Chapitre 8-3 (a) : Liam
( Paris nuit du 27 au 28 août 21 h 55)
Attention ! Ce chapitre comme le précédent consacré à Liam est dramatique et comporte une scène de violence.
Fait prisonnier par les prétoriens en compagnie d'une jeune gothique Madison, Liam est transféré dans un Camp de détention pour adolescents. Traité de "pédé" par un trio d'abrutis, Liam les passe à tabac. Pour se venger, ces derniers violent son amie.
Fou de rage, Liam leur court après partout dans l'internat afin de se venger. Son aigle, Léo, choisit ce moment-là pour se matérialiser.
Madison gît ratatinée dans le bac de la douche. Ses cheveux ensanglantés dissimulent son visage. Elle s'est ouvert les veines avec la lame du couteau que je lui avais donné pour se défendre. C'est exactement comme si je l'avais tuée de mes propres mains. Elle a fini, elle ! (1)
Je ramasse l'instrument de mort, l'essuie sur mon jean et me relève.
Avant d'aller la rejoindre, j'ai quelque chose à terminer. Ma destinée à accomplir.
Devenir un véritable assassin. Un vrai. Un dur.
Je veux tuer de sang froid et jouir de chaque instant passé à regarder une vie s'envoler.
Puis je m'en irai à mon tour. Le cœur en paix.
Je l'avais senti toute la journée, ce picotement indiquant l'imminence d'une catastrophe. Je l'avais ignoré. La politique de l'autruche, vous connaissez ? Ici, c'est une simple question de survie.
Quand le soleil se couche, on est heureux d'avoir survécu à la journée...
Et on se dit qu'avec la nuit, le pire reste à venir.
Depuis les incessants va-et-vient de Léo entre ma tête et la réalité, je promenais ma carcasse douloureuse et mon agressivité dans les coins les plus isolés pour éviter les ennuis. Aujourd'hui, je n'avais pas vu Madison mais ne m'en étais pas inquiété.
Et puis, je suis arrivé dans ce couloir. Mon odorat accru a reconnu l'odeur métallique. Je suis entré. J'ai trouvé le cadavre.
Un impétueux souffle d'air me rafraîchit. Me voilà temporairement soulagé de l'accablant mal au crâne qui ne m'a plus quitté depuis le viol de Madison et les inquiétantes disparitions de Léo.
Tex, jaloux des nouvelles aptitudes de son compagnon, déprime un max et s'est tassé en une énorme boule qui pèse sur mon cœur ; il ne se manifeste plus guère et nous traînons notre vague à l'âme dans la cour, les couloirs, le réfectoire, l'air menaçant que j'arbore éloignant les importuns.
Je lève les yeux vers la fenêtre ronde. Un oiseau fantasmagorique fixe sur moi ses yeux terriblement humains. Un plumage d'un marron foncé presque noir. Un puissant bec crochu. Une tache jaune doré sur le dessus de sa tête. Les serres crispées sur les barreaux.
— Léo ! couiné-je d'une voix qui n'a pas servi depuis plus de quarante-huit heures.
Un glatissement rocailleux me répond. Mon Aigle ne semble pouvoir parler que lorsqu'il est dans ma tête. Je me redresse doucement sans faire attention au percussionniste qui cogne ma cervelle endolorie. L'oiseau mythologique replie ses ailes, rentre son bec dans sa tête, celle-ci dans son cou et ce dernier dans son corps. Mon regard incrédule le voit rétrécir, s'amincir, s'étirer, muter en une sorte de matière molle qui réussit à couler entre les barreaux.
— Salopard ! l'invectivé-je. Tu veux vraiment me rendre cinglé ! T'aurais pu attendre que je dorme pour peaufiner tes expériences d'incarnation et de dématérialisation.
Ma tête éclate, la pièce tourne sur elle-même et je m'écroule en ayant l'impression de sombrer inexorablement dans un marécage. Mon esprit malade se focalise sur un souvenir amer. C'était il y a un ou deux jours... Des militaires et des scientifiques étaient venus nous rendre une petite visite.
Trois types les dirigeaient. Ils ne portaient pas les uniformes à la mode caméléon mais n'en étaient pas moins les porte-parole de la Firme. Un Intello. Un Colosse. Un Affreux. Trois clichés ambulants. Mais d'une efficacité effrayante et inégalée. J'avais immédiatement reconnu les deux derniers ; Newton et Domitien, mes copains du Forum Impérial.
Le cerveau du trio s'était présenté... Aaron.... Informaticien pour BMI... L'entreprise mettait tout en œuvre pour trouver un remède contre les épidémies... On était en bonne voie.... On avait besoin de sujets spéciaux, pour étudier notre immunité.
