Chapitre 20-1

(Nord Quercy 5 septembre 20h13)

Resté en arrière pour couvrir la course de Charlotte et Chloé jusqu'au Glisseur où les attendent leurs amis, Liam est capturé par Domitien. Sous leurs yeux horrifiés, l'Impérial s'acharne sur son prisonnier avec son fouet électrique.  L'espace d'un instant, Thibaut hésite, puis il choisit de fuir en abandonnant le jeune homme aux mains de son ennemi juré. 

Chloé

PapaLiam ! je crie dans ma tête. PapaLiamPapaLiamPapa...

Je gesticote dans tous les sens pour descendre à son secours, sauf que Thibaut me tient si dur que j'y arrive pas. Il est beaucoup plus musclé qu'il en a l'air.

— Démarre ! il commande à Galilée. On ne peut pas rester là.

— Mais..., elle proteste, Liam...

— On s'arrache ! il s'énerve, sa voix pareille que du fer. C'est un ordre.

Vite ! Ma sœur dégare le Glisseur qui file dans les bois. Bouleversifiée, je glisse par terre à côté de Sampa. Au-dessus de moi, assis serrés sur les sièges, il y a Charlotte, Nicolas et Rémy.

Rémy.

Blanc comme une feuille de devoir.

Incapable de le regarder malade, je cache ma tête dans les poils de mon gros doudou vivant, ma toutoute. Elle est plutôt dégueussale, mais c'est la seule à me comprendre.

Thibaut se retourne et pose sa main sur mes cheveux. Un câlin pour de faux.

— Chloé, il demande, soigne-le, je t'en prie.

Toute paralysée, je bouge pas. Comment lui expliquer qu'en mettant le feu à la forêt, j'ai fini de me déforcer ? Je peux même pas parler...

— Merde ! sa voix de chef se met en colère. Remue-toi, empêche-le de mourir !

Sans que je le lui aie ordonné, ma tête se relève et ma main file droit vers son ami pour atterrir sur son ventre. C'est là qu'il a le plus mal.

— La ferme ! Galilée se fâche. Après ce que cette môme a vécu, tu vois pas qu'elle en peut plus ?

— T'es vraiment qu'un gros con sans-cœur ! Charlotte rajoute. Si Rémy est dans cet état, c'est ta faute, pas la sienne. Jamais t'aurais dû l'embringuer dans tes délires.

Comment arrêter le cauchenoir ? Vu que je peux pas fermer mes oreilles, je laisse tomber mes paupières. Toi, le Voyageur qui habites le ciel, tu pourrais pas me donner un petit peu plus de pouvoir ? Je me brosserai les dents après chaque repas et j'écouterai toujours la maîtresse à l'école et je ferai plus de bêtise et je...

Furieux contre sa sœur, Thibaut lance un grand coup de poing dans la portière du Glisseur. Bang ! Aussitôt, ma prière se stoppe. Heureusement... Je racontais que des promesses pas possibles à tenir.

— C'est comme ça que tu me remercies ? il gronde. En m'insultant ? Eh bien tu sais quoi ? Va te faire foutre !

Terrorrifiée, je rouvre les yeux. Sauf que dehors, c'est encore plus horrible que dedans. Tout partout. En bas, les arbres, en haut, les éclairs. Le monde entier est en train de brûler.

— Je ne demande que ça. Et de plus jamais voir ta sale tronche de premier de la classe !

Est-ce que c'est d'entendre toutes ces méchanceries ou de voir tout ce feu ? Je sens un drôle de picotis, comme des fourmis, au bout de mes doigts.

— Stop ! Thibaut hurle d'un coup. Arrête-toi.

Galilée freine si net que ma tête se cogne contre le siège de devant et que ma main lâche Rémy. Dommage ! Mon pouvoir de guérissage était en train de revenir...

— Bon sang ! Nicolas s'inquiète. On est d'accord que ta sœur est insupportable. Mais on ne peut quand même pas la larguer.

Curieuse de voir où on est, je relève le menton. Plus d'incendie, mais des arbres tout emmêlés et des ronces en pagaille... Pauvre Charlotte ! Elle aurait pas dû dire autant de gros mots.

— Moi, Galilée déclare, je vote pour l'expulsion. On aurait enfin la paix.

Catastrophée à l'idée que Sampa décide aussi de descendre, je regarde sa patronne. Elle est maintenant aussi blanche que Rémy.

Rémy.

