Chapitre 23-3

(Nord Quercy - Camp de Gourdon 6 septembre 00h01)

Liam étant prisonnier de Domitien, ses amis ont décidé de le libérer en attaquant le Castrum de Gourdon. Tandis que Sam est posté en sniper sur une colline en face, Galilée s'infiltre incognito dans le Camp munie d'explosifs. Sa mission à elle est de créer une grosse diversion, mais la nouvelle que les Impériaux vont brûler vifs les otages qu'ils ont enfermés dans un hangar l'amène à changer ses plans. 

Thibaut et Jo, eux, ont pris place dans un Glisseur, en compagnie de Jesse et David, déguisés en prétoriens. Grâce au pouvoir de persuasion de la jeune fille, les gardes postés au portail les laissent entrer. Thibaut a bien précisé son identité et expliqué qu'il voulait voir d'urgence Domitien parce sa sœur a été enlevée et que ses ravisseurs demandent une rançon.

Arrivé au bâtiment B1, où grâce au plan trouvé par Sam, ils savent que se trouvent les salles d'interrogatoire, ils sont interceptés par trois prétoriens, un centurion et ses deux munifices, une femme à la fibule orange et un jeune Rouge. Après quelques pourparlers, les Impériaux semblent convaincus, mais le centurion réquisitionne le Glisseur de Jesse et David pour évacuer le préteur (le chef du Camp). Ils filent le chercher à l'autre bout du Complexe...

Rappel : lorsqu'elle est descendue prévenir Domitien que Thibaut le réclamait, le tueur a confié à la prétorienne son appareil anti-Altérés. 

Galilée

Il existe des moments dans la vie où tout vous sourit. 

L'orage s'est éloigné. Si le tonnerre roule encore au loin, renvoyé par l'écho, la nuit est retombée sur le casernement et les ténèbres m'enveloppent, tels les bras de la mère que je n'ai probablement jamais connue. Assurée de ma quasi-invisibilité, je file tout droit vers ma destination, la masse compacte d'un gros hangar carré qui se découpe dans la nuit.  

Lorsque j'avais étudié le plan de Sam, le pictogramme qui signalait l'entrepôt E5, le triangle du feu, avait immédiatement suscité mon intérêt. Pour quelqu'un qui compte causer une grosse explosion, ce symbole, c'est comme un panneau McDonald's pour un addict à la junk food ou le jingle de BMIflix pour un sériphile, du pain bénit. 

Arrivée au niveau d'un vaste espace dégagé, je stoppe net, histoire d'observer la porte à double battant qui condamne l'entrée du bâtiment. Mais à peine me suis-je figée dans l'ombre qu'une odeur inhabituelle vient me chatouiller le nez, un relent sulfureux, comme si on avait laissé des myriades de choux se décomposer sur place.  

Au risque de m'empoisonner, j'affine mon odorat et respire un grand coup. 

Aussitôt, la puanteur du gaz sature mes récepteurs olfactifs. Sentant mes narines me picoter, mes sens s'obscurcir et mes forces m'abandonner, je reviens sur-le-champ en mode humain. Redevenue moi-même, j'étudie la constuction basique qui me fait face, sa façade décrépite, ses murs aveugles, son portail trapu et son toit moussu. 

Elle ne paie pas de mine, mais comme je ne compte pas m'inscrire à Maison à vendre, cela n'a aucune importance. 

Au contraire. 

Un bâtiment délabré s'effondre plus facilement. 

Je me rapproche de l'entrée qu'une bonne vieille serrure à gorges maintient fermée. J'affine mon ouïe, puis comme je ne perçois aucun mouvement à l'intérieur, je réunis toutes mes forces dans ma jambe droite et assène un violent coup de pied dans la porte.

Elle cède. J'entre. 

Aussitôt, mon regard se pose sur les quatre immenses cuves qui trônent devant moi. Elles mesurent au moins trois mètres de haut et sont reliées à de grosses conduites métalliques qui s'enfoncent sous la terre, sans doute pour alimenter en gaz les lieux de vie. 

Me retenant de hurler ma joie, je m'avance et me glisse sous un tuyau reliant deux réservoirs. J'installe dessus mon explosif et les détonateurs, puis regarde ma montre. 

Minuit pile.

