Chapitre 9-2 : Nouvelles rencontres

( Région Centre 4 septembre 10h08)

Nicolas ayant malencontreusement mené le VW dans le fossé, les passions se sont exacerbées. Thibaut et Liam se sont battus. Se rendant compte qu'il a cassé le nez de son ami, le maître de Léo fuit sur sa moto, mais ne tarde pas à faire demi-tour.

Thibaut

La douleur se diffuse, s'exacerbe, me domine et me ronge. Je prends mon nez dans mes mains comme pour vérifier qu'il est encore là, le palpe et réalise qu'il a non seulement doublé de volume mais qu'il grossit encore, me donnant l'impression de ressembler à une méduse échouée.

Je ne suis plus que souffrance.

Et fureur ! Parce que je me suis fait avoir, tel le bleu que je suis qui croyais pouvoir jouer dans la cour des grands. Parce que je me suis fait dérouiller devant tous mes potes qui se sont bien gardés de venir à mon aide. Parce que je l'ai bien mérité.

— Fiche-moi la paix, miaulé-je à Claire qui accourt, munie de sa trousse à pharmacie, c'est rien, ça va passer. Tous, laissez-moi seul ! Vous avez qu'à vous occuper de nous sortir du fossé.

Alors qu'un soleil frileux se décide enfin à percer les nuages, je récupère mon arme et m'éloigne sous l'œil hagard de ceux qui se prétendent mes amis. Pourquoi ai-je parlé ainsi à Liam ? Ces mots qui blessent, ces phrases qui pincent, mordent, vous empoignent les entrailles, les brassent et les malaxent en tous sens, j'en ai tellement entendu ! Affligé à l'idée que le Voyageur ait pu assister à ma déconfiture, je tourne et retourne mes paroles dans ma tête...

À une centaine de mètres en contrebas, une bande de végétation verdoyante attire mon attention ; je tends l'oreille et perçois la rumeur d'une rivière encore gonflée par le terrible orage d'hier. Me faufilant entre les ronces, je parviens sur une plage lilliputienne. Je dépose mon artefact et mon pistolet bien en vue sur le sable, enlève tous mes vêtements raides de boue, les rince dans l'eau trouble, les mets à sécher et plonge à mon tour. La fraîcheur de l'eau me surprend, achève de me remettre les idées en place et anesthésie la douleur...

Je perçois soudain un bruissement infime et devine un mouvement insignifiant. Ma météorite s'affole et troue de ses rayons phosphorescents la grisaille environnante. Plus tendu qu'un arc, je bondis hors de l'eau, récupère mon arme et dissimule le caillou dans mon poing serré.

À pas de loup, en tenant mon semi-automatique braqué droit devant moi, je me dirige vers l'origine du bruit.

Éclairée par un timide rayon de soleil, une blondinette, pas plus haute que le buisson qui l'abrite, coiffée de deux tresses, pointe son M16 sur moi, une arme presque aussi grosse qu'elle qui la fait chanceler.

Nos regards se croisent. Je baisse aussitôt mon pistolet. Le sang coule à nouveau de mon nez blessé et j'ai bien du mal à fixer mon attention. J'arrive pourtant à bredouiller :

— Salut ! Je m'appelle Thibaut, je te veux aucun mal ! Elle est bien lourde pour toi, cette arme !

Ses grands yeux noisette me fixent et m'étudient. Devine-t-elle ma bienveillance ? Toujours est-il que sa bouche s'ouvre sur des mots silencieux et que son visage s'illumine.

Elle incline son arme, me prend la main et cherche à m'entraîner à travers les fourrés.

— Attends, lui expliqué-je, faut que je me rhabille.

J'enfile rapidement mes habits trempés, rengaine mon pistolet, cache ma météorite dans ma poche, m'empare du fusil d'assaut et suis la petite fille qui, tel un lutin, s'insinue dans les taillis épineux.

— Tu t'appelles comment ? la questionné-je.

Elle se retourne et pose ses grands yeux sur moi. Des yeux si tristes qu'ils semblent avoir contemplé tous les malheurs du monde. Pourtant un sourire éclatant se dessine sur son visage et elle me montre une gourmette qui orne son poignet gauche.

— Chloé, déchiffré-je. Qu'est-ce qui a bien pu t'arriver ?

Bien sûr, elle ne me répond pas. Mais sa minuscule main toute chaude serre la mienne à la broyer ; ce contact me brûle ; sa paume semble irradier une énergie qui n'est pas sans me rappeler celle émise par mon artefact.

Impossible. J'hallucine ! Cette petite est pourtant bien humaine, aussi vivante que moi !

Plantée devant moi, immobile, Chloé lève ses yeux vers les miens. Je cligne des paupières, au bord de l'évanouissement. Mon esprit dérive vers des yeux verts ensorcelants et un sourire provocateur qu'à cause de ma stupidité, je ne reverrai plus jamais. Je vacille. Toutefois Chloé ne cesse pas de comprimer ma main. Je respire un grand coup et laisse sa magie m'envahir. Une vague de chaleur me traverse aussitôt le corps. Sa main frêle m'insuffle une force prodigieuse, bien trop impressionnante pour provenir d'une petite fille haute comme trois pommes.

