Chapitre 7-1 : Orages

(Région Centre  3 septembre 18h 19)

Le sauvetage de Charlotte, tombée entre les mains de voyous sans scrupules, a permis la rencontre de Thibaut et de Liam. Toutefois, malgré leur attirance mutuelle, le maître de Léo décide d'en rester là. Toutes les personnes auxquelles il s'était attaché depuis le Black-Out étant décédées violemment, il pense préserver Thibaut en l'empêchant de s'attacher à lui. 

Thibaut

Le VW freine dans un grincement morbide. Je me rue en beuglant vers la cabine avant.

Sans prononcer une parole, Nicolas me désigne du doigt le dernier problème en date. Mes yeux s'arrêtent d'abord sur Liam. À califourchon sur sa Triumph, il s'est mis en travers de notre route. Je prends un quart de seconde pour apprécier le spectacle puis dirige mon regard au-delà de son écrasante présence.

Devons-nous rouler sur les cadavres ou tenter un détour au risque de basculer dans le fossé ? Évidemment bien large et bien profond à cet endroit précis.

— Bon, ordonné-je en soupirant. Maeva et Charlie, vous restez à l'intérieur. Et surtout vous interdisez à la chienne de sortir. Moi, je vais étudier la question.

Je grommelle par devers moi. Il ne manquerait plus que le labrit aille dévorer des restes humains. Ai-je touché le fond ou la vie me réserve-t-elle encore des cadeaux empoisonnés du même acabit ?

Je m'avance en râlant et en me bouchant le nez. Liam est déjà descendu pour s'approcher du charnier. Il ne se départit pas de son sourire en coin mais un voile sombre obscurcit ses traits.

— La plupart des corps sont en état de décomposition avancée, m'annonce-t-il. Leur visage n'est plus identifiable.

Mon cœur dégringole tout au fond de moi. La mort a beau devenir une compagne familière, je n'arrive pas à m'y habituer.

Liam continue ses observations. Avec la froideur et le sérieux d'un médecin légiste.

— On les a portés là, puis abandonnés. Regarde les traces de roues !

— Celle-là a l'air moins abîmée que les autres.

Je lui désigne du doigt une femme. Il se baisse auprès d'elle. La retourne et écarte les mèches de cheveux blonds qui masquent son visage. Des traits émaciés. Des lèvres terriblement sèches.

Liam se relève, l'air plutôt soulagé, même si je devine qu'il tente de réprimer ses nausées.

— Elle n'est pas blessée. Elle n'est pas mutilée. Elle a dû succomber à une épidémie.

— Mais pourquoi l'avoir laissée là ?

— N'est-ce pas la meilleure des protections ?

Je souris. J'en étais arrivé à la même conclusion.

— Personne n'osera rouler sur des corps. Il y a encore quelques restes de notre foutue civilisation !

Il ne me répond pas mais ses yeux vert sombre sont plus expressifs que des mots.

Une violente rafale de vent s'abat soudain sur nous. Déconcerté, je lève le nez. Les nuages viennent du sud. Et ce ne sont pas des nuages cool, vaporeux, blanc-fantôme, comme ceux qui squattent chaque année, le ciel de fin d'été. Non, ces nuages horribles, aux contours déchiquetés, tranchants comme des tessons de verre, se transforment au gré des courants.

Un orage s'annonce. Peut-être même une tempête ou une tornade ?

Je déglutis.

— On est dans la merde.

Liam hoche la tête.

— Si je suis bien gentil, vous me ferez une petite place à bord ?

— Je suis pas naïf au point de croire que le minibus fera le poids !

— Au moins, je mourais pas seul !

Je lui décoche une œillade assassine tout en balayant une fois de plus du regard les minces parois de métal et la ligne grossière de notre seul refuge. Une énorme poubelle montée sur quatre roues !

Le vent se renforce. Dire qu'il y a quelques heures, on se serait damnés pour un souffle d'air !

