Chapitre 24-1

(Nord Quercy - Camp de Gourdon 6 septembre 00h23)

Infiltrée dans le Castrum, Galilée apprend que les Impériaux s'apprêtent à brûler vifs une centaine de prisonniers. Elle piège une réserve de gaz afin de créer une diversion. Revenue sur les lieux du crime, elle tombe sur Jesse et David. Un centurion a réquisitionné leur Glisseur pour évacuer le préteur. Galilée le tue et les jeunes gens prennent le haut fonctionnaire en otage. Galilée le surnomme le Pingouin car il ressemble à l'ennemi de Batman. 

De leur côté, Thibaut et Jo attendent Domitien dans un bureau au fond du hall d'accueil sous la surveillance de deux prétoriens, Edwin et Olivia. Ayant repéré la porte du sous-sol où est détenu Liam, Thibaut colle un explosif sous une table. Il éclate...

Sam, quant à lui, est posté en mode sniper, sur la colline en face. Son job, c'est de couvrir ses amis.  

Galilée

— Qu'est... qu'est-ce que vous voulez ? bégaye le Pingouin.

Je n'ai pas le temps de lui répondre. L'entrepôt que j'ai piégé explose dans un fracas de fin du monde. D'elle-même, mon ouïe s'exacerbe et aussitôt, des exclamations de surprise et des hurlements de peur viennent saturer mes tympans.

— C'est... c'est vous... vous qui...

Le préteur n'achèvera pas sa phrase. Le nouveau boum qui retentit un peu plus loin fait trembler le Glisseur au point que chacun, nous manquons de perdre l'équilibre. Tout en me réjouissant que Jesse ait eu la présence d'esprit d'éloigner son index de la gâchette, je fais volte-face pour étudier le panache de fumée qui s'élève du bâtiment d'accueil. Les yeux vers le ciel, là où devrait se trouver le Voyageur, j'ai une petite pensée pour Thibaut. Pourvu qu'il n'ait pas sauté en même temps que sa bombe ! Puis une sirène d'alarme se déclenche, si puissante qu'elle couvre tous les autres bruits alentours, notamment les détonations de l'AWN de Sam qui vient de commencer à canarder ses ennemis. 

J'ajuste mon ouïe de façon à assourdir les sons les plus violents et reporte mon attention sur mon otage.

— Vous..., bégaye-t-il, vous... n'êtes pas... des prétoriens.

L'odeur âcre de sa peur remplit l'habitacle, si incommodante que je réprime un haut-le-cœur. 

— Vous êtes trop fort ! ironisé-je. Je comprends maintenant pourquoi Sa Rouquine Majesté vous a confié la direction de ce Camp.

Je lui jette un regard en acier trempé. Le brasier qui fait rage un peu plus loin a l'air de l'irradier.

— Vous allez ordonner à vos hommes de se rendre sur place...

Il marmonne quelques mots incohérents. Jesse appuie le canon de mon pistolet plus fermement contre son front. Au comble de l'angoisse, notre captif laisse échapper un gémissement. 

— Tu sors, grince le fils Adler, et tu fais ce que ma collègue t'a demandé. Sinon, je te colle une balle dans la tête...

Il recule son arme et David commande l'ouverture de la portière qui s'élève en chuintant. Les relents de fumée et de plastique fondu qui envahissent illico mes poumons me forcent à régler mon odorat au minimum. 

— Les explosifs, demandé-je, est-ce qu'ils fonctionnent avec une minuterie ou y a-t-il besoin d'une télécommande pour tout faire sauter ?

Incapable de répondre, le préteur se tourne vers moi. Ses yeux roulent dans ses orbites comme s'ils n'y étaient plus fixés.

—  Sérieux ! m'énervé-je. C'est vous qui avez donné l'ordre de mettre à mort ces pauvres gens et vous n'en savez rien ? 

Je ressors mon Ka-bar. À la vue de sa lame menaçante, l'Impérial pâlit, secoué par un frisson de terreur. 

— Je vous accompagne, mais si vous tentez le moindre truc suspect, je vous jure que je vous saigne comme le porc que vous êtes. Pigé ?

