Chapitre 4-4 : Liam

( Paris 12 juillet 20 h 15)

Le soir du Black-Out, Liam est à Paris, chez son petit ami Luigi, et ressent immédiatement d'étranges troubles, comme deux voix issues de son esprit, celles de deux oiseaux, qui n'arrêtent pas de parasiter ses pensées. Le lendemain, il trouve un petit boulot auprès de Marius, le patron du BMI Market. Il veut se faire le plus d'argent possible pour pouvoir rentrer chez lui, dans le Sud Quercy. 

Paris pâlit sous une lumière indécise ; mes Oiseaux, surexcités, rivalisent d'ardeur, réclamant à grands coups de bec d'en voir plus, d'en entendre plus, d'en goûter plus.

J'inspire à fond. L'air tiède de la ville dont je viens de m'emplir les poumons me semble bien fade.

Plus que deux jours.

Deux jours avant de me barrer d'ici.

Deux jours avant de retrouver ma maison, d'embrasser mes parents et Alison, de faire râler Jo.

Marius m'a dégotté une place dans un bus vers Toulouse. Toutes mes économies y sont passées. Je n'en ai même pas parlé à Luigi. À quoi bon? Il l'apprendra bien assez tôt.

Je perçois au loin les clameurs d'une foule en ébullition. Nous nous pressons pour la rejoindre. Nous, c'est-à-dire, Luigi, Marius, Tessa et moi; Tessa est une étudiante que Marius a embauchée pour l'été. Des cheveux d'un noir artificiel et toujours l'air de faire la gueule. Mais maligne comme fille. Elle a vite compris où se trouvait son intérêt et se rapproche insidieusement de son patron.

De cette manif, on n'a pas cessé d'en entendre parler cet après-midi au magasin. Le bouche à oreille nous a permis d'en suivre la progression et le renforcement tout au long de la journée.

Les Parisiens veulent des explications. Demandent des comptes. Appellent à l'aide.

Pourquoi nos gouvernants sont-ils restés bouche cousue ? Et que devient notre Imperator ? On ne l'a plus vu depuis le Black-Out !

De là à imaginer que BMI en est responsable...

Les cortèges convergent vers le Forum Impérial où des dirigeants vont enfin s'expliquer sur cette situation sans précédent. Bien sûr, Marius et moi, on a voulu aller aux renseignements ; et j'ai entraîné Luigi, espérant que ça le sortirait de l'état semi-végétatif dans lequel il se complaît depuis la Panne.

À peine avons-nous débouché sur la place que mes sens surexcités sont soumis à rude épreuve.

Le vacarme des conversations se superpose aux hurlements et aux récriminations ; cela agresse mes oreilles. Les relents de transpiration se mêlent aux odeurs de friture. J'en ai la nausée.

Luigi hoquette. Je lui prends la main et sens le regard réprobateur de mon patron. Que le vieux macho me rejette, je n'en ai rien à faire ! J'ai ce que je voulais : mon billet de départ.

— C'est pas le moment de se faire remarquer ! grogne Marius.

— Moi, je crois qu'il vaut mieux se serrer de près, commente Tessa en s'emparant de mon autre main et en saisissant le bras de son compagnon. Faudrait pas se perdre dans cette foule !

— En cas, on va se donner un lieu de rendez-vous ! approuve-t-il. On s'attendra sous le porche de ce bouquiniste au Clivus Imperialis (1). La nuit nous dissimulera en cas de danger.

On débouche sur la place. Une foule dense s'y presse. Des gens ne cessent d'arriver de toutes les rues adjacentes pour s'ajouter à l'immense attroupement.

— Faisons le tour ! suggéré-je.

Les autres acquiescent et me suivent. L'affluence est si grande que pour avancer, chacun est obligé de bousculer son voisin, ce qui crée des mouvements intermittents. J'examine les abords et note la présence de miliciens urbains postés à des endroits stratégiques. Nous nous frayons un chemin, circonspects. Quelques prétoriens, arborant fièrement leur uniforme photochromique, disséminés parmi la masse des plébéiens, observent la foule et repèrent les agitateurs.

Un dernier rayon de soleil s'insinue brusquement entre les immeubles et le forum rougeoie ; aussitôt les combinaisons des gardes impériaux prennent d'inquiétantes teintes écarlates. Puis, la nuit glisse paisiblement sur la ville ; juste avant de disparaître dans les ténèbres, entièrement gainés de noir, une main sur leur taser et l'autre sur leur fusil d'assaut, les soldats d'élite ricanent sous l'œil sévère du Voyageur.

— Merde, grommelé-je, ce sont des caméléons, de véritables Hommes-Caméléons !

