Chapitre 23-1

(Nord Quercy - Camp de Gourdon 5 septembre 23h50)

Liam étant prisonnier de Domitien, ses amis ont décidé de le libérer en attaquant le Castrum de Gourdon. Tandis que Sam est posté en sniper sur une colline en face, Galilée s'infiltre incognito dans le Camp munie d'explosifs. 

Thibaut et Jo, eux, ont pris place dans un Glisseur, en compagnie de Jesse et David, déguisés en prétoriens. Grâce au pouvoir de persuasion de la jeune fille, les gardes postés au portail les laissent entrer. Thibaut a bien précisé son identité et expliqué qu'il voulait voir d'urgence Domitien parce sa sœur a été enlevée et que ses ravisseurs demandent une rançon. 

Les prétoriens ayant confirmé la présence du tueur et de son prisonnier dans le Camp, les jeunes gens prennent la direction du bâtiment B1, où grâce au plan trouvé par Sam, ils savent que se trouvent les salles d'interrogatoire. 

Thibaut

Telle une tortue en sortie d'hibernation, le Glisseur piloté par David suit la via indiquée par le tesserarius. L'orage s'est-il rapproché pour assister au grand finale ? Il se tient maintenant juste au-dessus de la caserne. Le ciel gronde sauvagement et les éclairs fulgurent, faisant scintiller le cockpit métallique d'une lumière bleuâtre. 

Dans l'habitacle en revanche, le silence s'épaissit de seconde en seconde. Un silence saturé de silences dont les échos se font de plus en plus angoissants. 

— On y est ! annonce soudain notre conducteur.

Le Glisseur contourne une construction qui ressemble à un temple grec, puis plane vers un large édifice de plain-pied en forme de voile allongée. Liam est sûrement là, en bas...

Avec Domitien.  

À cette pensée, mon cœur explose dans ma poitrine.

J'agrippe la main de Jo, nos doigts se mêlent et nous respirons à l'unisson. Ça va aller, ça va aller, ça ne peut pas ne pas aller...

David vire à angle droit, puis longe au ralenti le bâtiment B1, un parallélépipède rectangle tout de béton, de verre et d'acier. 

— Vous avez vu ça ? lâche Jesse. Y en a un qui s'emmerde pas dans la vie.  

Son chéri freine et je lève les yeux sur la statue grandeur nature qui surveille l'entrée de l'édifice. Si l'artiste a voulu représenter César en Jupiter, son œuvre est plutôt ratée. Avec son foudre stylisé et ses cheveux moutonnés, l'Imperator ressemble davantage à un personnage des Bûcherons de l'Impossible qu'au dieu tout-puissant qu'il rêve d'être. 

Pendant que nous admirions ce joyau de l'art contemporain, le Glisseur s'est arrêté. La porte de la réception coulisse, laissant apparaître trois milites, un optio à la fibule jaune et ses deux munifices qui mettent illico notre engin en joue. 

— Vite ! ordonné-je à David et à Jesse. Descendez. 

Les deux portières se relèvent de concert et les faux prétoriens sortent à la hâte. Ils se raidissent en un salut romain maintes fois répétés que le sous-officier leur rend.

— Nom, prénom, grade, centurie, cohorte, affectation ! 

Tandis qu'ils déclinent l'identité que Sam leur a créée, je me tourne vers Jo. Elle me broie la main.

— T'inquiète, lui réponds-je. David va faire des miracles...

Elle hoche la tête et je redirige mon regard vers les milites. Bien qu'ils n'aient pas revêtu leur combinaison photochromique, ils en imposent dans leur uniforme réglementaire aux couleurs de BMI. Surtout le plus haut gradé ! Avec ses cheveux gris peignés vers l'arrière, ses pattes d'oie sous les yeux et son large front sillonné de rides, il me fait penser à un flic revenu de tout comme dans un film d'Olivier Marchal. 

— T'as vu la tronche de leur chef ? me chuchote Jo. Il risque d'être difficile à manipuler.