Après maints et maints calculs, Thibaut, Sam et moi avions décidé que ma diversion devrait avoir lieu vers les zéro heure quinze. J'ai donc largement le temps de rallier le hangar dans lequel les prisonniers ont été bouclés.

Je programme le dispositif de mise à feu automatique. 

Je sors et m'élance. 

Je passe le coin de l'entrepôt E8 quand un véhicule photochromique me dépasse vitesse grand V.

Un Glisseur.

Et pas n'importe lequel.

Le mien.

Ou plutôt celui que j'ai confié à David pour conduire Thibaut et Jo jusqu'au Complexe. 

J'ai reconnu les rayures sur son flanc droit et il m'a bien semblé identifier le jeune médecin et son chéri, assis à l'avant... Mais que fichent-ils ici, si loin de l'accueil ?

J'étouffe un juron et accélère. 

Cinquante-trois secondes me suffisent pour rallier mon objectif. Les prisonniers ont tous été enfermés et si l'intérieur retentit de leurs gémissements, l'esplanade devant le hangar est bien calme. Il ne reste que deux 4X4, une camionnette, les artificiers qui achèvent de piéger le bâtiment et trois milites qui discutent avec un civil.

Je me coule derrière le tronc d'un marronnier, à quelques mètres du Glisseur arrêté au sommet d'un tertre. Sa portière arrière gauche s'ouvre sur un prétorien, un vieux de la vieille, puissant et trapu. Il s'étire dans l'obscurité, puis se dirige vers le petit groupe d'Impériaux.

Vite ! Je me plie en deux pour rejoindre le véhicule avant que son conducteur ne redémarre. Mais je n'ai pas fait trois pas que les portières avant se relèvent et que ses occupants en sortent. David et Jesse armés jusqu'aux dents...

— Par Jupiter ! m'exclamé-je à voix basse. Vous partez en guerre ?

Mes deux alliés sursautent comme un seul homme.

— Bordel, Galilée ! proteste Jesse. Tu nous as fait peur.

— Mais qu'est-ce que vous foutez là, aussi ? Vous devriez déjà être sortis du Camp.

Je secoue la tête. Quels abrutis ! La guerre est une chose trop grave pour la confier à des civils... (1)

— Ce bâtard de centurion, explique David. Il a réquisitionné notre Glisseur pour évacuer le préteur. 

— Et comme une catastrophe n'arrive jamais seule, continue David, ces enflures se préparent à exécuter des dizaines d'otages. Ils vont les brûler vifs dans ce hangar.   

Je les fixe. Une idée vient de germer dans mon esprit. 

— Je sais, affirmé-je, et j'ai un plan. 

Je le leur explique. David acquiesce, mais Jesse refuse de prendre le flingue que je lui tends.

Il refuse mon flingue ! 

Un Glock 30 ! Le meilleur des pistolets qui soient. 

Liam avait raison. Ce type est peut-être canon, mais c'est un véritable couillon. Alors, comme je n'ai pas de temps à perdre en raisonnements futiles, je dégaine mon arme fatale, mon Wikipédia mental.

— Clément Adler, récité-je, entré dans la légion étrangère à l'âge de dix-sept ans. Il s'y distingue par sa bravoure et son élan. En l'An 1, il s'engage dans l'armée régulière du Second Empire Romain avec l'idée d'y faire carrière, et il y réussit brillamment, puisqu'on le retrouve en 8 comme Conseiller au Ministère de la Guerre. Ses préconisations devaient être excellentes ! Quelques mois après, le voilà propulsé au poste de consultant auprès de Son Impériale Majesté. Y a-t-il eu incompatibilité de caractère ? Les arcanes de la politique politicienne ont-elles lassé le valeureux militaire ? Ou sa conscience l'aurait-elle enfin titillé ? Notre vétéran prend soudain sa retraite anticipée pour aller s'enterrer dans le fin fond du Lot avec femme et enfants. Ses économies substantielles lui permettent d'acquérir une ruine médiévale qu'il fait restaurer pour la convertir en hôtel. Toutefois, comme s'il refusait de renier son passé, il a dispensé à ses deux fils un rude entraînement militaire. 

Lorsque je stoppe enfin ma logorrhée, Jesse est aussi blanc que les urinoirs du complexe où j'ai grandi. Un silence file que David finit par rompre.

