Chapitre 8-2 (a) : Chloé
( Région Centre nuit du 27 au 28 août 22 h 37)
Alors qu'elle avait accompagné sa maman et Dylan à la campagne, Chloé tombe sur des prétoriens en plein interrogatoire d'une famille d'Opposants. Leur chef, Greg, menace de la tuer. Paniquée, la petite fille bombarde le militaire d'une boule de feu, révélant pour la première fois son nouveau pouvoir.
Boum... boum... boum... boum...
Le bruit a chassé mon rêve et fait lever mes paupières. Je suis toute mouillée de transpiration et mon tee-shirt colle à ma peau.
Boum... boum... boum... boum...
Ma respiration se bloque. Y a quelque chose qui cogne dans la maison !
Boum... Pourtant, Dylan, il avait tout bien fermé, même les volets !
Boum... Greg et Karl ont dû me retrouver. Et ils sont en train d'enfoncer la porte...
Boum... Mes yeux bougent dans tous les sens.
Du noir, rien que du noir, du noir partout, à me rôder autour comme un fantôme obscur.
Je crie mais personne me répond. Ils ont été obligés de me laisser pour le travail et ils sont pas encore revenus.
Boum... De toute façon, je vois pas ce qu'ils auraient pu faire contre les BMI. Maman, elle est trop fragile et Dylan, il se serait déballonné. Les jambes en pâtée de foie, mamie elle aurait dit.
Et si c'était lui qui m'avait vendue ?
Je le déteste. Comme je déteste les Hommes-Caméléons. Je voudrais qu'ils soient tous morts, tous, tous ! Sauf Galilée.
Boum... J'attrape la statue que papa, y m'a donnée et qui dort toujours à côté de moi. Diane. La déesse de la lune et des jeunes filles. Elle te protégera toujours...
Je la serre très, très fort. Et si j'assommais le méchant avec ?
Boum... boum... boum... boum...
Il est quand même bizarre, ce bruit. Il se répète pareil et il va toujours à la même vitesse.
Boum... Je devrais me cacher !
Je sors du lit si vite que mon pied reste coincé dans le drap. Patatras ! Je tombe et Diane roule sur le parquet.
Loin. Trop loin... J'ai si peur que je me paralyse.
Le noir en profite pour passer à l'attaque. Je peux que fermer les yeux pour plus le voir.
Ce noir si lourd, ce noir si moite, ce noir si noir qui colle tant à ma peau...
Je le sens, partout dans la chambre. Je le sens flotter dans l'air et se poser sur les meubles. Je le sens me chercher et triompher. Ça y est, je t'ai trouvée !
Mais ce qu'il sait pas, c'est que je connais très bien sa façon d'agir.
D'abord la bouche. Je pince les lèvres et serre les dents. Ensuite les oreilles ! J'enfonce mes pouces dedans. Enfin le nez. Je place mes deux petits doigts à l'intérieur de mes narines.
Exactement comme quand je fais de grosses grimaces à Tonton Raoul.
Sauf que là, c'est pas rigolo du tout. J'étouffe déjà. Je me relâche... Juste une petite bouffée d'air...
Whouhaou !
D'un coup, la lumière revient. Et le noir s'enfuit, emportant avec lui les drôles de boum.
Je me mets debout.
C'est moi qui lui ai fait peur. Juste moi. Moi qui brille une fois de plus. Plus forte que l'électricité !
Plantée à côté de mon lit tel un phare dans la nuit, j'ouvre grand mes oreilles. Quelqu'un gratte à ma porte.
Nestor. Lui au moins, il m'a entendue.
Je cours lui ouvrir. Quand il se frotte à mes jambes en ronronnant, je lâche mes larmes. Je m'en veux. J'ai été trop, trop bête !
J'ai juste rêvé un cauchemar du Voyageur plus fort que d'habitude et c'est mon cœur que j'entendais.
Toute rassurée, je m'éteins puis attrape une chaise, y grimpe dessus et pousse les volets.
L'air sent bon la nuit.
Mais il a aussi une autre odeur. Une drôle d'odeur d'étoiles filantes et de bizarreries !
Ma peau se met à piquer.
Papa ?
Pourquoi est-ce que je me mets à penser à lui tout d'un coup ?
Ses yeux trouant l'obscurité, Nestor écoute la ville. Mais le voilà qui se hérisse comme un chardon et crache, toutes griffes dehors. Sshhh ! Sshhh !
Il bondit et disparaît.
Je saute derrière lui, traverse le jardin et sors dans la rue.
Nestor, lui aussi, il l'a entendu, l'appel. La voix au-delà du silence et du bruit, si sourde et si sonore. Elle chuchote, grandit, tonne, s'enroue, puis se faiblit.