— On va d'abord essayer la manière douce, lui annoncé-je. Autant ne pas gaspiller tes forces...

Elle acquiesce et je reporte mon attention sur notre comité d'accueil. La discussion entre David et l'optio s'éternisant, les deux munifices, un jeune homme dégingandé et une fille à l'air aussi revêche que la mère de Norman Bates commencent à s'impatienter... Les regards insistants qu'ils posent sur notre véhicule ne me reviennent vraiment pas... Il faut dire que privé du pistolet que m'a légué mon père, j'éprouve l'impression atroce d'être nu. Heureusement, j'ai quand même pu conserver mon petit fragment de Voyageur ! 

Est-ce parce que je viens subitement de penser à lui ? Bien caché dans ma chaussette, toute contre ma cheville, il me gratifie d'une série de ses ondes bienfaisantes. Aussitôt, l'endorphine déferle dans mon organisme, mes émotions négatives disparaissent et quelque chose se déclenche à l'intérieur de ma tête, mon cerveau qui redémarre. Une suite de déductions s'enchaîne dans mon crâne jusqu'à ce qu'une nouvelle stratégie s'impose à mon esprit. 

— Suis-moi ! ordonné-je à Jo. 

Je commande l'ouverture de la portière et jaillis du Glisseur, ma prétendue petite amie derrière moi. Les nuages sont encore descendus. Couleur charbon, ils roulent maintenant au-dessus de nous, telles les légions d'Hadès.  

— Hey ! Où vous allez ? croasse la jeune femme, fibule orangée et voix hargneuse. 

À la vue de son HK418 pointé sur moi, je stoppe net et Jo vient se cogner contre mon dos. La sentant fébrile, j'enroule mon bras autour de ses épaules.

— Je vais chercher Domitien, riposté-je. Ils ne vous ont pas prévenus, les Cerbères, à l'entrée ?  

La jeune femme raffermit sa prise sur son fusil-mitrailleur dont elle enfonce pratiquement le canon dans mes côtes.

— Un pas de plus et je te bute !

— Je dois le voir sur-le-champ, insisté-je. Conduisez-moi à lui. 

J'ai pris ma voix la plus autoritaire et tout le monde me fixe. Si Jesse et David ne paraissent pas étonnés de mon intervention, les trois vrais prétoriens ont l'air plus que surpris. Ce doit bien être la première fois qu'un civil demande à rencontrer le Dux

— C'est que ça ne marche pas comme ça, jeune homme ! lance Olivier Marchal. Vous faites peut-être la loi chez vous, mais ici, les petits snobinards dans ton genre, on les mate...

Je me tourne vers lui. L'air crépite d'électricité statique. Au-dessus du bâtiment, des éclairs s'enroulent et s'entortillent comme des serpents qui s'accouplent. 

— C'est une question de vie ou de mort, m'entêté-je. Je dois lui parler. Tout de suite... 

— Il est occupé, répond la munifex qui me menace. Avec un blanc-bec dans ton genre. Mais quand il en aura fini avec lui, je ne doute pas qu'il se fera un plaisir de s'entretenir avec toi !

Sa voix s'est faite si venimeuse que ma gorge se serre. Jo frémit contre moi. Liam est en danger. Au temps pour la méthode douce ! Je la sens se durcir, le signe qu'elle attaque...

— C'est tout de suite qu'il me faut lui parler, déclaré-je. Les ravisseurs de ma sœur demandent une rançon. Si elle n'est pas versée dans deux heures, ils menacent de la tuer. Mais avant, ils vont la violer, encore et encore. Et elle n'a que quatorze ans !

Ai-je réussi à toucher la corde sensible ou mon autorité s'est-elle affermie ? La prétorienne recule de quelques pas et se tourne vers son chef qui, lui, roule des yeux ahuris, la bouche ouverte. Oui, Jo est passée à l'action. 

