Chapitre 19-3

(Nord Quercy 5 septembre 19h00)

Lors de l'attaque du manoir, Maxime, le prétorien sériephile, s'est enfui et Rémy a été grièvement blessé. Thibaut et Galilée l'ont laissé en arrière sous la garde de Nicolas et sont partis explorer le reste du rez-de-chaussée. Ils ont fait prisonniers deux prétoriens dans un bureau, puis Galilée est repartie chercher leurs amis. Elle a demandé à Thibaut de la couvrir, mais ce dernier se laisse distraire par les bruits d'une fusillade sous les combles. Le légat que Liam a laissé échapper en profite et fait feu. Galilée s'écroule...

Galilée

Plutôt mourir que rester une seconde de plus dans cette pièce confinée !

Mon fusil-mitrailleur fermement appuyé contre mon épaule, je me rapproche de la porte, à l'affût d'un mouvement ou d'une respiration à proximité.

Rien.

Le rez-de-chaussée s'est fait aussi silencieux qu'une tombe.

Je m'encadre dans l'embrasure.

À ma gauche, le couloir semble s'étirer jusqu'à l'infini.  Sur ma droite, l'obscurité roule autour du coude telle de l'eau noire.

Je sais, ça pue.

Mais moins que dans le bureau.

L'atmosphère y est si lourde, si intimement imprégnée de Thibaut, que j'en suis malade de devoir la respirer. Mes sens ne fonctionnent plus correctement et je sens les prémices d'une violente migraine me marteler les tempes.

— Je n'entends rien de suspect, dis-je. Je vais chercher Rémy et Nicolas.

Je n'ignore pas que c'est une mauvaise idée. Caché derrière le virage à angle droit, un Impérial pourrait y attendre son heure. Et vu le tapis qui recouvre le plancher, il lui serait sans doute possible de se rapprocher sans se faire repérer.

Bien sûr, mon dux(1) a fait le même raisonnement.

— Mais..., proteste-t-il.

— Toi, tu restes ici pour me couvrir. Tu n'as pas à t'inquiéter, je ne risque pas grand-chose. La plupart des prétoriens sont hors service et j'ai calculé qu'il y a quatre-vingt-dix pour cent de chance que les survivants préfèrent se terrer dans un coin en attendant l'arrivée des renforts.

Plus un mensonge est gros, mieux il passe. Thibaut a si foi en moi qu'il se tait. Résultat, je franchis le seuil au mépris de toute prudence.

À l'intérieur de mon crâne, la douleur a grandi, allant et venant comme les flots de l'océan.

Bien décidée à la nier, j'avance un pas, puis deux. Face à moi, le sol entreprend illico de danser la gigue. Je me fige, laisse retomber mes paupières, respire un bon coup et rouvre les yeux. Non seulement la sensation de vertige n'a pas disparu, mais il me semble en plus qu'un combat de boxe fait rage dans mon bide.

N'étant pas du genre à renoncer, je me remets en mouvement.

Aussitôt, une vague de souffrance, plus puissante que les autres, explose dans ma tête. Et tandis que mon cerveau me donne l'impression de se contracter comme une peau de chagrin, j'entends – oui, oui, j'entends ! – mes neurones se mettre à grésiller.

Dans ces conditions, même un bleu-bite sans cervelle ne se jetterait pas dans la gueule du loup. Sauf que moi, je ne suis qu'un produit défectueux. Quand je bugue, je m'entête, je m'accroche, je m'acharne.

Sans réfléchir plus longtemps, sans même tenter un dernier scan de la zone, je file à grandes enjambées dans le corridor. Là-bas, dans leur cachette, les amis de Thibaut m'attendent. Nicolas qui doit être terrifié, Rémy aux frontières de la mort.

Protéger les miens. Avant tout. Avant ma propre vie.

Agacée par cette voix qui ne cesse de revenir me marteler la tête, j'accélère encore et mon cœur se rue dans ma poitrine. Un bruit régulier qui cogne mon cerveau comme une boule de démolition.

Et puis soudain, ce son bizarre.

Un déclic. Derrière moi.

Celui d'une arme dont on retire le cran de sûreté.

Je m'élance. Mais j'ai beau être exceptionnelle, le temps court plus vite que moi.

La salve d'HK418 qui s'écrase dans mon dos m'envoie valdinguer à plat ventre par terre. Bien que ma combinaison soit à l'épreuve des balles, le corps humain n'est pas fait pour encaisser une telle succession de chocs. Ma respiration se coupe ; mes yeux se retournent dans leurs orbites.

