu à l'écart. La lame avec laquelle sa main joue négligemment étincelle soudain lorsqu'un rayon de soleil se pose sur elle.
Bruce Willis désigne le VW incliné vers le fossé et revient à la charge avec un inquiétant sourire :
— Vous auriez pas à bouffer, là-dedans ?
Personne ne bronche. Même la chienne, ayant saisi la gravité de la situation, s'est assise sur son arrière-train, aux aguets.
— Vous trois, continue-t-il en pointant son index épais vers les femmes, fouillez l'intérieur. Nous, on va s'occuper des mioches.
Ces dernières obtempèrent sans protester. Le biker squelettique propulse alors d'une démarche serpentine, sa silhouette dégingandée sur le devant de la scène, considère mes camarades pour arrêter son regard pervers sur Claire. Ses yeux, jusque là dépourvus de toute émotion, s'animent d'une lueur lubrique.
Les émissaires de l'Enfer sont parfois faciles à détecter. Je frémis de tout mon être.
Le couteau à la main, le malade fond sur sa proie. Claire laisse échapper un hurlement rauque et son petit ami désespéré tente de s'interposer. Le psychopathe le frappe à la tempe avec le manche de son poignard. Nicolas, la tête en sang, tombe à terre. Et alors que le tueur s'apprête à planter sa lame dans son abdomen, Claire intervient et le supplie :
— Non, laissez-le ! S'il vous plaît ! Je ferai ce que vous voulez, mais je vous en prie, le tuez pas !
Le déséquilibré place alors son couteau sous la gorge de Claire et l'entraîne derrière le transformateur. Rémy s'est précipité sur les deux petites et leur broie pratiquement les épaules pour les tirer en arrière. Charlotte relâche sa prise sur le collier de Sampa ; la chienne bondit en avant et se rue en aboyant à la mort sur l'un des motards.
Crâne Rasé lève son arme et tire. L'animal, grièvement touché, pousse un hurlement à fendre l'âme. Profondément choquée, Charlie se cache le visage dans ses mains. Une tache rouge grandit sur le pelage de la chienne qui se met à ramper en couinant vers le fossé.
À court d'air, je me laisse tomber à terre. Parce que moi, je suis là, bien caché, en sécurité. Mais terrifié et complètement désemparé. Je ne sais que faire. Si la peur s'est insinué en moi, la rage commence à prendre le dessus. Il me faut pourtant garder l'esprit clair, pour agir du mieux que je peux. Je me redresse à nouveau, jette un bref coup d'œil au petit groupe devant le fourgon, bougonne en me demandant où est passé cet enfoiré de Thibaut, contemple le transformateur, prends ma décision et en informe mes Squatteurs :
— Quitte à passer l'arme à gauche, autant crever utile ! Peut-être pourrais-je me racheter ainsi auprès du Tout-Puissant ? De toute façon, mes parents sont sûrement déjà là-haut, ils m'observent en ce moment. Ils pourront être enfin fiers de leur fils.
Ben oui ! Si j'arrivais à buter silencieusement le psychopathe, à deux, avec Claire, on pourrait faire quelques dégâts dans les rangs des bikers. En tout cas, au moins, je pourrais lui éviter le traumatisme d'un viol...
Et peut-être que Thibaut est là quelque part avec son semi-automatique... On pourrait s'en sortir !
Faut pas rêver...
Je me coule discrètement le long du fourgon pour me diriger vers l'arrière du transformateur. L'arbalète à l'épaule.
Galilée
Tenant fermement Chloé, j'avance vers la route à la suite de Thibaut.
Qui est cette petite fille pour moi ? Je n'en ai aucune idée. Son image est là, plantée dans mon crâne, fichée comme un poster accroché au mur. Je sais son importance, je devine mon amour pour elle, le seul sentiment que je me sens capable d'éprouver.
Qu'est-ce qui a bien pu nous arriver ?
Moi, j'ai perdu la mémoire. Elle, elle n'arrive plus à émettre le moindre son.
Je stoppe ma progression et me penche vers elle.
— Tu fais la grève de la parole ?
Embêtée, plantant ses dents dans sa lèvre inférieure, Chloé nie vigoureusement.
— Mais alors, pourquoi tu parles pas ? la bousculé-je.
Thibaut fait volte-face et s'empare délicatement de mes mains.
— Tout doux, murmure-t-il. On dirait que t'as pas l'habitude avec les enfants. Laisse-là tranquille. Elle parlera quand elle en éprouvera le besoin. De toute façon, ajoute-t-il, la situation est tellement merdique qu'il n'y a rien à dire.
Il pivote à nouveau et fend les hautes herbes d'une démarche assurée.
Je serre soudain le petit corps chaud contre moi. Ai-je déjà agi ainsi ? C'est comme si une énergie harmonieuse émanait d'elle. Toute requinquée, je me sens prête à affronter les problèmes qui galopent vers nous à la vitesse de chevaux de course. En effet, de drôles de picotements me parcourent le dos comme autant de coups de semonce. Je m'immobilise et fais signe à mon nouvel allié de me rejoindre. Je déploie mes sens et étudie les alentours. Thibaut fait de même. Nous nous consultons du regard ; nous en sommes arrivés à la même conclusion.
