Chapitre 20-2(b)
(Nord Quercy 5 septembre 20h30)
Ses amis ont fui dans le Glisseur, laissant Liam aux mains de Domitien. Multipliant les provocations afin d'accaparer l'attention du Tueur, le jeune homme s'attire les foudres de l'Impérial qui lève une fois de plus son fouet électrique contre lui.
Liam
Une vague de chaleur dévorante.
Un flot brûlant d'une douleur cinglante.
Un bouillonnement irradiant, indicible, effroyable.
Mes jambes se dérobent et je m'effondre. Refusant de me laisser submerger par l'atroce souffrance, je pince les lèvres et serre les dents. Jamais je n'offrirai à mon enfoiré de bourreau le plaisir de m'entendre crier ou de me voir vomir ! Je suis un Élu du Voyageur, habité par deux Oiseaux tutélaires et j'arrive à discerner la couleur des âmes. Il m'en faut plus pour me faire plier.
Une voix jaillit soudain par-dessus le claquement des lanières, rêche et grinçante telle une scie.
— On m'appelle Domitien. Comme l'empereur romain. Aussi cruel. Aussi incorruptible. Aussi insensible. Nemo me impune lacessit... Personne ne me provoque impunément...
Satisfait d'avoir réussi à m'asséner sa formule de présentation, le tortionnaire éteint son fouet. Mais si le larbin du Princeps croit avoir réussi à m'impressionner, il se fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Malgré mon corps qui m'élance à chacun de mes mouvements, je me mets à genoux, puis sur mes jambes. Je suis claqué. Vanné. Vidé. Une cible offerte. Une proie entièrement vulnérable. Je n'ai plus aucune arme pour me défendre. Aucune... À part ma grande gueule !
— Ça, ça reste à voir, grommelé-je. Au reste, pas la peine de traduire. J'ai fait LCA (1) au lycée et j'étais le meilleur de ma classe.
Le poing serré sur son instrument de torture, Domitien me fixe, l'expression aussi indifférente que possible. Il ne veut rien laisser paraître, mais ce qu'il ne sait pas, c'est que je maîtrise de mieux en mieux mon pouvoir et que ce dernier me permet de lire en lui presque comme dans un livre ouvert. En l'espace de quelques secondes, son aura d'un gris-rosé s'est fortement assombrie. Elle a viré au rouge. Un rouge très profond, sombre comme une tache de sang, dangereux comme le feu des fournaises...
Tex : C'est ta faute, aussi. Pourquoi est-ce que tu ne cesses de le titiller ? Je vais finir par croire que tu es maso.
Léo : Notre imbécile d'hôte a juste décidé d'assumer son rôle de victime jusqu'au bout...
Je plante mon regard dans celui de mon tortionnaire. Agacé par mes provocations stupides, il rallume son fouet. À la vue du long tentacule d'électricité, un frisson de terreur remonte mon échine.
— Vous aurez beau faire, dis-je, vous ne serez jamais Indiana Jones. Il vous manque le chapeau, la chemise kaki et surtout, le charis...
Avant que j'aie pu finir ma phrase, l'Impérial envoie la sauce et sa lanière alien me cingle le visage. Aussitôt, ma vision s'illumine d'éclairs et un chuintement inquiétant résonne dans mon crâne.
Le sale bâtard n'y est vraiment pas allé de main morte.
Tandis que la douleur fulgure jusqu'à l'extrémité de mes cheveux, il m'expédie une seconde décharge dans le flanc. Surpris par le choc, je tombe à genoux pour essuyer une nouvelle salve sur l'autre flanc et un dernier tir dans le ventre.
Je me plie en deux, la respiration coupée.
— Tu as eu ton compte ou tu en veux encore ?
La honte de me voir ainsi rabaissé devant mon ennemi juré m'aide à trouver la force nécessaire pour surmonter ma souffrance. Je relève la tête vers le tueur.
Les paupières mi-closes, il m'observe, tel un prédateur repu.
— Pfff ! ricané-je. Vos éclairs ne valent rien. Zeus, Thor, Indra, Tlaloc... Eux, ils s'y connaissaient dans l'art de foudroyer ceux qui contestaient leur hégémonie.
Je m'attendais à me faire à nouveau frapper, mais le vétéran sait se contenir. Seules son aura couleur aubergine et la lueur noire qui traverse son regard témoigne de la fureur qui tonne en lui.