Il hoche la tête et se retourne. J'appuie la pointe de mon couteau dans le creux de ses reins, le pousse hors du Glisseur et descends derrière lui. L'alarme du bâtiment d'accueil a cessé de hurler et Sam de tirer. 

— Vous deux, ordonné-je à mes comparses, vous me couvrez. 

La portière se referme et nous nous avançons en direction du petit groupe d'Impériaux. L'un d'eux vient à notre rencontre. Un grand gaillard, costaud et baraqué. Le genre de type capable de botter les fesses d'un loup-garou pour lui voler sa proie...

— Toi, murmuré-je à mon otage, tu as deux secondes pour retrouver la parole. Et tu as intérêt à te montrer crédible.

La pointe de mon Ka-bar déchire sa chemise et lui pique la peau. Évidemment, il s'immobilise tout net. Je me demande si je n'en ai pas un peu trop fait, quand mon pauvre pantin interpelle son subordonné.   

Principal, dit-il, la voix ferme, il semblerait que la foudre soit tombée sur notre réserve de gaz. Rassemblez vos hommes et allez voir. Il ne faudrait pas que l'incendie se propage...

Vite ! Je cache ma lame dans ma manche et recule d'une demi-pas. L'air plus que surpris, l'optio se plante devant nous, tel un pilier dorique. Un pilier en uniforme photochromique avec des bras comme des colonnes tronquées.

— Mais quelle importance ? proteste-t-il. Puisqu'on abandonne le Camp...

Sa voix est étonnamment mélodieuse comparée à son physique de gladiateur, mais ce n'est pas cela qui va distraire mon otage de ses objectifs, faire déguerpir ses hommes le plus loin possible afin que son sang continue de couler dans ses veines.  

— Certains de vos collègues sont peut-être encore sur zone ? Et il y a probablement du matériel à sauver. Prenez l'un des 4X4. Dépêchez-vous !

En Caméléon obéissant, le prétorien se fend d'un salut respectueux, puis fait volte-face. D'un bond, je me rapproche de mon otage. Le regard que je lui lance et le Ka-bar à la lame rétractable avec lequel je joue ne laisse aucun doute sur la menace que je représente. 

— Bordel ! grincé-je. Pour la minuterie ou la télécommande ? Demandez-lui.

Au-dessus de nous, un éclair gigantesque déchire le ciel, phosphorescent comme la langue d'un serpent radioactif. S'agit-il d'une coïncidence ? L'alarme du bâtiment B1 se déclenche à nouveau et aussitôt, Sam recommence à tirer. 

—  Attendez ! crie le préteur afin de surmonter le bruit ambiant. Les explosifs, ils sont de quel genre ? 

Surpris, l'Impérial pivote sur lui-même. Loin derrière lui, la nuit flamboie, rouge, jaune-orangé et bleue. L'entrepôt E5 brûle d'un feu dévorant, les flammes montant vers les cieux comme si elles voulaient ouvrir, à travers les nuages, une route vers le Voyageur.  

— Mais quel besoin avez-vous de savoir ça ? demande le prétorien en revenant vers nous. Qu'importe la manière dont ces misérables meurent, pourvu qu'ils meurent ! 

Je songe à l'obliger à répondre à la question à grands coups de pied dans les fesses, mais la nouvelle déflagration qui se produit dans la réserve de gaz survient à point nommé pour m'en empêcher. Et tandis que les deux hommes lèvent leurs yeux vers l'incendie, je me tourne vers le hangar que les Impériaux s'apprêtent à réduire en cendres. Vu les ombres qui grouillent à proximité du bâtiment, je garde l'espoir de pouvoir sauver les pauvres gens qui paniquent à l'intérieur.

— D'après ce que j'ai compris, explique l'optio, il n'y a pas besoin d'explosifs pour tout embraser. Un peu de liquide inflammable, du gaz suffocant, une mèche lente et boum ! Nous voilà débarrassés de ces fumiers de terroristes...

La rage que j'avais réussi à contenir jusqu'à présent manque de me submerger. Non, mais quels enfoirés de merde ! Et des putains de copycats des milices hitlériennes en plus... Heureusement, mon programme zen se met en marche de lui-même. Imitant Nellie Oleson (1), je lui offre mon sourire le plus hypocrite.

