Chapitre 6-2 ( b) : Chloé
( Région Centre 5 août 7 h 47)
Je pose ma main devant ma bouche. Mais c'est top tard, les prétoriens ont oublié d'être sourds.
— Karl, la grosse voix de Greg gronde, tu les gardes en joue. Je vais voir de quoi il s'agit.
Le BMI marche vers moi. Ses pas sont lourds et méchants. Comme ceux d'un géant. Ou d'un T.Rex... Je me ratatine. J'aimerai être un tout petit ver de terre pour pouvoir m'enfoncer dans le sol.
— Oh ! Mais qui nous avons là ? Qui c'est qui cherche à s'échapper ?
On m'attrape, on me pirouette, on me monte. Haut, très, très haut. Jusqu'à un casque et deux yeux pleins de sang qui me regardent méchamment.
— C'est pas bien ça, de chercher à se défiler ! Tu vas devoir payer... comme toute ta famille.
J'envoie mon regard noir au vilain affreux – celui que je réserve à Dylan – et il recule sa tête. Il croyait que j'aurais peur mais des uniformes comme lui, il a, j'en ai déjà vu. Papa avait le même. Il était très beau dedans. Mais un jour, il l'a plus mis. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a fait son visage fermé et m'a dit que c'était très compliqué et que je comprendrais plus tard.
Le légionnaire éclate de rire, me lance sur son épaule et repart retrouver ses copains. Il me tient à l'envers par les jambes et ma tête se secoue en même temps qu'il marche !
Si j'avais pas déjà vomi mes Chocapic, je lui aurais tout dégueulassé son uniforme.
— Maintenant c'est sûr, il tonne, ces enfoirés vont parler. J'ai trouvé une monnaie d'échange !
Il me jette par terre. Paf ! Je tombe sur mes fesses.
Au milieu du brouillard qui danse devant moi, un homme, une femme et un garçon à genoux me défigurent comme si j'étais un monstre. Ou un habitant de la planète du Voyageur.
Bon, au moins, je suis pas la seule à être prisonnière.
Mon attrapeur me relève, enroule son bras autour de ma gorge et me colle un truc tout froid au-dessus de la joue. Son pistolet.
Sa voix grince dans mes oreilles.
— Vous me dites où se trouve votre planque, ou je fais un gros trou dans la tête de votre môme.
Toute paralysée, je regarde droit devant moi. La famille. Le gros fusil qui les menace. Et le Prétorien qui le tient. Avec son casque et son uniforme, il ressemble trop à celui qui m'a otagée.
— Mais, le pauvre monsieur gémit, on ne la connaît pas, cette petite !
Greg me serre méchamment mon cou. Ma respiration se coupe
— On ne sait vraiment pas qui c'est ! sa femme, elle vient à son secours. On vous le jure !
Mon tortureur relâche un peu son bras. J'ouvre la bouche et avale autant d'air que je peux.
— Eh bien, il dit, puisque la vérité sort toujours de la bouche des enfants, on va la questionner, cette gosse !
Mon pauvre petit cœur se déchire ; et ça recommence à me piquer, en bas...
— Mais oui, Karl rigole, pourquoi est-ce qu'on continuerait à se casser le cul à cuisiner des abrutis qui refusent de se mettre à table alors qu'on a ce bout de chou à disposition ?
Greg me tire en arrière contre lui. Je comprends vraiment rien à ce qui se passe.
— Alors ma puce, il demande, ces gens, tu les connais, oui ou non ?
Je secoue ma tête. Je voudrais pouvoir faire plus mais c'est pas possible. Mes lèvres sont scotchées et ma voix reste muette.
— Je ne reposerai pas la question une deuxième fois, tu m'entends ? Je te laisse cinq secondes pour me dire où tes parents ont caché le matos que leurs amis nous ont volé, sinon je te tire une balle dans ta jolie petite tête de pioche !
Un.
Je regarde les deux autres BMI, ceux qui ont pas de fusil, un garçon et une fille. Je sais que c'en est une parce que son uniforme lui colle beaucoup trop les nénés.
Deux.
Ses yeux brillent comme le soleil du soir. Il ressemble à deux cerises trop mûres...
Trois.
Je lui envoie mon plus mignon regard noisette. Puis ouvre grande la porte à toutes les larmes que j'ai en moi. D'habitude, quand je les lâche, les adultes fondent comme du Nutella au soleil.
Quatre.
La prétorienne ferme ses poings. Dans sa combinaison qui a pris la couleur de l'été, on dirait une panthère en colère prête à sauter sur son prochain repas.
— Greg, arrête ! Merde, c'est qu'une gamine !