Une brusque douleur dans mon crâne me fait soudain sursauter. Par son coup de bec, l'Aigle dirige mon attention sur un homme dissimulé dans l'ombre. Alors que mes amis sont passés devant lui sans l'apercevoir, mon regard se bloque sur ce type d'un âge indécis, à la silhouette anodine, qui se fond redoutablement dans le décor. Je stoppe net. Comme aimanté. Irrésistiblement attiré.

Je pense me couper sur son visage trop anguleux rien qu'à le contempler.

Malgré l'excessive chaleur de la soirée, il porte un grand manteau, encore plus noir que les pupilles de notre IMP. Sans doute, comme les habits des prétoriens, a-t-il été confectionné dans un tissu intelligent.

Je croise son regard gris métal. Perçant. Impénétrable. Terrible.

Nous nous jaugeons. Nous nous évaluons. Nous nous reconnaissons.

Comme si nous étions en train de contracter un lien intime, profond et ambigu...

Au moment où il esquisse un mouvement vers moi, un jeune, surgi de nulle part, interrompt ce duel digne de Sergio Leone. D'une stature fichtrement impressionnante, il est, bien sûr, intégralement vêtu de noir. Si la pénombre m'empêche d'apercevoir distinctement les tatouages qui ornent son visage, le holster attaché sur le haut de sa cuisse droite ajoute à son aspect de messager de la mort.

Le duo s'avance, sinistre, formant un contraste frappant avec la pierre grise des façades encore visibles dans les dernières lueurs du jour, telles des sentinelles froides et silencieuses.

Dans ma tête, une voix impérieuse m'ordonne de déguerpir.

Les Tueurs se rapprochent. Mes pieds comme collés aux pavés refusent d'avancer.

Les étranges militaires ne sont plus qu'à un mètre de moi quand une énergie singulière jaillie à la fois de mon cœur et de mon cerveau parvient à me faire bouger. Je tourne les talons juste au moment où l'étonnant gros bras s'empare de son taser.

Malgré ma curiosité, je prends la poudre d'escampette, gardant imprimée dans ma rétine l'image d'une minuscule fibule jaune fermant le haut de son uniforme, au ras de son cou.

En quelques minutes, la foule s'est singulièrement épaissie. Mes amis ont disparu. Je me précipite vers l'endroit où je les ai aperçus pour la dernière fois. Des coudes s'enfoncent dans mon dos et dans mes hanches. Je manque trébucher plusieurs fois et n'hésite pas, moi non plus, à frapper pour tracer mon chemin. Enfin parvenu dans un espace un peu plus dégagé, je me hisse sur la pointe des pieds et commence à paniquer lorsque je réalise que la nuit s'est définitivement installée.

Pas de lampadaire. Pas de phare de voiture. Pas de lumière de portable.

L'obscurité a repris le pouvoir sur la Terre.

Cherchant désespérément du secours, je lève les yeux vers le firmament.

Invraisemblablement noir. Comme l'uniforme du militaire. Comme la mort.

J'y cherche, malgré tout, du réconfort. Ce n'est pas la lune qui va m'en apporter. Son mince croissant a du mal à transpercer les nuages. Je me tourne vers le Voyageur. Ce soir, sa lumière éclatante semble de miel chaud. Si attirante. Si séduisante. J'ai beau me dire que ce n'est qu'une boule de roches et de glace, il flotte au-dessus de moi telle une irrésistible pierre d'ambre aux contours irréguliers.

Je tends ma main vers lui, comme pour effleurer son scintillement. Je crois même un instant le sentir crépiter au bout de mes doigts. Mais le charme disparaît aussi soudainement qu'il est né. Mon geste ne ressemble plus qu'au salut d'un serviteur à son maître.

Je respire un bon coup et rejoins le lieu où j'ai aperçu mes compagnons pour la dernière fois.

— Où t'étais ? geint Luigi. On a failli te perdre... Mais qu'est-ce que t'as aux yeux ? On dirait qu'ils sont hantés !

Je ne m'attarde pas sur cette constatation ; Luigi a toujours fait des remarques curieuses. Marius, lui, a tout vu. Son attitude crispée indique qu'il en sait plus qu'il ne veut l'avouer.

— T'es vraiment un aimant à emmerdes ! T'en rates pas une !

— Tu les as remarqués, toi aussi, non ? Les étranges prétoriens ?

La réponse tombe, laconique :

— Ouais.

Voyant mon air furibond, il daigne ajouter :

— Tu devrais pas chercher à savoir. Reste dans l'ignorance, crois-moi ! Tu vivras plus vieux ! Des uniformes noirs, sans badge, ni insigne, c'est contraire à la Convention de Genève.