— J'aurais plutôt tablé sur du TNT ou du semtex, dis-je d'un ton égal, mais vous avez raison, rien ne vaut les bonnes vieilles méthodes. 

— Vu les circonstances, grince le Caméléon en reportant son attention sur moi, on a fait avec les moyens du bord. 

D'instinct, je gonfle ma poitrine d'une longue inspiration. Pour mon malheur, il semblerait qu'il y ait un cerveau en parfait état de marche sous cette montagne de muscles.

— Mais qui êtes-vous pour vous y connaître aussi bien en explosifs ? Je ne crois pas vous avoir déjà vue dans ce Camp !

Sûre maintenant d'avoir affaire à un optio statorum (2), je le fixe, raide comme un HK418. Ce type, qui a dû mener des centaines d'interrogatoires, sait à coup sûr lire les expressions faciales et démêler le vrai du faux. Un seul regard dans la mauvaise direction et ma couverture est éventée !

— Je viens de Périgueux, tenté-je. Mon...

— C'est ma fille, intervient le préteur. Elle effectuait son service militaire quand le Black-Out est survenu. Je l'ai fait venir pour l'emmener à Carcassonne avec moi. 

Face à moi, le prétorien se fige, stupéfait. Je me tourne vers mon faux père et nos yeux se verrouillent comme des cadenas. Je ne sais pas si la peur donne des ailes, mais en tout cas, elle stimule les neurones. Entre la menace de mon couteau et celle du pistolet de Jesse qu'il devine dirigé sur sa tête, mon otage s'est surpassé.

Praetor, immunis, dit le prétorien, veuillez m'excuser ! Je ne savais pas...

— Normal, l'interrompt son chef, elle vient juste d'arriver. 

Un peu plus loin, sur les hauteurs, l'incendie brûle joyeusement, créant un étrange nuage de fumées toxiques qui fait rutiler l'horizon. Les flammes se tordent, dansent et avalent goulûment tout ce qu'elles trouvent sur leur passage. 

Je me fends d'un sourire gêné, telle une petite fille timide. 

— Visant la fonction d'hatiliarius (3), expliqué-je, j'ai commencé des études de chimie, pour me spécialiser dans les explosifs. Vous comprenez donc que votre travail ici m'intéresse au plus haut point. 

Un peu plus loin au sud, la sirène du bâtiment d'accueil se tait. En retombant, le silence fait autant de bruit qu'un couperet. 

— Vu l'électricité dans l'air et tous ces impacts de foudre, reprends-je, je me demande si ce ne serait pas une erreur d'allumer un deuxième feu...

— Nous allons y jeter un coup d'œil, me répond l'optio, maintenant mielleux à souhait. J'avertis nos pyrotechniciens. Ils attendront mon feu vert pour le grand barbecue.

Une fois de plus, la fureur m'envahit. Je parviens néanmoins à acquiescer sans rien montrer. 

— Je les préviens également de votre présence, continue-t-il. Mais vous vous inquiétez pour rien. L'incendie ne se propagera pas. L'entrepôt est suffisamment isolé.

Il hèle ses hommes qui patientaient à l'écart et leur désigne l'un des 4X4 du doigt. Ces derniers se mettent aussitôt en marche pour le rejoindre et l'apprenti nazi les suit, sa radio à la main. Il prononce quelques mots dans l'émetteur, se retourne vers nous, le pouce levé, puis monte à bord. Le conducteur démarre et le véhicule disparaît derrière le bâtiment. 

Avant même que mon otage ait pu réagir, je remplace mon couteau par mon Beretta dont je plante le canon sur ses côtes.

— Pas mal ! déclaré-je. Continuez ainsi et vous aurez la vie sauve...

Je l'entraîne vers le hangar et nous tournons à l'angle sud du bâtiment, hors de portée des passagers du Glisseur. Dans le ciel, les éclairs s'en donnent à cœur joie et le tonnerre roule avec force, dissimulant à la fois le tam-tam morbide du cœur de mon otage et un bourdonnement menaçant en provenance de l'héliport.  

Mais soudain, le préteur trébuche et tombe, la tête en avant. Comme il gémit à fendre l'âme, d'instinct, je me penche. Se relevant brusquement, il me décoche un coup dans l'arcade sourcilière qui éclate tel un fruit trop mûr. Le choc me projette en arrière, si violemment que mon crâne heurte le mur.