— Par le Voyageur ! T'es sacrément flippante...

— Mais surtout efficace, le coupé-je. Tout ça pour dire que ton chéri a appris à manier un flingue et que si les circonstances l'exigent, il saura tirer. Alors maintenant, exécution !

Aussi obéissant que Nono, le gentil robot(2), les deux garçons opinent du chef. Tandis qu'Adler Junior s'empare de mon pistolet, je récupère mon couteau. Dans le hangar, les plaintes et les appels des prisonniers se sont transformés en hurlements dont la violence me pénètre jusqu'aux os et sature mes oreilles. 

Vite ! Je me hâte de régler mon ouïe de façon à ne percevoir que les sons autour de ma position, puis reviens me cacher derrière mon arbre. 

Juste à temps.

Le centurion regagne le Glisseur, accompagné du préteur, un type plutôt petit, dégarni et rondouillard. Dans son désir de se maintenir au niveau de son subordonné, le haut gradé presse le pas, se dandinant comme un dindon. Avec sa calvitie naissante et sa démarche pataude, il me fait penser à Oswald Cobblepot, le Pingouin de Gotham City. 

En alerte maximale, je resserre mes doigts sur le manche de mon Ka-bar. Je suis sûre que c'est cet enfoiré qui a pris la décision d'exécuter tous les prisonniers restants et que s'il venait à mourir, ses alliés eux-mêmes danseraient autour de son cadavre. 

Voyant les deux Impériaux s'immobiliser à côté du Glisseur, David et Jesse se raidissent en un salut romain très réussi, puis reprennent leur place à bord. La portière arrière droite se relève, mais le préteur ne monte pas.

Il ne monte pas !

— Perrez, s'enquiert-il, d'où sortent ces officiers et ce celerrimum ? Je ne les ai jamais vus dans le Camp...

Je me raidis. Si l'artisan de cet holocauste n'a pas le physique du Docteur House, il en a l'intelligence et la réactivité.

— J'ai mobilisé les renforts que l'on nous a envoyés pour assurer votre évacuation.

— Charmante attention ! grince l'officier. 

Il pose sa main gauche sur la carlingue et son centurion l'aide à s'installer. Puis, pendant que la portière se referme, l'Impérial contourne le Glisseur par l'arrière pour prendre place de son côté. 

Aussitôt, ma vision se focalise sur le cou du prétorien, là où son pouls bat à toute allure, son seul point vulnérable. Je lève le bras et lance mon couteau, d'un geste puissant et précis.

Le doux son que produit la lame en s'enfonçant dans la chair me cause un plaisir incomparable.

Dans un mouvement instinctif, ma victime porte les mains à sa blessure avant de trébucher en avant et de tomber dans le Glisseur. Je bondis, rattrape le corps, le pose à terre et arrache le couteau. Le sang coule à flots de la plaie béante. 

Je monte à la place que le mort devait occuper.

Jesse a posé le canon de mon pistolet sur le front du préteur. Mâchoire crispée et yeux mauvais, l'ex de Liam ressemble soudain à Joffrey de Games of Thrones

— Qu'est... qu'est-ce que vous voulez ? bégaye le Pingouin. 

Je n'ai pas le temps de lui répondre. L'entrepôt que j'ai piégé explose dans un fracas de fin du monde.

Joséphine

Thibaut me rattrape et nous passons enfin la porte. 

À la vue de la prétorienne qui nous attend dans le hall d'accueil, sourcils froncés et mâchoire crispée comme si elle se rendait au Bal du Diable (3), un long frisson me parcourt le corps. Qu'est-ce qu'elle fiche encore ici, cette démone ? Ne devrait-elle pas déjà avoir rejoint son vieux pote, Domitien ?

Je la fixe, prête à m'attaquer de nouveau à son esprit, quand elle me devance en prenant la direction des opérations.

— Edwin, ordonne-t-elle à son binôme, tu les conduis dans le bureau de Perrez et tu leur tiens compagnie jusqu'à mon retour. Je descends prévenir le Dux

Elle demi-tourne et s'avance vers une porte dissimulée dans un coin, à côté d'un distributeur de boissons. Impossible de dire pourquoi, inconscience ou témérité, je lui emboîte le pas et l'aurais suivie jusque dans l'antre du bourreau, si le canon d'un HK418 ne m'avait pas barrée le chemin

— À supposé que tu tiennes à la vie, puella, s'amuse le propriétaire dudit fusil, je te déconseille cette direction. Domitien déteste les greluches dans ton genre. Il déteste tout le monde d'ailleurs.

