Chapitre 23-2

(Sud Quercy - Tuc-Haut 5 septembre 23h50)

Chloé a perdu toute son énergie en tentant de soigner Rémy après avoir fait feu sur les prétoriens qui l'ont capturée. Elle est tombée dans un profond sommeil et ne s'est même pas rendu compte de l'arrivée au Tuc-Haut. 

Ses amis étant partis sauver son Papa Liam, elle se réveille dans une chambre inconnue. Thibaut lui a demandé de guérir Rémy, mais la fillette n'a pas trop envie d'obéir et préfère s'amuser à créer des boules de lumière qu'elle appelle "ses lustres de voyage". 

À l'arrivée de Sampa, elle se décide enfin à se lever. Elle sort dans le couloir et guidée par la chienne, parvient à la chambre de Rémy.  

Chloé

Je pose ma main sur le bouton de la porte, pourtant mes doigts refusent de le tourner. Et s'il y avait un gros monstre caché derrière, un T. rex, ou encore plus pire, un Domichien ?

Juste en cas, je recule.

— Parfois-joli-papillon-ton-manque-de-logique-m'inquiète-vraiment-Les-dinosaures-ont-disparu-de-ta-planète-depuis-66-millions-d'années-Quant-à-l'humain-dont-tu-parles-je-ne-vois-pas-comment-il-se-serait-téléporté-à-l'intérieur-de-cette-pièce !

Je me stoppe. Mon cœur tape comme un tambour fou.

— Ben quoi ? Tu me parles dans ma tête, et pourtant t'es qu'une énorme pierre qui vit très très loin dans l'espace ! Alors, tout est possible...

Je me tais à la recherche d'une idée pour lui clouer la voix. Je me mordille le pouce quand soudain, ça fait tilt dans mon cerveau encore plein de sommeil. 

— Surtout depuis que tu es arrivé ! 

Vesqué qu'une petite fille de six ans ait plus raison que lui qui est si vieux, mon Papa du ciel se tait. Je réunis tout mon courage, ouvre et pousse la porte. Aussitôt, Sampa bondit dans la chambre, suivie par mes lustres de voyage. J'attends un peu, mais comme j'entends ni cri, ni fusil, ni ouaf, ni rien, j'avance un pied, puis l'autre.

— Si-ça-peut-te-tranquilliser-adorable-fourmi-je-peux-te-promettre-que-l'homme-qui-t'effraie-n'est-pas-ici-Lui-aussi-je-peux-le-localiser-Il-est-à-Goudon-avec-ton-ami-Liam...

Si ce gros idiot de caillou voulait me rassurer, c'est rapé. Il a même pas fini de parler que voilà mes deux jambes transformées en deux chamallows tout mous. Même que je serais tombée si je m'étais pas retenue au mur... Mon Papa Liam... Mon pauvre Papa Liam...

— Mais-pourquoi-tu-t'inquiètes-gentil-criquet-Thibaut-et-Galilée-sont-allés-le-chercher.

Le Tueur de Mondes aurait voulu m'achever, il aurait pas fait autrement. Vlan ! La peur me tombe dessus comme une vague de tempête et ma respiration se bloque. Oui, elle s'est coincée quelque part entre ma poitrine et mon nez. Heureusement, le Voyageur réalise immédiatement qu'une fois encore, il a dit ce qu'il fallait pas dire, une bêtise plus énorme que lui.   

— Désolé-de-t'avoir-effrayée-petite-termite-Mais-je-ne-suis-pas-un-humain-moi-Je-n'ai-pas-été-programmé-pour-altérer-la-vérité-l'arranger-la-dissimuler-ou-l'édulcorer-Je-ne-suis-pas-un-vrai-papa-qui-sait-parler-aux-petites-filles-Toutefois-je-vais-étudier-la-question-Je-te-le-promets-J'apprends-très-vite... 

Si de suite, j'arrête de m'étouffer, je suis toujours aussi terrorifiée. Galilée et Thibaut sont très très forts, mais Domichien est tellement méchant. Il va les faire prisonniers, peut-être même les tuer... 

— L'imagination-est-la-meilleure-et-la-pire-des-choses-Elle-est-à-l'origine-de-vos-créations-les-plus-remarquables-scientifiques-technologiques-et-surtout-artistiques-Vos-œuvres-sont-d'une-richesse-inimaginable-Vos-romans-vos-poèmes-vos-films-vos-peintures...

Sa voix se coupe dans un long soupir malheureux. Comme s'il réfléchissait... Non... Comme s'il était perdu... Comme si son cœur de caillou savait plus comment battre...

— Toutefois-elle-peut-aussi-avoir-des-conséquences-vraiment-néfastes-Envisager-le-pire-peut-empêcher-d'agir-Tu-es-une-grande-imaginatrice-ma-coccinelle-mais-ta-peur-te-tétanise.