Le ciel, obstrué par de sombres masses compactes et mouvantes, se métamorphose à nouveau. Il descend, nous enveloppe, nous étouffe. À l'ouest, les derniers rayons du couchant laissent des traînées de sang vicié au-dessus des collines. On dirait que le soleil tombe en morceaux.

— Faudrait vite se trouver un abri... et solide de préférence ! hurle Liam.

J'ai du mal à entendre ses paroles, transformées, broyées, par d'intenses rafales.

— Attendez là, continue-t-il, je vais faire un tour plus haut.

La moto fait volte-face, repasse derrière le van et se précipite dans un champ. Mon cœur se croit sur un toboggan obscur et dégringole au plus profond de mon ventre. Un éclair zèbre le ciel. Un BOUM tonitruant déchire l'atmosphère. La Triumph réapparaît au sommet de la butte et redescend. Si vite que des mottes de terre sèche volent autour d'elle. Une terrible lueur illumine l'air suivi de trop près par un grondement de tonnerre si puissant qu'il me retourne les tripes.

Liam stoppe derrière le fourgon et vocifère pour se faire entendre.

— Y a un gros bâtiment de l'autre côté. Un hôtel Ibis ou un truc de ce genre. J'y vais en éclaireur. Vous pouvez y accéder en passant par la route. Peut-être même qu'on pourra y mettre les véhicules à l'abri.

— Si j'arrive à résoudre mon problème d'éthique ! marmonné-je.

Il regarde une dernière fois le ciel.

— Va y avoir de la grêle. Ça craint vraiment !

Il démarre en trombe. Même si je le déteste, des fois, j'adore ce mec et son esprit d'initiative. En plus, là, il a parfaitement raison. Ça craint. Ça craint drôlement.

Une goutte d'eau s'écrase sur mon crâne. Une deuxième explose sur le pare-brise du VW.

Pas le temps de tergiverser. On va devoir leur rouler dessus.

— Pousse-toi ! ordonné-je à Rémy.

— Mais qu'est-ce que tu fous ? braille-t-il. Il faut les déplacer, tu vas pas passer sur les corps !

— Je prends mes responsabilités, asséné-je. Ils sont morts, ils ne sentiront rien.

Et moi qui n'ai jamais tenu de volant de ma vie, j'enclenche la première et fonce, les dents serrées.

Le ciel s'ouvre en deux et l'enfer fond sur nous. Les nuages tombent en un lourd rideau de pluie. Je n'y vois pas à deux mètres malgré les phares et les essuie-glace. Le déluge tambourine sur le bitume et la carrosserie. Va-t-elle tenir le coup ?

Je ferme les yeux. Les rouvre. Ça ne fait plus guère de différence. J'affronte un noir de fer. Un noir d'enfer. Les bas-côtés se remplissent à vive-allure, charriant tout un tas de détritus, des feuilles sèches mêlées à des déchets de plastique jusque sur la chaussée.

Liam

Vais-je parvenir à destination avant que le ciel ne s'écrase sur moi ?

Des éclairs de plus en plus nombreux déchiquettent l'horizon maintenant d'un noir d'encre. D'un noir corbeau. D'un noir aigle. Comme Léo. Qui, à l'instar de son compère, terrassé par la crainte, n'en mène pas large. Ils sont pourtant à l'abri, bien au chaud, dans ma chair.

De nouveaux flashes éclairent très brièvement le paysage qui m'apparaît comme figé dans cette espèce d'éclairage surnaturel. La pluie commence à tomber. En quelques minutes, je suis trempé jusqu'aux os. Je parviens enfin devant l'hôtel, presque aveuglé... et constate, désespéré, qu'on s'est fait devancer.

Deux jeunes fourrent une DS surannée dans un garage.

Les vrombissements de ma moto ont alerté la cavalerie. Un Black qui pourrait être le fils naturel d'Amédée, me barre l'accès d'un immense porche, une espèce de kalachnikov pointée droit devant lui. Une jeune femme vient l'y rejoindre. Je stoppe devant l'entrée. En plein sous l'averse.

Je maudis une fois de plus mon lamentable karma. Comment faire bonne impression quand on est plus trempé qu'une soupe, les cheveux dégoulinants et qu'on a l'impression que même nos os sont en train de se liquéfier ?