La douleur explose dans ma tête et ma vue se trouble. 

Le monde vacille.

Mes doigts s'ouvrent et mon arme tombe au sol dans un bruit sourd. 

Un humain lambda aurait tourné de l'œil. Il me suffit d'un battement de cils pour me ressaisir. 

L'un de mes logiciels neuronaux se met en marche. Aussitôt, la souffrance s'amenuise et ma vision s'éclaircit juste à temps pour me permettre d'apercevoir mon adversaire. 

Il a mis la main sur mon Beretta et s'apprête à le pointer dans ma direction.

Vite ! 

Je durcis les muscles de ma jambe gauche. Comme si on m'avait injecté de l'adrénaline pure, mon genou heurte brutalement son entrejambe. 

Une déflagration claque tout près de moi. Un souffle d'air tiède me frôle la joue, mais la balle se perd dans la nuit. 

Plié en deux, l'Impérial grogne hargneusement, la respiration hachée.  

Avant qu'il n'ait pu reprendre ses esprits, je fais tomber le pistolet d'un shoot bien assené, puis cloue mon ennemi au sol. Enfin, d'une pression sur la trachée, je lui coupe la respiration jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. 

Le bruit montant depuis le sud s'étant transformé en hurlement mécanique, je lève les yeux à temps pour assister au décollage du Super Frelon que j'avais remarqué sur l'héliport. Le vacarme est phénoménal et mon attention s'est relâchée. Est-ce pour cela que je n'entends que trop tard les pas en approche ?

Je bondis pour récupérer mon Beretta, mais une balle siffle à quelques centimètres de ma tête, suivie d'un ordre aboyé dans la nuit. 

— Pas un geste ! Sinon je vous descends...

Thibaut

Le comprimé de Sam se révèle aussi puissant que de la dynamite !

La baie-vitrée explose en milliers d'éclats de verre qui pleuvent sur nous. Malgré la table derrière laquelle je me suis abrité, le souffle me soulève tel un fétu de paille dans un ouragan. Projeté contre un mur, je retombe si brutalement au sol que j'ai l'impression d'avoir tous les os brisés.

Quelque part dans le bâtiment, une alarme se met en route, stridente et rageuse. 

Comme si elle n'avait attendu que ce signal, la douleur se réveille, cognant dans ma tête au rythme effréné de mon pouls. Au prix d'un immense effort, je réussis toutefois à décoller les paupières. Sauf que tout est noir. Une épaisse fumée a envahi la pièce, si dense que je n'y vois rien. 

Je tousse, la gorge en feu et les yeux brûlants. 

Rassemblant mes forces, j'essaie de me relever, mais retombe tel un poids mort. Mes jambes ne répondent plus. En désespoir de cause, je me hisse sur les bras et commence à ramper à la recherche de Jo. Pourquoi n'est-elle plus à côté de moi ? Et si je l'avais tuée ?

Un frisson viscéral me secoue. 

Tentant de retenir ma respiration, je continue à me traîner sur le sol. Soudain, ma main droite rencontre quelque chose de mou... quelque chose de chaud...  

Du caoutchouc ? 

Non, j'ai affaire à un être humain. Mais est-il mort ou vivant ?  À l'idée qu'il puisse s'agir de Jo, mon cœur s'emballe tel un cheval fou. 

D'instinct, je recule en roulant sur moi-même, mais mon dos heurte le mur et la douleur s'exacerbe, irradiante. Aussitôt, contre ma cheville, ma météorite se réactive, pulsant à l'unisson de mon pouls. Même si je m'en méfie un peu, je connais les vertus réparatrices de ses ondes. Je les laisse donc m'envahir et il ne me faut pas plus de quelques secondes pour me sentir mieux et me calmer.

Je plisse les yeux. Même s'il est difficile de distinguer quoi que ce soit à travers l'obscurité des émanations, il me semble bien que la silhouette allongée est revêtue d'un uniforme. 

L'espoir renaît, timide mais motivant. 

Par acquit de conscience, je me rapproche avec précaution et secoue la main de la personne étendue là.