— Vous devriez les écouter, intervient David. Si jamais il arrive malheur à la fille de son grand ami par votre faute, Domitien vous le fera payer toute votre vie.

Le centurion pâlit. À la lueur des éclairs, le décor a pris la couleur d'une plaie purulente. Un vieux 4x4 passe près de nous, filant vers la sortie. Les dernies rats quittent le navire. 

— Je vais l'appeler, dit-il. Mais je vous préviens, ça m'étonnerait qu'il réponde. Le Dux est toujours à fond dans ce qu'il fait.

Une vague glaciale se répand dans mon corps, si froide qu'elle me semble une brûlure. Jo a-t-elle déclaré forfait ? Je vois notre interlocuteur chercher sa respiration comme s'il émergeait d'une longue apnée. Il s'ébroue, cille des paupières, se secoue à nouveau jusqu'à ce que ses yeux retrouvent soudain leur vivacité. Visiblement, ses pensées viennent de s'éclaircir. 

— Lafage, Perrez ! ordonne-t-il. Fouillez-les, chacun le vôtre.

— Ce n'est pas parce qu'on n'appartient pas à votre cohorte, proteste David, qu'on est des incapables, c'est déjà fait. Il n'y a rien à signaler. 

— Deux précautions valent mieux qu'une ! déclare-t-il.

Le voyant s'emparer de sa radio, le faux prétorien n'insiste pas. Tandis que Jesse et lui s'adossent au Glisseur, les jeunes milites s'avancent vers nous. Pour montrer ma bonne volonté, je lâche Jo et lève bien haut les bras. Quand les mains exercées du miles commencent leurs palpations, je ne peux empêcher mon cœur de battre un peu plus fort. Pourvu que le soldat ne remarque pas l'étrange comprimé dissimulé dans un paquet de chewing-gum au fond de ma poche !

— Elle est clean ! déclare Fibule Orangée avec un soupçon de regret.

— Le patricien aussi ! renchérit mon munifex.

Olivier Marchal secoue la tête en regardant son micro. Comme prévu, Domitien n'a pas décroché...

— Essayez encore, dis-je en m'avançant vers lui. 

Jo ayant à nouveau planté ses yeux sombres dans les siens, l'impitoyable légionnaire s'exécute. La radio grésille quelques instants, mais personne ne répond. Putain de putain de putain ! Le temps presse...

— Amenez-moi à lui, exigé-je. Je lui expliquerai moi-même. 

L'air soulagé, il acquiesce, mais sa harpie de sous-fiffre ne comprend pas sa mansuétude soudaine. 

— Impossible, décrète-t-elle, que des étrangers, fussent-ils des nôtres, pénètrent dans nos quartiers réservés, encore moins dans une salle d'interrogatoire. C'est contraire au règlement. 

— Eh bien, dans ce cas, lance Jo, allez-y vous-même !

Prise de court, la jeune femme tressaille. Madame a beau jouer les bravaches, Domitien la terrifie autant que ses collègues. 

— Excellente idée, confirme son chef, ravi d'échapper ainsi à la corvée.

— Mais... mais..., bégaye-t-elle, il a demandé à n'être dérangé en aucune façon ! 

Sa crainte l'emportant sur son sens du devoir, elle reste d'abord plantée là, telle la statue érigée à quelques mètres de nous. Mais soudain, un frisson la secoue. Jo qui a abandonné le centurion pour prendre possession de son cerveau... Allez, vas-y, doit-elle lui chuchoter dans sa tête. Le dux n'est pas si terrible que ça. Peut-être même te verras-tu accorder la Couronne Civique pour ton acte de bravoure...

Les yeux de la légionnaire papillonnent. Elle se retourne, avance d'un pas, puis fait volte-face comme pour attendre un ordre en bonne et due forme. Jo est-elle à bout de force ou cette fille sait-elle se montrer plus résistante que le commun des mortels ? Si elle continue à s'obstiner ainsi, mon plan tombe à l'eau... Surtout que l'homme que mon amie vient de libérer semble déjà s'interroger sur les raisons qui l'ont poussé à lui demander d'aller déranger Domitien. 

