Chapitre 19-1 (a)

(Sud Quercy 5 septembre 17h34)

Alors qu'au nord du Lot, Galilée et ses hommes attaquent le manoir où Charlotte et Chloé sont retenues prisonnières, les habitants du Tuc-Haut pansent leurs plaies. William ( le beau-père de Samuel) et Daphné ( sa sex-friend) ont été tués, les adultes emmenés prisonniers, Alison, la sœur de Liam, grièvement blessée et les autres adolescents ne doivent leur salut qu'à la mansuétude inopinée de Copernic. Dans l'euphorie de la fin des combats, Sam et Jo ont échangé un long baiser... 

Samuel

Les éclairs se succèdent presque sans interruption, illuminant la forêt de vives lueurs livides. Le vent âpre mugit entre les troncs, les grands arbres tremblent et chuchotent, les buissons ondoient par à-coups à la manière des images d'un vieux film muet.

Putain de putain de putain !

L'émotion qui enfle dans ma poitrine, aiguë et poignante, dilate mon cœur tel un ballon de baudruche. Impossible de dire s'il s'agit de haine ou de désespoir – sans doute les deux mêlés –, mais qu'est-ce que ça fait mal !

Ma carapace craque et des larmes amères roulent sur mes joues, le symbole de mon échec. Merde et remerde de nom de Dieu ! Heureusement que personne ne me voit.

Je me tourne vers le massif alien. Le jour ayant déjà fui, ses fleurs multicolores ont refermé leurs pétales et les insectes vrombissants l'ont déserté. Mais lui est toujours là, fidèle au poste, vaillant et valeureux, plus vigoureux à chacune de mes visites.

Je le fixe. Yeux dans les yeux. D'homme à homme. Ou plutôt d'homme à extraterrestre. Rien n'est fini, non. Au contraire, ça ne fait que commencer...

Saloperie de fils de pute de Voyageur !

Je m'essuie rageusement le visage. Aussitôt, l'odeur âcre et salée de la poudre dont mes mains sont encore imprégnées m'envahit les narines.

Pas besoin de plus pour me remettre les idées en place. Je fais volte-face.

Quelques enjambées me suffisent pour rejoindre mon nouveau véhicule, le Glisseur que j'ai récupéré, quasi intact, sur le champ de bataille. J'actionne l'ouverture de la porte arrière gauche et m'empare de la pelle que j'y ai rangée avant de venir. J'ai choisi d'enterrer William et Daphné sous l'abri que forment les branches des grands chênes, à la lisière de notre clairière à Jo et à moi.

— Tu les protégeras, hein ? demandé-je à la Météorite enfouie sous le buisson. Je te les confie...

Le massif s'illumine illico d'une étrange lueur phosphorescente à faire pâlir d'envie un rayon de lune. Compatissant, l'épais taillis frémit en harmonie avec mon chagrin. Ne t'inquiète pas, me répond le fragment de Voyageur, ils seront très bien auprès de moi.

Enfoirée de magie de merde !

Atterré par mes propres élucubrations, je me secoue. À présent que l'adrénaline est retombée, mes muscles se sont refroidis. Et comme hier, j'ai passé mon temps à me faire traquer, frapper ou flinguer, j'en subis le contrecoup. Toutefois, les douleurs lancinantes qui me parcourent le corps ne m'empêcheront pas d'accomplir la mission que je me suis octroyée.

À la recherche de l'emplacement idéal pour y creuser la tombe, je m'avance au travers des frondaisons, faisant craquer les glands et les brindilles desséchés sous le caoutchouc de mes semelles vulcanisées. Et comme souvent quand je marche à l'aventure, je m'abandonne à mon monde intérieur et mes pensées se déploient dans tous les sens.

Sauf que soudain, ma Ranger s'enfonce dans un trou. Je manque de trébucher.

Bordel ! Fait chier...

S'agirait-il d'un signe du Voyageur ?

Je marque une halte afin de me reconcentrer sur mon environnement.

Aussitôt, la surprise vient cruellement me marteler la poitrine. En face de moi, dominant toute la clairière alentour, se dresse un vieux chêne imposant, au tronc large et noueux, scindé en deux à la hauteur de mon regard. Et bien que cet arbre trois fois séculaire ressemble au fils naturel du Saule Cogneur et d'une Dame Ent, je ne doute pas un seul instant que William et Daphné reposeront en paix à ses pieds. J'avais d'abord pensé leur aménager des tombes séparées, mais comme tous deux sont tombés au champ d'honneur, lors du même assaut, j'ai décidé de les inhumer ensemble afin qu'ils se serrent les coudes dans la mort.

Sans plus m'interroger sur la présence à cet endroit de ce chêne que je n'avais encore jamais remarqué, je pose mon sac à dos, m'arc-boute sur mes deux jambes, prends mon élan et plante mon outil de jardin dans le sol. L'orage de la veille ayant par chance généreusement arrosé le terrain, il s'enfonce à travers l'épais tapis de mousse et de feuilles comme dans du beurre. Triomphant, je remonte une grosse pelletée de terre humide que je me dépêche de reverser sur le côté. Instantanément, une forte odeur d'humus, âcre et épicée, vient piquer mes narines. Vite ! J'en inhale le bouquet qui s'en échappe tel un apnéiste qui aspire une bonne bouffée d'oxygène avant de s'immerger.