— Jo ? demandé-je. C'est toi ?  

L'alarme fait un tel vacarme que je n'entends même pas le son de ma propre voix. N'obtenant ni réponse ni réaction, je fais glisser mes doigts le long du bras moulé dans un tissu rappelant le cuir, passe l'épaule et atteins le cou.  

Il baigne dans un liquide chaud et visqueux. 

Du sang.

Je retire ma main en hâte, mais c'est trop tard. Elle est déjà tout humide et gluante...

Ce prétorien est mort et c'est moi qui l'ai tué, aussi sûrement que si je l'avais visé avec mon Glock.   

J'en suis là de mes réflexions quand une détonation claque avec force dans la nuit. Sûr qu'il s'agit seulement de Sam qui commence son travail d'élimination, je repars à tâtons. Un second tir retentit, plus près cette fois, puis - est-ce lié ? - un étrange coup de vent chasse la fumée dans un coin du bureau, dévoilant tous les dégâts. Le sol jonché de verre et de gravats, les meubles disloqués, une cloison effondrée et le corps ensanglanté d'Olivia...

Vite ! Je redresse la tête à la recherche des deux autres occupants de la pièce. Si le deuxième prétorien semble s'être volatilisé, je ne tarde pas à repérer Jo. Plus chanceuse que moi, elle a fini sa course dans un ample rideau de velours, attaché dans une encoignure de la baie-vitrée.

Tandis que les coups de feu fusent les uns après les autres, nos regards se croisent. 

Elle est encore à moitié groggy, mais elle est en vie.

Elle est en vie !

Infiniment soulagé, j'essuie ma main sur mon tee-shirt, puis commence à ramper vers elle. Poussée par un courant d'air intérieur, la fumée a de nouveau pris le bureau d'assaut, tourbillonnant tous azimuts en de longues volutes ténébreuses. 

Je n'ai pas avancé d'un mètre que je sens une terrible décharge électrique me traverser la cheville. Immédiatement en alerte maximale, je surprends un mouvement rapide sur ma droite. Surgi de je ne sais où, Edwin pointe son arme en direction de Jo.

Choqué, je cherche à me lever pour me jeter sur lui, mais mes mains glissent et je m'étale à plat ventre sur le sol tel un sac de déchets. Je n'ai cependant pas le temps de m'en vouloir ou d'éprouver la moindre terreur. Une formidable détonation retentit et la tête du prétorien explose sous l'impact, du sang et des débris de cervelle volant partout dans la pièce.  

Alors que Jo se retient de hurler, il s'effondre lourdement sur le sol.

Sam.

Le meilleur des tireurs. Le champion du self-control. Le sauveur de demoiselles en détresse.

Je ne fais vraiment pas le poids face à lui. 

Comme pour saluer ce sauvetage in extremis, l'alarme se tait enfin et Sam cesse immédiatement ses coups de feu. Toutefois, le silence ne retombe pas pour autant. Les plaintes et les bruits de pas en provenance du hall prouvent que le sniper n'a pas terminé son travail.

— Jo, dis-je à mi-voix. Ne bouge pas, j'arrive.

Boosté par ma météorite qui m'insuffle complaisamment sa magie, je me glisse jusqu'au cadavre d'Edwin, m'empare de son HK418, me redresse, me plie en deux, bondis vers ma complice, agrippe son poignet et l'entraîne vers la sortie.

— Attends ! me chuchote-t-elle alors que nous passons près du corps d'Olivia. 

Elle se baisse et ramasse son fusil d'assaut. Je lui saisis à nouveau le bras et la conduis vers les décombres du mur derrière lesquels nous nous recroquevillons. Le vent ayant dissipé la fumée, l'air est beaucoup plus respirable et la lueur continuelle des éclairs illumine le hall d'une lueur mouvante.  

— La porte menant au sous-sol, gémit Jo, elle est à l'autre bout du couloir. Jamais on y arrivera !

Les ombres que nous percevons ici et là dans le hall ne sont effectivement pas de bon augure. Et si Domitien se trouvait parmi elles ? Et s'il avait déjà tué Liam ?

— T'inquiète ! réponds-je. Sam va nous couvrir. J'ai compté. Il lui reste encore douze balles...