Vite ! Je me concentre sur le Voyageur, puis repose mes mains sur son ventre. De suite, il pousse un petit soupir de ressuscitage.

— C'est sûr, Charlotte crâne, qu'auprès des prétoriens, ça ne peut pas être pire qu'avec vous.

Elle veut ouvrir sa portière, mais impossible ! Surprise, elle défigure son frère.

— Tu as peur que j'aille rapporter tes exploits à papa ?

Sans répondre, il ramasse son fusil, puis appuie sur un bouton devant lui. Zzzzz ! Son côté se relève. Il saute dehors et s'éloigne de quelques pas.

Papa Thibaut.

Je savais bien qu'il était moins méchant qu'il faisait semblant.

— Où tu vas ? Charlotte panique. D'accord, ce plébéien est un sacré beau gosse, mais rien ne justifie que tu y risques ta vie !

Au moment où il serre les poings, la pluie se met enfin à tomber. Une pluie bizarre, dure et enragée, qui toctoque sur le toit du Glisseur et splashe sur le sol.

— Ce plébéien, comme tu dis, s'est porté volontaire pour te sauver, alors qu'il ne te connaissait ni d'Éve ni d'Adam. Donc, à ta place, je la mettrais en veilleuse.

— Tu parles ! C'est pour toi qu'il l'a fait ! Et pour Chloé...

La sentant toute triste, Sampa pose sa tête sur les genoux de sa patronne.

— Ça me fait mal au derche de l'avouer, Galilée intervient, mais ta frangine a raison. Qu'est-ce que tu crois pouvoir faire seul contre Domitien ? Je viens avec toi.

Elle a bondi si vite le rejoindre qu'occupé à vérifier son fusil, Thibaut l'a même pas vue arriver.

— Non ! il dit avec sa voix de commandant. Tu es la seule ici à savoir piloter. Alors, je te confie mes amis. Vous m'attendrez là où on a laissé Liam.

Ma sœur lui lance un œil noir.

— Et si tu ne reviens pas ?

Aussitôt, mes yeux commencent à dégringouliner comme la pluie dehors. Elle a raison, Galilée. Thibaut va se faire otager lui aussi comme Papa Liam, ou alors complètement aplatir, comme Rémy.

Rémy.

Je le regarde de nouveau.

Si je me sens toute molle maintenant, c'est parce que j'ai un peu réussi à le réparer. Sa figure est plus rose et il respire mieux.

Mais vu qu'il y en a que pour notre commandant, personne s'en est encore aperçu...

— Si je n'ai pas réapparu d'ici une demi-heure, vous irez chercher Maeva et Claire, ensuite...

Il se penche vers Galilée. Je tends l'oreille, mais mon pauvre petit cœur y badaboume tellement dedans que j'entends juste quelques mots, « alliés », « Cahors » et « château ».

— Ne t'en va pas, Charlotte craque, ne me laisse pas.

D'un coup, tout le monde la fixe. Elle a beau être fière et courageuse et tout, soudain, elle arrive pas à fermer à ses larmes la porte de ses yeux.

Galilée fronce les sourcils. Thibaut la défigure, aussi sérieux qu'au cinéma.

— Pour ce qui est de ma sœur, je te donne les pleins pouvoirs. Empêche-la de faire des conneries.

Il remet son casque. Vite ! Je pose un gros bisou-câlin sur ma main et le lui lance comme un petit ballon invisible. Il l'attrape au vol, le pose contre sa poitrine, puis me sourit avec les yeux. Ma puce, ils me disent, ne t'en fais pas. Je vais revenir.

J'aimerais tellement le croire ! Mais bon... Les grands mentent encore plus que les enfants.

Il demi-tourne et quand il disparaît dans les bois, ça fait dans le Glisseur comme si tout l'air était aspiré dehors. Les passagers se paralysent.

Même Sampa.

Aussitôt, ma gorge se serre et mon nez commence à moucher.

Galilée, qui s'est rassise, redémarre et ziouf ! Le Glisseur file à fond à travers les branches. J'ai tant l'impression d'une béberceuse et je me sens si flagada... Schlonnnng... Mes paupières se ferment pour dormir...

Mais comme le bonheur, la tranquillité dure jamais bien longtemps.

Soudain, le sol s'effondre. Ou plutôt, c'est moi qui m'envole. Ça fait un grand boum, puis je retombe.

Est-ce que j'ai tapé sur quelque chose ?

Sûrement.

