Chapitre 19-2(a)
(Nord Quercy 5 septembre 18h24)
Pendant que Thibaut, Galilée, Nicolas, Rémy et Maxime entrent dans le manoir par la grande porte, Liam a pénétré les lieux en catimini. Victime d'une décorporation, Chloé erre aussi "en invisible" dans la base ennemie. Heureusement, les Oiseaux de l'Altéré la guident jusqu'à l'escalier que le jeune homme est en train de grimper. La fillette va-t-elle réussir à communiquer avec son nouveau papa ? Elle a tellement de révélations à lui faire...
Liam
Je monte doucement, le pas malhabile. Je monte marche à marche, l'esprit enfiévré. Je m'entête, l'âme aussi lourde que le dossier criminel de Domitien.
Un escargot sous LSD en plein mauvais trip.
Sauf que soudain, mon genou blessé manque de se dérober sous moi. Aussitôt, je saisis l'occasion pour marquer une halte. Tu le fais exprès, hein, d'être aussi raide ! m'en prends-je muettement à l'escalier. Mais dans quel but ? Et qui te l'a demandé ? Le Voyageur ? Les Impériaux ? Pourquoi vous être tous liés contre moi ? Vous aimez me voir souffrir ? Vous voulez me voir mourir ? Eh bien, désolé de vous contrarier, vous ne m'aurez pas !
J'attends une seconde. Puis deux... Évidemment, aucune réponse ne me parvient, pas le moindre signe du destin ! Pourtant dans un monde où des piafs pipelettes élisent domicile dans le corps d'un jeune gay et où les petites filles blondes soulèvent des montagnes, ce miracle aurait pu s'accomplir.
Cette pensée ne m'a pas traversé l'esprit que mon cœur s'apaise, ma tête s'allège et ma vision s'éclaircit. Suffisait-il de songer à mes Oiseaux pour les obliger à regagner leur logis ?
Me voilà de nouveau moi, entier, triple et intraitable.
Tex : Mais qu'est-ce que tu croyais ? Que ce pauvre escalier allait se mettre à parler ?
Léo : C'est tellement le bordel dans son crâne qu'il s'imaginait sans doute réussir à le transformer en escalator par le seul pouvoir de ses brillantes pensées...
Moi ( trop heureux de leur retour pour leur voler dans plumes) : Ah vous voilà ! Je n'irai pas jusqu'à dire que vous m'avez manqué, néanmoins je me demandais où vous étiez passés.
Fort d'une vigueur nouvelle, je me secoue et redémarre, levant une jambe, puis l'autre, le souffle rauque sous mon casque de prétorien. Où trouvé-je encore l'énergie d'avancer ? Il y a dans tout cela quelque chose de surnaturel. Je suis là en train de grimper des milliers de marches alors que dans la même journée, j'ai survécu à un séisme et à une prise d'otages.
Saisi d'un léger vertige, j'interromps ma montée. Malgré le silence qui m'enveloppe, j'ai l'impression de ne plus être seul. Vite ! Je me retourne. Bien que je n'aperçoive personne derrière moi, cette certitude se renforce. Quelqu'un m'observe...
— Putain, les piafs ! m'énervé-je. À quoi vous servez ? Pourquoi vous ne m'avez pas averti ?
Ces lâches ne me répondant pas, d'instinct, je passe en vision éthérique. Mais mon cœur tremble trop et mes pensées s'éparpillent. Impossible de me concentrer ni de rien déceler.
Et si je n'avais pas affaire à quelque chose de vivant ?
À cette idée, un frisson glacé dévale mon échine. Pourtant une force inconnue me pousse à rouvrir les yeux. Une puissance invisible, vibrante d'énergie, qui tente de m'interpeller...
Je regarde de nouveau en haut, puis en bas, mais il n'y a que moi dans ce putain d'escalier, moi et mon imagination débridée, moi et ma pusillanimité.
J'émets un soupir et reprends l'ascension. Toutefois, je n'ai pas gravi une marche qu'une brise légère vient me chatouiller la nuque.
Pris au dépourvu, je sursaute comme si j'avais reçu une décharge électrique.
Et c'est alors que je les entends, les sanglots assourdis, les cris déchirants, les appels pressants, tellement silencieux et pourtant si bruyants dans ma tête en surchauffe.
Dans un instant de surprise hagarde, je me fige.
Cette petite voix psychique, je la reconnais et je sais très bien à qui elle appartient !
