( Région Centre, nuit du 1er au 2 septembre 0h 52)
Chloé a décidé d'essayer de guérir son tonton Raoul, atteint de la Fièvre de Sang...
J'attaque la montée, doucement, tout doucement. Puis, une fois en haut, je m'arrête devant la chambre de tonton et me bouche le nez tellement ça me rappelle l'hôpital, quand on allait voir papy.
J'ai envie de pleurer mais ferme à mes larmes la porte de mes yeux.
Chloé, plus courageuse qu'un prétorien. Chloé, plus forte que la terreur. Chloé, plus puissante que la mort.
J'entre, le cœur au galop.
De suite, la nuit passe à l'attaque, crachant sa fumée ébouriffée pleine de vilains virus. Ils se mettent à danser autour de moi puis se rapprochent, la serviette autour du cou et la fourchette à la main. Miam ! On va se régaler...
Mais les voilà qui se stoppent, en alerte rouge. Ils me flairent, me fixent puis font demi-tour. Vert de trouille, comme papa y dirait.
Ben oui ! Je suis la fille du Voyageur. Et eux, ils sont quoi ? Rien que des petits riens du tout !
Je m'avance vers le lit sur lequel Nestor s'est déjà installé.
Mes yeux s'illuminent. Deux rayons lasers qui forcent l'obscurité à se recroqueviller.
Je me penche sur tonton. Aussi blanc que le drap de son lit, il ressemble à un fantôme à l'affût.
Est-ce que je vais pouvoir le guérir ?
J'appelle mon super-pouvoir de soignage et pense très fort au Tueur de Mondes. Cette fois, je me l'imagine avec des lunettes et sans cheveux. Et pour être encore plus dans l'ambiance, je l'habille avec la blouse des docteurs qui m'ont auscultée après l'histoire de mon enlèvement.
L'énergie du Voyageur se réunit au fond de moi puis file vers le bout de mes doigts.
Je les pose sur le front du malade.
Mais y a rien qui se produit. Mon pouvoir reste bloqué en moi.
Je fronce les yeux. Pourquoi est-ce que ça marche pas ? J'y étais arrivée avec Nestor. Sauf que ça s'était passé sans que j'y pense, et puis aussi, un chat, c'est tout petit, alors que mon tonton, il est tellement costaud qu'il pourrait construire une maison à lui tout seul.
Je grince les dents et convoque toutes mes forces. Un violent frisson me secoue comme si mon super-pouvoir s'était heurté à un bouclier invisible qui l'avait renvoyé en arrière.
Tonton Raoul.
Il va mourir. Je vais le voir mourir. J'ai jamais vu de gens mourir !
La transpiration me coule derrière les oreilles et une larme s'écrase sur son nez.
Il ouvre les yeux.
— Je suis au paradis ? il demande.
Je secoue la tête. Là-bas, même s'il y retrouvera papy, je veux pas qu'il y aille ! Surtout juste à cause de méchantes bêtes si minuscules qu'on les voit même pas... Elles peuvent pas être plus fortes que le Tueur de Mondes ? Sauf si c'est lui qui les a envoyées sur la Terre pour nous éliminer...
— N'importe-quoi-Il-s'agit-de-ton-pouvoir-pas-du-mien-Et-ne-m'accuse-pas-à-tort-Je-refuse-de-porter-le-chapeau-pour-les-erreurs-de-vos-dirigeants !
Je me mords la lèvre. Comme elle dirait, mamie, y en a un là-haut qui est plutôt chucheptible !
— Pourquoi tu m'aides pas ? je râle dans mon cerveau. T'es qu'un sale méchant !
Le malade gémit pareil qu'un camion qui s'arrête. Le sang tout noir qui lui coule du nez glisse sur ses lèvres. Un trou se creuse dans ma poitrine, un trou par lequel s'échappe ma respiration.
— Je-ne-sais-pas-ce-que-ce-mot-veut-dire-Je-t'ai-déjà-expliqué-que-je-ne-peux-faire-que-ce-pour-quoi-j'ai-été-créé.
Tonton Raoul.
J'ai quand même dû lui donner un peu d'énergie parce qu'il m'attrape mon bras et serre, serre, serre... Aussitôt, je recommence à penser très fort au docteur dans ma tête.
Le frisson d'électricité qui galope sur ma peau frappe la main qui me tient puis rebondit.
— Comment ils se sont débrouillés, tes fabriqueurs, pour savoir qu'on se rencontrerait ?
Je souffle de soulagement car je suis sûre qu'une étincelle de vie a réussi à passer. Elle était pas très violente mais assez costaude pour empêcher la petite flamme qui brûle encore dans son cœur de s'éteindre.
D'un coup, Nestor se redresse, ses deux grandes billes vertes écarquillées dirigées vers la fenêtre, comme s'il avait entendu quelque chose venir.
Sauf que c'est juste le Tueur de Mondes qui s'entête dans ses raisonnements.
— Ça-ce-n'était-pas-prévu-C'était-un-accident-comme-pour-ton-père-et-pour-Do...
J'entendrai jamais la fin de ce qu'il m'expliquait. Comme s'il était soudain devenu fou, mon chat saute jusqu'au plafond puis retombe sur le rideau qu'il arrache avec ses griffes.
La lumière du Voyageur s'empare de la pièce. Elle en explore tous les coins pour s'arrêter sur le visage de mon tonton.
Dans ma tête, un mini-écran vient remplacer la photo du docteur et un film se met en route.
— Vous-les-humains-vous-appeliez-ça-un-tutoriel...
Mon bras s'illumine d'un feu tout bizarre. D'un feu qui brûle pas... Heureusement, parce qu'il danse sur ma peau et s'enroule autour de mon poignet !