— Tu me parais bien résistant pour un simple Opposant. Quel secret inavouable me caches-tu ?
Sa menace et le ton sur lequel elle a été proférée laissent augurer de tels sévices qu'en moi, c'est illico l'affolement général, plumes hérissées, ailes pendantes et becs grands ouverts...
Mon bourreau a-t-il senti cette soudaine baisse de moral ? Son long manteau flottant dans le vent, il s'avance dans ma direction. Aussitôt, j'esquisse un mouvement de recul, mais comme je n'arrive pas à déplier mes genoux, je ne réussis qu'à tomber sur les fesses.
La façade de Domitien se fissure. Il part d'un petit rire et je rougis de honte. Nous sommes si proches que je perçois les battements de son cœur et le vrombissement de son sang.
Tex ( vert de trouille) : Si ce malade décèle notre présence, on est morts !
Léo ( excédé) : Et comment est-ce qu'il ferait pour nous tuer ? On n'existe pas vraiment...
Tex : Moi, peut-être ! Mais toi ? Je crois savoir que tu te matérialises de plus en plus souvent.
Je n'ai pas le temps de leur répondre. L'Impérial referme ses mains autour de mon cou et me relève si brusquement que l'air quitte mes poumons et qu'un voile noir s'abat devant mes yeux.
Est-ce la fin ? Est-ce que je vais mourir ainsi ?
S'apercevant de mon malaise, Domitien desserre légèrement son étreinte, ce qui me permet de reprendre mon souffle. Ma vision s'éclaircit et je croise son regard. Sourcils froncés et front plissé, il m'étudie comme un virus prisonnier d'un microscope.
Tex : IlnousvoitIlnousvoitIlnous...
Léo : Mais non, abruti. Sous notre forme éthérée, nous sommes invisibles.
Moi ( à cran) : Par contre, vaudrait mieux que vous la boucliez ! Parce que si ce taré vous entend, qui sait ce qu'il peut vous faire ? Une opération à cœur ouvert pour t'en déloger, toi, le pic ? Une trépanation sans anesthésie pour t'extraire de mon cerveau, toi, l'aigle royal ?
Terrorisés par cette perspective, mes deux démons intérieurs se taisent illico. Tandis qu'ils se ratatinent sur eux-mêmes, mon ennemi juré plonge ses yeux encore plus profondément en moi. Mobilisant toutes mes forces pour ne pas lui tirer la langue, je soutiens son regard. Tant pis s'il voit les ombres qui dansent dans mes iris ! Celles qui hantent ses prunelles sont bien plus noires que les miennes. Épaisses et visqueuses, elles me font penser à deux flaques de pétrole...
— Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? m'enquiers-je, plus suave que moi, tu meurs.
Le piège était trop grossier. Domitien ne s'y laisse pas prendre. Cherche-t-il à me tester à son tour ? Il me lâche brusquement, me forçant à puiser dans la magie de mes Oiseaux pour ne pas lui donner le plaisir de chuter une énième fois.
Méfiant, il recule de quelques pas.
Mes deux pieds rivés au sol, je m'esclaffe d'un rire sonore. Même si cela peut sembler étrange, ce soir, j'ai bien des raisons de me réjouir. Les prisonnières ont été libérées et mes amis se sont enfuis. Thibaut rejoindra Carcassonne, retrouvera son père, lui expliquera mon rôle dans le sauvetage de sa fille chérie et Philippe Hébrard interviendra en ma faveur...
Léo ( l'empêcheur de rêver en rond) : Mais bien sûr ! Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d'alu ! Je te croyais plus réaliste, Liam Cagliani. Le Magister ne mettra jamais sa réputation en jeu pour sauver un plébéien, tout ami de son fils qu'il fût...
Tex : Et de toute façon, la question ne se posera pas puisque nous serons déjà morts !
Surpris par cette rare collusion entre les deux entités, je cesse de pistoléter (2) Domitien pour lever les yeux vers le ciel où, hier encore, le Voyageur se trouvait. Mais bien sûr, à cause des cendres, je ne le vois pas. Mes Oiseaux ont raison. L'espoir est un compagnon dangereux. Il donne le courage d'avancer bien plus loin qu'on ne s'en croyait capable, sauf qu'une fois arrivés, il nous laisse tomber et la chute est encore plus douloureuse que si on avait abandonné dès le début.
Je reporte mon attention sur mon bourreau.
— Si je comprends bien, parodié-je Cyrano, mon destin s'est joué à un cheveu de comète...
