Chapitre 19-4(a)

(Nord Quercy 5 septembre 19h13)

Liam est enfin parvenu à l'étage où Chloé et Charlotte sont séquestrées. C'était sans compter sur leur gardien. Ayant entendu l'arrivée de leur libérateur, le prétorien prend la sœur de Thibaut en otage et menace de la tuer si le jeune homme ne se rend pas. Malgré l'opposition de Léo, Liam obtempère... 

Liam

Son regard hanté vissé sur moi, le prétorien resserre son bras autour du cou de son otage, puis commence à reculer.

Droit vers la haute silhouette du grand black balèze qui s'est encadrée dans la porte du fond.

Au-dessus du manoir, le tonnerre gronde, en écho à la tempête d'émotions qui hurle au fond de mon âme. Toutefois, m'inspirant de Thibaut, maître en ce domaine, je retiens mon souffle et m'efforce de ne rien laisser paraître.

Un éclair fulgurant illumine la pièce. Histoire de prendre la mesure de ce qui se passe, le nouveau venu s'est figé à la manière d'un prédateur prêt à attaquer.

Les secondes s'égrènent. Entraînant sa prisonnière, l'Impérial bat lentement en retraite. À la recherche d'un quelconque indice sur ses intentions, j'examine l'intrus, son visage couleur de papier jauni, ses traits osseux, sa bouche charnue et son nez épais.

Ce type ressemble à un ancien prétorien qui se serait retourné contre les siens.

— Où est-ce que vous m'emmenez ? s'énerve Charlotte. Qu'est-ce que vous savez sur mon père ?

Sentant la tension dans l'air, Sampa court se réfugier dans un coin. Abasourdi par l'assurance dont la jeune captive fait preuve, l'ex-légionnaire ouvre grand ses yeux, noirs comme du mica. Ils brillent d'une intensité telle que je me dis que ce sont les yeux les plus sombres que j'ai jamais vus.

Aurai-je affaire à un Altéré ?

— Un mot de plus, siffle l'Homme-Caméléon, et j'appuie sur la détente. T'as beau être rapide, la balle le sera encore plus. Et elle aura creusé un gros trou dans ta jolie petite tête de péronnelle avant même que tu te sois rendu compte de quoi que ce soit.

Devant le manoir, une voiture freine brutalement, faisant crisser ses pneus sur les graviers. Surpris, l'Impérial s'immobilise. Tandis qu'il balaie la salle d'un côté à l'autre, le nouveau venu lève sa main gauche vers le haut pour m'indiquer de ne pas bouger, puis il retourne son index pour se désigner lui-même.

Léo (sous le charme) : Ça, c'est un homme ! Un vrai.

Tex (plus pragmatique) : Si l'autre enflure fait volte-face, Charlotte est fichue.

Dans la cour, un cri retentit, rauque et prolongé. Aussitôt, un fourmillement nerveux me parcourt la nuque. Suis-je obsédé par l'homme au grand manteau noir ? Je suis sûr d'avoir reconnu sa voix.

— Vous allez faire quoi ? demandé-je, histoire d'accaparer l'attention du légionnaire. Me tuer ? La tuer aussi ? Mais ce n'est qu'une gosse...

Furax, Charlotte me foudroie de son regard le plus méprisant. Dans son dos, mon allié inattendu avance un pas, puis un autre. En alerte maximale, mes Oiseaux ne remuent plus ni plume ni patte.

— Arrêtez de jouer avec le feu ! Vous vous exposez au peloton d'exécution et vous le savez.

Dehors, l'appel se renouvelle, tel un ultimatum. Le preneur d'otage, lui aussi, a dû reconnaître le timbre autoritaire du tueur, car il pâlit et chancelle, tel un cierge mal planté.

Heureusement, Monsieur Deus ex Machina n'est plus très loin derrière lui.

— S'il n'y a pas de témoin, riposte le prétorien, je ne risque rien du tout. J'ai juste à dire que c'est toi qui l'as descendu. Et comme tu seras mort, tu ne pourras plus te défendre...

Tandis que je frissonne de tout mon être, le grand black pointe son index dans ma direction, puis le replie vers lui. Ne connaissant pas le langage gestuel militaire, la panique me dévore illico. Dois-je continuer à parler ? Me faut-il me taire ?

Je hausse les sourcils.

Les nerfs à vif, le preneur d'otage braque immédiatement son pistolet vers moi. La lueur des éclairs se reflète sur son canon métallique, le faisant briller comme un diamant.

— Putain ! s'énerve Charlotte. Vous allez quand même pas vous buter entre vous ? Arrêtez de déconner, merde !

Pour toute réponse, l'homme armé crispe son doigt sur la queue de détente.

Mon cœur manque un battement... Ou deux...

Peut-être trois ?

À l'extérieur, l'âme damnée du Princeps recommence ses sommations. Puis une autre voix prend le relais, plus jeune, mais tout aussi impérieuse. Une voix qu'en vieux routier des emmerdes, j'identifie sur-le-champ. Mon karma n'étant qu'un joueur sadique, Domitien n'est pas venu seul. Il a amené son dément d'apprenti avec lui.