Mille milliards de pétards !

La décharge de magie dans mon organisme me fait presque l'effet d'un rail de coke.

Dans un grognement bestial, je plonge à nouveau ma pelle dans le trou afin de l'agrandir. J'en arrache une belle motte de terre noire, puis une autre, et une autre encore, réitérant ce geste un si grand nombre de fois qu'il en devient mécanique et que j'oublie de compter.

J'étais bien parti pour atteindre le Centre de la Terre quand d'un coup, une vive douleur me vrille le bras. Et comme au même moment, je sens mes jambes vaciller, je m'interromps illico pour m'extirper de la fosse dans laquelle je me trouve maintenant.

Aussitôt, la fatigue me tombe dessus, tel Peeves, l'esprit frappeur de Poudlard. L'air me manque, mon cœur s'emballe, mon pouls bat trop vite.

Je glisse et m'affale, tête la première, sur l'énorme taupinière formée par la terre que je viens de rejeter.

Confus comme un renard qu'une poule aurait pris, je me redresse manu militari et m'assieds sur mes talons, en fixant le piètre résultat de tous mes efforts. Un tout petit trou de rien du tout, minable comme ce n'est pas permis...

Putain de saloperie de vermine de chiottes !

Je n'ai pas réalisé le quart du tiers de la moitié de la tâche que je me suis fixée et me voilà déjà en PLS. J'aurais vraiment dû demander de l'aide à mes amis...

À peine ce regret m'est-il venu à l'esprit que je le chasse. Pour avancer, il faut être conscient de sa valeur, ni se surestimer ni se dévaloriser. Et surtout, surtout, savoir regarder ses fantômes dans les yeux, afin d'éviter qu'ils continuent à vous hanter. Voilà pourquoi j'ai choisi d'enterrer moi-même William et Daphné. Pour exorciser mon désespoir, pour me débarrasser de la culpabilité qui me hante et pour jurer sur leur tombe que je les vengerai...

D'instinct, je me retourne vers le tumulus abritant l'astéroïde. Aussitôt, une lueur aussi intense qu'éphémère illumine la clairière. L'ai-je rêvée ? Non. Sentant comme une morsure au bout de mes doigts, je vois un éclair bleu remonter le long de mon bras pour se répandre dans mon torse. Aussitôt, une vigueur nouvelle m'envahit. Tandis que mon sang court dans mes veines tel du vif-argent, la magie pulse sous ma peau et mes souffrances s'apaisent. D'une simple torsion du poignet, j'éloigne une grosse branche qui m'aurait gêné, puis une série de cailloux. Mon euphorie est telle que, l'espace d'un instant, j'envisage même d'utiliser ma télékinésie pour continuer à creuser.

Oui, mais non.

Je resserre les mains sur le manche de ma pelle. William et Daphné méritent mieux que ça. Si je cède à la facilité, je m'en voudrai toute ma vie car ce n'est pas en souffrant dans ma chair, mes tripes et mon âme que je leur aurai rendu hommage.

D'aucuns me jugeraient vieux jeu, mais que voulez-vous ? Je suis un homme d'honneur...

Je bande mes muscles, puis prenant appui sur mes jambes, je me mets à creuser. Je plante ma pelle, je la ramène, je plante ma pelle, je la ramène... Quand bien même les circonstances m'interdisent d'offrir aux miens des funérailles en grande pompe, corbillard, croque-morts et tout le toutim, je veux malgré tout leur aménager une tombe digne d'eux, une dernière demeure sécurisée, un abri impénétrable. Si un charognard venait à flairer les corps en décomposition et s'en régaler, jamais je ne me le pardonnerais...

À cette pensée, l'angoisse m'étreint illico et, tel un fil trop tendu, mon enthousiasme casse net. Je lâche ma pelle, m'essuie le front et laisse mon regard errer sur la bouche ouverte dans le sol.

Bordel de foutoir ! Honte à moi... Je croyais avoir réussi un magnifique sépulcre, bien profond. Or, la fosse que j'ai sous les yeux me fait penser à un croisement entre un terrier de lapin et une boîte à chaussures pointure 34, au trou qu'un meurtrier à la mords-moi-le-nœud aurait creusé à la va-vite pour dissimuler le corps de sa victime. Un vrai travail d'amateur...

Une vague de nausée me traverse, se muant en vertige.

Vite ! Avant de me vautrer à nouveau, je m'assieds, le dos contre le tronc noueux du fils de Dame Ent. Aussitôt, le silence s'affaisse sur moi, froid et pénétrant, tel le vide de l'espace. Jamais plus Daphné ne me lancera son sourire à un million de watts, celui qui électrisait chacune de mes zones érogènes. Jamais plus le mari de ma mère ne me mettra en rage avec ses commentaires à la con sur ma rébellion adolescente ou ses jeux de mots ringards. Jamais plus je ne pourrai les serrer dans mes bras, parce que tout comme mon père, ils s'en sont allés, sans que je puisse rien faire pour eux.