Et puis, un coup de feu claque tout près de moi.

Unique, puissant et définitif.

Aussitôt, le vide m'aspire, insondable et vertigineux. Je sombre. Pourtant, le même ordre draconien tourne encore et toujours dans ma tête. Protéger les dirigeants. Avant tout. Avant ma propre vie.

Qu'est-ce que je fous là, étalée comme une merde, alors que mon dux est en danger ?

Je cherche à me relever, mais quelqu'un m'attrape par les pieds et me traîne sur le sol.

Alors, je recommence à tomber, aspirée par l'obscurité.

Privée de sensations, je flotte parmi des milliers d'images lourdes et perturbées. Un type rubicond affublé d'une tignasse rousseaute me rit au nez, un émule de Jack Reacher(2) me défie de ses yeux vairons, puis un garçon bien moins costaud, mais tout aussi fascinant, happe mon regard de ses deux cercles bleu-nuit.

— Respire, putain, respire ! gronde-t-il en me flanquant de grands coups entre les omoplates.

Il y a tellement d'autorité dans sa voix que je ne peux qu'obéir. Aussitôt, la douleur m'éjecte du brouillard dans lequel je flottais. Un gémissement m'échappe.

Sans s'inquiéter le moins du monde de ma souffrance, mon tourmenteur me retourne sur le dos.

J'entrouvre un œil. Au-dessus de moi, une ombre floue bloque la lumière maladive.

Deux yeux anxieux me scrutent avec intensité.

Proches.

Si proches qu'ils réveillent une drôle de sensation, enfouie loin, très très loin dans mon organisme. Un long frisson parcourt mon échine tandis que des papillons volettent dans mon ventre.

Serais-je victime d'une commotion ? Me crois-je égarée dans un vieil épisode de Newport Beach(3) ? Comment expliquer autrement ces réactions de lycéenne énamourée...

— Allez, debout ! Un peu de nerf enfin...

Impérieuse, la voix pénètre ma conscience, à mi-chemin entre le monde des séries et la réalité. Tandis que je tente de rassembler mes pensées en morceaux, mon cœur passe en mode tachycardie.

— Bon sang ! Mais secoue-toi, merde. C'est pas le moment de flemmasser...

Furax contre le malotru qui se permet d'autant me rudoyer, j'ouvre grand les paupières. Incapable de soutenir mon regard accusateur, mon bourreau éloigne son visage du mien et la vue se dégage devant moi.

Aussitôt, la mémoire me revient comme une claque monumentale.

— Nom de Zeus(4) ! m'énervé-je. Qu'est-ce que je fous de nouveau dans ce bureau ?

Mon tortionnaire se penche sur moi. Puisqu'il porte son casque, je n'aperçois que ses yeux, dénués de toute expression, mais son pouls trop rapide le trahit. Je lui ai flanqué une trouille bleue.

— Au cas où il y ait eu d'autres tireurs, m'explique-t-il, je t'ai traînée à l'abri.

Sous le regard trouble de mes prisonniers toujours attachés au pied de la bibliothèque, je rassemble mes forces, bande mes muscles et m'assois sur mon séant.

— Génial ! s'exclame Thibaut. Tu y es presque. Encore un dernier effort.

Il tend sa main vers la mienne pour m'aider à me relever. Bordel de bordel ! Ce putain de patricien. Bien que je ne puisse voir sa bouche, j'imagine tellement le sourire sardonique dessiné sur ses lèvres !

— Connard d'enfoiré de salopard de bâtard ! grondé-je. Je ne t'ai demandé qu'une chose, une seule. Me couvrir ! Et tu n'en as même pas été capable...

Je repousse vivement son bras et me remets debout. Je craignais de vaciller, mais mon bref séjour au pays des rêves m'a fait l'effet d'un reboot. Exit les vertiges, la nausée et la migraine. Je me sens comme neuve.

— Que je sache, riposte-t-il, je suis pas le seul ici à avoir merdé.

Bien que ses épaules se soient affaissées, son regard lance du feu. À la fois ulcérée et humiliée, je me détourne et marche jusqu'à la porte. Mon dux l'a laissée entrouverte. Une erreur de débutant ou un coup de génie ?

— T'es vraiment le roi de la mauvaise foi, protesté-je. J'ai juste eu affaire au dix pour cent restant.

