Chapitre 2-1 (a) : Chloé
( Région Centre, nuit du 1er au 2 septembre 23h 45)
Se retrouvant seule après le départ de Dylan et craignant que ce dernier ne parle trop, la mère de Chloé a décidé de retourner vivre chez sa mère. Sauf qu'à leur arrivée la petite fille découvre que son oncle est mourant...
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Faut pas que je dorme... Faut pas que je dorme.... Faut pas que je dorme !!!
Mes yeux sont si lourds qu'ils se ferment tout seuls.
Faut pas que je dorme... Faut pas que je dorme.... Faut pas que je dorme !!!
Je les force à se rouvrir et à fixer les traits de lumière bleue qui se faufilent à travers les volets fermés. Le Voyageur...
Faut pas que je dorme. Si je pars au pays des cauchemars, tonton Raoul se réveillera pas. C'est aussi simple que ça.
Faut pas que je dorme. Hier soir, mamie m'a installée sur le canapé de la salle-à-manger. Je croyais qu'elle et maman allaient monter direct, mais elles ont parlé pendant des heures dans la cuisine avant de se décider.
Et encore maintenant, je les entends aller et venir à l'étage. Qu'est-ce qu'elles sont en train de fabriquer ? Pourquoi est-ce qu'elles se couchent pas ?
La nuit, c'est fait pour se reposer.
Faut pas que je dorme. Je me mords la joue jusqu'à saigner. La douleur pour empêcher le sommeil de m'emporter.
Faut pas que je dorme....
Si je me laisse aller, tonton Raoul partira au ciel avant demain et ce sera à cause de moi.
Faut pas que je dorme.... Comment faire ?
Facile !
Je remets devant mes yeux des images de la journée. Mon tonton presque mort. Tamaris et Théo qui nous disent au revoir. Maman et son faux sourire. Et mamie...
Mamie, son masque et son chagrin. Mamie. Mamie...
Elle a l'épidémie mais elle le sait pas encore. Je les ai sentis dans son odeur, je les ai vus sur sa peau toute sèche, je les ai entendus au fond de sa voix enrouée, les mauvais virus qui la rongent !
Je laisse mes pleurs mouiller mes joues.
Faut pas que je dorme....
Et pourtant mes paupières retombent. Je leur ordonne de se relever mais elles refusent de m'obéir. Mes larmes les ont toutes collées !
Faut pas que je dorme....
J'ai peur de pas avoir la force et que tonton meure et puis mamie et ensuite maman et enfin tout le monde et que ce soit ma faute.
— Mais-non-Pourquoi-tu-dramatises-toujours-Ta-grand-mère-elle-va-déjà-mieux-et-ta-génitrice-tu-l'as-immunisée...
Je souffle. Le Tueur de Mondes a encore utilisé ses mots compliqués. Mais cette fois, j'ai compris ce qu'il m'a dit parce que je me souviens de ce qu'il s'est passé ce soir.
Quand j'ai appelé son énergie et que, l'air de rien, j'ai attrapé la main de mamie.
Quand, tout doucement, je l'ai caressée et lui ai envoyé la même électricité qu'à Nestor pour tuer la maladie qui la grignotait.
Quand j'ai vu qu'elle allait mieux, avec sa figure toute rose et ses yeux pétillants.
Cette image me rend si contente que d'un coup, mes pensées s'arrangent. Je ferai pareil à tonton Raoul et il guérira et lui aussi, il aura un pouvoir magique et lorsque papa reviendra, on sera une famille de super-héros invincibles...
Je serre les poings et ride mon front, afin de repousser le sommeil. Un long frisson de lumière me traverse tout entière. Et comme j'ai de nouveau de la force, mes paupières se décoincent.
Je regarde autour de moi.
La pièce a pas bougé, à part les taches de ténèbres qui se sont ratatinées contre le mur du fond. On dirait que les longues flammes bleues que le Voyageur m'a envoyées pour m'aider leur ont fait peur.
Le Tueur de Mondes.
