Chapitre 20-3

Lors de l'attaque du Tuc-Haut, Domitien a tué William, le beau-père de Samuel, et grièvement blessé Alison, la sœur de Liam. Newton, lui, a froidement abattu Daphné, la sex-friend de Samuel, d'une balle dans la tête. Avant de partir seul à leur recherche pour se venger, le jeune homme décide de les enterrer dans le petit bois où il s'entraînait au tir avec Jo. Cette dernière vient le rejoindre pour l'aider, mais aussi pour le convaincre de l'emmener avec elle. Mais - à tort ou à raison ? - Samuel accuse Jo de se servir de son pouvoir pour influencer sa décision. Comme souvent entre eux, le ton monte. Ne maîtrisant plus sa télékinésie, le survivaliste envoie la jeune fille valser dans le décor. Il regrette immédiatement, mais le mal est fait... 

Pendant ce temps, dans le Haut-Quercy, Liam a été capturé par Domitien et Thibaut a choisi de fuir. Toutefois, il n'a pas renoncé. Ayant confié la sécurité de ses autres amis et de sa sœur à Galilée, il repart vers le manoir, mais il ne tarde pas à se faire repérer par Newton. Heureusement, il réussit à lui échapper grâce à sa Voix d'Autorité...

Florian est le frère de Jesse, le second fils de Clément Adler, l'ex-prétorien, propriétaire du Tuc-Haut. 

(Tuc-Haut Sud Quercy 5 septembre 21h15)

Samuel

Bordel de chienne de vie !

Enfin parvenu au sommet, je m'immobilise. Comme surgi des entrailles de la Terre, l'escalier à vis m'a semblé s'étirer à l'infini. Sauf qu'au lieu de me mener au paradis, il m'a juste conduit dans un nouvel enfer. J'ouvre brutalement la porte de bois et m'avance sur le chemin de ronde. L'atmosphère y est si poisseuse que j'ai l'impression d'évoluer dans un bain d'huile de vidange.

— Alors ? demandé-je à Florian, mon speculator (1), de quart au sommet du donjon.

Me figeant à ses côtés, je balaie la vallée du regard. Le pont écroulé. Les champs incendiés. La lumière de la nuit est si violente que les dégâts me paraissent encore plus réels, comme en réalité augmentée.

— Rien à signaler, me répond Adler Junior, les yeux vissés à ses jumelles. De toute façon, je ne vois pas pourquoi ces fumiers de Caméléons se repointeraient ici.

Je lève la tête. La voûte céleste n'est plus qu'un éclair géant, intense et oppressant. Impossible de passer inaperçus, même pour des as du camouflage.

— Avec ces chiens de l'Enfer, il faut toujours rester sur ses gardes.

Je m'adosse entre deux créneaux. Immédiatement, dans la poche arrière gauche de mon pantalon tactique, les documents à l'entête du Castrum de Gourdon se rappellent à mon bon souvenir, crissant comme des insectes. Même si je suis sûr que c'est dans ce Camp que nos familles ont été déportées, je n'en ai encore parlé à personne. Les miens ont été suffisamment éprouvés. Autant ne pas leur donner de faux espoirs...

— Jo va mieux ? demande Florian.

Mon adjutor (2) cherchait juste à se montrer aimable. Pourtant, le simple fait d'entendre ce nom suffit à faire battre plus vite mon cœur. Je la revois, ma beneficiaria (3), si sexy dans notre petit bois, avec son chignon haut, son allure martiale et ses jolies fesses moulées dans son treillis. Elle voulait m'aider et j'ai tout gâché.

— Plus de peur que de mal, mens-je. Le stress, la fatigue, le contrecoup. Ajoute à ça une crise d'hypoglycémie et voilà le travail. Pas de quoi ameuter ciel et terre...

— Je m'en doutais, me répond-il. Les femmes, c'est plus fragile que des oiseaux en hiver.

Est-ce parce que j'ai l'impression de m'entendre moi-même ? Aussitôt, la moutarde me monte au nez. Mon ex-ex qui ne l'est plus, tout en l'étant encore ou vice-versa, personne n'a le droit de la critiquer. 

— Non, pas Jo ! m'énervé-je. Elle est si forte qu'elle peut en remontrer à n'importe quel homme.

Les mots se sont échappés de ma bouche. Surpris par ma véhémence, ma vigie baisse ses jumelles pour me dévisager. Heureusement, j'ai déjà collé les miennes sur mes yeux et il ne peut pas voir la rage qui enflamme mes pupilles.

— Eh ben, dis donc, remarque-t-il, toi, t'es sacrément mordu.

Je m'absorbe dans la contemplation du paysage ravagé. Ce putain de désastre, c'est la confirmation indiscutable de mon incompétence. Un échec mémorable, l'écroulement de mes rêves. 

— Pas du tout, nié-je. Je ne fais qu'énoncer un constat. Jo est l'exception qui confirme la règle...

— Mais bien sûr ! Un juge se doit d'être impartial. Sauf que la meuf dont tu parles, tu te l'es tapée tout l'été...