Au moment où je me fige devant le battant, je surprends mes oreilles à effectuer d'elles-mêmes un tri entre les différents sons qui m'entourent. Le souffle oppressé de Thibaut. La respiration rauque des prisonniers. Les tic-tac de la Comtoise et les craquements du vieux manoir malmené.

— Je mérite ta colère, avoue le patricien. Je me suis laissé distraire.

Perturbée dans mon scan de la zone, je lui fais signe de se taire. Tandis qu'il m'obéit, je ferme les yeux. Sûre d'être maintenant capable de griller n'importe quel être vivant à cent mètres à la ronde, j'affine mon ouïe pour me focaliser uniquement sur les sons d'origine humaine. Aussitôt, c'est le boxon le plus complet dans ma tête, une cacophonie de signaux assourdissants qui déferlent sur mon esprit en provenance du dernier étage.

Damn it(5) ! Là-haut, les événements s'emballent...

De façon à ne pas me laisser submerger, je me concentre sur chaque bruit de pas, chaque craquement, chaque cliquetis de métal.

Il ne me faut pas une seconde pour comprendre la nature du drame qui se joue là-haut. Mais comme j'ai besoin que Thibaut reste opérationnel, je choisis de lui cacher que sa sœur vient d'être prise en otage. Autant ne lui délivrer que les infos à même de le booster !

— Ton mec est vivant, lui dis-je, et il gère comme un grand.

Sans même me préoccuper de sa réaction, je ramène mon attention sur le rez-de-chaussée. Hormis les souffles oppressés de nos deux amis planqués un peu plus loin, je ne perçois rien.

Il n'y a plus aucun Impérial en vie à cet étage.

— Tout est OK, dis-je. On y va...

— T'es sûre ? m'interrompt mon équipier. Parce que tout à l'heure...

— Je sais, m'énervé-je, j'ai merdé. Mais ça ne se reproduira plus.

J'ouvre la porte, puis m'encadre dans l'embrasure. À la lueur livide d'un éclair, j'aperçois une forme sombre allongée, une dizaine de mètres plus loin, près de l'angle du couloir.

À tous les coups, le corps de l'enflure qui a voulu me fumer et que mon dux a réussi à abattre.

— T'as intérêt, triomphe Thibaut. Parce que je ne te sauverai pas la vie une deuxième fois.

— Évidemment, ricané-je, vexée. Je ne t'en laisserai plus jamais l'occasion.

Après avoir ajusté ma vision à l'obscurité ambiante, je zoome sur le macchabée. Les chocs que j'ai reçus ont-ils réparé mon erreur système et mon cerveau s'est-il réinitialisé de lui-même ? Du haut de son crâne arraché au sang qui macule le tapis tels des rubis éparpillés, j'en distingue tous les détails comme si j'étais agenouillée juste à côté de lui.

— T'as eu de la chance, commenté-je, que cet abruti n'ait pas porté de casque.

Il hausse les épaules et son regard se voile. Sentant Monsieur J'ordonne sur le point de m'adresser l'une de ses injonctions dont il a le secret, je prends les devants.

— Pour le coup, déclaré-je, on inverse les rôles. Toi, tu vas chercher tes potes et moi, je te couvre.

Tandis que Thibaut file dans le couloir, j'affine à nouveau mon ouïe et me rapproche du cadavre – une huile de chez BMI, vu les décorations qui ornent son ersatz d'uniforme. Je récupère son HK418 modifié quand – Rran... tac tac tac – une salve de fusil-mitrailleur tonne au grenier.

Je passe l'arme en bandoulière, puis ridiculisant Speedy Gonzales(6), me précipite à la rencontre de mon binôme. Mais avant que j'aie pu le rejoindre, une nouvelle rafale retentit, suivie des échos confus d'une sommation.

L'oreille toujours aux aguets, je m'immobilise devant les garçons. Pour ramener Rémy, Nicolas et Thibaut ont passé une main sous chacun de ses bras. Ce qui fait se retourner mon estomac et se serrer ma gorge, c'est le pouls inégal de notre mécano.

Son visage est gris et sa respiration de plus en plus laborieuse.

— Je file là-haut voir si je peux aider, décrété-je. Vous, vous m'attendrez dans le bureau.