C'est le premier ami que je me fais. Et il est beaucoup plus génial que le copain imaginaire des filles de mon école, parce que lui, il existe en vrai et qu'en plus, des fois, il dit des bons conseils.
Je me mets assise et ouvre grand mes oreilles. Même si la discussion qui vient d'en haut est un peu étouffée, je l'entends comme si j'étais dans la pièce.
Ces adultes ! Ils font encore leurs moulins à paroles.
— Jamais t'aurais dû venir. Ici, y a que du malheur et la mort au bout !
Mauvais mots. Mauvaise musique. Mauvaises manières. Ma peau monte en chair de poule.
— En ville, y a plus que des cinglés et des prétoriens. Impossible pour une femme célibataire d'y rester avec son enfant ! Surtout avec la réputation que nous taille Dylan...
La voix de maman a tellement dérapé qu'elle m'a fait penser à un cri. Mais mamie le remarque même pas. Comme si l'épidémie lui avait rongé un morceau de son cœur.
— À qui la faute, cette situation ? elle lance. Ce n'est pas moi qui me suis mise avec ce minable !
— J'ai fait comme j'ai pu. Seule avec une gosse et payée au lance-pierres...
Mes yeux s'abîment dans le vague. Maman est malheureuse à cause de moi. Parce que je suis née.
— Si tu m'avais écoutée quand je te poussais à continuer tes études, à présent, tu aurais un métier correct.
Un rayon du Voyageur, plus curieux que ses collègues, vient me chatouiller le nez. Je cligne du regard, éblouie.
— Ç'aurait été gaspiller notre argent, je n'étais pas suffisamment douée.
Je sors du canapé, cours sur le bout des pieds jusqu'au placard à gâteaux, attrape une chaise et y monte dessus. Du sucre et du chocolat, voilà ce qui me ravigotera pour guérir Tonton Raoul.
— Des excuses, tout ça. Tu étais surtout une adepte du moindre effort. Et je ne parle même pas de ta vie amoureuse. Tu t'es toujours choisi tes mecs en dépit du bon sens !
J'attrape un paquet d'Oréo, l'ouvre et croque un biscuit. Je vais me faire disputer. Mais tant pis ! C'est pour la bonne cause...
— Pourquoi tu dis ça ? C'est vrai que Dylan...
— Ce bon à rien, grand-mère la coupe, ne mérite pas la salive qu'on gaspille à parler de lui. C'est contre l'autre voyou que je ne décolère pas, celui qui s'est barré en te laissant une môme sur les bras.
Je manque m'étrangler. Mamie est trop, trop prisonnière de ses mauvaises idées sur papa.
— Jake, je te défends de le débiner ! Tu ne connais même pas un dixième de sa vie...
— Et ben alors, explique-moi ! Il était prétorien mais il ne portait pas l'uniforme, il travaillait pour le gouvernement mais il ne le portait pas dans son cœur, il t'aimait mais il ne pouvait pas t'épouser. Avoue qu'il y a de quoi se poser des questions !
D'un coup, j'ai tellement plus faim que je remets les gâteaux à leur place. Sous la chaise, Nestor lèche les miettes que j'ai faites. Comme ça, personne verra jamais que j'ai mangé en cachette.
— Je ne peux pas t'en parler. C'est secret-défense !
Je saute doucement sur le plancher. J'ai trop envie de vomir, soudain...
— Mais bien sûr ! mamie ricane. À mon avis, c'était juste un gros mytho qui jouait à James Bond pour séduire de pauvres cruches dans ton genre.
Les larmes qui coulent sur mes joues sont les petites sœurs de celles que je devine dans la voix de maman. Si j'avais pas promis, juré, craché, je leur aurais dit pour le Voyageur, le monde à sauver et le César à renverser...
— Quoiqu'il en soit, il m'aura donné Chloé et ça, c'est la meilleure chose qui me soit arrivée. C'est mon ange, mon trésor, ma raison de vivre !