Piqué au vif, je lâche mes jumelles pour le foudroyer du regard. Trop tard ! Il a déjà ramassé les siennes pour recommencer à balayer scrupuleusement le panorama. Exaspéré par son manque de respect, je lève les yeux au ciel. Que se passe-t-il là-haut ? Il fait si lourd et la nuit sent tellement la cendre que j'ai l'impression de me tenir sous des braises.

— Jo est une vraie guerrière, insisté-je. Les sentiments que j'ai pu avoir pour elle n'altèrent en rien mon jugement. Et au cas où ce détail t'aurait échappé, je te signale qu'elle et moi, nous ne sommes plus ensemble...

Soudain rattrapé par cette cruelle réalité, je manque de m'étouffer dans une toux déchirante. Tandis que mon interlocuteur se retourne, je remonte mon foulard sur mon visage. Il y a toujours autant de poussière dans l'air. Une poussière sombre, fine telle de la farine de blé noir, qui pénètre partout, dans le nez, la bouche ou les oreilles.

Elle salit même nos âmes.

— T'as raison de le préciser ! répond le gros butor. Parce que depuis hier, vous êtes tellement collés l'un à l'autre qu'on aurait pu croire que vous aviez remis le couvert.

Aussitôt, les regrets m'envahissent, me mordant jusqu'au sang comme du barbelé. Si Jo ne s'était pas montrée aussi entêtée, si je ne m'étais pas autant énervé, si j'avais maîtrisé ma télékinésie, si...

Furax, je shoote dans une canette qui traîne au sol.

— Bordel ! craché-je. Je te signale qu'on est en guerre. Il y a autre chose que mes histoires de cul qui devraient t'occuper l'esprit.

Ainsi remis à sa place, Florian reporte son attention sur la vallée. Et je l'imite, toujours autant tourmenté par l'étrange atmosphère baignant les lieux, le ciel qui tremble comme s'il savait son temps compté, le petit bois telle une énorme tache sombre et l'écrasante absence du Voyageur. Par une nuit pareille, tout peut arriver...

— Va te reposer ! décrété-je. Je prends ton quart.

— Mec, s'exclame-t-il, tu vires parano. Tu devrais déjà être en train de fourbir tes armes !

Il y a deux jours, je lui aurais sauté à la gorge, histoire de lui faire ravaler son insolence. Ce soir, je me contente de m'appuyer au garde-corps. Je suis conscient qu'il n'y a pas loin de la prudence à la psychose, mais je préfère prendre mes précautions. Impossible de me départir de l'impression qu'un événement crucial est sur le point de se produire.

— Elles sont déjà prêtes. Mais je ne partirai pas tant que je ne vous saurai pas tous en sécurité.

Je me frotte les yeux, récupère mes jumelles autour de mon cou, zoome jusqu'au 4×4 de Copernic, puis promène mes objectifs sur la gauche, dans notre petit bois à Jo et à moi.

Rien ne bouge.

— On travaille toujours mieux en binôme, avance Florian. Tu devrais prendre quelqu'un avec toi.

J'inspire un grand coup. Aussitôt, les poussières grattent ma gorge et brûlent mes poumons. D'instinct, je plonge la main dans ma poche en quête de ma flasque d'alcool, mais je suspends mon geste. Mieux vaut éviter. Je dois garder toute ma lucidité...

— Emmène-moi, insiste mon adjutor. Je suis ton meilleur choix.

Un soupir m'échappe, mais fort heureusement, la porte qui s'ouvre dans son dos m'évite de lui répondre. C'est Jo. Elle a tombé son gilet tactique et troqué son treillis boueux contre l'un des shorts que je lui ai offerts cet été. Je lui aurais bien fait remarquer que David lui avait prescrit du repos, mais nos regards se rencontrent et mon cœur fait un bond.

— J'ai pensé à vous, dit-elle. La nuit risque d'être longue. Alors, je vous ai apporté du café...

L'air de flotter au-dessus du sol, elle se rapproche de moi et me tend une thermos en souriant. Je m'en empare, bois une longue gorgée, puis passe la bouteille à Florian. Tandis qu'il sirote goulûment, elle et moi restons immobiles, à nous dévisager comme pour essayer d'arrêter le temps. Et l'espace d'un instant, nous y parvenons... Sauf que d'un coup, l'image de la jeune fille étendue inerte sur le sol revient dans mon esprit et les remords affluent.

— Bordel de bois ! T'es venue vérifier si je n'avais pas filé en douce...

— Mais putain, s'excite-t-elle sur-le-champ. T'es vraiment qu'un sale connard de mytho ! J'en ai rien à foutre de toi et tu peux dégager d'ici quand tu veux, ça me fera des vacances.

Des ombres dansent sur son visage et les éclairs se reflètent dans ses grands yeux brillants. Mais la nuit est trop extraordinaire pour entamer une dispute ! Sous l'œil étonné de Florian, je me détourne et m'accoude au garde-corps. Je ne suis pas superstitieux, je ne crois pas aux prémonitions, toutefois je sais que les picotements que je ressens dans la nuque ne sont pas dus à l'électricité qui sature l'atmosphère. C'est un avertissement venu du plus profond de moi. Vous voyez ce à quoi je fais allusion ? À cette espèce de flair, à cette prescience primitive, à cet instinct de survie dont l'évolution a privé la plupart d'entre nous, mais que mon père maîtrisait à merveille et qu'il m'a appris à développer.

