Chapitre 19-4(c)
(Nord Quercy 5 septembre 19h39)
Liam a enfin récupéré Chloé et, après bien des déboires, la fillette a réussi à réintégrer son corps. Leur nouvel allié l'a prise dans ses bras pour la porter et tous s'apprêtent à rejoindre la porte de la tour ouest par laquelle Liam est entré. Mais les prétoriens ont contourné le manoir. Quant à Domitien et à ses sbires, ils sont déjà à l'intérieur.
Liam
— Bordel de chiottes de bordel à queue ! jure le fort-à-bras, figé devant moi. C'est un putain de coupe-gorge, ton truc !
Il me parle, mais sans me prêter vraiment attention, trop concentré qu'il est à scruter la cage d'escalier. J'étudie Sampa, à ses pieds. Si ses oreilles sont toujours pointées vers l'avant, son souffle reste régulier et son corps détendu.
Bien sûr, c'est plutôt bon signe. Mais juste au cas où, je me penche vers les marches, mon sixième sens en alerte maximale.
Il n'y a personne à l'étage d'en dessous.
Aucune aura.
Même pas celle du prétorien que j'ai épargné.
Je rouvre les yeux.
— Ça ne risque rien, affirmé-je.
Monsieur Biscoteaux me lorgne, interrogateur. Perçoit-il mon Altération ? Ou se laisse-t-il abuser par mon aplomb ? Il me gratifie d'un signe du menton et, Chloé toujours installé sur son épaule, s'avance dans l'escalier.
— Allez, les mômes, on se dépêche.
Tentant de faire le moins de bruit possible, Charlotte se faufile derrière lui et Sampa lui emboîte le pas. Peu importe ce que fait la patricienne ou l'endroit où elle se rend. Pour cette chienne, c'est la meilleure maîtresse de l'univers et elle la suivrait jusqu'au bout du monde...
Je pose ma main sur la rampe et m'engage à mon tour dans la pénombre. Me fiant à mes jambes pour effectuer d'elles-mêmes la descente, je m'ouvre à ma vision éthérique. Parvenu d'emblée au rez-de-chaussée, j'ai l'impression de planer au-dessus d'un jeu vidéo du siècle dernier où chaque point de couleur jouerait sa partie selon ses propres règles. Toutefois, en vieux routier de la lecture des auras, il ne me faut pas longtemps pour trouver un sens à ce que je vois. Arrêtée aux abords de la tour ouest, Galilée attend de pied ferme la cohorte ennemie. Quant à mes amis, eux, je les localise dans la première pièce que j'ai traversée. Tel un drapeau délavé de l'ancienne France, leurs auras, bleue, blanche et rouge, se dirigent cahin-caha vers la sortie...
Tex (paniqué) : Mais où est Domitien ?
Léo : Mes plumes à couper que cet enfoiré est monté nous prendre à revers !
L'échange de tirs qui s'engage pile à ce moment-là entre Galilée et les forces Impériales m'empêche de leur répondre. Je rouvre les yeux. Nous avons passé le second étage et sommes presque arrivés au premier.
Paniquée par les déflagrations, Chloé a recommencé à se débattre. Marquant une halte dans le tournant de l'escalier, son transporteur l'attrape sous les aisselles et la tient en l'air, bras tendus devant son visage.
Un petit sifflement lui échappe.
— Ce nez... Ces yeux... Bon Dieu de garce... Tu serais pas la fille à Jake ?
Écarlate, la fillette ouvre grand la bouche. Toutefois, pas de miracle ! Aucun son n'en sort.
— Cela expliquerait ta super-Altération...
J'aurais bien interrogé notre libérateur sur l'enfant et son père, mais la priorité n'est pas là. À l'extérieur, la fusillade s'est amplifiée, jusqu'à n'être plus qu'une série de coups de feu ininterrompus.
— Je vais m'occuper d'elle, dis-je. J'ai capté la présence de Domitien à l'étage...
Le pouvoir de cet étrange individu consiste-t-il à détecter celui des autres ? Sans même me demander comment j'ai localisé notre ennemi, il pose son fardeau sur une marche, ramène son fusil devant lui et reprend sa descente. Aussi vaillante qu'un petit soldat, Chloé le suit, sans même vaciller. Des étincelles dansent maintenant au bout de ses doigts.
— L'escalier donne sur un embranchement, expliqué-je. Il nous faut aller tout droit. Domitien et ses sbires, eux, arrivent par la gauche...
Je plisse à nouveau les paupières pour suivre leur progression, quand je remarque un mouvement à la périphérie de mon champ de vision, une aura d'un rouge décoloré qui déclenche en moi une alarme stridente.
— Attention ! préviens-je. Dans le couloir, devant vous.
Le grand baraqué a lui aussi repéré le nouveau venu qui s'éloigne d'une démarche chaloupée. Il ne laissera pas une seconde chance au prétorien que j'ai épargné tout à l'heure...
— Restez-la, ordonne-t-il, les dents serrées. Les filles, ne regardez pas.