N'écoutant que ma programmation, je gonfle mes muscles et attrape le blessé à bras-le-corps afin d'accélérer le mouvement. Si mon ouïe de super-héroïne ne me permet pas d'entendre ce qui se dit sous les combles, j'ai compris que Liam s'est rendu et que Charlotte est entrée en scène...

— Tu ne veux pas que je vienne avec toi ? demande mon dux.

— Hors de question ! réponds-je. Chacun ses compétences.

Je m'avance d'une vingtaine de mètres. Bien que petit de taille, Rémy pèse un âne mort. Alors, sous le prétexte d'écouter encore les bruits du manoir, je marque une pause et mes hommes s'arrêtent à mes côtés. Aussitôt, un signal d'alerte rouge bipe au sein de mon cerveau. J'entends un moteur au loin, un moteur modifié qui se rapproche de notre position !

À tous les coups, l'arrivée des renforts.

— Les gars, annoncé-je, changement de programme.

Je redémarre si vite que mes pauvres recrues peinent à me suivre. Je perçois maintenant les ronronnements d'une dizaine d'autres véhicules plus distants, des 4X4 et des gros camions de transports de troupes.

— Qu'est-ce qui se passe ? s'alarme Thibaut qui a capté mon émoi.

Nous passons devant le bureau sans y entrer. Un nouvel éclair dévoile le coude à droite. D'après cette orientation, s'il se prolonge ainsi, le couloir se dirige droit vers l'aile nord et sa porte dérobée. Protéger les miens. Avant tout. Avant ma propre vie.

Dans le silence trompeur, l'antique portail pivote sur ses gonds, tel un vieillard grinçant des dents.

— Les Impériaux se ramènent, expliqué-je. Nicolas et toi, vous allez porter Rémy jusqu'à l'issue de secours, celle que Liam a empruntée. Moi, je vais chercher le Glisseur, je passe par derrière, je vous prends au vol et on se barre ni vu ni connu.

Mon dux s'immobilise. Au dernier étage, un nouveau protagoniste est entré en scène. Un homme plutôt massif, vu la lourdeur de ses pas, mais si discret que seule mon oreille sur-développée me permet d'entendre sa progression.

Sûrement une espèce de deus ex machina. Mais lequel des combattants est-il venu sauver ?

— Non, proteste Thibaut, les filles, Liam... On ne peut pas partir sans eux.

Mes poils se dressent sur ma nuque, m'envoyant un shoot d'adrénaline. Protéger les dirigeants. Avant tout. Avant ma propre vie. Avant la vie de ceux à qui je tiens le plus.

— Ton mec les a retrouvés, mens-je. Le temps que je fasse le tour, il t'aura contacté et sera descendu. Et s'il ne l'est pas, c'est moi qui irai le chercher.

Histoire d'éviter toute protestation supplémentaire, je lui refourgue Rémy, puis demi-tourne. Sans même jeter un regard en arrière, j'ouvre la première porte que je vois sur ma droite, traverse la pièce à l'allure d'un cheval au galop et ouvre la fenêtre.

La chaleur orageuse de cette fin d'été se déverse illico sur moi telle une coulée de plomb liquide.

Vite ! Je me secoue, grimpe sur le rebord et jette un coup d'œil à l'extérieur.

Hormis mon Glisseur qui m'attend à une centaine de mètres sur ma gauche, la vaste cour est encore déserte.

Je saute et m'élance.

Le portail grince à nouveau. Le moteur modifié se remet en marche, vrombissant comme une mouche géante.

J'accélère.

Les grondements s'amplifient.

Effrayée à l'idée de me faire prendre si près de mon véhicule, je commande l'ouverture côté conducteur.

Dans mon dos, le conducteur du 4X4 freine sec, dispersant de petits cailloux partout autour de lui.

Je bondis dans le Glisseur, jette mes armes sur le siège passager et referme derrière moi.

Deux portières claquent. Des pas crissent sur le gravier. Ils sont deux. Un gros malabar et un type moins massif, mais peut-être encore plus décidé.

Assise devant le volant, je fixe le tableau de bord. Merde ! Comment ce truc fonctionne-t-il déjà ? Maxime me l'a pourtant montré !

Un peu plus loin dans la cour, quelque chose de lourd rebondit sur le sol. Puis un gémissement douloureux se fait entendre. Un timbre rauque... Une voix que je reconnais...

Protéger la vie des dirigeants. Avant tout. Avant celle de n'importe quel autre quidam.