Un fin lettré comme l'Imperator aurait apprécié la citation. Domitien, qui n'est qu'un agent d'exécution, croit juste que je me fiche de sa fiole. Un putain de sourire aux lèvres, il se met à tapoter de sa main gantée le boîtier de son fouet accroché à sa ceinture. Épouvanté par sa menace, je m'enroule dans la magie de mes Oiseaux comme à l'intérieur d'une couverture moelleuse.
Ce bouclier suffira-t-il à contrer les traits de feu ? Mes muscles se tendent, anticipant la douleur...
Mais l'Impérial maîtrise l'art de la terreur à la perfection et rien ne vient. Les secondes s'étirent tels des élastiques sans fin. Le tonnerre gronde, une chouette crie au loin et les insectes nocturnes s'en donnent à cœur joie dans le parc, grinçant et grinçant encore.
Mon imagination s'éparpille en lambeaux noirs.
Cette attente me tue.
Et soudain, sans crier gare, alors que je n'y croyais plus, Domitien réactive son fouet. La lanière fuse au-dessus de sa tête, se déroulant dans un magnifique arc lumineux.
L'instant se fige.
J'inspire ma vie, l'enfant sage que j'ai été, l'adolescent rebelle que je suis devenu. J'expire ma mort, l'homme de bien en lequel j'aurais pu me transformer, mon avenir que je ne vivrai pas.
Puis le temps reprend son cours. Clac ! La lanière s'abat sur moi. Mais bien que l'électricité me parcoure tout le corps en grésillant, je ne ressens qu'une espèce de fourmillement tumultueux. L'aide combinée de mes Oiseaux me rend l'expérience presque supportable...
Léo ( fumasse) : Espèce de sale égoïste ! Et notre souffrance à nous, tu l'oublies ?
Tex ( le plus ampoulé des pics) : Je ne peux que m'associer à cette remontrance. J'ai beau serrer le croupion, je ne tiendrai pas encore bien longtemps...
Au diable mon ego boursouflé ! Touché par la détresse des volatiles, je change de tactique. Un prisonnier doit être vivant pour être interrogé. Fort de cette certitude, je me tords dans la poussière en poussant des gémissements désespérés, puis cesse brusquement de bouger. Je m'attendais à ce que Domitien stoppe ses frappes, le temps au moins de vérifier mon pouls, il a seulement un rire mauvais et me cingle à nouveau.
Un coup magistral.
Plus rapide, plus cruel, plus vicieux que tous ceux que l'Impérial m'a précédemment portés.
Déjà affaibli, le bouclier ésotérique qui me protégeait cède. Je reçois l'attaque à pleine puissance et cette fois, le hurlement qui m'échappe n'est pas feint.
Un cri atroce d'animal blessé qui s'éteint aussi vite qu'il a jailli.
— Alors, on fait moins le malin maintenant ?
Ondulant et sifflant, le serpent de lumière s'enroule autour de mon cou et me force à me redresser en position assise. Le souffle coupé et la gorge en feu, je croise les yeux de mon bourreau. Deux fentes sombres et une lueur tout au fond, comme des braises qui se réveillent d'un long sommeil, comme des allumettes qui étincellent dans la nuit...
D'une simple pression de la main, Domitien ramène la lanière vers lui.
Vite ! J'inspire à grandes goulées. L'air humide remplit illico mes poumons et, l'espace d'un instant, je sens l'espoir renaître. Peut-être mon supplice va-t-il enfin s'arrêter ?
Sauf que l'univers a un foutu sens de l'humour et que le destin n'aime pas ceux qui le provoquent. Son aura devenue noir de jais, l'Impérial appuie séance tenante sur son fouet. Et cette fois, ce sont quatre filaments incandescents qui en sortent, quatre épées de lumière qui fulgurent dans la nuit, quatre traits aveuglants qui se ruent sur moi.
Ébloui, je laisse tomber mes paupières comme l'on claquerait la porte d'un coffre-fort.
Si je m'écroule derechef tête la première, l'impact des vrilles d'énergie contre mon corps est moins terrible que ce à quoi je m'attendais. Toutefois, la douleur ne tarde pas à monter en moi, toujours plus irradiante, toujours plus violente, telle la main d'un géant qui chercherait à me broyer. Tandis que des éclairs apocalyptiques zigzaguent sur mes rétines, des coups de tonnerre tonitruants me déchirent les tympans et des pensées cataclysmiques affolent mon cerveau. En surcharge totale, ce dernier commence à se dilater. Un instant, je crains qu'il n'éclate. Sauf qu'en lieu et place, je le sens s'élargir, encore et encore, encore et toujours, pour se faire aussi gros que la Terre, que le système solaire, que l'univers...