Je recule, épaules basses. La peur coule dans mes veines comme de l'eau glacée. 

— Allez, on avance ! continue notre gardien en montrant le couloir avec son arme. C'est la pièce au bout.

Mon prétendu chéri enroule son bras autour de mon épaule et nous nous mettons en route. Dans mon dos, la présence d'Edwin constitue une ombre si menaçante qu'à l'intérieur de ma tête, le chaos est total. Qu'est-ce qui m'a pris de vouloir aller moi-même trouver Domitien ? Il m'aurait reconnue et ç'aurait été la cata...

Sentant mon trouble, Thibaut me presse contre lui, ce qui me ramène illico à la réalité, la longue galerie vitrée que nous remontons sous les regards curieux des quelques Impériaux encore sur place. Nos souffles résonnent. Rauques et saccadés. Alourdis par l'angoisse. Liam est-il même seulement encore en vie ?  

Nous nous figeons devant une porte entrebâillée.

— Mais qu'est-ce que vous attendez ? s'énerve Edwin. C'est ouvert. Avancez...

L'ordre a claqué si sèchement que je tressaille de tout mon être. Moins émotif que moi, Thibaut pose sa main sur la poignée et pousse le battant. 

Nous entrons.

Notre custos s'empresse d'allumer une espèce de lampe à pétrole et aussitôt, une lumière rousse s'élève en projetant des ombres mouvantes sur les murs. 

Je balaie la pièce du regard.

Immense, elle ne contient qu'un grand bureau, une petite table, quatre chaises à roulettes, des étagères vides et une poignée d'ordinateurs morts, relégués dans un coin.

Sans même en demander la permission, Thibaut s'affaisse sur l'un des sièges, à l'opposé de la porte. Il affiche une mine excédée, à la limite de la rage. Je sais toutefois qu'il ne s'agit que d'une façade. L'œillade qu'il m'a adressée est explicite. 

À moi de jouer...

Je me dirige vers la baie-vitrée, puis fixe le ciel sombre et les silhouettes fantomatiques des collines. De temps à autre, une lueur lointaine perce les nuages, dissipant l'obscurité et ravivant le panorama. Vite ! Je m'étire de tout mon long, autant pour faire signe à Sam que pour monopoliser l'attention d'Edwin. 

— Vous avez une sacrée vue d'ici, m'exclamé-je. Mais qu'est-ce qu'il fait chaud !

Je retire mon sweat en le faisant passer par-dessus ma tête. Et comme je me retrouve en crop top devant lui, le munifex ne peut s'empêcher de baisser les yeux sur mon piercing au nombril, une petite pierre imitation rubis. Aussitôt, mon sang gronde dans ma poitrine. Ces mecs... Tous les mêmes ... Ils ne pensent vraiment qu'à ça ! 

Puella, se rebiffe le légionnaire, vous devriez aller vous asseoir à côté de votre compagnon. 

Comme il n'en est pas question, que mon job est d'occuper ce pauvre appelé pendant que Thibaut fait ce qu'il a à faire, j'attrape son regard et plonge illico dans sa tête.

— Regarde-moi ! lui intimé-je muettement. Ne bouge plus. 

Coopératif, le conscrit se fige sur-le-champ, me laissant docilement explorer ses pensées.  

Sous ses airs bravaches, le miles est complètement perdu, déchiré par l'angoisse. Très inquiet pour les siens, il a songé à déserter pour les rejoindre, pourtant il ne s'y est pas encore résolu. Nombre de ses amis s'y s'ont essayé, mais tous ceux qui ont été rattrapés ont été exécutés. Et puis, il ne se trouve pas si mal que ça, dans la légion. On lui offre le gite, le couvert et même un certain sentiment de sécurité...

À la recherche d'infos supplémentaires sur Liam ou Domitien, je m'enfonce plus profondément dans son esprit. Mal m'en a pris ! Mon pouls accélère soudain et je perds pied avec la réalité. 