Je me raidis. Contre ma cheville, ma météorite se met à pulser, généreuse et vivifiante. Le pouvoir coule dans mes veines et à présent, je me sens capable de soulever des montagnes.

J'agrippe la main de Jo.

— Maintenant, dis-je, ça suffit. Chaque seconde qui passe est une seconde perdue pour ma sœur. Allez chercher Domitien ou menez-moi à lui, mais grouillez-vous !

Je me suis exprimée d'une façon si autoritaire que, cette fois, la prétorienne obtempère. Elle marche vers la porte, son binôme sur ses talons. Entraînant Jo avec moi, je les suis jusqu'à ce que la baie coulissante s'ouvre pour tous nous laisser passer. 

Mais voilà qu'au moment d'entrer, un sombre pressentiment m'étreint.

Je me retourne. 

Olivier Marchal est toujours en plein pourparlers avec David.

Ma poitrine se serre comme si un poing immense me comprimait le torse. Le cœur de Jo accélère.

— Ravi d'avoir pu aider, dit David, mais on doit y aller. On a pris un sacré retard et notre primipile doit se demander où l'on est passé...

— Eh bien, lui répond le centurion, il patientera encore un peu. J'ai besoin de vous ici. Il nous manquait un celerrimum pour l'évacuation du préfet, le vôtre fera l'affaire.

Un long éclair sillonne le ciel comme une flèche blafarde. Le prétorien y voit-il un signe du ciel ? Il se rapproche du Glisseur.  

— Vous allez me conduire auprès de lui. Il supervise les dernières évacuations à l'autre bout du Camp.

La portière arrière gauche étant restée ouverte, il s'installe sans autre forme de procès à la place que j'occupais. Si Jesse monte également, David me jette un œil désespéré. Le plan initial prévoyait qu'une fois Jo et moi dans la place, les faux prétoriens repartent pour rejoindre Sam, Medhi et Florian dans les collines. La possibilité que leurs services soient requis ne m'avait bien sûr pas échappé, mais comme je l'avais jugée plutôt faible, je l'avais écartée en me disant que si jamais elle se présentait, je trancherais le moment venu.

Mis au pied du mur, il ne me faut pas une fraction de seconde pour me décider. La priorité, c'est Liam. Nous avons déjà eu du mal à convaincre les milites de joindre Domitien, autant ne pas davantage nous faire remarquer. Nos amis devront gérer. 

J'incline la tête. Obéissant, David se met au volant et démarre. Aussitôt, la nuit avale le prototype comme s'il avait foncé sur une cascade d'encre de Chine.

Revenu nous chercher, mon munifex nous pousse vers le sas d'entrée avec le canon de son HK418...

********************

Pour l'aider à supporter la torture, ses Oiseaux ont fait s'évanouir Liam. Mais le Brouilleur de pouvoirs que Domitien a placé à proximité de son crâne réveille le jeune homme. Pour sauver Léo qui ne supporte pas les ondes de l'appareil, Liam capitule. L'Impérial lui apprend alors qu'il savait qu'il avait perdu la mémoire, mais qu'il va la lui faire retrouver et qu'il va forcer le jeune homme à trahir ses amis. 

Il lui révèle ensuite pourquoi il l'a gardé en vie. L'Impérial a vu en lui des capacités exceptionnelles et il veut faire de lui son nouvel apprenti. 

Liam

C'est toujours très tard le soir, après une journée harrassante, quand vous pensez en avoir enfin terminé, quand vous ne rêvez plus que de fermer définitivement les yeux, que les pires horreurs vous tombent dessus.

Domitien n'a même pas fini de parler qu'un gouffre béant s'ouvre sous moi. Des images défilent devant mes yeux, des paysages flous, des visages anonymes, des iris trop bleus et des ombres qui dansent, les spectres de tous ceux qui sont morts de m'avoir approché. 