La mémoire me revenant soudain, j'appuie sur un bouton. Aussitôt, le système à sustentation électromagnétique se met en marche. Un doux frou-frou résonne, presque inaudible pour une oreille lambda. Puis mon véhicule se soulève lentement. De façon à ne pas regarder derrière moi, je m'absorbe dans la contemplation du paysage. De grands chênes, des acacias et d'autres arbres dont j'ignore le nom. Mais surtout des fourrés qui me semblent inextricables...

Venant interrompre mes réflexions, un hurlement perce le silence à la manière d'un ordre absolu.

— G 3.0 !

Tandis que la panique me comprime l'utérus, le monde se fige autour de moi. Je sais que je ne le devrais pas, mais je ne peux m'en empêcher. Je lève les yeux. Dans le rétroviseur, un homme en grand manteau noir me dévisage de ses yeux gris, aussi mortels que les balles du Beretta qu'il a planté sur la tempe de son prisonnier.

Un prétorien en uniforme, mais tête nue.

Maxime.

Mon cœur s'emballe. Qu'est-ce que ce gamin fichait encore là ? Comment cet abruti s'était-il débrouillé pour se faire capturer ?

Un nouvel éclair griffe la nuit. Je détourne le regard vers le manoir. Raide et pathétique, le bâtiment monte vers les cieux comme un appel à l'aide.

La voix de Domitien déchire à nouveau le crépuscule, sans timbre, presque robotique.

— Tu ne veux pas qu'un innocent meure par ta faute, n'est-ce pas ?

Incapable de résister, je me focalise à nouveau sur le rétroviseur. Le tueur Impérial, qui n'a pas bougé, continue à me scruter. Ce que je vois dans ses pupilles glacées m'inonde de sueur froide.

— Si tu te rends, vous aurez tous les deux la vie sauve.

Je zoome sur son otage. Vu ses pommettes éclatées et son œil gauche tuméfié, il est clair que le malheureux a été passé à tabac, voire torturé. Et comme son bourreau connaît son affaire, il en sait maintenant autant sur notre groupe que sa jeune recrue.

— Tu ne veux tout de même pas avoir la mort de ce pauvre munifex sur la conscience ? Même si tu as perdu la mémoire, impossible que tu aies oublié la règle N°1. Elle est inscrite dans tes gènes.

Il n'a pas terminé sa phrase que ma tête s'emplit d'un bourdonnement aigu, le signal que la voix dans mon esprit revient me harceler. Protéger les miens. Avant tout. Avant ma propre vie.

Ai-je à faire à un virus ? Suis-je victime d'un programme backdoor ? J'actionne machinalement l'ouverture automatique de ma vitre. Un concert de bruits furtifs m'enveloppe illico. Le bruissement des arbres caressés par le vent, le ronronnement des moteurs au ralenti, le pouls régulier de Domitien et le martèlement dans la poitrine de son prisonnier.

— Qu'est-ce qui me prouve, crié-je, que vous tiendrez parole ?

L'homme au grand manteau noir laisse échapper un rire comme un rugissement. Terrorisé, Maxime me fixe de son seul œil valide. Il n'y a pas deux heures nous discutions séries et à présent, il est en danger de mort.

C'est l'un des miens et je lui dois de le sauver.

— G 3.0, ton inquiétude est légitime. C'est pour cela que je vais le libérer.

L'incompréhension m'envahit. Dans le regard de son otage, l'espoir vient remplacer la peur.

— Il aura trois secondes pour fuir et tu en auras trois pour te rendre. Après ça, je le tue.

Enroulant sa main gauche autour de son cou, il oblige le jeune Rouge à se relever. Je lis une telle terreur sur son visage que mon estomac manque de se retourner. Ce que son tortionnaire propose là n'est pas seulement condamnable ou cruel, c'est mal, si inhumain que mon esprit pourtant particulier n'arrive même pas à en appréhender le concept.

— Tu es prête ?

L'espace d'un instant, l'idée m'effleure de ramasser mon fusil et de faire feu sur le Tueur, mais je laisse tomber. Je sens d'instinct que les armes traditionnelles n'ont aucun effet sur lui.

Comme ensorcelée par sa voix venimeuse, j'acquiesce machinalement.

— Et ne bouge pas. J'envoie Newton te chercher.