Son chef est si surpris qu'il en oublie de dire le cinq. Me plaquant très serrée contre lui, il recule d'un pas. Non, mais regardez-moi ce baltringue ! Dylan, il aurait dit. Une simple bonne femme lui crie dessus et il joue des castagnettes...
Le pistolet du trouillard se décroche de mon oreille et vise maintenant ma sauveuse.
— C'est toi qui vas la mettre en sourdine. Tu te rappelles pas que t'es encore à l'essai ?
Elle se stoppe et le fixe mauvaisement. Le soleil fait des reflets si bizarres dans son casque qu'elle ressemble à un super-héros tout lumineux.
— Putain de gonzesses de merde ! Je me demande bien ce que vous foutez dans la légion. Dès que votre regard croise celui d'un moutard, vos ovaires battent le rappel et c'est la vrille assurée.
Le biceps de Greg m'écrase la gorge. S'il continue, mon cou va exploser et tout lui salir sa veste.
— Et toi, ma défenseure riposte, de la glace plein la voix, t'es qu'un gros débile. Ça t'avancera à quoi, de la buter ? Les Opposants continueront à nous braver, nos armes seront toujours dans la nature. Et en plus, tu auras du sang sur les mains.
Le bras qui me retient se fait plus mou. L'air redescend dans mes poumons. Ouf ! Je me suis même pas fait pipi dessus !
— Après l'histoire de Paris, notre cote en a pris un sacré coup. Si, en plus, on se met à tirer délibérément sur des mômes...
— Personne l'apprendra, Karl la coupe, puisque personne en parlera. À part nous, tous les témoins seront six pieds sous terre !
Ses paroles plantent une épée dans mon cœur. La dame à genoux laisse échapper un petit cri.
— Ça reviendra quand même aux oreilles de la Magistra. Ou à celles de César. Tout revient toujours aux oreilles de César. Il préviendra Domitien et...
Greg baisse son pistolet, souffle par le nez et crache sur le sol. Pffff ! Tonton Raoul, y vise mieux.
— C'est bien beau, ça, Mam'zelle Je-Sais-Tout, Karl s'énerve, mais tu proposes quoi à la place ? Rappelle-toi l'ultimatum de Nathalie ! Si l'on rentre bredouilles, pour toi, c'est bye bye l'uniforme !
Ma sauveuse se retourne, les mains en avant et ses longs doigts écartés comme des griffes.
— Et qui c'est qui moisira au mitard, quand j'aurai raconté combien tous, vous avez merdé ?
Le BMI se paralyse. Comme Dylan, quand il est énervé et qu'il a envie de défoncer un mur.
— Toi, il répond plus froid que Captain Igloo, t'es une sacrée garce !
— Entre fumiers, elle rigole, on se reconnaît !
Greg s'accroupit à mon niveau, attrape mes deux mains dans les siennes et se met à les écraser. Ses ongles font comme des épines dans ma peau.
—Vous avez qu'à garder ma sœur, le garçon otage dit. Comme ça, vous serez sûrs qu'on dira rien.
Son idée envoie un éclair dans mon cœur. Mais Karl la retient pas. Dégoûté, il lève son fusil et lui frappe la tête avec.
Paf ! Le pauvre s'écroule, le nez dans l'herbe. Mes yeux partent vers son côté. Son pied forme un angle bizarre avec sa jambe mais il bouge. C'est le principal...
— Voilà, le prétorien triomphe, le sort que BMI réserve à ceux qui osent la défier.
Il avance de deux pas et plante le canon de son arme sur le front de sa mère.
— Si tu veux que ta maman, elle vive, Greg rajoute, tu dois me dire tout ce que tu sais.
Je le regarde puis je regarde la dame. Même si c'est pas ma maman à moi, c'est celle du garçon et elle mérite pas de mourir. Sauf que je sais pas quoi répondre et qu'en plus, mes paroles refusent de sortir. Je les imagine toute ratatinées dans ma bouche tellement elles ont peur.
— Si tu parles pas, mon kidnappeur sort sa grosse voix, j'ordonne à Karl de tirer.
Je ferme les yeux et – tant pis pour ma promesse ! – j'appelle le pouvoir du Voyageur. De suite, ma peau se met à piquer et son énergie à circuler en moi.
Aaaaah ! Greg pousse un cri horrible et lâche mes mains.
Aussitôt, je remplis mes narines. Sauf que ça sent trop mauvais. La saucisse cramée ou le steak trop cuit. Peut-être que si je lui ai brûlé ses mains, il pourra plus jamais tenir son pistolet et tuer de gentilles personnes ?
Je rouvre les paupières.