Aussitôt, ma gorge se noue et la peur se diffuse telle une marée froide dans mes veines. Non, non non non... Je ne peux pas être encore une fois arrivé trop tard... La fillette ne peut pas être morte... Mais que ferait-elle sinon, coincée dans le plan astral ?
Sans même y penser, je ferme les yeux afin de repérer son aura.
— Chloé ? tenté-je doucement.
Un hurlement muet me répond, un de ces hurlements stridents que seul un enfant est capable de produire.
— Papa Liam, t'es vivant, t'es venu me déprisonner. PapaLiamPapaLiamPapa...
Mon cœur s'emballe, ma tête explose, mes oreilles bourdonnent.
— Nom de Dieu, ma puce, la coupé-je, doucement ! Ça va aller. Je suis là.
Sous mes yeux sidérés, apparaît une petite boule de lumière qui se fait très rapidement plus brillante, l'orbe de la gamine. Aussitôt, un immense soulagement me pénètre. Si cette pauvre môme était décédée, je ne pourrais pas voir son halo...
— Super ce costume de fantôme ! dis-je. Heureusement que t'as crié, sinon je ne t'aurais jamais remarquée. Mais je me demande bien comment t'as réussi à te déguiser ainsi...
— Je crois pas que je suis morte, me répond-elle. Je suis juste sortie de mon corps, puis je me suis perdue dans la maison...
Ravie de m'avoir retrouvé, la fillette se jette sur moi, me frôle, me caresse, puis m'enveloppe. Une vague de chaleur me traverse immédiatement de part en part. La douleur violente dans mon crâne s'atténue, celle de mon épaule n'est plus qu'un lointain souvenir et mon genou me semble comme neuf.
L'air frémit autour de moi. Je revis.
— Tu es vraiment géniale, m'exalté-je. Qu'est-ce que je me sens mieux !
Au comble de la joie, la gamine se met à danser, si rapidement qu'elle n'est plus qu'un rayon de lumière, virevoltant et pirouettant tel un long ruban de feu. Sauf que soudain, elle dévie de sa trajectoire, heurte le mur, ricoche, me passe à travers, se cogne contre la rampe et s'écrase sur la marche devant moi.
— Putain ! juré-je. Regarde où tu vas, merde. Tu t'es fait mal ?
— Noui, geint gentiment l'enfant. Je le sais bien que je dois pas voleviter, mais c'est tellement trop trop rigolo que j'arrive pas à m'en empêcher.
Tandis que mon cœur fond, l'orbe lumineux remonte lentement devant mes yeux. Si cet accident absurde a fait perdre de la brillance à sa belle aura, Chloé a gardé toute sa vivacité d'esprit.
Sa voix angélique se déploie dans ma tête, faisant vibrer ma peau et s'infiltrant dans mes veines.
— Tu devrais arrêter de dire des gros mots. Ça te fait ressembler à un méchant alors que t'en es pas du tout un...
Aussitôt, une nouvelle explosion, comme une bombe de douceur au creux de ma poitrine, vient revigorer mon âme. Hélas ! Un pépiement s'élève dans mon crâne, tout d'abord étouffé, puis de plus de plus sonore, tel un gloussement.
Léo : Bordel ! Qu'est-ce que t'as à gagater ainsi ? Du jus de guimauve à la place du sang ?
Tex ( mon avocat intime) : Toi, t'es vraiment trop bête. Ça s'appelle de la mignonnitude, la plupart des enfants ont ce pouvoir. Tout le monde craque. Jusqu'au plus rustre des rustres...
Chloé (catégorique) : Même pas vrai. Avec Domichien, ça a pas marché !
Tex : C'est l'exception qui confirme la règle. À se demander si ce type est vraiment humain.
Moi ( excédé) : La ferme ! Arrêtez de me polluer la tête ! En plus, vous allez faire peur à la petite.
Chloé : T'inquiète pas, je les connais. Ils sont gentils, même si des fois, ils sont un peu pénibles. Surtout l'aigle en fait...
Léo : Mais quelle ingratitude ! C'est comme ça que tu me remercies de t'avoir ramenée à Liam ?
Tex : T'es sacrément gonflé, le balbuzard de bas-étage, à toujours ramener la couverture à toi ! Moi aussi, je faisais partie de l'expédition...
Je caresse le fantasme de me frapper le crâne contre le mur quand j'aperçois un joli halo de lumière foncer vers moi, l'aura limpide de Sampa. Lassée de m'attendre à l'étage, la chienne est redescendue, les coussinets feutrés de ses pattes ne faisant aucun bruit sur les marches usées.