Sa peur est ma peur. Ses pensées sont mes pensées. Son quotidien est mon quotidien. 

Comme à chaque fois que je m'attarde trop dans une conscience étrangère, je ne maîtrise plus ce que j'éprouve. Je ressens chacune des émotions de ma victime avec une intensité telle que je n'en sors jamais indemme. Trafiquer le cerveau d'un pauvre innocent, même si ce n'est que pour un instant, n'est pas anodin. Je conserve toujours en moi une empreinte de la personnalité que j'ai violentée, comme si je lui avais volé un tout petit morceau de son âme. 

— C'est à cause de l'Alliance du Nord que vous évacuez ? demandé-je à haute voix, histoire de rompre le silence qui m'oppresse. Ses troupes se rapprochent ?

Edwin papillonne des paupières, puis s'adosse contre le mur. Cet Impérial est aussi un homme, qui ne désire qu'une chose, vivre, et qui va sans doute mourir ce soir à cause de nous. Je déteste ma vie et ce que je suis devenue ! Mais je déteste encore plus Domitien...

— Elles ont déjà envahi les Hauts de l'Ancienne France, me répond-il d'une voix pâteuse. Mais les différents cataclysmes, tempêtes, tremblements de terre et éruptions volcaniques ont eu raison de leur avancée. Elles ont pris leurs quartiers d'hiver à Paris. 

Redoublant ma pression sur son cerveau, je vois ses yeux s'éteindre encore davantage.  

— À quelque chose malheur est bon ! commenté-je. Mais vous, alors ? Où vous rendez-vous ? À Carcassonne ?

Il acquiesce. Sentant que mon emprise sur lui est totale, je m'autorise à jeter un œil vers la baie-vitrée. Les éclairs ont cessé d'illuminer le ciel et l'obscurité forme comme un rempart entre le Complexe et les collines. Sam est quelque part, là-haut, à veiller sur nous. Sam, mon Sam...  

— Mais pourquoi tous courir vous réfugier précisément dans ce Camp ? m'entêté-je. Qu'est-ce qu'il a de plus que les autres ? 

— Si l'IMP y a établi l'une de ses résidences, ce n'est pas un hasard. Ce Castrum est le plus moderne de tout l'Empire. Il dispose d'un centre de recherches expérimentales, de serres immenses, de cultures hydroponiques souterraines, d'un arsenal militaire phénoménal et d'une défense à toute épreuve. Il paraît même que l'électronique y fonctionnerait encore.

Je hoche la tête. Sans nouvelles de Thibaut et de ses préparatifs, je songe, l'espace d'une seconde, à pivoter vers lui pour voir où il en est. Mais je renonce tout aussi vite. Si je perds mon ascendant sur Edwin, il va se tourner vers mon soi-disant petit ami, comprendre ce qu'il trafique et appeler à l'aide... Impossible de prendre ce risque !

— Et les prisonniers, m'enquiers-je, parce que c'est ce qui me préoccupe le plus, vous les emmenez aussi là-bas ?

La paupière gauche du légionnaire tressaille. Aussitôt, la honte m'accable à nouveau, tel un coup de poignard dans la poitrine. Toutefois, Edwin ne me laisse pas le temps de culpabiliser davantage. Je vois son expression changer et sens son esprit se fermer, comme si l'apprenti prétorien tentait de prendre mentalement ses distances. Cherche-t-il à m'échapper ? À me cacher quelque chose ? Ou le sort que ses collègues réservent à leurs otages est-il si affreux que le jeune homme refuse d'affronter la réalité en face ?

Une peur glaciale remonte le long de mon échine. Dans un état second, je pousse encore plus avant mon intrusion au sein de ses pensées et ses résistances se brisent. Un flot d'images m'assaille, sombres et floues pour la plupart, mais parfaitement nette pour l'une d'entre elles. 

Un bâtiment en feu.  

Un bâtiment où une centaines de gens a été enfermée sans aucune possibilité de fuite. 

Cela me rappelle tellement le massacre perpétré par les SS à Oradour-Sur-Glane que l'effroi m'étreint. Et moi qui commençais à m'apitoyer sur le sort des derniers Impériaux restés sur place ! Ils ne méritent que la mort, et c'est nous qui la leur donnerons...