Parce que j'ai mal. Beaucoup sur mon front. Et jusque dans mes os.

— Putain Galilée ! j'entends Charlotte se fâcher. Qu'est-ce qui t'a pris de freiner aussi sec ?

— T'aurais préféré qu'on se crashe contre le mur d'enceinte ?

La voix de ma sœur grogne dans mes oreilles. J'essaie de me relever, mais mon corps pèse lourd, pareil qu'un kilo de plomb. Et mes yeux sont trop mous pour s'ouvrir.

J'abandonne.

— Si je me suis arrêtée ici, Galilée reprend, c'est parce que j'ai repéré un creux dans les feuillages pour planquer le véhicule.

Zzzzzzz ! Le Glisseur repart. Il avance lentement dans un gros frou-frou et de branches, puis s'éteint à nouveau.

Le silence a fait tellement de bruit en retombant qu'à l'intérieur, y a plus personne pour parler, bouger ou même souffler. Tout le monde entend encore et toujours dans sa tête les hurlements de Papa Liam...

Liam

— Papa Liam, Liam, Papa Liam, Liam, Papa Liam, Liam...

Mon bourreau rit et le fouet siffle et les lanières frappent. Tandis que dans mon esprit en surchauffe, les cris de Thibaut se heurtent aux pleurs de Chloé, mon corps ne cessent de tressauter.

Dans un pur instinct de survie, je me ratatine sur moi-même.

Un gros calmar sur le gril.

Cette image désolante ne m'a pas traversé l'esprit qu'au bord de mes yeux, le monde devient blanc, puis noir d'encre, avant de se mettre à cracher des couleurs partout.

Du rouge, du jaune, du feu...

Les salves s'interrompent. Un hurlement épouvantable retentit..

— Newton !

Je crois d'abord que c'est moi qui ai crié, mais non. Pourquoi appellerais-je au secours mon second pire ennemi ? Et comment aurais-je la force d'émettre le moindre bruit ?

Je suis tout juste capable de souffrir...

Le silence retombe.

Pas pour longtemps. J'entends de lourdes bottes militaires se rapprocher. Aussitôt, mon palpitant manque un battement.

J'inspire un grand coup afin de me calmer.

Une épaisse fumée âcre envahit illico ma gorge et mes poumons. Au bord de l'asphyxie, je me retiens à grand peine de tousser. Mes Oiseaux, eux, ne semblent même pas incommodés.

Tex ( à cran) : Non, pas le grand cinglé ! Quelle nouvelle torture il va nous infliger, celui-là ?

Léo ( l'enfonceur de porte ouverte) : Liam Cagliani, t'es mort !

Moi (ironique) : Et toi aussi, par la même occasion, non ?

Léo : Je pourrais me matérialiser ? Au moins, il y en aurait un de nous trois qui échapperait au sort tragique que ces bâtards nous réservent !

Tandis que mon pic lui répond par une bordée d'insultes, le rapace allonge le bec et déploie ses ailes. Si son but est de défoncer la porte de mon esprit, il a beau s'étirer et forcer, rien n'y fait.

La magie du fouet qui continue à vibrer en moi interdit à celle de mon aigle de s'exprimer.

Un enfer.

Mon enfer.

— Vous avez besoin de moi, dux ? s'enquiert Newton.

— Oui, rétorque son mentor. Retrouve-moi ce celerrimum. Ses passagers ne sont pas du genre à abandonner l'un des leurs derrière eux sans rien tenter. Ils vont s'arrêter !

Il ne s'est pas tu que les nuages crèvent enfin et se déversent sur la zone du combat. La pluie tombe avec violence, en gouttes lourdes et froides qui tambourinent sur le toit du manoir, ma combinaison photochromique et mon crâne découvert.

Une vraie mitraille qui me revigore les méninges.

Bien que les décharges électriques résonnent encore dans ma chair et dans mes os, la douleur reflue, telle une marée descendante.

J'ouvre péniblement les paupières.

La catastrophe a été évitée. Non seulement le feu n'a pas gagné le manoir, mais il est resté circonscrit à une partie très limitée du parc.

— Si je les rattrape, demande Newton, j'ai carte blanche ?

Aussitôt, mon sang se fige, de la glace glissant dans mes veines. Vu de près, l'apprenti de Domitien est vraiment impressionnant. On dirait un géant de l'Île de Pâques. Un Moaï bardé d'armes futuristes.

— Tu peux tous les descendre, confirme son dux. Sauf qui-tu-sais, bien entendu !