Je cours pour la rattraper mais elle se mélange avec les rumeurs de la nuit.
Je me stoppe et écoute des deux oreilles.
Sauf que les pétarades qui remplissent soudain le quartier m'empêchent de la retrouver.
C'est une voiture qui les pousse. Une vieille qui roule beaucoup trop vite!
— Nestor ! je crie en galopant sur le trottoir. Nestor !
La camionnette passe en grinçant devant moi. Mais au moment où elle tourne dans la rue d'après, mon cœur explose. Et mon corps aussi...
J'ai mal, j'ai si mal !
Comme si j'avais reçu un grand choc. Comme si on m'écrasait. Comme si on cassait tous mes os.
Nestoooor.
Je cours... Je cours vers le carrefour...
Même si ma tête a déjà compris, même si mes jambes arrivent à peine à me porter, même si ma respiration est en train de se bloquer.
Je m'arrête sur le passage clouté. Mes pieds refusent d'aller plus loin et des serpents se tordent dans mon ventre.
Il y a comme une barbe-à- papa grise qui s'étire et rougit au bord du rond-point.
Les larmes montent dans mes yeux. Nestor ! Nestor. Nestor...
Il avait oublié que les voitures existaient. Il a pas traversé au bon moment et s'est fait tamponner.
Je me dépêche de le rejoindre et le ramasse.
Il est tout mouillé de sang
Je le soulève. Mes doigts glissent sur sa vie qui s'en va. Mais son pauvre petit cœur bat encore. Très, très lentement. Le mien cogne dans ma poitrine. Trop, trop vite.
Je monte sur l'herbe et me laisse tomber au pied de la statue qu'il y a planté au milieu. Ce vieux vicelard de César, papa y disait chaque fois qu'on passait par là...
Je place mon chat sur mes genoux à la façon de ma maman quand le chagrin m'étouffe. Je suis tellement triste et il a si mal !
Nestor.
La nuit, les étoiles et la lune se mettent à tourner. Ma poitrine se serre. L'air me manque.
Nestor.
Ne-meurs-pas ! Ne-meurs-pas ! Ne-meurs-pas !
Je le blottis contre moi et le caresse. Le carrefour s'allume comme pour l'aider à partir. Sauf que c'est juste moi qui me suis remise à briller.
— Tout est de ma faute, je murmure. Je suis une assassine...
Ses yeux s'ouvrent. Je m'y noie dedans. Au secours ! ils me disent. J'ai si mal...
Nestor.
Je pourrais le brûler comme il s'est passé avec Greg. Mamie m'a dit que c'est ça qu'on a fait à Papy pour l'aider à monter au ciel.
Sauf que je veux pas qu'il meure. Mais je veux pas non plus qu'il souffre.
Je lève le nez vers la nuit. J'aperçois seulement des toits et la lune à moitié cachée dans les nuages, comme si elle avait peur de découvrir ce qui arrivait à la Terre.
— Pouvoir du Voyageur, je récite dans ma tête. S'il te plaît ! Enlève-lui la douleur...
La comète sort aussitôt de derrière le clocher de l'église et glisse vers moi. Je me mets à trembler et ma lumière m'imite, clignotant tellement qu'on dirait une lampe en panne.
Je ferme les yeux et me concentre. Fort, fort, fort. Le plus fort que je peux.
D'un coup, j'arrête de frissonner. Et je sens – oui, oui, je sens ! – l'énergie du Voyageur filer vers mon bras le long duquel elle coule pour se concentrer dans mes mains.
Je rouvre les paupières.
C'est Nestor qui brille maintenant. Mais beaucoup moins que moi tout à l'heure. Il est juste entièrement de la couleur de ses yeux quand ils phosphorent dans la nuit.
Résultat, j'ai plus peur du tout. Je sais que mon cœur bat pour lui. D'ailleurs il est en train de ralentir, alors que le sien, il va plus vite.
Comme y dirait dans le feuilleton de Mamie, nos cœurs battent en chœur.
Sauf que maintenant, c'est moi qui ai mal. Partout dans mon corps mais surtout dans ma tête. Le gros nuage qui vient souvent me voir est de retour et en plus, j'ai l'impression que la voiture de tout à l'heure arrête pas de tourner en rond à l'intérieur.
Je cligne, en regardant Nestor. Et d'un coup, il se brouille...
Je suis un superbe matou en pleine forme. J'aime le lait, le Ronron, la jolie Isabelle qui vit trois maisons plus loin et surtout ma Chloé. Même si elle me tire parfois la queue ou les oreilles. J'ai le sens de l'humour, moi!