Je cligne des yeux pour repousser l'afflux soudain de larmes, mais autant essayer d'arrêter un train en agitant un mouchoir. Jusque-là, j'avais réussi à verrouiller mon corps pour empêcher mon chagrin d'exploser, sauf que j'ai atteint mes limites. Je m'effondre et pleure comme un enfant. Comme celui que je n'ai jamais été et que j'aurais voulu être. Comme celui que je suis en réalité, l'enfant humilié, l'enfant bafoué, avec cette horrible haine en lui, farouche et furibonde, mortelle, pareille à une boule de feu.

Et puis, je me calme. Pas question de capituler face à la douleur !

Puisque j'ai quand même besoin d'un peu d'aide, je plonge les doigts dans l'une des poches intérieures de mon gilet tactique. J'en ramène la flasque de vitriol que j'ai récupérée sur le corps de mon beau-père. William n'était pas un ivrogne, non, mais il gardait toujours un peu de courage liquide sur lui en cas de coup dur. Résistant comme il était, il n'a pas dû en avoir souvent besoin, mais moi, je ne vais pas me gêner !

Je m'en envoie une bonne rasade.

Telle une traînée de feu, l'alcool non identifié se répand sur ma langue, descend le long de ma gorge, puis me brûle l'estomac.

Le défunt avait vraiment des goûts de chiotte, c'est un vrai tord-boyaux qu'il s'était choisi.

Aussi dur à avaler que la réalité.

Mais je dois le reconnaître, plus efficace pour vous remettre les idées en place que le fantôme d'un père décédé ou les flashes magiques d'un caillou cosmique.

Je me relève brusquement.

Au-dessus de moi, le vent hurle dans les branches comme une meute de loups affamés. À travers les frondaisons, les éclairs déchirent sans répit le ciel cendreux de leurs longues traînées incandescentes, un écheveau de circonvolutions chamarrées.

Gris noir. Violet. Noir noir. Mauve. Gris argent. Fauve. Noir bronze. Ocre doré...

Je saute à nouveau dans la tombe.

Je ramasse ma pelle, l'enfonce dans le sol spongieux d'un coup de Ranger et en rejette le contenu hors du trou, puis rebelote ! Je plante ma pelle, je la ressors et me débarrasse de son chargement au loin. Je passe mes nerfs sur mon outil et je me défoule sur la terre en la frappant de toutes mes forces. Et un coup pour Domitien, ce putain de bâtard qui a abattu mon beau-père comme un chien. Puis un coup pour Newton, ce fils de pute qui a refroidi Daphné. Ensuite un coup pour Copernic, ce baltringue qui s'en est pris à Jo. Et enfin un coup à la figure de tous ces prétoriens pourris, ces sales enfoirés de merde d'Impériaux qui se sont arrogés le droit de faire régner la terreur...

Je creuse.

Il n'y a plus rien dans ma tête, ni dans mon cœur. Ni douleur. Ni chagrin. Rien.

Que de la rage, de la rage, de la rage...

Je creuse, je creuse.

Jusqu'aux genoux... Jusqu'aux hanches... Jusqu'à la taille...

Je creuse, je creuse, je creuse.

Soudain, je m'arrête et laisse courir mon regard sur l'ensemble de l'ouvrage à la manière d'un inspecteur des travaux finis. Un sifflement satisfait m'échappe. Putain le beau gosse ! J'ai ouvert dans le sol une cavité d'environ deux mètres de long, un mètre cinquante de large et un mètre vingt de profondeur.

Cette fois, oui, ça ira !

J'ai un goût de ténèbres sur la langue, mes mains me brûlent et toutes mes douleurs se sont réveillées, mais j'ai atteint mon premier objectif.

J'ai atteint mon premier objectif !

Ce qui veut dire qu'une fois que j'aurais mis mes morts en terre, je pourrais m'atteler à la réalisation des prochains, libérer ma mère ainsi que ses amis, et par la même occasion, retrouver les enfoirés qui ont osé s'en prendre aux miens. Cela fait, j'éliminerai ces bâtards de la surface de la Terre.

Sauf que pour parvenir à mes fins, je devrai quitter le Tuc-Haut.

Seul.

Oui, seul. Parce que la vengeance est une route longue et tortueuse, affreusement sombre et toujours solitaire...

Ce ne serait vraiment pas bien de ma part d'emmener qui que ce soit avec moi. 

********************

Je crois avoir autant souffert pour écrire ce chapitre que Sam pour creuser son trou, sinon plus... Je voulais montrer sa douleur, l'humaniser, vous le faire aimer... Parce que moi, à force de le côtoyer, j'ai fini par l'apprécier. Je doute quand même d'avoir réussi à faire changer d'avis ses détracteurs, surtout que sa décision finale a dû vous faire grincer des dents. 😭

La suite est encore plus difficile à écrire, le début est en puzzle sur mon ordinateur, je ne m'engagerai donc pas sur une date de parution.

J'espère que ce chapitre vous a plu malgré tout. Si tel est le cas, n'hésitez pas à voter. ⭐

Bisous et bon week-end !  💗💗💗💗


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