— Ce truc n'a plus cours aujourd'hui ! craché-je. Ça fait bien longtemps que Dark Rufus s'est assis dessus.

Marius se tourne vers moi, le regard brillant de haine. C'est à l'ancien militaire que j'ai affaire ce soir et non au commerçant rusé. Nous partageons les mêmes idées prohibées.

— J'ai parlé à d'anciens amis. BMI aurait monté une milice, une sorte d'armée dans l'armée dont les légionnaires seraient recrutés selon des critères bien précis...

— Lesquels ? questionné-je, haletant.

— On dit que la Firme travaillerait sur un programme de soldats génétiquement modifiés...

— Ça n'existe pas !

— Tu crois ? L'IMP veut retrouver l'organisation de l'armée romaine avec l'aide de la science. Sa grande discipline et sa redoutable efficacité l'ont toujours fait rêver.

Nous nous rapprochons de la foule. Les manifestants forment une cohue disparate : des familles entières, des couples âgés, des bandes d'adolescents, des collègues de travail. Certains se distinguent toutefois. Ils portent de grands sacs et dissimulent leur visage avec un foulard.

Une idée me glace soudain d'effroi et je pense tout haut :

— Et si César avait glissé certains de ses super-soldats dans la manif !

— Je ne me sens pas très bien, panique Luigi. Je vais vous attendre au lieu de rendez-vous.

Tessa, elle aussi, regarde la foule, les yeux plus ronds que d'anciens 45 tours.

— J'entre pas là-dedans. C'est dangereux. Un mouvement de peur, c'est la catastrophe assurée !

Elle n'a pas tort. Je le sais. Déjà une petite bousculade s'est produite sur notre droite ; j'entends des cris ... Des gens risquent de mourir étouffés...

À ce moment, des rayons lumineux projetés d'un podium qui s'élève de l'autre côté du forum balaient l'assistance. Le vacarme des groupes électrogènes fait taire les conversations. Un haut-parleur grince. Un orateur quelconque tente de prendre la parole mais de là où nous sommes, je ne parviens qu'à saisir des bribes de phrases. Il faudrait se rapprocher...

J'interroge Marius du regard. Il acquiesce.

Avant de nous lancer dans la cohue, nous faisons au revoir à nos deux compagnons qui s'éloignent, couple improbable, vers le lieu de rendez-vous.

Nous fendons le rassemblement. Une bousculade se produit sur ma gauche. Pour ne pas perdre Marius, je frappe, avec les coudes, et pousse, sans pitié, pour me frayer un chemin. Nous progressons petit à petit. Je grimace chaque fois que quelqu'un m'écrase le pied, je grogne quand des poings s'enfoncent dans mon dos.

L'irritation monte en moi, les sons et les odeurs m'assaillent, j'ai si chaud...

L'orateur fait un nouvel essai. La foule se resserre, les corps se pressent autour de moi.

Puis soudain, je sens de l'air frais. Un peu d'espace s'est créé autour de moi, me permettant de respirer. Marius m'y a rejoint ; il me contemple bizarrement mais je n'ai pas le temps de m'interroger davantage. La Grande Explication a commencé. Nous n'en entendons que certains mots mais c'est suffisant pour comprendre :

— Toute la planète ... victime ... des sortes de rayons cosmiques ... BMI sur les dents ... Soyez patients ... Une question de jours ... Au pire, quelques semaines ... le Voyageur ... plus loin ...

Le peuple n'est pas satisfait, loin de là. Il recommence à bouger, comme un cœur qui se contracte.

Je place mes doigts dans ma bouche et émets un long sifflement. Repris par bon nombre de participants. Les huées se multiplient, les invectives fusent. Puis viennent les questions et les accusations. 

— Vous ne nous dites pas la vérité !

— C'est un complot islamiste ! Il paraît qu'ils ont débarqué à Marseille.

— N'importe quoi ! C'est un coup fourré de L'Alliance du Nord ! Pour nous éliminer !

La bêtise humaine m'a toujours navré mais je ne peux m'empêcher de hurler avec les loups. J'entends mes Voix Intérieures me parler mais pour la première fois, elles semblent se disputer. Le Pic m'enjoint d'en découdre, de me battre, de frapper, de détruire. Et l'Aigle tente de crier plus fort, exigeant et péremptoire. Je ne comprends pas ce qu'il dit, je ne l'écoute pas. Mes remords, mes regrets, tous les états d'âme que j'ai refoulés ces derniers jours explosent en moi, soudain trop à l'étroit dans mon corps et dans ma tête. Je deviens une véritable bombe humaine.