L'air brille d'un bleu pâle dans son sillage.
Tandis que Chloé recommence à jouer les feux-follets en piaillant de joie, mes Oiseaux se raidissent, à jamais réfractaires aux charmes de ma compagne de galère.
Vite ! Je rouvre les yeux.
Lorsqu'elle avise ma présence, voire celle du corps astral de la fillette, mon associée canine freine enfin, sauf qu'incapable de s'arrêter à temps, elle glisse jusqu'à percuter de plein fouet mon genou blessé. Emportée par son élan, elle rebondit et dégringole encore les quelques marches qui la séparent du coude de l'escalier.
Des fourmis remontent dans ma jambe. Des milliers d'aiguilles me piquent la peau.
— Pétard de sort ! juré-je. Qu'est-ce que j'ai pu faire de si terrible dans une autre vie pour mériter des alliés pareils ?
Tandis que dans un bel ensemble, la fillette et les Oiseaux éclatent de rire, Sampa revient vers moi, la queue basse et l'air piteux. Sans même daigner regarder si elle s'est fait mal, je l'abandonne sur place pour reprendre mon ascension.
Aussitôt, la magie carillonne à mes oreilles, un son doux que je suis seul à entendre.
Je manque de vaciller, mais heureusement, réussis à me raccrocher à la rampe. Comme un gémissement plaintif, presque humain, résonne dans mon dos, je fais volte-face. Sa fourrure épaisse ondulant tel un drapeau de combat, Sampa vient poser son museau sur mon genou, puis me fixe du plus profond de ses grands yeux dorés.
Pas d'erreur possible ! Cette petite futée ne veut pas que je monte.
À peine cette idée m'a-t-elle frappé que le branle-bas de combat sonne dans mon crâne. Tandis que Tex et Léo piaillent à qui mieux mieux, Chloé recommence à hurler pour essayer de surpasser de sa voix le vacarme infernal qui m'emplit la tête.
Avoir à la fois deux oiseaux discordants et une gosse de six ans qui braillent dans votre esprit équivaut à mélanger de la glycérine et de l'acide nitrique dans un flacon avant de le balancer contre un mur. Ça ne peut qu'exploser !
Sauf qu'il est inenvisageable de laisser cela arriver.
Tandis que Sampa ouvre grand sa gueule pour dévoiler ses dents de prédatrice, je plisse d'instinct le cerveau, attirant involontairement à moi la magie de mes Oiseaux. Comme désactivés d'un coup, les deux casse-pieds se taisent et Chloé peut enfin m'expliquer ce qui la tracasse.
— Y a deux vilains-affreux en bas et ils savent que t'es là et ils ont plein d'armes et ils vont te tuer et ce sera ma faute parce que t'es mon amystère et que je suis trop qu'une catastropheuse et...
Elle a parlé si vite qu'elle finit par buter sur ses mots et se calmer, à bout de souffle. Toutefois ses paroles ont beau se percuter et s'entrechoquer dans mon esprit, le sens général ne fait aucun doute. Je suis dans la merde. Et une merde bien pire que celle dont j'ai l'habitude parce que ce soir, j'ai charge d'âme... au sens littéral du terme...
Vite ! Après avoir fermé les yeux, j'enclenche ma perception extra-sensorielle. Au lieu toutefois d'étudier les halos qui m'entourent, je me projette plus loin dans le manoir. Si ceux de Charlotte et des personnes qui se trouvent auprès d'elle n'ont pas bougé, j'en repère deux autres, beaucoup plus près, à l'étage au-dessus, deux auras vibrantes d'énergie qui progressent lentement dans ma direction. Leurs propriétaires se sont-ils sentis observés ? Ils s'immobilisent d'un coup. L'espace d'un instant, ils restent figés là, telles deux lampes japonaises, puis soudain, la silhouette brun-citrouille semble se rétracter sur elle-même, tandis que l'ombre rouge-brique continue à avancer droit sur mon escalier, déterminée comme si elle savait où me trouver.
À cette idée, un frisson viscéral me secoue. Lors de notre petite soirée fumette et confidence, Galilée s'était quelque peu lâchée. Outre ses infos sur les points faibles des prétoriens, elle s'était montrée intarissable sur le sujet des armes. Elle m'en avait décrit des tas, et parmi elles, un fusil à lunette thermique qui permettait de repérer une cible grâce à la chaleur qui émanait d'elle.