Tandis que son élève lâche un grognement contrarié, mon cœur s'emballe comme un volet qui claque. Si Thibaut cherche à jouer les héros, il est fichu !

— Et arrête de râler ou je t'affecte au transport des blessés...

Obéissant, Newton fait volte-face et disparaît de ma vue. Ses ordres donnés, son mentor se tourne maintenant vers les militaires occupés à dégager les victimes de l'incendie. Une fois les flammes éteintes, la pluie a cessé aussi rapidement qu'elle a commencé et seuls les troncs fumants et leurs branches carbonisées témoignent de la violence du brasier qui a failli consumer la zone.

Centurio Martinez ! C'était quoi ce bordel ? Vous allez devoir rendre des comptes à César !

L'officier que Domitien vient d'interpeller sursaute, puis se raidit en un salut romain digne d'un péplum.

— Nos meilleurs éléments ont été mobilisés pour contrer l'attaque de l'Alliance du Nord. J'ai dû improviser avec les quelques hommes disponibles, des jeunes sans expérience qui n'ont jamais combattu...

À cran, mon ennemi juré lui coupe la parole d'une main autoritaire. Toujours allongé sur le sol, je fixe son grand manteau noir qui vole dans le vent telle la cape d'un super-héros maléfique. Serait-il possible que Domitien ait une telle confiance dans la puissance de ses lanières alien qu'il me croit complètement sonné ?

— C'est une chance, crache-t-il, que nos véhicules soient restés garés de l'autre côté du manoir. Cela aura limité les dégâts.

Blessé par cette remarque cinglante, Martinez pâlit.

— Le bilan est moins terrible qu'il n'en a l'air, se défend-il. La plupart de nos hommes portaient des combinaisons pare-balles et ignifugées. Et leur casque les a protégés de l'asphyxie.

— Quoi qu'il en soit, centurio, un fiasco reste un fiasco !

Vexé, l'Impérial serre les poings. Il aimerait tant cogner la sale gueule d'enfoiré de son supérieur. Mais il ne le peut pas. Alors, il prend sur lui.

— Allons, dux, tout n'est pas si noir ! Vous avez capturé l'un de ces terroristes. Vous le ferez parler et il livrera tous ses complices.

Il se tait. En moi, la peur cède la place à un effroi glaçant.

— À ce propos, reprend le centurion, votre optio carceris est indemne. Je lui ai confié le transfert des blessés jusqu'aux véhicules, mais si vous avez besoin de lui, je l'appelle sur-le-champ.

Il a déjà saisi sa radio, toutefois Domitien s'en empare d'un geste autoritaire.

— Inutile ! Ce prisonnier est pour moi. Pour moi seul...

Ces dernières paroles me promettent tellement de souffrances inédites ! Aussitôt, la panique enfonce ses griffes si profond dans mon cœur qu'il interrompt ses battements.

Je suis en train de me demander si je ne vais pas suggérer à Tex de définitivement l'arrêter pour en finir quand il s'élance à nouveau.

Tu ne dois pas abandonner, me dit mon pic. Il y a toujours de l'espoir. Regarde !

Sous mes yeux ébahis, Martinez fait volte-face pour rejoindre ses hommes. Et à ma grande surprise, Domitien le suit.

Il le suit !

Ne pouvant croire à ce que l'univers me donne une chance de fuir, je reste figé là, telle une putain de baleine échouée. Heureusement, mes Volatiles, eux, sont bien plus réactifs.

Léo : Bordel ! Mais secoue-toi ! Une telle occasion ne se reproduira pas...

Tex : Mon aile à couper que c'est un piège !

Léo : On ne sait jamais. Ce bâtard de Domitien est tellement sûr de lui !

Moi : OK, on y va ! Par contre, j'ai besoin que vous m'aidiez...

Aussitôt, une douce chaleur m'envahit alors que le pouvoir de mes Oiseaux se fond dans ma chair et mes muscles meurtris.

Plus de conflit entre nous, juste la hâte de passer à l'action.

Puisant dans leur magie, je me relève d'un bond et m'élance à grandes enjambées vers le parc où les arbres rescapés de l'incendie semblent espérer mon arrivée. S'ils tendent leurs branches noircies vers le ciel, n'est-ce pas pour adresser au Voyageur une supplique en ma faveur ?

J'accélère.

Devant moi, il y a une vieille haie de sapinettes, des ronces et des repousses en tous genres mêlées.