Submergé par ces visions, je cherche désespérément à me raccrocher à quelque chose de tangible quand je perçois des mouvements en moi... Un bec qui me pique le cœur... Des ailes qui se déploient dans ma tête... 

Le soulagement m'envahit comme une vague mystique. 

Moi : Les gars, vous êtes encore là ! 

Tex : C'estaffreuxC'estaffreuxC'estaffreux...

Léo (jouant les étonnés) : Qu'est-ce que tu as à te lamenter ? Il n'y a que de bonnes nouvelles...

Moi (abasourdi) : Frôler la mort t'a clairement laissé des séquelles. Tu n'as rien compris à la situation !

Léo (le ton grave) : On est vivants. Et on va le rester...

Moi : Mais ce putain de dégénéré va me transformer en un tueur sans âme !

Léo : Ben quoi ? Moi aussi, j'en suis un et je le vis très bien...

Tex : Ça n'a rien à voir ! D'abord parce que c'est pour te nourrir que tu tues. Ensuite, parce que ce ne sont pas à des membres de ta propre espèce que tu t'attaques ! 

Il ne s'est pas tu que mon cœur s'emballe à une vitesse folle. Mon pic monte dans les tours. Mais impossible d'en savoir davantage. Le silence qui s'installe en moi, sinistre et oppressant, m'indique que mes Oiseaux m'ont ghosté pour continuer la discussion entre eux. Je m'apprête à les agonir d'injures, quand des grésillements, tels ceux qu'émettrait une vieille CB, viennent torturer mes tympans.

Je rouvre les yeux. 

Si Domitien est toujours là, à me regarder, il a stoppé sa machine infernale, ce qui explique que mes squatteurs intimes aient repris du poil de la bête, ou plutôt de la plume...

— Vous ne répondez pas ? demandé-je. Ça pourrait être important.  

L'Impérial se penche vers moi, puis me tapote la tête. Oui, oui, comme ça. Comme si j'étais un idiot de petit chien...

— Ma priorité, c'est toi.

Sa voix était si lourde de promesses d'horreurs que le désespoir me submerge à nouveau. Attaché sur cette chaise, je me sens totalement impuissant face au sort que ce salopard me réserve. La lutte est vaine, le combat perdu d'avance.  

Percevant mon découragement, Domitien laisse échapper un ricanement moqueur dont les échos s'enroulent autour de mon âme tel un voile intangible.

— Bordel ! fulmine Léo. Réagis, merde ! Tu ne vois pas que ce bâtard se nourrit de ta peur ?

Cela me débecte de l'avouer, renchérit Tex, mais cet empaffé d'emplumé a raison. Alors, arrête de donner à ce malade ce qu'il veut, reprends-toi et affronte-le.

Quelque chose explose en moi et une vague de chaleur incandescente me parcourt le corps. Au moment où je plante mes yeux dans ceux de mon tortionnaire, la radio recommence à grésiller.

— Mais putain, m'énervé-je, qu'est-ce que vous attendez pour répondre ? C'est peut-être ce garçon dont vous me parliez tout à l'heure, Thibaut Hébrard...

Les pupilles du tueur ne forment que deux petits points noirs minuscules. 

Lui : Il paraît qu'il est mort. Et même si les rumeurs sont fausses, je n'ai plus besoin de lui, puisque je t'ai, toi !

Moi (curieux) : Vous n'avez pas déjà un apprenti ? Ce balourd XXL qui se prend pour un dur d'Hollywood avec ses tatouages et ses Rayban ?

Lui (énigmatique) : Notre collaboration touche à sa fin. 

Moi : ...

Lui (sautant du coq à l'âne) : Cela ne te dérange pas de devenir un assassin ?

Moi : Tuer, c'est la seule chose que je fais bien. Alors, si je peux approfondir ce talent...

Lui (intrigué) : Tu n'as pas peur ?