Aussi silencieux qu'un chat, il s'élance au pas de course derrière l'Impérial, inconscient de sa présence derrière lui. Il faut dire à la décharge de ce dernier qu'en bas, la fusillade redouble de rage et couvre le bruit de ses pas !
— Tu crois qu'il va aussi le tuer à mains nues ? me chuchote Charlotte, charmée.
L'agression est si rapide que je n'ai pas le temps de lui répondre. Le tueur bondit sur l'échine de son adversaire et referme ses bras de bodybuilder autour de sa cible qu'il projette au sol, face contre terre. Il lui plante ensuite un genou dans le creux du dos, puis l'avant-bras sur sa nuque. Quasi immobilisée par cette étreinte, sa victime essaie de se dégager en donnant des coups de poing et de pied, mais son assaillant est trop fort. Sa prise raffermie, il l'attrape par les cheveux pour lui soulever la tête, referme son bras libre autour de sa gorge et agrippe son propre poignet qui tient toujours le crâne de l'homme.
Ceci fait, il se met à tirer en arrière.
Sous lui, sa victime se débat, ses doigts tentant de desserrer la poigne de fer qui l'étrangle.
— Papa Liam ! m'avertit Chloé. Écoute ! Ils arrivent...
Sans quitter des yeux le combat qui se livre devant moi, je tends l'oreille. Des bruits de pas lourds et précipités me parviennent de la gauche, le vieux plancher vibrant sous les impacts.
— Vite, les filles, suivez-moi !
Nous nous élançons droit devant nous. Au moment où nous passons devant notre sauveur, celui-ci relâche sa prise et la tête du prétorien retombe, son visage contre le sol.
— Domitien ! le préviens-je, laconique.
Il bondit sur ses jambes et récupère son fusil.
— Courez, les mômes, je vous couvre.
— Mais..., tenté-je.
Ses yeux me transpercent, soudain pleins d'une résolution qui me force à me taire. Cet homme a beau être un assassin implacable, il a de l'honneur. Jamais il ne nous laissera nous faire tuer.
— Foutez-moi le camp d'ici, et que ça saute !
Il a armé son fusil et le tient bien droit devant lui, pointé sur la bifurcation où l'ennemi ne va pas tarder à apparaître. Je pousse Charlotte vers le bout du couloir et m'apprête à attraper la main de Chloé quand ma radio se met à grésiller. Aussitôt, un battement effréné envahit ma poitrine.
Je décroche.
Je m'attendais à entendre Thibaut, c'est une Galilée déchaînée que j'ai au bout du fil.
— Qu'est-ce que vous branlez ? Vous avez tellement lambiné que certaines de ces enflures ont réussi à s'introduire dans la tour. Vous allez vous faire coincer.
Tandis que l'ex-détenu tourne la tête, d'un côté, puis de l'autre, je reste là, anéanti, incapable de bouger, comme si j'étais coincé dans une poche d'existence qui n'est ni ici ni là, une faille dans le continuum espace-temps.
Profitant de mon malaise, ma petite protégée échappe à ma poigne. Vite ! Elle repart jusqu'à l'escalier, les deux boules d'énergie apparues au bout de ses doigts scintillant comme deux balises de détresse dans la pénombre.
Quelque part en moi, les aiguilles d'une pendule imaginaire se figent tandis que le monde se met à hurler dans mon crâne.
L'orage revenu au-dessus de nos têtes.
Le staccato des armes automatiques.
La démarches des prétoriens comme des éléphants chaussés de tongs.
Et mon cœur qui bat la breloque dans mes tempes.
Allez savoir pourquoi – mes Oiseaux, l'instinct ou le Voyageur ? – mon sixième sens s'active de lui-même et les auras de mes ennemis, y compris celle bizarroïde de Domitien, m'apparaissent tels des missiles balistiques à courte portée.
— Maintenant ! ordonné-je à Chloé tandis que les prétoriens parviennent à l'intersection.
Obéissante, la fillette tire ses deux exocets vers le plafond. Dans un nuage de flammes, une pluie de plâtre et de briques s'abat sur nos poursuivants en même temps que retentit un vacarme épouvantable. Des cris résonnent, douleur et surprise mêlées, toutefois ce n'est pas ça qui va impressionner l'enfant. Elle fait feu à nouveau. Et cette fois, c'est tout l'étage du dessus qui s'écroule, dans un enchevêtrement de poutres, de pierres et de blocs de béton qui encombre totalement la bifurcation. Même si Domitien, resté prudemment en arrière, n'est pas atteint, cette barricade improvisée devrait nous donner le temps de fuir.
— Bravo ! dis-je à Chloé. T'es une vraie cheffe.
Je l'attrape par le col de son tee-shirt et l'entraîne au triple galop le long du couloir, vers le passage menant à la tour ouest. Charlotte et Sampa sur nos talons, nous rejoignons notre allié posté devant une porte fermée.
— Ils sont trois, chuchoté-je. Ils remontent le passage à la queue-leu-leu.
Est-ce mon Altération qui s'aggrave ? Ou juste l'urgence de la situation ? Je n'ai même pas eu besoin de fermer les yeux pour repérer les halos ennemis, trois taches huileuses et boursouflées, tels des fantômes difformes.