Baba devant tous ces mots compliqués, je roule des yeux pareils que ceux de Dumbo. Mon papa du ciel, je me le figure souvent comme un acteur de la télé, un homme qui sait prendre plein de têtes différentes. Quand j'ai besoin de mon pouvoir de guérissage, il se déguise en gentil docteur qui sauve des gens. Quand je dois aider mes amis à se battre, tout gonflé de muscles, il se met en habit de soldat caca d'oie, pour tirer sur les vilains méchants qui veulent me faire du mal. Mais ce soir, je le vois assis à un bureau, avec des lunettes, une cravate, des cheveux blancs et un gros dictionnaire ouvert en face de lui.

— Tétaniché ? je lui demande parce que c'est le dernier mot bizarre qu'il a prononcé.    

Dans mon imagination, le vieux monsieur se lève, se retourne vers un tableau que je viens de faire apparaître et commence à écrire des lettres que je sais pas lire... 

— Ça-veut-dire-paralysé-bébé-bourdon-Ta-peur-te-paralyse-et-du-coup-tu-ne-fais-plus-rien-Tu-comprends ?

Je lui dis oui de la tête. Tout content, le papy professeur sourit jusqu'aux oreilles. Je l'aime bien, lui. Il est beaucoup plus gentil que Mme Rouléra, ma maîtresse de l'école. J'ai si bien fait de l'inventer que je décide de le garder encore un peu dans ma tête...

— Ténanichée, je répète. J'aime trop ce mot. Je vais le retenir. T'es très fort comme inchtituteur !

— Alors-je-t'en-apprendrai-d'autres-Mais-seulement-après-que-tu-auras-accompli-ta-mission. 

Déténanichée de contentement, j'en oublie ma peur et passe la porte.  

La chambre ressemble à celle dans laquelle je me suis réveillée, sauf qu'elle est plus grande, comme un petit hôpital, avec deux fauteuils, deux lits, une table remplie de pansements et une horrible odeur de maladie.

Pouaf ! Je me bouche le nez, puis m'avance tout doucement, une petite souris muette. Et comme mes lustres de voyage ont dégrandi leur lumière, personne me remarque, ni Claire et Nicolas, couchés l'un contre l'autre, ni le garçon en boule dans le fauteuil, trop fatigué d'avoir trop pleuré, ni les deux malades endormis sous les draps...

Lequel est Rémy ?

Je m'arrête pour mieux regarder. 

— Ma puce, je te confie mon ami. Dès que tu le peux, soigne-le...

Le commandement de Papa Thibaut arrive si soudain dans ma tête que je bondis de peur, trébuche sur Sampa et - badaboum ! - je tombe par terre. 

Je me relève et regarde partout, d'un côté, de l'autre, pour voir si quelqu'un s'est réveillé. Oui ? Non ? Heureusement, y a personne qui bouge, à part mes lustres de voyage qui tourneboulent à chaque coin de la pièce et les ombres qui les fuient.

— T'es qui, toi ? Je t'ai jamais vue ici... 

Je sursaute si fort que mon cœur en dégringole presque sur le plancher. Vite ! Je me tourne vers la fille qui a parlé. Elle a sorti sa figure de dessous les draps, et même si elle est coiffée comme Sampa avec ses cheveux hérissés, je la reconnais de suite, tellement souvent je l'ai vue dans les idées de Papa Liam.

C'est sa sœur, Alison.

Et je le sais, je le sens, je le vois. Elle va mourir. 

— Mais pourquoi tu fais cette tête ? elle me demande. Il est arrivé une catastrophe ?

Dehors, un grondement de tonnerre retentit, pareil que le moteur d'un énorme avion. Je me rapproche tout près du lit. Aussitôt, les lèvres de la malade montent sur ses joues... 

— Ça y est, elle dit, j'ai compris. Je viens d'arriver au paradis et tu es un ange...

Comme enfoudrée, je la fixe, la bouche ouverte. Mes mots s'y bousculent dedans, tant j'ai de bonnes nouvelles à lui apprendre, qu'elle est pas morte, que je peux la soigner, que son grand frère pensait tout le temps à elle et qu'il sera bientôt là, lui aussi, parce que ses amis sont allés le chercher... Mais y a rien à faire ! Ma voix refuse de sortir. Domichien me l'a volée en même temps qu'il m'a pris ma maman.

— Tu es vraiment très belle ! Mais t'es si petite ! Et puis, où est-ce que tu as mis tes ailes ? 

 Je secoue la tête, babahie. Une goutte d'eau toute riquiqui tremble sur ma joue.