Là-bas, on évacue l'orateur du podium. Des miliciens viennent prendre sa place et surplombent la foule. Celle-ci ne se laisse pas impressionner. Une forte secousse me pousse vers l'avant.

La plèbe attaque.

Quelques individus se révèlent fin prêts à en découdre ; ils s'enfoncent des cagoules sur la tête et remontent leur foulard sur leur bouche. Je ne vois plus Marius mais cela m'est complètement égal. Je me dirige vers les dissidents les plus proches. Le rebelle en moi se réveille.

L'un d'eux m'aperçoit et me tend une sorte de matraque puis m'indique de me servir dans un lourd sac posé à terre. Je saisis des cailloux, mais remarque que certains détiennent des pétards, des fusées de feux d'artifice, peut-être même des cocktails Molotov.

Les clameurs deviennent si assourdissantes que je n'entends plus les Oiseaux s'égosiller. Les légionnaires, en masse, donnent l'assaut ; les premiers rangs reculent. Mes nouveaux amis bondissent pour se rapprocher des affrontements. Les insultes et les menaces fusent :

— On va se les faire, ces enfoirés !

— À mort, les vendus !

Galvanisé par la frénésie générale, je suis le mouvement et me trouve bientôt propulsé au cœur de la bataille. Nous lançons des pierres ; les prétoriens, qui, évidemment, se sont immiscés dans la bataille, répondent avec des grenades. Elles s'abattent sur la foule.

Les premiers blessés s'écroulent. Ça sent le gaz lacrymogène et le brûlé.

— Saletés d'oppresseurs ! braillé-je. Bande de lâches ! Fumiers d'Hommes-Caméléons !

Le sobriquet plaît ; la foule le reprend et le scande dans un bel ensemble. La confusion est intense, le vacarme inhumain.

Je lance, je frappe. Au jugé.

Les prétoriens repoussent les révoltés vers le podium où les attendent les miliciens.

Une explosion se produit près de moi, suivie de cris bestiaux. J'ai juste le temps d'entrevoir un bras. Arraché.

Je tourne les talons et m'enfuis. Une silhouette corpulente, surgie de je ne sais où, me barre soudain la route. Mon destin m'attend de pied ferme ; il a, ce soir, pris l'apparence d'un colosse en noir et jaune. Vous voyez, quand je vous parlais de mon foutu karma, vous ne me croyiez pas !

Je n'ai pas envie de mourir là, sur ce forum ; mais suis-je de l'étoffe de ceux qui osent défier le sort ?

Je jette un coup d'œil derrière moi. D'autres Hommes-Caméléons arrivent en renfort.

Le pire, c'est qu'on dirait qu'ils me cherchent personnellement ! Ils n'hésitent pas à se frayer un passage vers moi à l'aide de leur taser. J'entends même claquer des coups de feu.

Tout le monde s'écarte, comme la Mer Rouge devant Moïse.

Je tente un écart sur le côté mais trébuche sur un corps et m'étale de tout mon long. Un craquement sinistre retentit et une douleur terrible me crucifie ; je me redresse mais n'arrive plus à faire un pas tellement ma cheville est douloureuse. Pourquoi mes Voix Intérieures, ces lâcheuses, ont-elles choisi de se taire ? Ce serait pourtant le bon moment pour venir à mon secours !

Le mastodonte s'est posté devant moi et le jaune de sa fibule agresse ma vue décuplée.

Il plonge ses yeux dans les miens. Je n'ai jamais vu un tel regard, malveillant et implacable. On dirait une machine ; une machine qui esquisse cependant un mouvement de recul !

J'en profite pour lever ma matraque et l'abat sur son bras droit ; il encaisse le coup sans broncher mais en lâche tout de même son pistolet.

Il se redresse et dirige sur moi son taser. L'éclair qui en sort aurait dû me foudroyer sur-le-champ.

Il rebondit pourtant sur une barrière invisible et revient frapper mon ennemi qui chute, terrassé. Un de ses collègues se précipite.

J'ai tellement mal que je n'arrive plus à bouger. Jaune se relève et parle comme si je n'étais pas là.

— T'as vu ses yeux ! C'est l'un d'eux. Il nous le faut vivant !

— Newton, Domitien est pas loin ! répond son camarade à la fibule orangée. Je l'appelle ?

Dans mon crâne, mon Aigle personnel pousse enfin un glapissement silencieux. Je suis de son avis : Domitien est sûrement le milicien au grand manteau noir ; ce pseudonyme, piqué à un empereur du 1er siècle, tyrannique et violent, ne me dit rien qui vaille...