Puis mon ennemi juré, l'homme au grand manteau noir, avait pris son tour de parole ; même en pleine lumière, le tribun aurait pu paraître insipide avec son visage terne et ses traits passe-partout si, dans son regard braqué sur nous, n'avait pas brillé une lueur cruelle qui me glaçait d'effroi.
— Lors de ses périples, m'informa Tex, Léo a entendu dire que c'était une sorte de marshall officiant tantôt comme flic, tantôt comme exécuteur ; en bref, un proche de Dark Rufus qu'il vaut mieux ne pas croiser sur sa route !
C'était bien ma veine ! J'avais sur-le-champ pris l'air le plus pitoyable, le plus galeux, le plus abruti possible ! Et n'avais pas trop eu besoin de me forcer, comme l'avait noté Tex, impitoyable.
— On m'appelle Domitien, a-t-il expliqué à l'assemblée terrorisée. Comme l'empereur romain. Aussi cruel. Aussi incorruptible. Aussi insensible.
Moi, je ne voyais plus que lui, le bras armé du Second Empire Romain, l'homme au sourire féroce qui se passait une langue gourmande sur les lèvres avant d'ajouter :
— Pour mes ennemis seulement.
On nous avait alignés dans la cantine. Quand les légionnaires ont commencé à passer dans les rangs, j'ai cru que ma dernière heure était arrivée. Coincé contre un mur entre Margot et Madison, je ne voyais rien de ce qui se passait ; seules, parvenaient parfois à mes oreilles, les exclamations triomphantes d'un soldat, suivies aussitôt d'un mouvement de foule.
Je savais ce qu'ils cherchaient, des jeunes comme moi, qui avaient subi des Altérations depuis le Black-Out. Et je suivais d'un œil angoissé l'arrivée de l'heureux élu auprès de Newton qui, avec quelques-uns de ses milites, s'était juché sur une table du réfectoire et promenait son fusil-mitrailleur en direction de la foule.
Soudain, Tex est devenu plus lourd dans ma poitrine ; mon cœur a ralenti et c'est un sang glacé qui s'est mis à circuler dans mes veines. Lorsque le miles affecté à notre coin de salle s'est approché, je n'étais plus qu'une loque humaine ; il a observé mes yeux – exactement comme sur un marché aux esclaves dans la Rome antique – et pris ma température. Il a secoué la tête avant de passer à ma voisine. C'est vrai qu'avec mes yeux vides, ma tête rasée et ma barbe naissante, je ne payais pas de mine...
Grâce à mes équivoques Volatiles, je m'en étais tiré à bon compte. D'autres eurent moins de chance. Une vingtaine d'ados a quitté le lycée ce jour-là.
— J'ai vu Domitien leur placer un engin sur la tête, m'explique Léo dans mon cerveau. Ça faisait de drôles de lumière. Aaron les étudiait et décidait qui partait et où.
Les paroles de l'Aigle me causent l'effet d'une lame enfoncée dans mon crâne ; je reviens à moi, étendu sur le carrelage, près du corps de mon amie. Je cligne des yeux, me prends la tête dans les mains, presque étonné de découvrir qu'elle est encore à sa place. Je n'ai plus mal mais me sens vide, privée de la douleur qui me tenait compagnie. Heureusement, ma détresse vient me rappeler ma décision irrévocable.
Je me relève et jette un coup d'œil par dessus mon épaule à la recherche du volatile mais une hallucination ne peut pas laisser de trace tangible. Pourtant, n'est-ce pas une belle plume brune qui me nargue là-bas ? Je revois alors les yeux de Léo braqués sur moi, coupant comme des tessons de verre ; j'entends encore dans mes oreilles le son étouffé et puissant de ses battements d'ailes.
Je me dirige vers la porte, avec toujours cette sale impression d'évoluer dans de la ouate, quand une barrière artificielle s'interpose entre la réalité et moi.
Un coup de bec m'arrache le cœur et les entrailles.
— Tex ?
Un coup de massue frappe mon crâne. Léo. Léo est revenu !
Mon cœur bondit de joie. J'endure vraiment une solitude absolue pour vivre le retour d'une de mes personnalités de schizophrène comme une bonne nouvelle.
Tex : Où t'étais encore parti ?
Léo : Ben, me promener, évidemment ! Tu peux pas savoir comme c'est génial dehors, la chaleur du soleil sur mes plumes, l'ivresse du vol, le goût de la viande fraîche et du sang...
Tex : Puisque c'est si bien, loin de nous, pourquoi tu te donnes la peine de revenir nous voir ?
Léo : J'ai pas encore assez de puissance pour m'échapper longtemps mais j'apprends à être un oiseau, je me découvre petit à petit. C'est que j'ai pas eu de parents moi, pour m'apprendre à profiter des courants aériens ou pour m'expliquer comment capturer mes proies.
