Chapitre 18-4

(Nord Quercy 5 septembre 18h07)

Piégée hors de son corps, Chloé assiste, impuissante, à l'affrontement entre ses sauveurs et les prétoriens. Voyant Rémy directement menacé par Magnus, elle a l'idée de sauter sur le fusil du soldat, déviant ainsi le trajet de la balle. La première grenade lancée par Galilée explose et la petite fille est emportée par le souffle hors de la pièce. 

Par chance, Tex et Léo veillent au grain...

Chloé

Est-ce que Magnus m'a tuée et envoyée en Enfer ? Est-ce que je suis juste prisonnière d'un long long cauchenoir ? Ça badaboume de partout – des gros fusils qui tirent pareils que des chiens enragés – et je peux même pas fermer mes oreilles.

Alors, je rouvre mes yeux.

Je suis posée sur la troisième marche d'un escalier et devant moi, s'étire un grand couloir très sombre et plutôt dégueussale, avec plein de toiles d'araignées dans les coins et un tapis tout râpé au milieu.

Bizarre ! J'imaginais pas la maison des morts comme ça...

Terrorrifiée, je cherche des yeux les drôles d'oiseaux qui m'ont emmenée dans cet endroit, mais je les vois plus. Peut-être qu'ils sont déjà repartis s'occuper d'une autre petite fille en danger ?

L'aigle noir, si gronchon. Le pic magifique, si mignon.

Je prends mon élan et m'envole pour les retrouver quand je me rends compte que je suis pas toute seule. Il y a quatre méchants en-dessous de moi, le monsieur en habits normals et trois prétoriens.

Aïe-ya-yaïe ! Ils m'ont l'air très très énervé, pire que Dylan quand je m'amusais à l'embêter.

Et pourtant, ils me font même pas peur !

Au contraire, loin là-bas, dans mon corps, mon cœur cabriole de joie. Je viens de comprendre que si ces vilain-affreux sont ici avec moi, c'est que je suis toujours vivante.

Je suis en train de me demander si je devrais pas me remettre en minuscopique qu'à côté, ça explose à nouveau.

Et cette fois-ci, vraiment complètement ! Bonbadaboum bonbadaboum...

Tandis que le château choqué se met à trembler de tous ses murs, je me retrouve projetée en l'air. Bang ! Je tamponne le plafond, puis – pof ! – je retombe sur le sol, toute statufigée.

Paniqués, mes yeux clignotent comme les phares d'une voiture en panne. Clic ! Les soldats éparpillés partout par terre. Clac ! Leur chef qui se traîne sur le sol à la recherche de ses lunettes. Clic ! Je les aperçois là-bas, recouvertes de poussière. Clac ! Je me lève d'un bond pour leur marcher dessus et toutes les écraser, mais mon ennemi est plus grand et plus agile.

Il les récupère avant moi.

Déçue, je me mets assise sur ma marche et le regarde leur cracher dessus, puis les nettoyer avec le bout de sa manche. Beurk, beurk, beurk !

Si j'avais eu un corps, je crois bien que j'aurais vomi.

Alors, pour plus le voir, je détourne la tête. Mes pensées sont en mille morceaux, si mélangés que j'arrive pas à les débazarder. Pourquoi la salle, elle a éclaté ? Pourquoi on entend plus personne bouger à l'intérieur ? Est-ce que tout le monde est mort ? Tout, tout le monde ? Les méchants, mais mes amis aussi ?

J'ai trop envie de pleurer. Mais peut-être qu'avant de jouer les bébés, je devrais aller vérifier ? Papa Thibaut, il est comme un rocher, aussi fort, aussi solide, aussi dur. Quant à ma sœur, elle donne tellement les chocottes que même la mort pourrait avoir peur et fuir devant elle...

Vite ! Je rassemble mes forces et décolle. Vlan ! Je file au-dessus des prétoriens. Zou ! Je passe le virage. Bzzzz ! Plus rapide qu'une abeillule, je vole le long du couloir. Bang ! Je me cogne dans la porte fermée. Poum ! Je retombe par terre comme une crêpe ratée.

Même pas mal !

Mais un tout petit peu assommée, et vraiment vraiment vesquée !

Je me secoue la tête, puis me redresse, debout. Face à moi, plantée dans son panneau de bois, la serrure me fait un clin d'œil, comme si elle m'appelait...

Aussitôt, je m'emboule et commence à me rapetir pour y passer dedans.

Sauf que de l'autre côté, un fusil se met soudain à hurler sa colère. Terrorrifiée, je pirouette en arrière jusqu'au tropfond du couloir où je percute le mur. Je pense un instant que je vais y rester coincée à l'intérieur comme un animal de dessin animé, mais heureusement, je glisse et atterris...

Dans la grande salle, les tirs se sont arrêtés. Mais d'autres bruits les ont remplacés. Des grincements. Des craquements. Des dégringolements...

Et surtout, surtout, plein de pas qui se pressent sur le plancher vite vite !

— Meyer, Chaumex ! quelqu'un crie dans mon dos. Vous restez là pour interdire à ces enfoirés l'accès aux étages. Rabascat, vous montez avec moi.