— Mais bordel ! crié-je tout haut. Ces barges ne vont quand même pas tous les brûler vifs ?

À l'orée de mon champ de vision, Thibaut laisse échapper un cri de surprise, comme le glapissement d'un petit animal blessé. Néanmoins, cette fois, malgré l'horreur de ce que je viens d'apprendre, je ne me déconcentre pas. Pire ! Je raffermis mon emprise sur le cerveau de mon pantin... 

— Juste une minorité, me répond le légionnaire, scellant ainsi son sort. Ceux qui avaient déjà un pied dans la tombe, les gringalets, les abrutis, les malades et les vieux. Les taulards qui peuvent encore avoir leur utilité ont déjà été conduits ailleurs dans l'Empire, tant le besoin de main d'œuvre est grand... 

Un frisson me parcourt. Non, mais quel infâme salopard ! Loin du garçon innocent que je croyais qu'il était, Edwin a parfaitement sa place dans la Garde Prétorienne... 

— Mais où ont-ils été déportés ? m'enquiers-je, morte d'inquiétude pour mes parents. 

L'appelé secoue la tête. La peur m'a-t-elle fait perdre mon self-control ? D'un coup, le regard de mon zombi semble s'aiguiser, défiant et dédaigneux.   

— Secret défense, me répond-il. Sans doute vers l'Ouest. La rumeur dit que Son Impériale Majesté s'y fait bâtir une cité high-tech...

Il n'achève pas sa phrase. L'odeur âcre du tabac vient soudain nous titiller les narines et nous pivotons de concert vers Thibaut.  Rassurée qu'il soit parvenu à ses fins, j'avale une grande bouffée d'air. Mais l'accélération des événements ne me laisse pas le temps de me réjouir. Ma connexion avec Edwin se coupe d'un coup, un terrible mal de tête m'étreint, mon cœur s'emballe et un frisson électrique me secoue. Victime du même mal, mon complice pousse un terrible soupir, la cigarette qu'il a allumée tremblant au bout de ses doigts.

La porte s'ouvre à la volée ; de retour de sa descente aux Enfers, Carrie entre dans la pièce...

Thibaut

— Nom de Zeus ! Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Edwin, c'est quoi ce bordel ?

L'accusation de la prétorienne rebondit dans le bureau, telle une balle de ping-pong dopée à la techno alien. Toutefois, malgré la douleur qui me vrille le crâne et la nausée qui m'enserre l'estomac, je ne bronche pas. M'inspirant de mon père, je prends mon air le plus hautain possible. C'est moi qui dois avoir le contrôle, et non ces sous-fifres qui se croient tout-puissants, juste parce qu'ils tiennent un fusil dans leurs mains.

— Rien du tout, Olivia ! se défend notre gardien, à peine remis de l'intrusion de Jo dans son esprit. On discutait, sans façon...

— J'en ai vraiment marre de toutes ces suspicions ! le coupé-je, à fond dans mon rôle de patricien prétentieux. On me traite comme un coupable alors que je ne suis qu'une victime. C'est le monde à l'envers...

Les yeux bruns de l'Impériale se posent sur moi, furibonds. Elle était déjà sur les nerfs tout à l'heure et sa visite au Dux semble l'avoir encore échauffée. Elle me fait l'effet d'un flacon rempli de nitroglycérine prêt à exploser à la moindre alerte.

— Et puis, embrayé-je, qu'est-ce que vous fichez ici, seule ? Où est Domitien ? Je croyais que vous étiez allée le chercher ! 

Bien que j'aie la cervelle en compote à cause du dispositif anti-Altérés qu'Olivia cache dans son holster de ceinture, je décide de passer à la deuxième partie du plan. J'amène ma cigarette à mes lèvres et en inspire une longue bouffée que je relâche peu à peu. Comme si j'avais fait cela toute ma vie, la fumée bleutée monte tranquillement se perdre au plafond et sa puanteur âcre se répand dans la pièce, suffisamment forte pour incommoder les personnes présentes. 

Prise de court, Olivia grimace, mais elle ne proteste pas. Sans doute l'homme au grand manteau noir lui a-t-il recommandé de me ménager ? 

— Le Dux arrive dans quelques minutes, me répond-elle. Il a d'abord un détail à régler. 