— Mais comment pourra-t-il faire la différence entre les Impériaux et nous ?

Sans s'en rendre compte, juste comme ça, elle a posé sa main sur ma cuisse et la serre. Je tressaille. Impossible de rater l'occasion de ramener ma fraise.

— Les corps des Altérés émettent plus de chaleur que ceux des Neutres. Il nous repérera très facilement dans son viseur.

— Mais alors, s'énerve-t-elle, qu'est-ce qu'on attend ? 

— Ça ! dis-je, alors que l'alarme se réenclenche automatiquement. 

Au moment où j'attrape la main de Jo, son chéri recommence à tirer. 

Samuel

La baie-vitrée vole en éclats.

Et même si je savais ce qui allait arriver, malgré tout l'entraînement que mon père m'a fait subir, mon cœur manque un battement. 

Alors, histoire de ne plus penser à rien, je me concentre sur les taches de couleur dans le bureau. 

Trois.

Elles ne sont plus que trois.

Trois foyers de chaleur qui scintillent dans mon viseur. Deux brûlants de vigueur, ceux de mes amis, et un blafard, sur la terrasse. 

Quelque chose qui ressemble au bonheur me gonfle la poitrine ; j'envoie un sourire radieux au bâtiment dévasté.

La fiesta peut commencer.

Comme personne ne bouge, je dézoome légèrement et déplace le canon de mon AWN d'un tout petit millimètre pour en protéger l'entrée.

Bien m'en a pris. 

Tandis qu'une sirène d'alarme retentit à rompre les tympans, cinq halos se matérialisent dans ma lunette. Trois d'une pâleur fantomatique - des prétoriens -, et deux plus colorés, des civils qui ne tardent pas à disparaître de mon champ de vision, fuyant sans doute vers la sortie.

Pour leur malheur, les Caméléons, eux, ont décidé d'aller secourir leurs collègues sur les lieux de l'explosion. L'homme en tête de colonne, telle une sombre salissure dans ma ligne de mire, sera ma première cible. 

Je bloque ma respiration, ajuste ma visée et fais feu. Aussitôt, le sombre éclat disparaît. Je pointe la silhouette derrière lui, tire et l'abats, puis je réitère ce geste mécanique une dernière fois afin de faucher le troisième larron. 

Tout fier de moi, j'inspire, relâche une partie de l'air que j'ai inhalé et retiens à nouveau mon souffle. Je ne peux pas contrôler ma respiration plus de dix secondes sinon ma vision se troublera.

En bas, c'est l'affolement. Toujours sous le choc, les Impériaux n'ont pas compris ce qui leur arrive. Alors les uns cherchent à s'enfuir, les autres à s'abriter. 

Au milieu de cette Bérézina, quatre prétoriens trouvent pourtant le courage de se rapprocher de la pièce interdite. Vite ! J'enchaîne quatre headshots sur chacun d'eux, imaginant leur sale tronche de raclure pulvérisée sous la puissance de mes balles modifiées. 

La dernière tache de lumière disparue, je reporte mon attention sur les lieux de l'explosion, pile-poil au moment où le halo de l'Impérial s'avance vers ceux des Altérés. Évidemment, mon sang ne fait qu'un tour ! Cependant, allez savoir pourquoi - une intuition, peut-être -, j'éteins le module d'imagerie thermique afin de repasser en vision normale. 

Et là, je vois - oui, oui, je vois ! - le Caméléon lever son arme vers Jo. 

Sans hésitation aucune, je le vise et appuie sur la queue de détente. Aussitôt, sa tête éclate et il tombe à la renverse. 

Comme sidérée par cette belle prouesse, l'alarme se tait aussi sec, mais le silence semble pire. 

Tandis que je recommence à respirer, Thibaut rejoint Jo pour l'entraîner à l'abri d'une cloison effondrée. Comprenant illico leur intention de partir à la recherche d'un accés au sous-sol, je balaie scrupuleusement le hall avec ma lunette de visée. Si le long couloir s'avère déserté, la dizaine de silhouettes ténébreuses que je vois se rassembler à l'entrée ne me dit rien qui vaille.