Obéissant comme un gentil toutou, son apprenti surgit de derrière le 4X4 et s'avance, son HK418 braqué droit devant lui. Aussitôt, la panique monte en moi avec la rapidité d'une rivière en crue. Que faire ? Domitien a raison, le sériephile est l'un des miens. Même si j'ai perdu la mémoire, je le sens au plus profond de moi. Mais Chloé fait partie de ma famille. Et Liam est mon ami !

— Un...

Maxime s'enfuit, claudiquant, vers l'invraisemblable fouillis de fourrés, d'arbres épais et de ronces qui a poussé dans ce qui était jadis le parc du manoir. Au-dessus de lui, le tonnerre claque soudain, rude et péremptoire, comme un ordre de Thibaut. D'un coup, la lucidité me revient, éclaircissant mes pensées. De lui-même, mon index se tend vers la commande d'ouverture.

— Deux...

Newton s'immobilise. Sous son casque, son regard s'est refroidi de plusieurs degrés.

— G 3.0, hurle-t-il. Souviens-toi du Code. Protéger les dirigeants. Avant tout. Avant ta propre vie.

Il se remet en marche. Sauf qu'en disant cela, il a actionné le déclic qui me manquait.

— C'est bon, lancé-je, je sors.

Un rictus dessiné sur sa bouche, Domitien continue à viser son otage. Son apprenti est maintenant dangereusement proche de l'arrière de mon véhicule. Quant à leur prisonnier, il a presque rejoint les broussailles.

Presque.

Le temps a filé trop vite. À présent, c'est à moi d'agir...

J'appuie sur l'un des boutons à ma droite. Aussitôt, la portière avant gauche s'élève.

Aux anges, Newton dresse un bras victorieux à l'attention de son mentor.

Profitant de cette demi-seconde d'inattention, j'enclenche la marche arrière et recule sur lui.

Plus vif que sa corpulence ne le laissait penser, le prétorien bondit sur le côté, mais il n'a pas été assez rapide. Baaamm ! Je le heurte et il tombe.

Sûre que le choc n'a pas été assez violent pour le tuer et que de toute façon, sa combinaison impériale l'aura protégé, je referme, passe la marche avant et file le plus vite possible vers les broussailles. Grâce à ma vue décuplée, j'ai déjà repéré une trouée dans laquelle me glisser.

Derrière moi, une forte détonation déchire la cour, puis, telle une mélodie funèbre, une pluie de balles s'écrase sur le blindage métallique de mon prototype.

Heureusement pour moi, la technologie Impériale est parfaitement au point et c'est sans aucun problème que mon véhicule disparaît dans l'embrouillamini de végétations.

De peur de me crasher, vite ! je ralentis. Juste au cas où, j'effectue une série de virages, de détours et de zigzags. Puis, enfin rassurée, je me dirige vers l'arrière du manoir, ma voiture serpentant lentement entre les ronces et les branches basses. Loin au-delà des cimes, les éclairs éclatent dans les nuages telles des décharges électriques. Résultat, devant moi, sous les feuillages, la forêt chatoie, bleue comme dans un rêve.

Sauf qu'un voile rouge couvre ma vision, le rouge du sang qui a coulé par ma faute.

Je sais que j'ai toujours fréquenté la mort de près. Je connais ses ténèbres, j'ai vu ses carnages, ses atrocités et les gens qu'elle a massacrés. 

Mais l'image du meurtre de Maxime, l'éclaboussure écarlate, l'envolée de cheveux, l'éclatement de la boîte crânienne, restera à jamais gravée dans ma mémoire.   

********************

(1) dux : Chef 

(2) Jack Reacher : Ancien de l'armée américaine, Jack Reacher s'est retiré de la police militaire. Il arpente le pays pour mener des enquêtes périlleuses et survit grâce à des petits jobs... 

(3) Newport Beach : Série américaine des années 2000 pour adolescents. 

(4) Nom de Zeus : Juron favori du Doc dans Retour vers le Futur

(5) Damn it ! : Juron favori de Jack Bauer ( Série 24 Heures Chrono)

(6) Speedy Gonzales : Dans ce dessin animé, c'est la souris la plus rapide du Mexique. 

********************

Désolée du retard et de la longueur. Malgré les corrections, le début se ressent encore de ma "panne" d'écriture.  

Je sais qu'il y a quelques inexactitudes de détails par rapport aux précédents chapitres, je les ai notées et les corrigerai au moment voulu.

La suite avec Liam, bientôt !

Bisous et bonne semaine ! 💗💗🥰😘



Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top