Le salut est vraiment proche.

Plus qu'une vingtaine de mètres.

Quinze.

Dix.

Je pense être hors de danger quand j'entends des semelles crisser dans mon dos. Telle l'eau fuyant d'un tonneau percé, l'espoir m'abandonne illico.

D'instinct, je fais un écart.

Un éclair bleu frappe le sol à côté de moi. Les étincelles qui fusent jusqu'à mes chaussures m'arrachent un frisson. Toutefois, la peur m'a déserté. Tel Œdipe quand il s'est crevé les yeux, je suis prêt à affronter mon destin.

— Mais qu'est-ce que vous croyez, jeune homme ? dit Domitien. Que je ne vous surveillais pas ?

Comme mes chances de m'enfuir s'élève désormais à zéro tout rond, je compose mes traits en un dédain railleur, puis pivote sur moi-même.

— Personne n'est invincible, pontifié-je. Aucun ennemi n'est si fort qu'il ne puisse être défait.

Sa puissance semblant voiler l'air de magie, l'Impérial s'avance dans ma direction. Malgré l'envie qui me taraude de prendre mes jambes à mon cou, je l'attends de pied ferme.

— Vous m'avez manqué à Paris et je vous ai échappé tout à l'heure. Jamais deux sans trois...

Il s'immobilise à quelques pas de moi. Ses yeux ne sont plus qu'un tourbillon vif-argent de rage. Quel idiot je suis ! J'aurais dû tenir ma langue...

Il lève son poing et un nouvel éclair file vers moi.

Dans la fraction de seconde qui précède la douleur, je comprends que je vais morfler.

C'est pire...

Thibaut

Liaaaaaaaaaaaaaam !

Mon esprit n'est plus qu'un long hurlement, mon cœur, un profond gémissement.

Une plainte déchirante.

Furieux de ma perte de contrôle, je marque une halte. Dans le ciel sourd et opaque, l'orage tourbillonne comme un vol de vautours et devant moi, se dresse le parc du manoir, un labyrinthe inextricable et chevelu, une immense muraille de verdure.

N'est-ce pas toi qui, tout à l'heure, déclarais que d'un point de vue rationnel, il n'y a pas à hésiter à sacrifier une vie pour en sauver cinq ?

Oui, je l'ai dit, réponds-je à ma conscience, néanmoins c'était juste un concept dans l'absolu !

Quelle mauvaise foi ! riposte cette dernière, horrifiée. Il s'agissait de Rémy, l'un de tes meilleurs potes. Il y aurait donc deux poids deux mesures ?

D'un froncement de sourcils, je tente de réduire mon cerveau au silence. Mais il est bien plus facile d'écarter les branches qui me barrent le chemin que de repousser les remords qui m'assaillent.

À peine me suis-je remis en route qu'ils recommencent à fondre sur moi tel un véritable sabbat.

Cherchant à me changer les idées, je baisse les yeux sur ma montre. Mais comme je ne regarde plus où je mets les pieds, je trébuche, sens un grand vide m'aspirer et me retrouve à plat ventre dans un fouillis de feuilles pourries et de fougères trempées.

Cela ne fait pas quatre minutes que j'ai quitté le Glisseur et je me suis déjà vautré.

Galilée, elle, aurait assuré !

Grinçant des dents, je me relève. Comme les gouttes d'eau sur ma combinaison Impériale, mes yeux glissent sur les arbres et les fourrés sans rien voir. J'ai le cerveau si encombré que je ne me rappelle même plus pourquoi je n'ai pas suivi le plan initial qui était d'aller chercher du secours et de mettre mes amis à l'abri.

Au moment où l'idée m'effleure de rebrousser chemin, la pluie s'interrompt aussi subitement qu'elle est apparue. Aux environs du manoir, l'agitation s'intensifie, des appels fusent, des ordres qui s'éloignent ou se rapprochent...

Peut-être pourrais-je suffisamment m'avancer pour en apprendre davantage sur le sort que Domitien réserve à Liam ? Sur la prochaine destination des Hommes-Caméléons ?

Je me remets en route et ne tarde pas à remarquer sur le côté, des branches cassées et des fougères écrasées.

Quelqu'un a manifestement parcouru ce sentier oublié dans les heures précédentes.

Liam.

Qui marchait à grandes enjambées vers son tragique destin.

Juste pour moi. Parce que je le lui avais demandé.

L'avait-il fait de son plein gré ou mon autorité était-elle si absolue qu'il n'avait pas pu refuser ?