Mon ennemi pourrait-il disposer d'un tel équipement ?
Vite ! Je sors mon Browning de mon holster, mais ce faisant, je libère mes Oiseaux sans y penser. Bien sûr, c'est immédiatement Tchernobyl dans mon crâne.
Tex (l'oiseau de mauvais augure) : Qu'est-ce que tu fiches ? Tu ne peux plus te faire passer pour l'un des leurs et si tu les attaques de front, tu n'as que très peu de chance de t'en sortir.
Léo : Ça me les coupe de l'avouer, mais cet emplumé n'a pas tort. Tu dois vite aller te planquer !
Moi : Si je redescends ces marches, je ne pourrai plus jamais les monter. Alors, autant risquer le tout pour le tout.
Chloé ( stridulante) : Pourquoi tu fais jamais ce qu'on te dit ? Je veux pas que tu sois tué. Être mort, c'est horrible et en plus, je serai de nouveau toute seule et...
Léo : Tu devrais l'écouter. Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?
Tex ( au bout du rouleau) : La ferme ! Comment voulez-vous que je réfléchisse dans ce bordel ?
Il est tellement surprenant d'entendre mon pic si délicat proférer des grossièretés que tout le monde se tait. Ravi de son petit effet, ce dernier se fige. Une seconde passe, puis deux. Bien qu'à l'étage au-dessus, le prétorien semble avancer sur la pointe des pieds, le plancher craque, signalant son approche. En alerte maximale, Sampa se hérisse et moi, j'arrête de respirer.
Impossible d'atermoyer plus longtemps !
Au moment où j'enlève le cran de sécurité de mon Browning pour passer à l'attaque, j'entends Tex claquer du bec.
— Ça y est ! triomphe-t-il, fier comme un paon. J'ai trouvé comment tous nous tirer de ce pétrin.
Il n'a pas cessé de parler que je sens la merveilleuse flamme de son Pouvoir jaillir en moi. Aux anges, son coloc déploie ses longues ailes dans mon cerveau. Aussitôt, mon pouls s'emballe, pompant de l'adrénaline et du stress dans mes veines.
Quel plan foireux ces deux têtes brûlées ont-elles encore bien pu inventer ?
— Toi, ordonné-je à Chloé, la voix pressante, va te cacher.
— T'es bête ou quoi ? me répond-elle. Je suis déjà en invisible !
Tandis que Léo salue l'effronterie de la fillette d'un glatissement sourd, une vive douleur irradie depuis le centre de ma poitrine pour envahir tout mon être. Le sang bat à mes tempes et mon esprit flotte dans une piscine de brouillard.
— Putain, Tex ! gémis-je. Qu'est-ce que tu fous ? Tu ne t'es quand même pas mis dans la tête de te matérialiser ? Tu vas me tuer...
Je n'aurais pas dû protester. Dans ma cage thoracique, la souffrance s'amplifie, insupportable. Et puis soudain, j'ai l'impression que mon cœur s'ouvre comme une fleur qui s'épanouit, sauf qu'aucun oiseau n'en sort, il s'arrête juste de battre.
Il s'arrête de battre !
— Je ne tiendrai pas longtemps, m'annonce Tex, t'as donc intérêt à te manier.
— Toi, ordonné-je à Sampa, tu descends. Je t'appelle dès que c'est fini.
Plus docile que Chloé, la petite chienne s'empresse de dévaler l'escalier. Bien sûr, cela ne trompera pas longtemps l'ennemi, mais me permettra peut-être de le surprendre...
Le Pouvoir de mon pic continuant à s'écouler en moi, je rouvre les yeux pour grimper en silence les dernières marches. Arrivé sur le palier, devant une porte entrebâillée, j'ai un instant d'hésitation, puis laisse retomber les paupières.
Bien m'en a pris.
L'aura rouge du prétorien n'est plus qu'à quelques pas de ma position...
********************
Désolée du retard, mais passer d'un narrateur à un autre, c'est toujours difficile. D'autant plus qu'entre Sam et Liam, c'est le grand écart et qu'il y avait à gérer les 3 voix dans sa tête !
😰😤🤕
Dans la suite du chapitre, promis, beaucoup d'action... 🏃♂️👼
J'espère pouvoir y arriver pour le week-end prochain. 🙏🙏
Bonne lecture, bonne semaine. 💗💗💗
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