Moi : Je devrais ? Vous m'offrez une carrière sur un plateau. Même pas la peine de me casser la tête avec Parcoursup.

Lui : ...

Moi : Il y a juste la question du costume qui me tracasse. Il me faudrait un truc à la fois cool et sexy, genre la combinaison de Daredevil ou l'armure de Thor. Je ne voudrais pas vous fâcher, mais ce grand manteau noir dont vous vous affublez continuellement, c'est d'un banal ! 

La gifle qu'il m'assène manque de me dévisser la tête. Et si Léo en réchappe, il ressemble maintenant à un moineau mité, tout rabougri au milieu de mes quelques neurones rescapés.

— Hey, dis-je, faites gaffe ! Ce serait trop débile d'abîmer la marchandise avant qu'elle n'ait servi.

Les lèvres pincées, Domitien brandit son appareil anti-Altérés.

 — Quand tu auras retrouvé la mémoire, tu feras beaucoup moins le malin.

Se propageant à toute vitesse dans mon organisme, la terreur m'embrase le sang, me dévore les entrailles et m'incendie le cerveau. Pourtant, je trouve encore en moi la force de la ramener.

— Si c'est avec ce gadget à la mords-moi-le-nœud que vous comptez me contraindre à me mettre à table, vous êtes complètement à côté de vos pompes.

L'air impénétrable, mon bourreau rallume sa machine infernale. Aussitôt, les filaments de lumière s'enroulent autour de moi, comme des lianes. Mes Oiseaux sont-ils parvenus à trouver une parade efficace ou Domitien en a-t-il réduit la puissance ? Bien que je sente des picotis me parcourir le corps, je conserve la pleine conscience de ce qui se déroule... 

— Mon pauvre ami, s'amuse l'Impérial, c'est toi qui as tout faux. Cet appareil n'est là que pour t'immobiliser, juste au cas où il te prendrait l'envie de jouer les héros ou de te suicider. 

Tous les pores de ma peau hérissés, je le regarde ramasser une malette et l'ouvrir. 

— La technologie, m'explique-t-il, est faillible et contournable. En revanche, la bonne vieille chimie, ça fonctionne à tous les coups. 

Le tueur repousse ses intruments de torture pour installer à la place une série de flacons. Mais c'est seulement quand je le vois s'emparer d'une seringue que je comprends ses intentions. L'univers ne rate jamais une occasion de me rappeler que je ne suis qu'un minus de maternelle dans la cour des grands CM2.

— J'ai la chance, reprend-il, d'avoir tout un tas de drogues à ma disposition. Certaines vous paralysent un suspect ou le font parler. Mais mes préférées sont celles qui affectent la mémoire. L'une l'efface à jamais, l'autre la fait revenir...

Persuadé de m'avoir mis hors d'état de nuire, Domitien entreprend la confection de son cocktail de vérité. Tout occupé qu'il est, il ne voit pas mon regard se brouiller, mes prunelles s'obscurcir et mes yeux se vider de leur humanité. Il ne remarque pas qu'une part de moi-même vient de mourir. Il ne note pas qu'une ligne de démarcation a été franchie.

Celle entre la raison et la folie.

Moi (battant le rappel des troupes) : Les gars... 

Léo et Tex (en chœur) : Fidèles au poste et en grande forme !

Moi : Ça tombe bien, parce que vous allez vous matérialiser...

Léo (docte ) : Si nous nous incarnons conjointement, tu meurs !

Tex (affolé ) : Si je quitte ton cœur, il s'arrêtera de battre.

Moi : Tant pis. Il est hors de question que je devienne le putain de pantin de ce paltoquet. Ce psychopathe doit mourir. Mais vu que je ne suis plus qu'une loque humaine, c'est vous qui vous chargerez de son élimination. 

Léo (sidéré) : On ne sait pas si on peut vivre sans toi !

Tex (paniqué) : Je ne suis encore jamais sorti du nid !