— Les renforts arrivent, dis-je. Inutile de causer un massacre dont vous devrez assumer les conséquences toute votre vie.

Le preneur d'otages se raidit et Charlotte blêmit. Seul le malabar qui s'est immobilisé dans leur dos ne semble pas troublé par ce nouveau coup du sort.

Un sourire féroce se dessine sur ses lèvres.

Le temps ralentit et les bruits extérieurs s'assourdissent, comme si eux-mêmes appréhendaient les événements à venir.

Soudain, une détonation fulgurante claque devant le manoir, suivie du staccato caractéristique d'un fusil d'assaut.

Mettant à profit les déflagrations pour couvrir son approche, le nouveau venu se rue sur le prétorien. Alors qu'il lui saisit au vol le bras qui tient l'arme, un coup part. Par chance, mon sauveur a suffisamment dévié le canon pour que la balle aille se perdre dans le mur le plus proche.

D'un geste rapide et puissant, il lui tord le poignet. Le Caméléon pousse un hurlement et le pistolet tombe de sa main inerte. Vite ! Son adversaire shoote dedans pour l'éloigner. Au même moment, Charlotte mord la main qui la retient prisonnière. Aussitôt, la prise de fer qui l'enserre se relâche et elle se libère. Tandis qu'elle court ramasser le flingue, je roule sur le plancher pour récupérer mon fusil.

Et c'est dans un bel ensemble que nous pointons nos armes sur les deux combattants.

Mais nous ne tirons pas.

Les risques de blesser notre sauveur sont trop élevés.

— Foutre bite, les mômes ! hurle ce dernier. Baissez-moi ces guns, c'est pas des jouets...

Il a enroulé son bras gauche autour du cou de son adversaire et l'étrangle avec force. Déterminé, l'Impérial résiste comme il peut. Toutefois, plus il se débat, plus l'inconnu l'étouffe. Son visage blanchit, ses veines gonflent, ses yeux se révulsent.

Toute son énergie dépensée en vain, il cesse de lutter.

Victorieux, le grand black lui assène, de sa main libre, un coup à l'estomac, puis il amplifie sa torsion. La lueur ténébreuse qui brille au fond de ses orbites m'arrache un frisson. Vu les traces rouges autour de ses poignets et son état général, cet homme est visiblement resté longtemps captif de BMI et il savoure le moment. Le preneur d'otages va payer pour toute la douleur qu'il a ressentie, l'injustice du sort qui a été le sien, la rancœur qu'il a accumulée.

Peu désireux d'assister à l'exécution, je baisse mon fusil et fonce vers la fenêtre la plus proche afin de voir ce qu'il se passe dans la cour. Mais pile au moment où je l'atteins, j'entends un bruit sourd dans mon dos, comme une bouteille en plastique que l'on écrase. Sauf que ce sont des os qui craquent...

Un violent frisson me frigorifie jusqu'aux os.

Tex (transi) : Horrible !

Moi (écœuré) : Homo homoni lupus est (1).

Léo (toute sa sauvagerie carnassière éveillée) : Ce fumier n'a eu que ce qu'il méritait.

Submergé par les ondes de rage rayonnant du rapace, je ne peux m'empêcher de faire volte-face. L'homme qui a voulu me tuer gît maintenant à terre, la nuque brisée. Pour faire bonne mesure, son meurtrier lui allonge un violent coup de pied dans le ventre. Comme, bien sûr, le cadavre ne réagit pas, il se retourne en direction de Charlotte qui tient toujours son pistolet braqué droit devant elle.

— Bordel de mille dieux d'Imperator ! clame-t-il en lui montrant son flingue d'un mouvement de menton. Vous voulez me tuer ?

L'interpellation sort la jeune fille de sa transe. Réalisant sa dangerosité, elle baisse son bras le long de son corps.

Trop tard ! Notre nouvel ami l'a déjà jugée et condamnée.

— Les armes ne sont pas l'affaire des femmes. Encore moins de pucelles capables d'appuyer n'importe où juste pour voir. Donnez-moi ça avant de causer un accident !

Personne n'a jamais osé s'adresser à elle de cette manière. À cran, la jeune fille se crispe.

— Hors de question ! proclame-t-elle. Je le garde. Vous n'aviez qu'à vous débrouiller pour le ramasser avant moi.

Satisfaite de sa répartie, elle baisse la garde pour se retourner vers moi.

— T'as vu quelque chose ? m'interroge-t-elle.

Le grand black ne me laisse pas le temps de répondre. D'un mouvement coulant, presque imperceptible, il se précipite dans son dos, lui arrache le pistolet, remet la sécurité et le glisse dans sa ceinture.

— Miss Hébrard, décrète-t-il, votre père s'est vraiment montré trop laxiste dans votre éducation.