L'espace d'un instant, je reste là immobile, sous la clarté clinique de l'orage, à regarder le bâtiment s'allumer et s'éteindre au rythme des éclairs. 

Et puis soudain, tel un signal prophétique, la sonnerie d'alarme reprend, aussi sinistre qu'un glas. Aussitôt, je réenclenche le module alien et les ombres obscures des prétoriens se changent en éclaboussures de lumière. 

Ces fichus salopards ont-ils compris que nous venions chercher le prisonnier ? La décurie de fortune s'organise en deux colonnes, l'une montant la garde près du mur opposé, l'autre commençant à ramper au sol vers le bureau.

J'avale une longue goulée d'air, puis coupe ma respiration. Aussi impassible que si l'on m'avait coulé du béton dans le cœur, je fais feu. Les balles modifiées jaillissent du canon, sifflent dans l'air, puis traversent le vitrage blindé. Et même si je ne les vois pas atteindre leur cible, je sais qu'à chaque fois je mets dans le mille. Dans ma lunette thermique, les points lumineux cessent les uns après les autres de scintiller.

Je tire cinq coups, je respire, je bloque mon souffle, je tire cinq coups...

Oui, ce putain de flingue est une véritable tuerie !

Mais comme je ne vois plus aucune phosphorescence et que de toute façon, il ne me reste que deux balles, j'éloigne mon index de la queue de détente, puis coupe le module alien. Ceci fait, j'étudie à nouveau le hall, mais puisque je ne vois plus aucun mouvement, j'en déduis que mon job est accompli.

Parvenus à la même conclusion, Jo et Thibaut sortent de leur cachette. Histore de sécuriser leur progression, je les suis dans ma lunette de visée jusqu'à l'entrée où je les vois disparaître derrière une porte. Vite ! Même si je ne peux plus guère grand chose pour eux, je rallume l'imagerie thermique afin de vérifier si des Impériaux ne traînent pas encore dans ces oubliettes.

Hormis leurs deux halos, deux brasiers rouge-vif qui descendent à pas comptés, mon instrument n'en accroche qu'un troisième, une fluorescence étrangement palpitante, comme un oiseau terrorisé qui battrait des ailes.

Dans un instant de surprise hagarde, mon cœur manque de s'arrêter. L'alarme se tait à nouveau et le silence m'enveloppe de son angoisse inextinguible.

Il n'y a qu'un seul être vivant dans ces sous-sols.

Un seul !

En entendant les combats, Domitien aurait-il achevé Liam ? 

Comme me perdre en de vaines conjectures ne fera pas avancer le schmilblick, je réfléchis à plier bagages pour aller retrouver Florian et Medhi quand les échos d'un vrombissement plus qu'inquiétant viennent perturber mes oreilles. Le Super Frelon que j'ai remarqué sur l'héliport s'apprête à décoller. Ses passagers cherchent-ils à fuir ? À me tuer ? À débusquer mes amis ? La solution la plus simple serait de courir me mettre à l'abri. Mais maintenant, vous me connaissez. Je ne suis pas du genre à battre en retraite devant des ennemis !

Après avoir éteint mon module high-tech, je colle à nouveau mon œil au viseur et balaie l'horizon à la recherche de ma nouvelle cible...

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(1) Nellie Oleson : petite fille gâtée et manipulatrice, antagoniste dans la série La Petite Maison dans la Prairie. 

(2) Optio statorum : Sous-officier de police militaire. 

(3) hatiliarius : maître d'armes. 

********************

Désolée de mon long silence ( 3 semaines), mais j'ai eu tellement de travail que je n'ai pas toujours trouvé de temps à consacrer à l'écriture... J'ai bloqué sur Galilée et Sam, puis j'ai eu du mal à faire correspondre les trois chapitres... Dire que pour le final du tome 3, j'ai prévu 7 ou 8 actions concomittentes !!! 😭

Galilée semble en mauvaise posture. Sam risque gros s'il se décide à affronter le Super Frelon. Quant à Jo et Thibaut, on ne sait pas dans quel état ils vont retrouver Liam... 😨😱

Affaire à suivre ! 🙄

Merci pour votre patience ! Bisous. Bon week-end ! 💖🥰😘

Si cet épisode vous a plu, n'oubliez pas la petite étoile. ⭐





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