Je ne suis plus rien, mais je deviens tout. Je suis tout. Une lumière parmi les étoiles, un nouveau Voyageur dans la galaxie, un pur esprit filant vers l'infini.
Sauf que bien évidemment, personne, là-haut, ne veut de moi. Une voix jaillie de mon présent claque bruyamment, m'arrachant au néant de mon espace-temps.
— Dux, arrêtez ! Vous allez le tuer. Ce n'est qu'un gosse...
Une explosion formidable retentit. Est-ce moi qui me suis sublimé ? Est-ce le monde qui a expiré ? Toujours est-il que le terrible orage cosmique se dissipe et que je reprends conscience de mon corps. Les sensations resurgissent, et avec elles, la souffrance, accablante mais rassurante.
J'existe à nouveau.
— Qu'il sorte du berceau ou d'un Ehpad, un terroriste reste un terroriste. Vous vous ramollissez !
Ayant reconnu le timbre métallique de mon ennemi tant honni, je prends une inspiration profonde. Si une drôle d'odeur de brûlé flotte encore dans l'air, le fouet a cessé de siffler. Mon cerveau a réintégré ma boîte crânienne et la lumière ne fait plus aucun bruit dans mes oreilles.
— Si je puis me permettre, vous ne pouvez pas n'en faire qu'à votre tête. César le veut vivant...
Mi-inquiet mi-soulagé, je cligne des yeux. Ma vision trouble et mes pupilles brûlantes ne m'empêchent pas de reconnaître les deux Impériaux venus rejoindre mon bourreau, le centurion Martinez et Vince, le prétorien qui a menti à son supérieur pour protéger Galilée. Le premier tient dans ses mains une espèce de CB taille XXL, le second transporte tout son matos d'optio carceris, des menottes semblables à celles qui entravaient les poignets de Chloé et un genre de casque fait d'une armature tendue de câbles métalliques.
— Je sais ce que je fais, répond Domitien, et je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous.
Dans sa voix, l'exaspération est montée d'un cran si bien que soudain, l'air paraît aussi solide qu'une vitre. Sûr toutefois de son bon droit, l'officier ne se démonte pas.
— De moi non, répond-il en montrant son appareil longue portée, mais de sa Majesté ?
Le tueur le transperce de son regard de pierre. Mais bien que son visage personnifie la rage à l'état brut, il rengaine son fouet, le range à sa place habituelle et s'empare de la radio.
— Qu'est-ce qu'il y a ? lance-t-il sèchement. Si vous me dérangez à tout bout de champ, comment voulez-vous que j'accomplisse correctement mon job ?
De nombreux grésillements parasitaires venant se cogner contre son tympan, l'Impérial se met à marcher de long en large. Bien décidé à mettre ce répit à profit, je redresse la tête en douce pour respirer à pleins poumons l'air de la nuit. Aussitôt, le monde arrête de trembler, mes pensées s'éclaircissent et mes Oiseaux reviennent à la vie. Après avoir déployé l'une de ses ailes, Léo entreprend de la lisser et Tex semble avoir retrouvé quelques couleurs...
— Quoi ? s'énerve Domitien. Parlez moins vite. Je ne comprends rien à ce que vous dites...
Je le regarde aller et venir du coin de l'œil. Accaparé par son sérénissime interlocuteur, mon bourreau paraît m'avoir oublié. Je pourrais discrètement tendre le pied. Cet enfoiré trébucherait, se casserait le nez, voire quelques dents, et il repeindrait le sol de son sang. Mais à peine ce fantasme m'a-t-il caressé l'esprit que je l'en chasse. J'ai encore mes bras, j'ai encore mes jambes, je n'ai pas été découpé en milliers de confettis et tous mes organes ont l'air fonctionnels.
Autant faire profil bas pour le moment et attendre mon heure !
— Bordel ! crache le laquais de l'IMP. Après dix-huit ans ! Mais il fallait s'en douter. Cette blondasse a la rancune tenace. Elle vous a gardé un chien de sa chienne.