Tex ( horrifié ) : Tu manges de la chair crue !
Léo : Bien sûr ! De quoi veux-tu que je me nourrisse ? Je suis un aigle, moi ! Pas un minable pic qui n'avale que des insectes, des larves et des baies !
Tex : Tu nous tues un peu plus à chacun de tes départs. T'auras l'air malin le jour où tu trouveras personne en revenant. J'me demande ce que tu feras alors.
Léo : Impossible. Nous ne sommes qu'une seule et même personne. Si vous étiez morts, je le serais aussi. C'est aussi pour ça que je m'éloigne de temps en temps ; sans moi, vous êtes plus faibles, moins repérables et moins à même de faire n'importe quoi...
Et Léo a haussé les épaules. Enfin l'équivalent des épaules pour un oiseau fantasmagorique. Je le sens s'enorgueillir de ses exploits.
— Super, me dis-je en esquissant un sourire, en plus d'être un casse-cou, c'est un sacré démerdard. Il me rappelle quelqu'un !
Tex : Il faudra que tu m'expliques comment tu fais. Moi aussi, je veux évoluer à l'air libre !
Léo : Non, surtout pas ! D'abord, t'en serais pas capable, et puis, n'oublie pas que tu vis dans sa poitrine, tu lui ferais exploser le cœur ! En plus, en ce moment, l'extérieur, c'est tout pourri. Y a des légionnaires qui se regroupent autour du lycée, on dirait qu'ils préparent un assaut. C'est pour ça que je suis rentré. Pour vous aider.
Moi ( le trouvant drôlement observateur pour une créature issue de mon imagination ! ) : Eh, les gars, je suis là !
Tex ( faisant comme si je n'existais pas ) : Idiot toi-même. C'est quoi, ce mépris ?
Léo : Le pic, c'est une évidence. Je suis plus gros. Je vis plus haut.
Tex ( furax ) : Qu'est-ce que t'en sais que t'es le plus gros ? Tu m'as jamais vu !
Léo ( péremptoire ) : J'habite un cerveau. Je sais tout.
Moi : Arrêtez de vous disputer. C'est quoi, cette histoire de légionnaires ?
Bizarrement, personne ne me répond. Je profite de cette diversion pour arpenter les couloirs, ouvrir des portes, vérifier des chambres, des salles de classe, des toilettes, bref, les principaux lieux où pourraient comploter Morgan et ses troupes.
Moi : Ohé, ohé ! Les oiseaux... J'existe ! Vous pourriez avoir l'obligeance de vous occuper de moi ; après tout, je suis votre résidence principale !
Tex ( réalisant enfin qu'il se passait quelque chose d'anormal ) : Tu cours où, là ?
Léo ( se décidant de nouveau à ouvrir le bec ) : Faire une connerie, comme d'habitude. Que je vais devoir rattraper si je veux survivre. Liam, la gloire des anti-héros, tu connais ?
L'incursion de l'aigle dans la vraie vie ne l'a vraiment pas rendu plus aimable. Mais Léo a raison. Je vais commettre une bêtise monumentale! À côté de laquelle mes précédentes pourraient passer pour des broutilles.
Parce que là, en plus, je suis conscient de l'énormité de mon geste. Et pire, j'en suis vraiment fier.
Moi : Je vais descendre Morgan. Peut-être aussi un ou deux de ses acolytes.
Tex : N'importe quoi !
Léo : Même pas cap !
Je ne bronche pas à la provocation. C'est vous dire si je suis motivé !
Léo qui vient de réaliser l'ampleur de ma détermination, frétille et se démène. Je le devine même en train d'essayer de battre des ailes. Devant son impuissance, il riposte par une attaque imprévue :
— Liam, tu sais, si tu commets un meurtre aujourd'hui, tu vas te faire tuer !
J'ouvre un placard. Vide.
— Tu ne verras plus jamais tes parents... Tu ne pourras jamais t'excuser auprès de ton père !
Je pousse la porte des cuisines. Il n'y a personne à cette heure de la soirée. D'ailleurs, il n'y a plus rien à cuisiner.
— Ils sont sans doute morts à l'heure qu'il est ! Alors, ferme là !
J'emprunte le couloir menant au réfectoire car une illumination a soudain traversé mon cerveau fatigué. Mais mon aigle refuse de s'avouer vaincu.
— Si tu meurs ce soir, reprend-il, le garçon aux yeux bleus qui hante tes rêves, celui qui ressemble à un ancien acteur, eh bien, tu ne le rencontreras jamais !
Je stoppe ma course. Ah, ça non, il n'a pas le droit de fouiller dans mes fantasmes !
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(1) Elle a fini, elle : Citation tirée du dénouement de l'Antigone d'Anouilh.
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