La vie revient en moi. Et avec elle, l'envie de lutter et de m'en sortir. Une douleur atroce rayonne à partir du centre de mon visage, s'empare de tout mon être puis reflue et disparaît. Je rouvre les yeux ; rien n'a changé, Chloé me fixe toujours, blême et frissonnante, sur le point de défaillir.

— Je crois que j'ai manqué me trouver mal, l'informé-je fort inutilement, d'une voix douce. Toi non plus, tu n'as pas l'air en grande forme. Tu as peur ?

Elle fait non de la tête.

— Alors, t'es perdue ? Tu as faim ? Tu veux que je te porte ? Vers où ?

Un magnifique sourire se dessine sur ses lèvres pâles. Je m'accroupis et la hisse sur mes épaules. Elle tend son index pour me désigner un point en amont. Le M16 à la main, je patauge le long de la rivière limoneuse en me réjouissant de cette diversion bienvenue.

Galilée

Un manque. Une absence. Ma main droite se referme sur le vide. Je tressaille et ouvre des yeux encore embrouillés. Ma vue s'améliore et je scanne les alentours. Une petite rivière qui s'écoule tranquillement. Un ciel nuageux. Des buissons asséchés et des arbres décharnés qui se ressemblent tous. Je suis recroquevillée, bien dissimulée sous un fourré. Mais à côté de moi, les plantes écrasées me révèlent que je n'étais pas seule dans ce petit nid douillet.

Quelque chose d'essentiel a disparu. Un objet capital. Mon arme !

Je secoue la tête. Des milliards d'araignées ont tissé leurs toiles dans mon crâne, occultant mes souvenirs. J'essaie d'en saisir un, puis un autre. Les plus tenaces. Les plus importants. Mais tous fuient devant moi, en se marrant. Tous, sauf un.

Une petite fille blonde qu'un grand gaillard menotté me demande de protéger !

— Tu peux toujours changer ton avenir, me crie-t-il. Tu es libre de devenir qui tu veux.

Je me lève d'un bond. Des croûtes marron-brun de sang séché m'habillent tels des haillons. Je suis nue, affreusement nue ! Seule une culotte de coton blanc cache pudiquement mes fesses. Je souris. Pour le côté sexy, il faudra repasser ! Je me palpe, tâte de nombreux points de mon corps, réveillant des douleurs diffuses. Je n'ai pourtant aucune blessure. Je me prends la tête à deux mains dans un effort dérisoire pour en extirper les araignées qui y ont élu domicile. En vain, bien entendu.

Je ne me souviens pas. Je ne sais pas qui je suis ni pourquoi je me réveille quasiment à poil dans ce trou perdu.

Je m'avance vers l'eau fangeuse pour me rincer. Sa fraîcheur me fait frissonner. J'ai la chair de poule. Pourtant, le soleil, haut dans le ciel, a réussi à percer la croûte des nuages. Une espèce de brume m'entoure, c'est la vapeur d'eau qui s'élève.

Dans de telles circonstances, n'importe qui serait épouvanté. Pas moi. Je n'éprouve rien, mais, au contraire, agis comme une mécanique bien rodée. Cette situation, je devine que je l'ai déjà vécue maintes fois. Si mon cerveau l'a oubliée, mon corps, lui, s'en souvient.

Je suis loin d'être une fille normale. Ça, je le sais du plus profond de mon être... car les bribes de souvenirs qui me reviennent par flash sont loin de me rassurer. Violence. Mort. Flammes. Fracas des armes. Et puis sinon comment expliquer cette hyper-vigilance qui maintient constamment mes sens en alerte ?

Des branches craquent. Des pas maladroits se dirigent vers moi. Je tends l'oreille et réalise que je peux entendre au-delà des capacités humaines. Ai-je des gènes de chat ?

Mon cerveau effectue un tri précipité, élimine le pépiement des oiseaux et le murmure de la rivière pour se concentrer sur le bruissement des feuilles, le craquement des brindilles, le gravier et la terre déplacés. On s'approche. Quelqu'un de massif. Bien pataud !

Je me focalise sur le bruit. Et esquisse un sourire. C'est tout simplement un homme qui vacille sous un poids accablant. Il s'arrête, dépose son fardeau. Des pieds beaucoup plus légers glissent sur le sable. Ils sont deux ! Je sors de l'eau et plonge derrière un buisson. Même si je n'ai guère fière allure, toute trempée et les seins à l'air, je me sais capable de terrasser, voire de liquider à mains nues, un type dix fois plus balèze que moi !

Thibaut

Tel un véritable hippopotame souffreteux, je traîne mon corps enflé et engourdi le long du cours d'eau. Épuisé, je dépose Chloé à terre. Elle me conduit, toute ragaillardie, vers une destination qu'elle seule connaît. La végétation se faisant moins dense, nous émergeons subitement sur une étroite bande de terre, récemment débroussaillée.