Persuadé qu'il est question de la nouvelle Reine de l'Alliance du Nord, je tends l'oreille. Toutefois, César semble si hystérique que seuls quelques mots diffus parviennent jusqu'à moi. Ayant toutefois une longue expérience des emmerdes, je comprends illico que l'heure est grave. Cette Emma est décidée à tout pour défaire César et mettre l'Empire à genoux...
Tex ( l'oie blanche) : Pourquoi les dirigeants sont-ils si autocentrés ? Ils devraient s'associer contre l'adversité au lieu d'en profiter pour essayer de prendre l'ascendant sur leurs voisins !
Moi ( fataliste) : La loi de Murphy. Cette foutue loi de Murphy...
Léo ( l'aigle martial) : Hauts les cœurs, les gars ! Au moins, tout ce bazar nous octroie un répit.
Une onde de pouvoir déferlant depuis ma tête dans tout mon corps, je serre les poings, allonge les jambes, bombe le torse et me remets debout.
Alerté par le bruit des graviers qui roulent sous mes pieds, mon ennemi cesse soudainement ses cent pas. Le regard qu'il me lance aurait refilé la syphilis à une nonne.
— C'est bon, jette-t-il dans le combiné, le prisonnier parlera.
Las de tous ces atermoiements, il éteint la radio, puis la rend à Martinez qui se hâte de rejoindre ses hommes, nous laissant seuls tous les trois. Un prétorien mutin aux airs de jeune premier, un assassin déguisé en tueur de série B et sa toute prochaine victime, un pauvre plébéien hanté par les voix de ses deux Oiseaux grincheux...
Je vois – oui, oui, je vois ! – les plumes de Léo se dresser sur sa tête.
— Bordel de bordel ! jure-t-il. C'est déjà le second round.
Tandis que Tex se rabougrit du mieux qu'il peut au fond de mon cœur, Domitien me fixe, un éclair de colère en fusion brillant au fond de ses yeux.
D'un coup, l'air est différent. Rempli d'électricité...
— Tu travailles pour cette salope, c'est ça, hein ?
Ma surprise est telle que ma bouche s'ouvre en grand. Il existe deux sortes de personnes, celles à qui la vie offre sans arrêt de jolis sourires et celles invariablement victimes du mauvais œil. Ayant toujours appartenu à la seconde, ce nouveau coup du sort ne me surprend pas. Je vais m'en sortir. J'ai vécu pire. Vraiment pire...
Je passe ma langue sur mes lèvres desséchées. Domitien ne perd pas une miette de mes réactions.
— La désertion de 3.0, insiste-t-il, la fuite de Jake, la libération d'Arthur. Impossible que ce ne soit que des coïncidences ! Tu es un agent Nordiste.
Sous l'effet de la rage, le visage de l'Impérial s'est métamorphosé et son aura ressemble désormais à un tableau de Picasso, tout en explosion de couleurs et courbes sinueuses. Aussitôt, la terreur monte en moi, profonde et irraisonnée. Résultat, comme à chaque fois que je me sens fébrile, les mots s'échappent de ma bouche avant que j'aie eu le temps d'y réfléchir.
— Merde ! Arrêtez de me mater ainsi. Vous allez me faire rougir...
Je jurerais avoir vu Vince se transformer en flaque d'eau, mais fidèle à lui-même, Domitien se contente de poser la main sur son fouet.
— Il n'y a pas à dire, tu as de la répartie et du sang-froid. Emma sait choisir ses boys...
Il s'interrompt, ses yeux sombres, comme deux petites météorites, braqués sur moi. Bizarrement, ma réponse meurt dans ma gorge...
— Je me demande bien ce que cette diablesse t'a promis pour que tu risques ta vie ainsi ? Elle a couché avec toi et t'a retourné les sens ? Si c'est le cas, elle t'a bien eu. Elle a toujours aimé prendre ses amants au berceau, mais c'est une croqueuse d'hommes sans pitié.
Mon souffle s'emballe. Toutefois, le coup de feu qui claque net au loin dans le parc ne me laisse pas le temps de lever le malentendu.
Qui a tiré et pourquoi ?
Aux alentours, tout le monde se tait, prétoriens, insectes et oiseaux nocturnes. Même le tonnerre semble mettre ses grondements en sourdine. Seul Domitien reste serein. Le sourire qui se dessine sur ses lèvres ne me dit rien qui vaille..
— Et un Opposant en moins ! annonce-t-il.