Je conduis Chloé derrière des sapinettes, un buisson certes piteux, mais c'est le mieux que j'ai pu trouver. Je lui ordonne d'un ton ferme et péremptoire :
— Tu te caches là, tu bouges pas, tu te bouches les oreilles. Avec Thibaut, on fait ce qu'on a à faire et on revient te chercher. Si tu m'écoutes pas, les vilains messieurs-caméléons viendront te chercher.
Pourquoi ai-je dit ça ? Une lointaine réminiscence ? Je n'ai fait que l'effrayer encore plus.
Muet mais les yeux écarquillés de terreur, mon petit lutin me lance des regards lourds de reproche.
Et sans ajouter un mot – je ne suis pas de celle que l'on peut faire craquer en jouant sur les émotions – je tourne les talons en entraînant Thibaut par la main.
Ses yeux remarquent enfin le tatouage au creux de mon bras. Un spasme de surprise le secoue ; mes entrailles se nouent. Il se reprend pourtant et se recompose une attitude sereine.
— C'est un joli nom, souffle-t-il avec une voix de velours. Galilée, comme le mathématicien ?
— Non, rétorqué-je du tac au tac, sans même savoir pourquoi. Comme la Terre Promise.
Nous cheminons le plus discrètement possible. Moi, aussi silencieuse qu'un Indien. Ma nouvelle recrue, plus bruyante qu'un sumo croisé de baleine !
Une voix rauque dégringole la colline dans notre direction suivie d'un cri sourd, d'aboiements féroces et d'une terrible détonation. Mes sens exacerbés perçoivent le son humide de la balle atteignant sa victime, puis le gémissement pathétique d'un chien.
Heureusement pour nous, les Méchants, trop occupés à leurs affaires de Méchants, n'ont pas l'ouïe fine. Aplatis dans un fourré, nous évaluons la situation.
Thibaut a changé de couleur. Mais, en vaillant petit soldat, il s'empare de son flingue, prêt à en découdre. Devant nous, se joue une véritable tragédie. Mon œil exercé évalue la scène en moins d'un quart de seconde. Une espèce de taré qui ne doit pas connaître la signification du terme shampooing entraîne une jolie brunette terrorisée derrière un transformateur. Sa langue passant et repassant sur ses lèvres fines me rappelle celle d'un chien attaquant sa gamelle. Un garçon, une plaie béante à la tempe, gît dans la boue. Une tripotée de mecs, tous plus patibulaires les uns que les autres, menacent un petit gars qui tente courageusement de protéger deux jeunes adolescentes. Une espèce de boule de poils blancs tachés d'écarlate se tortille au sol et rampe vers le fossé.
Mon cœur s'emballe sous le soleil. Je vais enfin pouvoir exploiter mes talents incomparables. La guerre est inscrite dans mes gènes. Et ne me demandez pas comment je le sais ! Je n'en ai aucune idée. C'est juste une certitude, aussi ancrée dans ma tête qu'un bateau au port.
Je commande à mon pouls de se calmer ; il obéit sur-le-champ. Je ne conçois ni doute, ni appréhension. Je suis un robot tueur. Un robot salvateur.
— T'inquiète, chuchoté-je à Thibaut tétanisé. Face à une nymphette en culotte et tee-shirt mouillé, ils n'ont aucune chance !
Un sourire complice sur le visage, il approuve :
— Je crois que j'ai deviné ton plan. T'es sûre de toi ?
Je hausse les épaules, lui passe le M16, me saisis de son pistolet que j'observe sous toutes ses faces.
— Très bonne marque, commenté-je en professionnelle. Tu sauras te servir du fusil ?
— Sans problème. J'ai déjà descendu un type, y a deux jours. Il s'en était pris à ma sœur.
L'âpre détermination que j'entends dans sa voix me rassure. Je planque l'arme de Thibaut sous le tee-shirt qu'il m'a prêté pour me diriger vers les bikers quand un léger bruissement près du transformateur nous fait tressaillir tous les deux dans un bel ensemble. En face de nous, quelqu'un progresse à pas feutrés dans les hautes herbes. Un beau gosse sorti tout droit d'une pub pour un parfum hors de prix chemine discrètement mais sûrement vers Cheveux Gras et sa victime.
Ébahie – et il en faut beaucoup pour arriver à m'épater ! – je mate son arbalète noire.
— The Arrow (1), demandé-je à mon nouvel allié, tu le connais ?
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(1) The Arrow : Série américaine racontant les aventures d'un justicier masqué qui veut lutter contre les maux de la société.
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Les choses se gâtent à nouveau. Heureusement, Galilée semble au summum de sa forme !
Quel est son plan, à votre avis ?
Désolée de vous laisser sur ce terrible suspens, mais la suite, du point de vue de Chloé, n'étant pas vraiment au point, je vais marquer une petite pause d'une dizaine de jours, jusqu'au samedi 8 janvier, je pense.
Je vous remercie pour votre fidélité, vous souhaite un bon réveillon et vous transmets tous mes vœux de santé, de réussite et de bonheur pour 2022.
N'oubliez pas la petite étoile !
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