Une fille quasi-nue se jette sur moi. Enveloppée de nappes de brume, elle ressemble à une ondine jaillie de la rivière. Mais elle ne nous connaissait pas, moi, mes réflexes étonnants et mes sens surdéveloppés ! Une vague odeur de sang, de terre et d'eau, avait trahi sa présence.

Il me suffit d'un saut sur le côté pour que ses poings fermés et menaçants ne heurtent que du vide. Et d'un millième de seconde pour braquer le M16 dans sa direction.

Elle me regarde, interdite. N'est-ce pas un soupçon de respect que je devine dans ses yeux bruns ?

— Qu'est-ce que tu fabriques avec mon arme ? laisse-t-elle froidement tomber.

Malgré les légers frissons qui parcourent son corps svelte et musclé, tout en elle respire la détermination. Des cheveux blonds encadrent son visage ovale. Ses seins ronds, petits et fermes, pointent dans ma direction. Elle se tient immobile, solidement campée sur ses jambes fuselées.

Chloé me lâche la main et se poste entre nous deux, tel le petit drapeau blanc que l'on agite en signe de paix. Je ne distingue pas ses traits mais suppose qu'elle tente d'expliquer la situation à la jeune fille. Pourvu qu'elle ait bien compris que je ne suis qu'un pauvre garçon inoffensif et naïf !

Pour preuve de bonne volonté, j'abaisse le M16 et plonge mon regard dans ceux de l'Amazone. Ses yeux cuivrés me jaugent. Des yeux mystérieux et résolus que j'ai déjà contemplés !

Mon cœur s'emballe... Non ! Non ! Non ! De telles coïncidences sont impossibles ! Non. Sauf si cette fille travaille pour Domitien ! À moins qu'elle ait été envoyée par mon père pour me protéger ?

Pétrifié, je fais face à la prétorienne qui, il y a quelques jours, m'a sauvé la mise.

— Je t'ai rien pris du tout, grogné-je. C'est toi qui as un problème. Tu devrais pas laisser une gamine se balader avec de l'artillerie lourde.

— Gamine, appelle-t-elle Chloé, viens ici. On t'a jamais appris qu'il ne faut jamais se dresser entre deux personnes armées ?   

La petite marche vers elle, lui prend la main et lui adresse un sourire rayonnant.

— Et toi, rends-moi mon arme ! reprend l'Impériale en esquissant un pas menaçant. Pose-la à terre !

Je recule d'autant, attrape mon Glock, laisse tomber le fusil le plus loin possible et l'apostrophe :

— Eh, du calme ! La voilà, ta mitraillette. J'en ai pas besoin, j'ai mon propre flingue. Et en plus, t'es même pas pas mon genre, ajouté-je, avec une mauvaise foi flagrante.

Ses lèvres ébauchent un demi-sourire. On dirait un ange. Un ange qui vient de naître mais qui a déjà mille ans d'expérience. Un ange qui hésite entre la lumière et les ténèbres...

Dominé par un trouble intense, je suis surpris d'éprouver autant d'émoi alors que ma vie est en jeu.

— Et n'en profite pas pour me reluquer, sale pervers ! ajoute-t-elle en ramassant son fusil.

Ses paroles provocantes rompent le silence inconfortable qui commençait à s'installer. Mais un je ne sais quoi d'indéfinissable me révèle qu'elle ne pense pas ce qu'elle vient de dire. Et je lui réponds d'une façon tout à fait inconsidérée :

— Si tu veux pas qu'on te mâte, faut pas te balader à poil.

Elle soulève un sourcil, m'adresse un sourire susceptible de congeler tout être vivant à un kilomètre à la ronde, me toise de toute sa splendeur et laisse tomber :

— Que veux-tu que j'y fasse ? Je me suis réveillée comme ça.

Une vraie princesse. Une Princesse des Glaces. Finalement, une recrue intéressante en ces temps caniculaires...

J'ôte mon tee-shirt. Ses yeux arrogants suivent chacun de mes mouvements. Inexplicablement, le souvenir d'autres yeux, chauds, vibrants, railleurs – ceux de Liam – éclipse ce regard réfrigérant.

Qu'est-il devenu le jeune geek indifférent à tout ce qui n'est pas circuits imprimés ? Un mauvais garçon ballotté au rythme effréné de ses coups de cœur ? Je ne me reconnais plus, je ne me maîtrise plus. Non, non. Tout ça, ce n'est pas moi ! C'est un autre moi dans un autre monde.

— Tiens, dis-je en lui tendant mon polo, je te le prête ; c'est pas que la vue ne soit pas agréable, mais avec une telle dégaine, tu ne risques pas de passer inaperçue ! 

********************

Aïe ! Pauvre Liam... Peut-être risque-t-il de regretter ses dernières décisions !

À moins que...

Suite, mercredi 29 décembre

J'espère que cette rencontre aura été à la hauteur de vos attentes !

Je vous souhaite à tous de bonnes fêtes, en espérant que vous avez pu vous réunir en famille...

N'oubliez pas la petite étoile !

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