D'où connaît-il son nom ? Charlotte le vrille de son regard de braise, mais l'intervention opportune de Sampa qui bondit soudain sur elle met fin à la fois à la querelle et à ses interrogations. Histoire d'accorder à sa chienne les câlins qu'elle attend, l'adolescente tombe à genoux et l'enlace, la tête enfouie dans la fourrure de sa nuque. Les laissant à leurs retrouvailles, notre libérateur entreprend de déshabiller le cadavre. J'en profite pour me retourner vers la fenêtre et regarder la cour en bas. Notre Glisseur n'est plus là et je vois l'épaisse silhouette de Newton disparaître dans le parc sur la gauche. Domitien, lui, est resté sur place. Debout devant son 4X4, il parle dans sa radio.

Vite ! Tout en saisissant la mienne, accrochée à ma ceinture, je passe en vision éthérique. Bien que je sois pressé de prendre des nouvelles de mes amis, je choisis d'abord de sonder notre Deus ex machina. Certaines énergies attirent, d'autres révulsent. Mais ce qui est étrange avec celle, noir charbon, de ce type, c'est qu'elle provoque simultanément ces deux réactions.

Intrigué, je me rapproche.

L'inconnu perçoit-il mon intrusion ? Immédiatement, son aura s'allonge, puis se met à battre telle l'aile membraneuse d'un insecte.

Sentant un courant électrique circuler sous ma peau, je m'enfuis jusqu'au rez-de-chaussée, où je localise sur-le-champ Thibaut, Nicolas et Rémy.

Sans doute ont-ils déjà connaissance du retour de Domitien ? Leurs halos perturbés progressent vers l'arrière du manoir et sa tour ouest, pour, selon toute apparence, s'échapper par la porte dérobée que j'ai moi-même empruntée.

Légèrement rassuré, je m'apprête à allumer ma radio quand un courant d'air glacé passe sur moi. Reconnaissant ces symptômes, je tourne la tête de tous côtés à la recherche du corps astral de ma petite protégée. Son profil énergétique fait-il dysfonctionner mon radar interne ? J'ai beau ouvrir grand mon esprit, je n'arrive pas à la voir.

Chloé ? l'appelé-je en désespoir de cause. Chloé ? C'est toi ?

Je ne me suis pas tu que je sens des doigts gelés me glisser sur la main. Je m'attendais, le long de mon bras, à un brutal déchaînement de magie, je ressens à peine une légère décharge électrique, telle la caresse d'un ver luisant.

Restée trop longtemps éloignée d'elle-même, la pauvre enfant s'est dangereusement affaiblie.

Bordel, m'énervé-je, qu'est-ce que tu fous encore là ? Je t'avais dit de regagner ton corps !

Mes compétences pédagogiques laissent encore à désirer. D'un coup, l'air se fige autour de moi et l'horrible impression de froid augmente comme si j'avais été téléporté au Pôle nord.

Un souffle quasi imperceptible m'effleure la joue.

Je sais, mon Papa Liam, j'ai essayé, je te le jure, seulement j'y suis pas arrivée, ça a pas voulu rentrer. J'ai recommencé, recommencé, recommencé, mais ça m'a complètement déforcée, toute congélifiée. Alors, je suis partie te retrouver, sauf que je me suis perdue, j'ai virevagué, et puis y a eu un grand bang de fusil ! J'avais tellement peur que tu sois mort, heureusement Sampa est arrivée me chercher et je l'ai suivie...

Je rouvre les yeux pour rallier la réalité. Un malheur n'arrivant jamais seul, je vois par la fenêtre, l'homme au grand manteau noir s'avancer vers le manoir, son fusil d'assaut braqué droit devant lui, prêt à tirer.

Il va entrer !

Domichien ! panique illico Chloé. C'est lui qui m'a mis les menottes qui empêchent le Voyageur de venir m'aider. Ça me rend toute bizarre pareil que si je mourais...

Le cœur brisé et le cerveau en panique, je prends une longue inspiration. Que ferait Thibaut dans ces circonstances ? Il sérierait les problèmes !

J'enclenche la touche « on » de ma radio. Dehors, des moteurs grondent, des pneus crissent, des portières claquent et de grands cris retentissent, des ordres jetés en latin.

Ma puce, dis-je à la fillette, tu n'as plus aucune raison de te terrorifier. Papa Liam va gérer...

Aussitôt, la magie âpre de l'enfant m'embrase tout entier. Et comme au même moment, mes Oiseaux ont uni leurs pouvoirs, je me sens empli d'une vigueur nouvelle, prêt à affronter mon putain de destin, bien que celui-ci s'obstine à rabattre ses filets sur moi, de plus en plus serrés.

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(1) Homo homoni lupus est : l'homme est un loup pour l'homme.  

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Aujourd'hui, un nouveau personnage entre en scène... Je l'espère à la hauteur de sa réputation ! 🙏🙏

On ne devrait pas tarder à sortir du manoir ! Encore un chapitre, deux au pire !

Je ne sais pas vous, mais moi, il me tarde !

Cet arc n'a que trop duré...

Bon week-end ! Bisous. 

💗💗💗

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