Un aiguillon dans le cœur me tire de mon engourdissement passager. Ma tête explose, mon pouls s'affole. Si je suis une fois de plus dans une merde phénoménale, mes Oiseaux ont réussi à me donner le regain d'énergie dont j'ai besoin. Et lorsque une nouvelle bousculade se produit et qu'Orange se retrouve momentanément séparé de mon premier agresseur, je ne laisse pas passer l'occasion. Je lève ma matraque et l'en frappe au ventre. Il se plie en deux mais pointe son flingue sur moi. Le temps ralentit. Il va presser la détente... Je fixe l'arme qui va sceller mon destin...

Un coup de feu claque, effroyable. Du sang et de la cervelle giclent et m'arrosent. Le légionnaire s'effondre, le crâne éclaté. L'Aigle et le Pic, d'une même voix, m'aboient leurs ordres. Je me baisse donc pour ramasser le pistolet qui a bien failli me tuer. Fais volte-face et croise le regard vide de toute émotion de Marius. Il a ramassé l'arme perdue par Fibule Jaune et vient de me sauver la vie.

— Attention ! Derrière toi ! braille-t-il.

Une main puissante s'avance pour me broyer l'épaule. J'ai juste le temps de m'écarter. Emporté par son élan, Newton glisse dans la mare de sang et s'affale sur le corps de son collègue.

Je pointe instinctivement mon pistolet en direction de son visage tatoué et décomposé.

Jamais je ne me suis servi d'un flingue ! Jamais je n'ai conçu ne serait-ce que l'idée d'en tenir un dans mes mains ! Et pourtant, je suis sûr à cent pour cent d'avoir l'envie de faire feu.

— NON !

Le beuglement bouleversant m'affole. Je flanque un coup de pied dans le tibia de l'homme à terre et lève mon arme en direction de la foule dont vient de se détacher le mentor de ma future victime. Un brusque coup de bec dans mon cœur me pousse à crisper inconsidérément mon index sur la détente. Mon pistolet fait feu. Domitien s'écroule. J'appuie à nouveau sur la détente. Plus rien...

— T'es complètement dingue ! hurle Marius. Emmène-toi ! Faut pas moisir ici !

Je bondis vers lui tandis que Fibule Jaune s'élance vers son ami qui se relève déjà.

Nous nous engouffrons en courant dans une ruelle sombre. Je jette un dernier coup d'œil en arrière pour vérifier que nous avons semé nos poursuivants.

Les projecteurs éclairent toujours la scène. Les Hommes-Caméléons, telle une véritable armée de robots, avancent lentement mais sûrement. D'un geste fluide et sans aucune hésitation, ils font feu. Ils n'ont même pas besoin de viser, il leur suffit de presser la détente et de laisser le hasard décider de qui vivra et de qui mourra.

La foule engloutit les balles, les corps tombent ; certains inertes, d'autres pris de convulsions.

Mes ennemis semblent avoir disparu... Je ne ressens plus de douleur à la cheville... On trace dans les ruelles sombres... Marius souffle à côté de moi et un épais liquide coule le long de mon visage. Est-ce mon propre sang ? Est-ce celui de la victime de Marius ?

Je lui dois la vie... J'ai une terrible dette envers lui ! Et pire que tout, j'entends encore et toujours les dernières paroles de Domitien qui ont accompagné ma fuite !

— Je ne sais pas qui tu es ni d'où tu sors ! Mais tu vas payer pour ce que tu as osé faire ! Sache qu'on ne s'en prend pas impunément à moi ou à mon apprenti ! Et si on a le culot de le faire, mieux vaut être sûr de soi et ne pas rater son coup ! Car sinon, on paie au centuple le mal qu'on nous a fait ! Et toi, tu vas payer ! Oh oui ! Tu vas payer !

Nous nous arrêtons enfin de courir. Je ne sens toujours que la brûlure du pistolet que j'ai volé dans ma paume ; Marius me prend doucement la main et me force à décrisper les doigts. Le métal étincelle dans un rayon de lumière bleutée.

J'y vois un signe. J'ai frappé un prétorien, puis j'ai tiré sur son supérieur: je viens de battre mon propre record et ai réussi à me fourrer dans un pétrin digne d'un champion hors-catégorie !

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( 1) Le Clivus Imperialis : Le chemin impérial.

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Ainsi s'achève le chapitre 4, plus riche en péripéties que les précédents. 

Vous pouvez maintenant presque entièrement compléter la note trouvée dans la main d'Antoine. Mais qui peut bien être 4.0 ?

Merci pour tous vos votes. 

À lundi pour le début du chapitre 5.  

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