Sûr qu'il a reconnu l'arme de son apprenti, je suis parcouru d'un frisson brûlant. Une nouvelle détonation retentit, paraissant rouler vers nous depuis les bois. Tandis que mon cœur volette dans ma poitrine tel un piaf prisonnier, mon cerveau éclate en de furieux battements d'ailes.
— Eh bien, note Domitien, il semblerait que les tiens se fassent tirer comme des lapins.
Rien ne dit que ce soit effectivement ce qui se passe. Mais la futaie séculaire qui me fait face est si sombre ! L'angoisse est là. J'en sens le baiser vorace sur ma nuque.
Conscient de mon trouble, mon ennemi juré m'assène le coup de grâce.
— Toi et moi, on va bien s'amuser. Et quand j'en aurai fini, tu m'auras livré la totalité de tes secrets. Et tous tes amis, bien entendu...
Il a parlé d'une voix sans timbre, aussi creuse qu'une boîte de conserve. Pourtant, elle me donne l'impression d'un douche glacée. Mon ventre se noue et Tex se recroqueville contre mon cœur. Léo, lui, s'immobilise, puis replie ses ailes. Cherche-t-il à se rendre invisible ? Non. Sans crier gare, il plante son bec dans mon cerveau...
J'ai l'impression d'un vrai coup de couteau, telles les canines d'un loup se frayant un chemin dans ma tête. La douleur est fulgurante. Ce sale fils de pute m'a arraché des souvenirs...
— Je te les garde en sécurité, mais pour l'instant, tu n'en as pas besoin !
Un profond gémissement m'échappe. Je vacille. Hélas ! Cet enfoiré de Domitien me rattrape et passe un bras autour de mes épaules. Un instant, j'ai peur qu'il ne veuille m'enlacer. Mais il me secoue si fort que je crois entendre mes dents s'entrechoquer.
— Hé ! Ce serait trop facile ! Tu ne vas pas t'en aller comme ça. Une longue soirée nous attend, juste toi et moi, seuls... Je te ferai découvrir des endroits de ton corps dont tu n'as même pas conscience, des douleurs dont tu ne pensais pas qu'elles puissent exister... Tu me diras tout ce que je voudrais savoir... Et peut-être qu'après, dans un excès de clémence, je te laisserai vivre... Juste pour que tu t'en veuilles tout le restant de ton existence parce que c'est à cause de toi que tes amis auront souffert et seront morts...
Je cligne des yeux. Mon esprit est si embrumé maintenant que j'ai du mal à les garder ouverts.
— Quels amis ? murmuré-je. Je ne vois pas de qui vous voulez parler.
— Rassure-toi, tu te les rappelleras tout à l'heure. Mes méthodes d'interrogatoire sont infaillibles.
Sur un signe de son supérieur, Vince s'avance, ses entraves anti-Altérés dans les mains. Même si j'ai déjà enduré bien pire, je ne peux m'empêcher de trembler.
Domitien éclate d'un rire caverneux qui résonne dans mes tympans comme une promesse solennelle de sang et de souffrance.
Mais il ne sait pas que Léo a déployé grand ses ailes autour de mon cerveau, empêchant du mieux qu'il le peut mes terminaisons nerveuses de transmettre le message de la douleur. Et il ne sait pas non plus que Tex s'est pelotonné autour de mon cœur et qu'il l'aide de toutes ses forces à continuer à battre normalement.
L'optio carceris referme ses menottes autour de mes poignets et pose son casque sur mon cuir chevelu.
Je ne ressens que de légers picotements.
Mes yeux se ferment et les ténèbres m'emportent enfin, m'aspirant dans leur néant bienheureux.
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(1) LCA : Langue et Culture de l'Antiquité.
(2) pistoléter : allusion à Vipère au Poing d'Hervé Bazin. La pistolétade est une façon pour le narrateur de se révolter contre sa mère qui le martyrise puisqu'il la provoque à travers le regard et lui déclare en pensée qu'il ne l'aime pas.
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Désolée pour ce très long monologue, mais impossible de faire taire Liam. J'aurais certes pu museler les Oiseaux ou couper quelques envolées lyriques, mais comme ces passages me plaisaient bien, j'ai finalement décidé de les laisser. 😊
Rendez-vous bientôt avec Thibaut, tout en concision et efficacité, je l'espère ! 😅
Bonne lecture et bon week-end ! Courage pour ceux qui ne sont pas en vacances...
Bisous.💓🥰😘
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