Domitien s'avançant, sa seringue à la main, mes Volatiles se taisent. Je vis mes derniers instants sur Terre. Jamais je ne reverrai ma famille ni ne ferai l'amour à ce garçon aux yeux trop bleus auquel je pense si souvent. Mais je mourrai serein. Parce que j'aurai fait mon devoir et que j'emmènerai dans l'autre monde l'un des pires hommes qui soient. Et peut-être même laisserais-je derrière moi deux fragments de mon âme, mes deux Oiseaux, enfin libres de voler de leurs propres ailes

— À trois, décrété-je, vous attaquez.  

Tandis que l'Impérial me tapote l'intérieur du coude pour faire ressortir une veine, je commence le décompte dans ma tête. Un, deux... Je m'apprête à prononcer le chiffre fatidique, quand un bruit répété vient percer le brouillard de mon esprit... Comme des coups cognés contre la porte... La Faucheuse viendait-elle en personne me chercher ? 

— Je suis occupé, crie mon tortionnaire.

L'intrus frappe à nouveau, plus fort cette fois. Lâchant mon bras, Domitien  se retourne.

— Foutez-moi le camp. Tout de suite !

A-t-il oublié de verrouiller ? La porte s'ouvre et un visage terrorisé apparaît dans l'entrebâillement. Celui d'une jeune femme...

Dux, bredouille-t-elle, c'est le Centurion Moreau qui m'envoie. Jamais il ne se serait permis de vous déranger si ce n'était pas une question de vie ou de mort. 

Laissant échapper un grognement d'exaspération, Domitien pose sa seringue. Aussitôt en moi, l'espoir renaît. Non, je ne suis pas maudit des dieux puisque la Providence vient visiblement d'envoyer cette dea ex machina à mon secours...

Domitien (sèchement) : Libraria, vous avez trente secondes !

Elle ( parlant à toute allure) : Le patricien sur l'avis de recherches, Thibaut Hébrard, il est là, à l'accueil et il vous demande...

Lui (tombant des nues) : Quoi ?

Elle : Sa sœur a été prise en otage. Ses ravisseurs la menacent...

Lui (cassant) : Et vous avez cru cette fable ? 

Elle :  Il ne fallait pas ?

Lui : Ce gosse est un Hébrard, donc un manipulateur né... 

Il s'interrompt brusquement et, comme s'il se souvenait soudain de ma présence, me vrille de ses yeux de pierre.  

— Ce petit malin me fuit depuis une semaine. Je dois avoir quelque chose à quoi il tient plus que tout pour qu'il ait si brusquement changé d'avis.

Mon bourreau a prononcé ces derniers mots très lentement, presque à voix basse, et pourtant, il me semble qu'il a hurlé. Résultat, je sens mon cœur s'emballer et un étau m'enserrer le crâne comme si mes Oiseaux avaient recommencé à se disputer par-devers moi...

Son scud envoyé, Domitien se retourne vers sa libraria

— Ce gamin a de qui tenir. Moreau a intérêt à l'avoir à l'œil.

Prise au dépourvu, la prétorienne se fige telle une antilope devant un prédateur. Sans doute a-t-elle l'impression de n'être qu'un morceau de viande à deux doigts d'être avalé ! 

— C'est que le centurion a dû partir en urgence gérer l'évacuation du préteur...

Le visage déjà enflammé de l'Impérial vire à l'écarlate. À cran, la jeune femme inspire comme une noyée. 

— Il n'y a pas d'inquiétude à avoir, se dépêche-t-elle d'ajouter. Il est sous la garde de Perrez...

Sans doute ce prétorien a-t-il sa petite réputation dans le castrum ? Domitien se détend illico et mon euphorie s'évapore, remplacée par un nuage d'angoisse.  

— J'ai encore à faire ici, reprend-il, mais je vous rejoins dès que possible. En attendant, vous conduirez notre hôte dans le bureau de Moreau, et comme deux précautions valent mieux qu'une, je vous confie mon brouilleur de pouvoirs...