J'ai froid, j'ai chaud, j'ai mal. Tellement, que c'est impossible à dire !
Ma petite patronne, elle est de notre race à nous, les chats. Elle sent des choses dont les autres humains n'ont pas conscience. Et, à cause de ma bêtise, me voilà obligé de lui dire adieu. Qui c'est qui va la protéger dorénavant ?
Des doigts fouillent ma poitrine. Des doigts bien pointus. Et qui s'enfoncent trop profond !
Je suis vraiment qu'un abruti ! Je le sais bien qu'il faut toujours regarder avant de traverser. J'en ai tellement vu de collègues transformés en pizza routière ! Et voilà que ce soir, c'est mon tour...
Ça me brûle, à la fois dans mon nez et dans mes yeux qui se rouvrent. Toutes les larmes qu'ils contiennent s'échappent sur son petit museau, se mêlant au sang qui le salit.
Heureusement, maintenant, je n'ai plus mal du tout et je suis si bien, là au chaud contre elle, que je me sens prêt pour un gros dodo...
Je suis lui ; il est moi. Je lui donne mon énergie, il me donne sa souffrance. Mais c'est pas grave si j'en vois de toutes les couleurs, il va mieux, j'en suis sûre !
Le Voyageur est rentré sous sa peau et file partout dans ses veines. Sauf que je sais pas comment faire pour le réparer. Je suis pas calée en vétérinaire, moi...
Mais le Voyageur si !
Alors, je le laisse agir. Mon pouvoir se fraye un chemin dans le labyrinthe des organes endommagés à la recherche des éléments vitaux et sur leur passage, mes rayons raccommodent, rapiècent et restaurent. Les os brisés se ressoudent, les plaies déchirées se referment, le cœur recommence à battre normalement et le sang retrouve sa vitesse de croisière.
Rassurée pour mon chat, je fronce mon cerveau. Je le connais bien, le Tueur de Mondes. Tu lui tends la main et il te prend le bras, mamie elle dirait. Alors, vite ! Je le chasse de ma tête...
Je ressens un gros boum, puis tout redevient normal.
Je suis de nouveau moi et Nestor est de nouveau lui. Sauf que ça me laisse une impression si bizarre que je me mets à trembler. Si fort que mes mains se desserrent.
Nestor glisse par terre. Le choc le réveille. Il se remet debout, s'étire et se tourne vers moi. Il s'est éteint lui aussi. Mais ses grands yeux verts lui ressemblent plus, je vois plein d'ombres dedans.
Je lui ai donné le Voyageur et maintenant, il l'a au fond de lui. Comme moi.
Pour toujours.
— Minou, je l'appelle. Toto. Pardon-Pardon-Pardon !
Il baille puis lève son museau vers le ciel. Soudain furax, il se gonfle et se met à cracher, aussi féroce qu'un lion. Non, il explique à la comète, tu seras pas mon nouveau maître.
Cette affaire réglée, il saute sur mes genoux et tout ronronnant, se roule en boule contre moi. Juste au moment où moi, je me sentais partir...
— Merci, je lui dis avec mes yeux. Grâce à toi, cette fois, je suis pas sortie de mon corps !
Mais au lieu de frotter son petit nez sur ma main, le voilà qui se hérisse de poils. Il les a entendus en même temps que moi, les pas lourds qui viennent embêter la nuit et faire craquer l'herbe sèche.
Il rétrécit ses pupilles, tourne ses oreilles à l'envers, écarte ses moustaches et montre ses longues dents à César.
Malgré qu'on a fait le silence, le nouveau venu se stoppe, pile derrière la statue.
Nestor bondit sur l'Imperator et s'installe sur sa tête. Waouh ! Des fois, j'aimerais vraiment être un chat. Qu'est-ce que tout doit être beau depuis là-haut !
Je le vois se rapetisser. Exactement comme quand il piste une souris.
Je me relève doucement. Il y a quelque chose dans l'air, ce soir. Des ondes. Mais pas de méchanceté comme l'autre jour à la campagne. Non, plutôt de rassurement...
Les chaussures se remettent en route. Leur bruit fait trembler mes jambes telles celles d'une mémé malade. Mes pensées se tortillent dans mon cerveau.
Nestor glisse sur l'épaule de la statue pour s'y coucher, tout ramolli. Voyant cela, je m'avance vers l'ombre immense qui se promène sur le sol.
Qu'est-ce qu'il est grand, cet homme ! Ma main à couper que c'est un super-héros. Comme...
— Mais qu'est-ce que tu fais là, crapaud, toute seule dans le noir ?
********************
Avez-vous l'identité du nouveau-venu ?
Suite, samedi !
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