Je suis complètement lumineuse maintenant, autant qu'une étoile géante.
Les prétoriens, les otages, et même le soleil, tout le monde me fixe. À part l'ado. Qui est très occupé à ramper vers un caillou pointu.
— Putain de bordel de Voyageur ! mon otageur jure en fonçant vers moi. Tu es l'un d'eux !
J'ai si peur que je lève mes poings vers lui. Comme si, les pauvres, ils pouvaient me protéger ! Le plus bizarre, c'est qu'un long trait de lumière en sort. Un éclair qui s'écrase sur Greg.
Malgré sa combinaison de super-héros, le BMI s'aplatit par terre en hurlant. Le garçon blessé en profite pour se relever et frapper Karl avec son caillou, tandis que son père se jette sur le prétorien qui a pas d'arme.
Ma nouvelle amie, la soldate, aurait pu s'en mêler. Mais elle choisit de pas bouger. Elle étudie la bagarre, puis elle m'étudie, moi, avec le regard de l'amour et de la fierté.
C'est bizarre. Le temps que mes paupières battent, j'ai cru que mon papa était revenu. Un papa qui aurait rapetissé et à qui il aurait poussé des nénés.
C'est sa faute aussi ! Pourquoi elle a les mêmes yeux que lui ?
— Ne-reste-pas-là-Ne-reste-pas-là-Ne-reste-pas-là...
Comme si le Voyageur avait allumé le moteur de mes jambes, je démarre sur des chapeaux de roue et me mets à courir droit devant. Sans me retourner. Sans faire attention au fusil qui vient de hurler. Sans me tracasser des vilains mots qui me poursuivent.
Je suis si petite et les broussailles sont si grandes. Personne, y me retrouvera jamais.
— C'est-ça-C'est-bien-D'abord-survivre-Ensuite-se-sauver-Enfin...
Je tamponne une barrière de barbelés, rebondit dessus et tombe sur les fesses.
Le grillage des vaches. Le grillage des vaches !
Je me soulève pour passer dessous. Mais une ombre me barre le chemin. Une ombre dans un habit de BMI.
Mes pieds se collent par terre et ma respiration s'arrête
— Eh bien, moustique ! Tu cours drôlement vite ! Où est-ce que tu vas comme ça ?
Mon cœur déborde. Ah ! Ces yeux couleur de l'automne et cette voix comme du Nutella. Ce sont ceux de ma sauveuse...
J'ai plus peur du tout.
— J'suis pas un moustique ! je râle. Y sont méchants et y font des boutons tout rouges qui piquent très, très fort...
La prétorienne éclate de rire.
— Parce que toi, t'as jamais fait de mal à personne ? Et mon copain que tu as cramé, alors ?
Je ferme mes lèvres pour réfléchir. Elle a pas tort mais en même temps elle a pas raison.
— Les moustiques, je réponds, ils s'attaquent à n'importe qui. Moi, je brûle que les gros affreux.
Elle attrape son casque et l'enlève. Elle a un nez trop rigolo et ses cheveux blonds tout aplatis lui font comme une couronne autour de sa figure.
— Tu es un ange ? je m'étonne. Ou tu viens du Voyageur...
Sa bouche remonte jusqu'à ses oreilles. Puis redescend.
— Je ne sais pas trop qui je suis. La seule chose dont je sois sûre, c'est de mon nom, Galilée.
Ses yeux ont foncé. Et des ombres bizarres y dansent dedans. Elles ressemblent trop à celles que des fois, je vois dans les miens.
— Moi, c'est Chloé. Mais pour mon papa, je suis son crapaud.
Une grosse boule bloque ma voix. Je me force à l'avaler. Pas maintenant ! L'idée qui vient d'arriver dans ma tête est trop géniale.
— Tu le connaîtrais pas ? je demande. Il s'appelle Jake. Avant, il avait le même uniforme que toi.
Elle secoue la tête. Elle a vraiment l'air triste, d'un coup.
— Non ! elle me répond. Je ne l'ai jamais rencontré. Mais je me renseignerai, promis !
Elle fait un pas en arrière. J'ai si peur qu'elle disparaisse, elle aussi, que des mots me sortent tout seuls de la bouche, sans que les ai voulus.
— Mais pourquoi t'es avec ces gens si méchants ?
Son regard ressemble maintenant au charbon qu'il y a dans la cave à Mamie. Elle se tourne vers le Voyageur, qui nous observe, posé dans le ciel tel un gros frisbee.
— Je m'étais jamais posé la question ! elle souffle, tout doucement.
Elle plie ses genoux et se met à ma hauteur. L'air lui-même en a des frissons.