L'espace d'une seconde, j'ai l'impression que la prétorienne vient de me ceinturer le cœur d'un nœud coulant qu'elle commence à resserrer. Mais au lieu de me tétaniser, la main invisible de la peur me pousse à agir. 

Je me lève si brusquement que ma chaise à roulettes cogne le mur derrière moi avec fracas. 

— Je me demande bien, sifflé-je, ce qui peut bien être plus important que le sauvetage de ma sœur !

Olivia fait claquer sa langue.

— L'élimination des agents de l'ennemi, me répond-elle, tranchante. L'avenir de l'Empire, la survie de tout un peuple...   

Piégé par la logique de ce raisonnement qui aurait pu être le mien, je tire une bouffée furieuse de ma cigarette, puis la recrache sur le visage des prétoriens. Un nuage de fumée si épais qu'il les oblige instinctivement à fermer les yeux...

Une fraction de seconde me suffit pour planter d'un mouvement furtif, mon mini-crayon détonateur dans la boule gluante et visqueuse que j'ai collée sous le bureau. Une invention géniale, m'avait dit Sam quand il m'avait montré cette matière mystérieuse. On dirait un banal chewing-gum, alors qu'il s'agit en fait de l'explosif le plus concentré qui ait jamais été créé. 

Quand les paupières des deux Impériaux se relèvent, j'ai déjà rejoint Jo que j'enlace. L'air de rien, nous nous réfugions près de la petite table en fer forgé reléguée dans un coin.

Je regarde ma montre - 00 h 12 -, puis le silence retombe dans la pièce, funeste et oppressant. Les secondes qui s'égrènent sont autant de petits coups de poignard qui me mettent au supplice. Mes pensées commençant à dériver vers Liam, je me force à réfléchir à la drôle de substance fournie par Sam. Sa consistance me rappelle le semtex, mais je doute que cela en soit. On dirait plutôt que l'espèce de pâte à modeler n'est là que pour assimiler le produit explosif et mieux le dissimuler. 

J'en suis là de mes réflexions quand une détonation, comme un coup de pistolet, retentit en provenance du sous-sol. Tandis que les visage de nos gardiens se décomposent, deux nouvelles déflagrations claquent, suivies d'une quatrième, quelques secondes plus tard.

— On ne bouge pas, déclare Olivia à Edwin. Ce doit être Domitien qui a achevé le prisonnier.

Mon estomac se noue dans un instant de surprise hagarde. Contre moi, ma fausse petite amie frissonne de la tête aux pieds. 

— Quatre coups ? remarqué-je, intrigué et soupçonneux. Ce dernier devait être rudement coriace... 

Jo se retoune vers moi et son regard s'ancre dans le mien, si intense, si bouleversant ! Des bribes de conversation, ainsi que les échos d'une agitation brouillonne, nous parviennent depuis le hall d'entrée. Mais nous n'aurons pas le temps de nous angoisser davantage, l'explosion qui se produit loin dans le Complexe, la diversion opérée par Galilée, me sort de ma paralysie. 

Bandant mes muscles, je renverse la table, pousse Jo derrière elle et me laisse tomber à ses côtés pour me mettre à couvert. 

Et avant que nos gardiens n'aient le temps de réagir, c'est la pièce qui éclate à son tour...

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(1) La guerre est une chose trop grave pour la confier à des civils : parodie de la célèbre phrase attribuée à Clémenceau : la guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires.

(2) Nono, le gentil robot : allusion au dessin animé Ulysse 31

(3) Carrie au bal du Diable : film de Brian de Palma, adaptation de Carrie, premier roman de Stephen King. 

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Désolée pour cette fin si abrupte ! J'avais aussi prévu le point de vue de Sam, mais cela aurait été trop long et de toute façon, je n'ai pas eu le temps de le récrire. 😭😂

Désolée aussi pour les facilités de scénario et les gadgets, un reste de l'ancienne version. 

À bientôt avec les voix de Sam et de Liam. On connaîtra enfin le plan de Tex et on comprendra à quoi correspondent ces coups de feu. 😨

Merci de continuer à lire. Si vous avez apprécié, n'oubliez pas la petite étoile. Cela fait toujours un bien fou... 💖💓

Bonne fin de week-end. Bisous.  🥰😘

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