Mon esprit assailli par un doute affreux, je me dirige vers l'étroit passage quand tout à coup, mon cœur manque un battement. Je jurerais avoir entendu une branche claquer à proximité.

Un son clair et précis, trop net pour être naturel.

Je m'immobilise. Le tonnerre gronde au loin, le vent hurle entre les arbres et les feuilles volent autour de moi, tels d'innombrables sanglots intarissables.

Le sang battant dans mes oreilles, je me masse les tempes afin d'apaiser ma migraine. Putain de putain, comme dirait Galilée, cette journée n'est qu'un horrible cauchemar !

Un nouveau craquement suspect résonne, plus sourd, plus proche que le précédent.

Cette fois, j'en suis sûr, il y a quelqu'un qui rôde dans les parages, quelqu'un qui, malgré sa grande discrétion, ne parvient pas à totalement passer inaperçu.

Vite ! J'attrape mon Glock et plonge à l'abri d'un fourré derrière lequel je me recroqueville. Ma poitrine n'est plus qu'un immense gouffre où mon cœur cogne comme un marteau à percussion.

Je prends une profonde inspiration afin de me calmer.

Exacerbées par la pluie, des milliers de senteurs différentes m'envahissent aussitôt les narines, manquant de me faire éternuer. Sûr que l'intrus n'est plus très loin, je dresse l'oreille, essayant de compenser ma quasi-cécité par mon ouïe exacerbée.

Mais dans mes tympans fatigués, tous les bruits s'entrelacent en un orchestre si discordant que ma migraine s'amplifie. Mon pouls bat dans ma gorge. Les arbres frémissent sous le vent nocturne. Les feuilles crissent et les prétoriens aboient au loin...

Impossible, dans ces conditions, d'isoler les sons les uns des autres et donc de repérer la position de mon ennemi. 

Alors, comme il est hors de question de fuir, je serre convulsivement la crosse de mon fidèle compagnon de ces derniers jours et me fige sur place, façon statue de pierre. 

Tandis que mes pensées virevoltent en de terribles scénarios catastrophe, les secondes s'étirent dans une lenteur infinie pour se transformer en minutes. 

Mais rien ne se passe.  

Peut-être ai-je été victime de mon imagination angoissée ? À moins qu'il ne se soit juste agi d'un animal sauvage ? Jamais un prétorien ne se serait éloigné seul de ses pairs...

Je commence à me détendre quand je sens le canon d'un pistolet se planter dans mon cou, pile entre ma combinaison et mon casque. L'espace d'un instant, le temps reste suspendu comme si les bois autour de moi avait pris une inspiration géante. Puis un grognement jaillit, âpre et rêche, telle une scie mal aiguisée.

— Lâche ton arme et lève les mains. Doucement...

Je me fige. L'approche de l'Homme-Caméléon a été si discrète et sa menace si soudaine qu'il me faut bien une demi-seconde pour réaliser ce qu'il m'arrive.

Et une de plus pour reconnaître à qui cette voix appartient.

Newton.

L'apprenti aussi taré que cruel de mon grand ami, Domitien.

— Je ne te le demanderai pas une troisième fois. Ton flingue, par terre, ou je tire...

Vite ! Je me dépêche d'obéir. Finalement, cette arrestation est un soulagement. L'Impérial va m'emmener rejoindre Liam.

— Comment tu préfères crever ? continue la voix dépourvue de tout sentiment. Une balle dans la nuque ou en fixant la mort droit dans les yeux ?

********************

Me voilà enfin de retour ! ✨🍾

Je suis à la fois ravie de recommencer à publier, mais aussi un peu stressée. 😰

Je travaillais sur le chapitre Chloé quand j'ai dû brutalement m'interrompre. Et je ne suis pas arrivée à retrouver le fil... Jusqu'à ce que je comprenne que ce n'était pas à Chloé de raconter la suite. ☀

Par chance, Galilée se trouvait aussi dans le Glisseur !

Du coup, j'ai totalement changé la structure des chapitres 20-1 et 20-2 pour ne pas jeter ce que j'avais eu tant de mal à écrire.

Finalement, ces trois saynètes juxtaposées donnent un nouveau rythme au récit.

J'espère que cela vous a plu !   🙏

Merci de tous vos encouragements et soutiens. Cela m'a beaucoup aidée. 💗

J'espère pouvoir publier la suite un peu plus vite !

Bisous. 💖💖

 

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