— Je n'ai jamais rien connu d'autre. Je ne sais même pas si j'ai un jour été une petite fille...
Sa voix a craqué comme le sable à la plage sous les pieds. Et sa figure est si malheureuse ! Les grands mots que j'ai appris vont enfin me servir.
— Même si tu n'es pas fière de ton passé, je récite, tu peux toujours changer ton avenir. Tu es libre de devenir qui tu veux.
Son front se plisse et ses sourcils montent jusqu'à ses cheveux. On dirait trop mon papa quand il réfléchit.
— Merci, elle me dit. Tu es vraiment très intelligente. C'est ton pater qui t'a enseigné tout ça ?
Je suis en train de lui faire oui avec la tête quand des branches se mettent à craquer. J'ai même pas le temps d'avoir peur. Galilée me soulève et me cache sous un buisson.
— Tu ne bouges pas, elle m'ordonne, ses lèvres fermées comme une prison. Jusqu'à ce que n'entendes plus aucun bruit. À ce moment-là et pas avant, tu compteras jusqu'à cent. Puis tu courras rejoindre tes parents et tu leur diras de t'emmener loin d'ici.
Je me paralyse en la regardant filer telle une étoile. Je l'aime déjà...
— Putain d'enfoirée, elle crie à Karl qui est apparu au bout du chemin, la salope m'a semée.
Un gros vide se gonfle au dedans de moi et mes pensées existent plus. Mais puisque la soldate l'a commandé, je force mes oreilles à écouter. Facile ! Y a qu'à m'imaginer que je joue à « un, deux, trois, soleil ».
— Ces fumiers d'Opposants aussi ! son collègue lui répond. Mais Greg m'a dit de lâcher l'affaire.
Je souffle par le nez et quelque chose de chaud en coule. Je crois bien que je saigne sauf que je peux pas vérifier. Galilée m'a interdit de remuer.
Et elle, c'est quelqu'un qui sait se faire obéir.
— Quoi ? je l'entends s'étonner. Cet abruti s'est pris un pet au casque en tombant ?
Je ris dans ma tête. Dans un concours de gros mots avec Dylan, elle gagnerait sûrement. Elle est mille fois plus forte que lui. Le Voyageur dort au fond d'elle, comme il dort au fond de moi.
— La gosse l'a pas raté, le BMI lui répond. Sa combinaison a pas mal atténué le choc mais il est quand même salement brûlé. Il nous faut l'évacuer. Sur-le-champ !
Ils s'éloignent. Même si je sais que je suis sauvée, mon cœur bat encore trop, trop fort. J'ai failli tuer quelqu'un. J'ai failli tuer quelqu'un !
— Mais pourquoi il a pris cette décision ? la soldate s'étonne. Et nos armes ? Et nos prisonniers ?
Je me mords la lèvre. Pourquoi est-ce que je m'inquiète ? Greg est un méchant. Et les méchants doivent être punis. La preuve, ils meurent toujours à la fin des films...
— On a décidé de dire qu'on a trouvé personne. T'imagines la réaction du Praefectus s'il venait à apprendre qu'on a laissé filer des Opposants. Il nous muterait direct en Afrique !
Je cligne mes paupières. C'est bizarre, ce brouillard qui flotte devant mes yeux, comme si toutes les questions que je me posais s'étaient échappées de ma tête pour l'envelopper.
— Excellente idée, Galilée approuve. Et surtout pas un mot à propos de la môme. Un tel spécimen ! Anderton nous en voudrait à mort de l'avoir perdue. Elle nous signalerait à Domitien...
Elle lâche un long soupir. Je me demande bien pourquoi elle a choisi d'être prétorienne. Moi, jamais je travaillerais pour son patron, César. Ses yeux bizarres, ses cheveux comme ceux de Mérida et ses pensées tordues.
Karl crache un gros rire. Cet idiot est trop content que Galilée, elle soit d'accord.
— On aura qu'à expliquer que ces saletés d'Opposants avaient piégé la grange et que le feu a repris au moment où Greg est entré pour la fouiller.
Leurs voix s'éteignent mais mon sang continue à cogner dans mes oreilles. Je commence quand même à compter, sauf qu'à trente, je m'arrête. C'est bête, je sais pas aller plus loin !
À la place, je me concentre sur l'orchestre de la campagne, les grillons, les oiseaux, les grenouilles et les bourdons. Puis, je me relève et cours vers chez Sylvia.
Je raconterai rien à maman. Elle se tournerait trop les sangs...
********************
J'espère que cette première rencontre aura été à la hauteur de vos attentes.
Galilée et Chloé se reverront. Dans quelles circonstances selon vous?
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