Dans la télé devant mes yeux, ma main attrape celle du malade. Vite ! Je me dépêche de l'imiter...
Et si c'était un piège ? Et s'il allait arriver à tonton les mêmes ennuis qu'à Greg et qu'à Dylan ?
J'ai trop peur de voir ça ! Mes paupières se ferment toutes seules.
Mais comme je veux savoir, je tends l'oreille et fronce le nez. Ouf ! Aucun bruit de friture ni aucune odeur de cramé.
Un peu rassurée, j'oblige mon regard à se rouvrir.
Ça a marché !
Tonton brille maintenant autant que moi. Mon super-pouvoir est passé en lui. Je suis lui, il est moi, et tous les deux, on est le Voyageur...
Ma tête se remplit d'une lumière si violente que j'ai l'impression qu'elle va exploser.
Le temps se stoppe puis se met à reculer. Je suis encore presque un bébé. Assise à mon petit bureau, j'admire les grosses taches qui s'élargissent sur ma feuille à colorier. Quelqu'un se penche sur moi.
— Waouh ! Ce sont les plus beaux papillons que j'ai jamais vus...
Mes grands yeux noisette roulent dans tous les sens et mes lèvres se soulèvent doucement. Mon tonton, il y voit vraiment mal ! C'est les fleurs du jardin que j'ai dessinées...
Je serre plus fort sa main et me concentre sur mon énergie. Après s'être infiltrée sous sa peau, elle a pénétré ses veines et suivi son sang jusqu'à ses organes.
Ils sont tellement mal en point ! Jamais j'y arriverai...
Dans ma tête, le temps reprend sa course dans le bon sens jusqu'à mon premier jour d'école. Comme maman travaillait, c'est son frère qui m'y a emmenée. Pendant qu'il parle à ma maîtresse, une jolie dame aux longs cheveux roux, je regarde partout autour de moi en me bouchant les oreilles, tellement ça braille et ça couine. Les autres enfants qui sont trop des trouillards...
J'en ai tellement assez de voir sa nouvelle copine battre des cils que je tire tonton par la manche.
— J'aime pas ici ! je lui dis. Quand est-ce qu'on s'en va ?
Son rire monte haut dans le ciel tel un oiseau invisible quand il se met accroupi à ma taille.
— Ma pauvre sauterelle ! Il va falloir que tu sois bien courageuse parce que tu en as pris au moins pour quinze ans !
Les images se floutent puis le film du passé s'arrête d'un coup. Mon sang brûle dans mes veines comme s'il transportait des rayons de soleil.
Je regarde les étincelles de pouvoir qui crépitent partout sur ma peau et au bout de mes doigts.
— S'il te plaît, Voyageur, aide-moi !
Je pose mon autre main sur le front du malade. De suite, une musique métallique résonne dans mes oreilles. La chanson de rage qui tourne en rond à l'intérieur de sa tête tel l'un de ces disques de rock qu'il aimait tant écouter sur sa platine.
Comment la forcer à se taire ? J'enfonce mes ongles dans sa peau.
Pas pour lui faire mal, non. Mais pour que mon pouvoir rentre très vite dans son cerveau afin d'en chasser les mauvaises idées qui le hantent. Sa colère contre la Fièvre de Sang. Et sa peur aussi ! De passer l'arme à gauche et de nous laisser moi, maman et mamie, toutes seules dans ce monde de brutes...
— Je suis trop jeune pour partir, ses pensées me disent. Et il y a ce putain d'empereur à détrôner !
Libérée, son envie de vivre se répand soudain dans ses veines, comme une sorte d'huile bouillante, fortifiant son sang et réparant ses organes les uns après les autres.
Quand j'entends son cœur frapper très fort dans sa poitrine, je souris d'espoir, comme une vraie petite fille. Tu ne mouriras pas cette nuit, tonton Raoul !
Sauf que la pièce se met à tourner devant moi et que mes jambes me tiennent plus. Patatras ! Je tombe, tête en avant. Le vilain virus qui veut pas s'avouer vaincu...
— Allons-courage-Plus-qu'une-dernière-salve-à-lancer-Ce-n'est-que-son-baroud-d'honneur.
D'énervement, je me mords la joue. Même si le Voyageur a parlé avec ses mots compliqués, j'ai compris que j'en avais pas encore fini.
Je me redresse, attrape la figure du malade dans mes deux petites mains, avale plein d'air d'un coup, bloque ma respiration, plisse mes sourcils et pousse tout le pouvoir de guérissage qu'il me reste vers le bout de mes doigts.
Aussitôt, le film de ma vie repart à reculons. C'est l'été d'avant le Voyageur. On est à la fête foraine. Tonton m'a emmenée aux chevaux de bois. Assis, il me regarde tourner. Bien sûr, je peux attraper le pompon à chaque fois que je le veux. Sauf que là, je fais semblant de le rater.
Son rire blagueur sonne comme une vague de l'océan. Mais il se moque pas de moi, non ! Il a déjà tout compris...
J'entends un grand cri silencieux – le dernier que poussera jamais ce méchant virus-là !
Le manège se stoppe ; je me secoue pour chasser le nuage noir qui remplit ma tête et croise le regard de tonton. Il est toujours vivant. Il est toujours vivant !
Je me couche contre lui, Nestor boulé contre moi...
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Ouf ! Enfin, une bonne nouvelle ! Tonton Raoul est sauvé !
Heureusement ! Car Chloé risque d'avoir bientôt besoin de lui. Dylan parle beaucoup et BMI est sur sa trace...
Mais comme le Voyageur est avec elle, c'est Galilée que l'Empire a décidé de lancer après la petite fille...
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