— Merci pour le café, dis-je doucement. C'était une attention vraiment touchante.

Désarçonnée par mon soudain changement de ton, Jo vient se poster à côté de moi. Alors que la campagne semble statufiée devant le spectacle des éléments déchaînés, le ciel frissonne telle une mer de remous.

— Toi aussi, me demande-t-elle, tu le sens, hein, que cette nuit est franchement spéciale ? Tous ces flashes, cette lumière, on dirait un feu d'artifice géant, comme si les étoiles explosaient les unes après les autres...

Ses paroles trouvent un tel écho en moi que j'ai l'impression d'entendre un poème glissant sur mes pensées à la manière d'un voile envoûtant. Elle et moi, nous sommes toujours autant en phase.

— Et s'il s'agissait plutôt du Voyageur ? m'exclamé-je. Il pourrait avoir éclaté en milliards de particules pour s'éparpiller partout sur la Terre...

Dans notre dos, Adler Junior s'esclaffe d'un rire gras, qui dégénère en une quinte de toux bronchitique. Qui est-ce maintenant, l'homme des cavernes ?

— Jo, dis-je en me retournant vers elle, je vais passer la nuit ici. Toi, tu devrais redescendre avec Florian. Comme ça, tu seras d'attaque demain pour notre petit voyage...

Tandis que le visage de mon ex s'illumine, celui de mon adjutor prend une teinte rouge violacé. J'ai parlé sans réfléchir, mais je n'ai pas le temps de me rattraper. À l'orée de mon champ de vision, quelque chose, un éclat fantomatique à ras de terre, attire mon attention.

Aussitôt, je reprends mes jumelles.

Mon pouls s'accélère.

Un véhicule en provenance de Cahors vient de tourner sur le chemin vicinal menant au château. Dans une minute, deux au plus, il aura atteint les ruines du pont.

— Merde ! dis-je tout haut.

Mes acolytes se figent.

— Quoi ? demande-t-ils en chœur, saisis d'appréhension.

Je force mon rythme cardiaque à ralentir.

— En bas. Un Glisseur...

Mes mains se mettent à trembler. Je perds ma cible de vue.

— Je l'ai, dit Florian. Il s'est arrêté devant la Barguelonne.

Je braque mes jumelles vers la rivière. Gonflée des fortes pluies de la veille, elle a sauté de son lit et roule ses flots plus que furieux en direction d'Agen. Vite ! J'attrape mon fusil-sniper, toujours en bandoulière dans mon dos, et cale le canon de mon arme entre deux créneaux.

— Les salopards d'enfoirés ! hurlé-je. Ils osent se repointer. Ceux-là, je vais me les faire !

Jo pose sa main sur mon bras.

— Attends, dit-elle. Tu ne trouves pas ça bizarre ? Pourquoi venir à un seul véhicule ? Pourquoi s'arrêter pile en face de nous ?

Un nouveau picotement me parcourt illico la nuque. Contrairement à moi, Jo a oublié d'être bête !

— Ce qui est sûr, ajoute-t-elle, c'est qu'ils ne cherchent pas à passer inaperçus...

— En plus, remarqué-je, leur pilote semble hésiter à franchir la Barguelonne. Comme s'il n'avait pas vraiment confiance en son engin...

— Peut-être, s'enflamme Florian, certains des nôtres ont-ils réussi à échapper aux Impériaux ? Ils leur auront piqué une caisse et seront vite venus nous retrouver ?

Je secoue la tête. Et moi qui croyais que le cadet des Adler avait les pieds sur terre !

— Impossible, dis-je. Ils se seraient déjà fait connaître.

Au fond de sa combe, le Glisseur est toujours aussi immobile. Mais voilà que d'un coup, ses phares s'allument. Le prototype s'élève de quelques mètres, franchit la rivière, puis attaque la montée.

Lentement. Très lentement.

J'inspire un bon coup. Fini les tergiversations ! À présent, il faut agir.

— Florian, ordonné-je, tu descends distribuer les consignes. David reste à l'infirmerie avec Alison. Estelle emmène les petits à la cave. Avec Jesse, Medhi et Stephane, vous vous répartissez au premier, prêts à tirer...

Obéissant, mon aide de camp disparaît dans l'escalier.

— Quant à toi, Jo, tu...

— Moi, me coupe-t-elle, je sors faire office de comité d'accueil.

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(1) Speculator : guetteur

(2) Adjutor : aide de camp

(3) Beneficiarius : sous-officier au service d'un officier supérieur. J'ai féminisé le terme. 

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Alors qui peut bien être à bord de ce Glisseur ? 🤔

Amis ou ennemis ? 🤞

Réponse bientôt... 🙏

Mais avant, nous irons prendre des nouvelles de Liam. 😭😭

Bon week-end. Bisous ! 💖🤗


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