J'opte pour la dérision. Peut-être ont-ils besoin d'un comique ?

— Super soirée, non ? Mais on dirait qu'ils ont un peu trop forcé sur la clim. Vous trouvez pas qu'on se croirait dans une boîte à ciel ouvert ?

Un nouvel éclair, plus large qu'un terrain de foot et plus long que le cou d'une girafe, me fait sursauter.

Le Black sourit. Tout à fait réceptif à mon humour. À moins qu'il ne soit déjà tombé raide dingue de mon charme ravageur. Il me déshabille du regard.

— T'es tout seul ?

La jeune femme sentant son camarade momentanément HS, a pris en main l'interrogatoire.

Je fais non de la tête.

— Y a quelques potes à moi qui s'amènent dans un minibus. Vous inquiétez pas, on est clean. On a de quoi manger. On cherche pas les problèmes, juste un abri le temps de l'orage.

— Avance, ordonne l'homme à la kalachnikov, que Layla puisse mieux te voir !

À la lueur maintenant quasiment ininterrompue des éclairs, je détaille, en connaisseur, ses épaules et ses biceps qui étirent son tee-shirt d'une façon tout à fait alléchante. Ce mec est beau à en crever ! Bien sûr, il faut aimer le style brut de décoffrage. Moi, j'adore.

— Seymour, t'en penses quoi ? interroge la brune à l'air assuré.

Ce dernier hausse les épaules et me rend mon regard enflammé. Je lorgne ses cheveux humides qui le font ressembler à un surfer.

— En plus, je peux payer la nuitée, continué-je, en extirpant une barrette de shit de ma poche. Et y en a d'autres dans le camion qui s'approche.

Leurs yeux se fixent sur le flingue bien planté en évidence dans la ceinture de mon jean. Je lève les mains en l'air pour apaiser la tension ambiante et souris.

— Et tes potes, ils sont tous comme toi ?

La question a fusé, trop sèche, sous cette pluie battante. Il est clair que cette fille se méfie de moi. Peut-être est-ce elle qui est à l'origine de l'étrange ossuaire d'accueil ?

— Oh non ! Ils sont plutôt du genre coincé. Mais sympa quand on fait l'effort de les connaître.

Le fusil d'assaut cesse de me menacer. La tension baisse d'un cran. Je peux enfin me permettre d'espérer une issue favorable. Jusque-là, j'avais réussi à me maintenir dans un équilibre délicat entre la vie et la mort, mais le tableau que j'ai devant le nez me redonne du baume au cœur ; je devine que je vais enfin pouvoir m'offrir la distraction dont j'ai besoin.

Seymour ouvre la bouche. Je prend un air angélique. Il n'est pas dupe. Layla non plus.

Le minibus ahane en montant la côte, précédé de tout un tas de grincements et de couinements.

— Vous voyez, on a rien à cacher. On arrive pas en douce pour piller et défourailler.

Seymour fait un léger signe de tête à Layla. Tous deux s'écartent du porche et nous laissent nous avancer dans la cour de l'hôtel. J'exulte. Finalement, si on sait y faire, la vie a encore des trucs à nous offrir ; il suffit d'un peu de flair pour discerner ses sautes d'humeur et happer les lambeaux de bonheur qu'elle daigne nous abandonner...

Et parmi nous tous, il y a ses chouchous qui s'en tirent mieux que les autres.

J'en suis un ; j'en vois un autre devant moi. Dont les yeux brillent tels deux diamants en attente...

********************

J'espère que vous allez pardonner à Liam !

Toujours est-il que je suis très contente de le retrouver. Galilée et Chloé ont bien failli avoir ma peau. Si la suite n'avait pas été écrite, je les aurais peut-être éliminées. Se prendre une balle est si facile à l'époque du Voyageur !

Je plaisante, bien sûr...

La fin de ce court chapitre est presque prête. Quand voulez-vous la parution ?

Mercredi ?

Samedi ?

Merci pour tous vos votes !


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