Je m'assieds sur la première marche de l'escalier. Ses mots étaient si gentils. Et très, très malins. Mamie en est toute tourneboulée. La voilà qui renifle tellement qu'on dirait un chien policier.
— Je m'excuse d'avoir encore ressassé ces vieux démons. La faute au chagrin...
Au bruit de tissu froissé, je devine qu'elles tombent dans les bras l'une de l'autre. Les adultes sont vraiment bizarres. Pourquoi se fâcher pour se réconcilier juste après ? C'est aimer se faire du mal !
— Vous avez eu raison de venir. Raoul a été si content de vous voir avant de...
Sa phrase s'arrête d'un coup tellement ce qu'elle voulait dire l'étouffe.
Pauvre, pauvre mamie.
Si je lui avais parlé de mes super-pouvoirs super secrets, elle se tournerait pas autant les sangs, elle aurait pas disputé maman, elle dormirait et tonton serait déjà guéri.
Je me prépare à aller la consoler quand Nestor me saute sur les genoux. Il ronronne fort, comme le tic-tac d'une bombe. Une bombe de gentillesse...
— Chloé va être si malheureuse quand elle va réaliser la situation ! Tu ne peux pas savoir le souci que je me fais pour elle. Regarde le monde qu'on lui laisse et le bordel dans lequel elle va grandir ! Est-ce qu'à ce train-là la vie vaut la peine d'être vécue ?
Je me lève, Nestor toujours dans mes bras, ses pattes pendantes à la façon d'un vieux chiffon. Il est tellement tout mou qu'il me donne envie de revenir me coucher. Sauf que moi aussi maintenant, comme mon papa, je suis un soldat du Tueur de Mondes.
— Par le Voyageur, mamie s'énerve contre maman, enlève-toi ces pensées de la tête ! Il nous faut être forte. On le lui doit...
La porte de leur chambre se ferme telle une douce musique. Le soupir de soulagement que je pousse est si puissant qu'il aurait pu déraciner la maison.
Ça va enfin être à moi de jouer !
— Attends-Encore-un-peu-de-patience-Attends !
Je m'assieds sur le canapé, mon chat à côté de moi. En haut, ça continue à parler en moins énervé. Mais j'en ai tellement assez que j'arrête d'écouter. En plus, l'histoire qu'elles se racontent, je la connais déjà. L'usine où travaillait papy qui a fermé quand les Américains ont « relocalisé », BMI qui l'a rachetée mais qui « faisait trimer les petites gens pour des nèfles », et puis le cancer, « pas la peine de se demander comment notre pauvre Laurent l'a attrapé ! »
Je m'étire et baille comme une huître pourrie, mon regard fixé sur la grande aiguille de la pendule. Ce qu'elle est lente à bouger ! Jamais, elle a été aussi lente...
Je m'ennuie.
Un nouveau rayon de lumière bleue passe sous la porte et s'avance dans la pièce. J'ai l'impression qu'il est plus épais que ceux d'avant !
Je me remets sur mes pieds et marche à sa rencontre.
Il se pose sur moi, vivant et chaud... Et voilà que le Voyageur recommence sa chanson !
— La-voie-est-libre-petite-fille-Viens-viens-viens !
Son éclaireur disparaît, réapparaît, puis file vers l'escalier. Il me montre le chemin.
Nestor se lève, bondit à sa suite mais se retourne avant de monter. Avec ses yeux phosphorescents et ses oreilles dressées, il ressemble à un chat sauvage.
— Un-lynx-J'en-vois-de-plus-en-plus-dans-vos-campagnes-Le-Black-Out-va-permettre-aux-espèces-que-vous-avez-exterminées-de-retrouver-leur-place-dans-votre-monde...
Il se tait et le silence envahit ma tête. Un silence plein de peur et de promesses.
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Chloé va-t-elle réussir à guérir son tonton Raoul ?
La suite, mercredi !
Et si vous êtes fan de la petite Chloé, n'oubliez pas de la soutenir en appuyant sur la petite étoile.
Bonne fin de week-end !
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