— Oh non, ma nouvelle amie se désole, tu n'as pas à être triste. Moi, je ne le suis pas. C'est tellement affreux en bas que ça me fait plaisir d'être arrivée ici. En plus, mes parents et mon frère sont probablement déjà là et je me réjouis de les retrouver. 

Sa voix est si petite et ce qu'elle dit est si affreux ! Aussitôt, les larmes frappent à la porte de mes yeux, tellement fort que j'ai beau les fermer, ils se toutmouillent.

Je les essuie du plus vite que je peux. 

— Il n'y a que mon amie Jo que je vais regretter. Et mon copain Stéphane, bien sûr... Dire que je n'ai même jamais fait l'amour !

Je deviens toute rouge, mais Alison s'en aperçoit pas. Sans doute ça l'a fatiguée de dire toutes ces phrases ? Trop lourde de tous les malheurs qu'elle contient, sa tête retombe sur son oreiller et ses paupières se referment. 

Un instant, je pense à me coucher contre elle pour lui faire un câlin, puis je me dis qu'au lieu de perdre mon temps à des trucs de bébé, je devrais plutôt m'occuper de la guérir. Comme ça, grâce à moi, elle arrêtera de dire des bêtises et pourra faire l'amour avec son chéri.  

Déjà j'avance mes doigts pour les poser sur son front, quand la voix de Papa Thibaut revient m'embêter. 

— Ma puce, je te confie Rémy. Dès que tu le peux, soigne-le...

Aussitôt, ma main retombe. Je me tourne vers le lit d'à côté. Que faire ? Qui réparer en premier ?

Si moi, je préfèrerais Alison, Papa Thibaut voudrait son ami. Sauf qu'il sait peut-être pas que la sœur de Liam va pas bien, sinon, il m'aurait commandé de m'occuper d'elle aussi. Et puis, Rémy, il est quand même gentil. Il a réparé le Combi et c'est en venant me déprisonner qu'il s'est fait blesser.

Par contre, il y a tant de noir et de peur et de soucis et de gens morts dans sa tête ! Et surtout, il y a Domichien. Et moi, je veux plus voir Domichien...

Je pourrais commencer par Alison, puis je le soignerais, lui. Sauf que si je me déforce, j'y arriverais pas, il sera mort, Papa Thibaut me grondera et tout le monde sera malheureux à cause de moi.  

Mais tout le monde aussi sera malheureux si Alison part au paradis. Surtout son amoureux. Et Papa Liam. Et du coup Papa Thibaut. Et donc Galilée...

Tétanichée, je ferme les yeux et reste plantée entre les deux lits comme une idiote, à écouter mon cœur badaboumer. 

— Petite-araignée-réfléchis-Il-y-a-une-solution !

Toute reforcée par les mots de mon Papa du Ciel, je rouvre les paupières sur Sampa. Assise devant moi, un petit lustre de voyage vireboulant au-dessus d'elle, elle me fixe de ses grands yeux dorés. Et comme elle est la toutoute la plus intelligente du monde entier, je comprends de suite l'idée qu'elle me dit.

Je dois soigner les deux à la fois. 

Vite ! J'arrache les draps d'un lit, puis de l'autre. Ensuite, ma main gauche attrape les doigts de Rémy et ma main droite, ceux d'Alison. Je les serre fort et je me concentre. 

Je me concentre, je me concentre... 

Rien.

Y se passe rien. 

Aucun pouvoir de guérissage.

Aussitôt, mon cœur se met à pleurer, puis mes yeux. Et mon nez aussi, qui dégringouline, tout dégueussale. Est-ce juste que je suis encore trop fatiguée ou est-ce que je me suis vidée pour tout jamais de mon énergie ? 

Une fois de plus, ma respiration se coince et une boule me bloque la gorge, si grosse que j'en ai mal comme si mon cou allait exploser. 

Terrorifié, mon ventre lance un cri horrible.

Vite ! J'ouvre la bouche pour obliger l'air à sortir, quand je tombe sur les fesses. On vient de me sauter dessus et une langue toute mouillée me lèche les joues.   

Sampa. 

De suite, mes larmes se sèchent et mes paupières clignotent. Mon amie chien se rassied et je lève la tête. Aussi tristes que moi, mes lustres de voyage ont arrêté de voleviter et se sont mis en rang, deux par deux, comme à l'école. 

Est-ce que c'est moi, leur maîtresse ?

Imitant Madame Rouléra, je leur jette un œil mauvais. De suite, ils se réunissent en une seule boule de feu qui - paf ! - s'effondre sur moi. Heureusement, ça me fait ni mal, ni chaud, ni rien. Juste l'impression d'être une pile brûlante d'électricité, directement branchée sur mon Papa du ciel.