— Les filles, vous vous planquez ! ordonne l'ex-détenu. Et toi, tu fais comme moi.
Après avoir posé sa main sur la poignée de la porte, il écarte doucement le battant, puis le rabat d'un coup sur le côté et fait feu.
Au diable les remords ! À la grande satisfaction de Léo, je l'imite illico... Je tire, je tire, je tire... Je suis si effrayé et je veux tellement m'en sortir... Je rafale à l'aveugle et sans penser à rien...
— Stop ! crie mon nouveau mentor. Garde tes munitions. Tu risques d'en avoir encore l'utilité !
Pris en flagrant délit de pétage de plomb, je sens une sueur tiède mouiller ma gorge. J'enlève mon doigt de la détente. Mais si mon fusil s'est tu, j'entends toujours les échos de la fusillade m'assaillir les tympans.
— Alors ? demande-t-il. Tu en vois d'autres ?
Depuis le coup d'éclat de Chloé, les secondes se sont égrainées et Domitien a déjà envoyé ses hommes à l'assaut de l'effondrement. Réussissant toutefois à faire fi des bruits qui saturent le manoir, j'enclenche mon radar à auras.
— Il n'y a personne à l'horizon.
L'ex-détenu se retourne vers moi. Malgré la pression des événements, il reste détendu et je me demande si face à un char d'assaut lui fonçant dessus, il frémirait seulement.
— Parfait ! Je m'occupe de ces trois-là et vous me rejoindrez quand je te ferai signe. D'abord les gamines, puis toi, pour fermer la marche.
Il bondit dans le passage, son HK418 pointé sur ses geôliers étendus au sol. À le voir se déplacer ainsi, silencieusement, avec une telle aisance, dévoué corps et âme pour tous nous sauver, il m'est impossible de ne pas l'admirer. J'ai l'impression d'assister à une magnifique chorégraphie. Sauf que cette danse n'est pas là pour faire rêver les spectateurs, mais pour apporter la mort.
— Chloé, ne regarde pas ! dis-je en mettant ma main sur les yeux de la fillette.
D'un coup de pied, il retourne le premier prétorien sur le ventre, lui plante son fusil dans la nuque et tire. Mais c'est quand je le vois achever les deux autres Impériaux à terre que je commence à me sentir mal à l'aise. Surtout qu'en moi, c'est la cacophonie. Si Tex se demande si c'était absolument nécessaire, Léo, excité par l'odeur du sang, approuve sans réserve ces exécutions. Mais comme l'heure n'est pas à la réflexion, je leur intime de se taire et reporte mon attention sur le tueur.
Sa sale besogne achevée, il nous fait signe de nous ramener.
Charlotte se précipite, sa chienne sur ses talons, et Chloé la suit. Épuisée par toutes les épreuves qu'elle a subies, la pauvrette aurait vacillé sur ses jambes si Sampa n'était pas retournée sur ses pas pour lui offrir son soutien.
Derrière moi, le bruit des blocs que l'on dégage et des gravats que l'on déblaie s'amplifie. Vite ! Je me glisse par l'ouverture, fonce dans le couloir, saute par-dessus les cadavres l'un après l'autre, fais irruption dans la pièce carrée que j'ai traversée tout à l'heure et me rue vers la fenêtre la plus proche.
La cour grouille de prétoriens et de véhicules.
Je tourne la tête vers Mister Macho. Les deux filles plaquées derrière lui contre le mur et l'arme au poing, il surveille la volée de marches qui s'enfoncent dans les entrailles de la tour. Sans doute Sampa est-elle déjà partie en éclaireuse ? Je ne la vois nulle part.
— Mon gars ! T'as vraiment un faible pour les coins glauques...
— Qu'est-ce que vous attendez ? rétorqué-je. La voie est libre.
L'index sur la queue de détente de son HK418, il repart d'un bond, projetant sa grosse carcasse de catcheur dans l'escalier. Les filles lui emboîtent le pas et, m'emparant du micro de ma radio, je descends à mon tour dans la bouche d'ombre.
— On arrive, signalé-je. Une minute, deux au plus...
Après quelques grésillements, c'est la voix chaude et soulagée de Thibaut qui me répond. Allez savoir pourquoi, je me sens aussitôt pousser des ailes, des vraies, des puissantes, capables de rivaliser avec celles de Léo pour danser dans le ciel.
Une seconde de bonheur au milieu d'une journée d'horreur.
J'avais juste oublié mon putain de karma.
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Après bien des tergiversations, j'ai décidé de scinder cette fin de chapitre en deux, pour un meilleur confort de lecture. Comme pour le précédent, je trouvais le rythme trop lent et j'ai fait de sérieuses coupes, notamment dans les descriptions et les réactions des divers personnages.
Si certains passages s'avèrent obscurs, n'hésitez pas à le signaler. J'ai gardé la précédente version.
J'ai vraiment eu beaucoup de mal à manier les différents personnages, à décrire l'action et à donner les renseignements nécessaires sur la position de l'autre groupe. 😭
J'espère que ça ira quand même... 🙏
Et c'est parti pour le grand final ! 🎆🧨✨
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