Le tueur ramasse son gadget démoniaque et appuie sur un bouton. Sans doute, l'a-t-il éteint ? Libéré, mon cœur fait un bond terrible et le sang recommence à circuler dans mes veines. Les ténèbres qui m'obscurcissaient la tête comme une gangue cendreuse refluent, remplacées par un flot continu d'images, tous mes souvenirs qui me reviennent en vrac, bouleversants et fabuleux. Mes parents, ma sœur, Jo, Jesse, Luigi, Galilée, Chloé et Thibaut, Thibaut, Thibaut... Nous nous embrassons, nous nous déchirons, nous nous embrassons à nouveau, nous nous disons au revoir du regard et je vois tant de choses dans ces yeux, tellement d'amour, de regrets et de souffrance...    

Ma poitrine se serre ; ma respiration accélère.

— Putain de pic de merde ! glapit Léo dans mon crâne surchauffé. Mais qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi tu m'as forcé à lui rendre ses souvenirs ?

— Et de quel droit tu les lui avais pris ? piaille Tex.

— Je voulais juste l'aider...

— La vérité, c'est que tu n'aimes pas Thibaut !

— Et que toi, tu fais pitié à continuellement roucouler devant ce petit prétentiard de patricien !

La porte qui claque à l'orée de ma seconde réalité les fait taire. La libraria est partie et Domitien revient vers moi. Ce micro-délai que la vie m'a octroyé n'aura pas été vain. Je sais maintenant qui je suis, qui est le garçon aux yeux trop bleus, que je l'aime et qu'il m'aime... 

— Les gars, décrété-je, on en reste au plan initial. Vous vous matérialisez, vous le tuez et vous vous enfuyez...

L'impérial se penche sur moi. D'instinct, je me raidis et tente d'arracher mes liens.

Léo (solennel) : Je te promets que si je m'en sors, je volerai jusqu'au Tuc-Haut. Comme ça, je pourrais toujours garder un œil sur les tiens.

Moi (ému) : Tu es trop mignon ! C'est vraiment adorable.

Léo (des larmes plein la voix) : Tu visualises le tableau ? Un aigle royal tournoyant au-dessus de ce château médiéval, ça aura une sacrée gueule !

Je cligne des yeux sur Domitien. Son nez légèrement tordu, ses lèvres fines et ses rides sévères. Je cligne encore des yeux et scrute sa mâchoire crispée et ses sourcils menaçants. Putain de destin ! Pourquoi faut-il que ce bâtard soit la dernière personne que je verrai avant de mourir ? Et qu'attend-il pour me piquer ?

Moi (histoire de me distraire l'esprit) : Et toi, Tex ? Qu'est-ce que tu vas faire ? Ce serait bien si tu pouvais rester auprès de Thibaut. Mais peut-être que tu préfèrerais suivre Léo ?

Lui : ...

Léo (strident) : Mais où tu es, le pic ? Pourquoi tu ne réponds pas ? Tu boudes ? Tu as la trouille ? 

Domitien m'agrippe le bras. Je recommence mon compte à rebours quand quelque chose se met à grimper dans ma poitrine, pire qu'un geyser. Aïe ! Le tueur me lâche avec un cri de douleur. Le monde se met à tourner, puis l'image d'un oiseau féérique s'imprime sur ma rétine. Tex... Pourpre, or et azur... Tex... Immense, puissant et étincelant... 

— Les gars, déclare-t-il, j'ai une solution qui vous permettra de ne pas y laisser trop de plumes. Mais vous devrez m'obéir sans poser de questions ...

********************

Les choses s'accélèrent. Tex aurait-il trouvé une solution ?

Ce chapitre est mille fois moins intense que ce que j'avais imaginé, mais j'ai quand même réussi à l'améliorer un petit peu...

S'il vous a plu, n'oubliez pas la petite étoile ! ⭐

À bientôt avec Chloé et Galilée...💖💖

Belle semaine. Bisous. 🥰😘


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