Vite ! J'ouvre le tuturiel qui est resté gravé dans mon imagination, rattrape les mains des malades et - schhh ! - je lance mon pouvoir de guérissage, comme une fusée de lumière. Zzzii ! Il file le long du bras de Rémy pour rejoindre sa blessure. Vsittt ! Il traverse Alison tout entière pour descendre dans sa jambe qui pourrit. 

Est-ce que mes amis ont senti le feu de ressuscitage arriver ? L'un grogne dans son sommeil, l'autre pousse un gémissement, mais je tiens bon. Je les réparerai tous les deux parce que je suis une super petite fille, très très efficace. J'ai déjà sauvé tellement de gens et d'animaux que je sais tout comment faire !

À peine j'ai pensé ça que j'entends un gros bruit dans ma tête, comme du métal contre du métal. Bong ! Évidemment, mon énergie se coupe de suite...

— Tu-n'aurais-pas-les-chevilles-qui-gonflent-petite-guêpe ?

Surprise, je baisse les yeux vers mes pieds. Sans doute, le Voyageur, y s'amuse à me faire une farce parce que je les vois complètement normals.

— J'insinuais-que-tu-devenais-prétentieuse-tendre-microbe !

— Prétenchieuse ? je répète. "Chieuse", je sais ce que ça veut dire, Dylan, y le répétait sans arrêt quand il parlait de moi. Mais le mot en entier, je le comprends pas.  

À nouveau, un grincement résonne dans mes oreilles, un rire d'un autre monde.

— Cela-signifie-douce-abeille-que-tu-es-trop-satisfaite-de-toi-Un-peu-comme-parfois-ton-Papa-Thibaut... 

Je tire ma langue en l'air, vers le plafond. J'aime bien quand le Voyageur aime pas que j'aime me débrouiller sans lui. 

— N'importe quoi ! je proteste. Je dis juste la vérité. 

Vu que c'est pas le moment de se disputer, je lui interdis de répondre d'un froncement de front. Ma magie de guérissage, elle, est déjà repartie au travail, dans chacun des endroits qu'elle doit soigner. En fermant les yeux, je peux même la voir, toute rouge, avec des reflets d'or et d'argent. Faite de lumière, de chaleur et de douceur, elle s'enroule autour des os cassés, enveloppe les vaisseaux éclatés et pénètre les horribles blessures. 

Quelqu'un pousse un gémissement de bonheur. Je rouvre les yeux. Un sourire comme un croissant de lune s'est peint sur les lèvres de Rémy et déjà, Alison ressemble moins à un fantôme. 

Je referme les paupières. Le tuturiel défile et ma magie entre en jeu. Elle ressoude les os brisés, referme les plaies déchirées, remodèle les organes broyés, recoud les veines sectionnées, répare la moindre petite cellule abîmée et fluidifie le sang... 

Mais d'un coup, une lumière terrible explose devant mes yeux, puis des images cliquent et claquent dans ma tête. Clic ! Je suce mon doudou dans les bras de ma maman. Clac ! J'ai déjà fini tout mon mécano. Clic ! Je joue avec mes Barbie. Clac ! J'ai manqué de m'électrocuter en démontant une prise électrique. Clic ! J'apprends à nager avec ma maman. Clac ! J'aide mon papa à réparer son scooter. Clic ! J'explore un vieux château avec mes amis. Clac ! Je croise pour la première fois le regard de mon petit frère. Le pauvre ! Il est tellement riquiqui et il a l'air si fragile... Est-ce qu'il va vivre ? 

Mais d'un coup, le film du bonheur se déchire. La lumière s'éteint et Domichien apparaît. Il se tait, il me parle, il chuchote, il aboie, il me menace, il me fait une promesse, il fouette ma meilleure amie, il me tire dessus, il me prend mes parents, il me vole mon frère... Domichien, Domichien, Domichien, Domichien...

Je veux hurler, sauf que mon cri meurt dans ma bouche et dégringole à l'intérieur de moi. Mes doigts devenus tout mous, je lâche les mains de mes malades et m'écroule. 

Je tombe dans un gros trou noir. 

La dernière chose que je vois, c'est deux grands yeux dorés. La dernière chose que je sens, c'est une langue toute chaude qui me fait plein de bisous mouillés sur la figure et un petit corps tout poilu qui se boule contre moi...

********************

Ouf ! Rémy et Alison semblent sauvés. Mais cette pauvre Chloé s'est à nouveau complètement déforcée. 😭

Heureusement, Sampa veille. Et peut-être même son Papa du ciel...🤩💖

Je sais avoir annoncé la voix de Galilée dans ce chapitre, mais je n'ai pas eu le temps de peaufiner son intervention. Désolée. 😢

C'est pour bientôt.  🙏

Merci de votre patience et de votre lecture. 💓💓

Bonne semaine... Bisous. 😘



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