Tandis que je rampe sur le tapis, deux prétoriens me passent à travers. L'un pousse la porte de gauche, l'autre fait pareil à droite. Est-ce que c'est chacun sa cachette ? Non, laissant le battant un tout petit peu ouvert, celui à l'épingle rouge rentre pas dans sa pièce, mais se dépêche de rejoindre son collègue à l'intérieur de la sienne.

Ils ont pas refermé que deux coups de feu éclatent, comme des bouchons de champagne. Puis c'est à nouveau le silence et mes pensées recommencent à s'emmêler. Est-ce que je dois continuer à chercher mes sauveurs ? Est-ce que je devrais pas plutôt essayer de retrouver mon corps ?

Je sais pas comment, mais brusquement, le joli petit pic revient dans ma tête. De suite, l'aigle noir apparaît à son tour et essaie de l'en chasser avec son bec. Sauf qu'aussi têtu que moi, l'oiseau de feu s'accroche de toutes ses pattes à mes idées.

Soudain décidée, je déterris et m'enfuis vers l'escalier. Puisque le méchant à lunettes connaît ma prison, je vais le suivre. Je suis tellement déguisée en Casper que jamais il me verra !

Bon sang de bon soir ! le rapace jure. J'ai cru que tu te déciderais jamais. Tous ces macchabées écrabouillés, ce sang partout, cette putain de destruction, ç'aurait vraiment pas été un spectacle pour une momignarde !

Dégoûtée, je m'arrête tout net. Furax contre le malpoli, le tonnerre s'énerve au-dessus de nous, grondant comme un canon. Et crac ! Le château se dépêche de le copier, des bruits affreux d'écroulements montant de son gros ventre.

Ne fais pas attention à cet abruti ! son copain-ennemi se fâche, tout rouge et vert. Il ne connaît vraiment rien aux enfants.

Cet oiseau est si gentil ! Et sa voix imite tellement bien celle de ma maman quand elle me chantait une douce béberceuse ! Vite ! Je rassemble mes pieds et mes mains, puis repars. Aidée par les ailes puissantes de mes nouveaux protégeurs, je vole en quatrième vitesse jusqu'au premier étage pour rattraper les deux méchants.

Y a qu'eux qui savent où j'ai laissé mon corps.

Bonne idée, l'aigle remarque, ce serait vraiment trop bête, de rester en fantômette toute ta vie.

Furieuse, je fronce fort mes pensées pour obliger cet embêteur à se taire quand je vois mes ennemis disparaître derrière une porte cachée sous l'escalier.

Mais quelles méchanceries ils sont encore en train de mijoter ?

Brrrr ! Je me dépêche de les suivre.

Ils entrent dans une drôle de pièce, une espèce de placard rempli de machines modernes, pareil que le poste de pilotage d'un avion.

Oups ! Me voilà aussitôt transformée en statue.

Sauf que mes nouveaux amis sont plus courageux que moi. Curieux comme des vieilles pies, ils me forcent à me rapprocher. Obéissante, je traverse le gros costaud qui surveille la porte, puis stoppe au-dessus du lunetteux. Assis sur une chaise, il a mis des écouteurs et parle dans un micro. Sauf que je reconnais pas sa voix. Toute hachée, elle frissonne pareil que dans un vieux film.

— Alpha 2, ici Alpha 1. Mayday ! Mayday ! Est-ce que vous me recevez ?

Il y a personne là où il appelle, ou alors l'appareil est cassé, parce que rien ne se passe. Tout rageux, le méchant donne un grand coup de poing sur la table, puis se prend la tête dans les mains.

— Si je puis me permettre, legate ?

Son garde du corps se rapproche, regarde la machine, puis appuie sur plein de boutons. Aussitôt un tas de zzzzzzzzzzzzz envahit la pièce. Vite ! Le monsieur en habit de ville recommence à demander du secours, mais plus doucement qu'avant.

— Alpha 2, ici Alpha 1. Mayday ! Mayday, on est attaqués...

Cette fois, j'entends des clic-clic, beaucoup de grésillages, et enfin une voix comme une balle de fusil, une voix qui me fait tellement si peur que je comprends même pas ce qu'elle dit.

Le vilain-affreux qui parle à l'intérieur, c'est... c'est...

— Des putains de terroristes ! le commandant du château annonce. Ils se sont introduits dans le casernement en se faisant passer pour des membres de la Coordination Jupiter et...

À l'autre bout, l'assassineur d'Olivier aboie si fort que le légat arrive plus à s'expliquer. Terrorrifié, il peut qu'écouter les gronderies de son chef.

Sauf que soudain, celui-ci se tait. Vite ! C'est le moment d'essayer de se défendre...

— Ils sont organisés, lourdement armés et complètement jusqu'au-boutiste. Ils n'ont même pas hésité à lancer leurs grenades en milieu confiné. C'est vous dire leur degré de détermination !

Alors qu'un long frisson le secoue de la tête aux pieds, il s'arrête de parler pour souffler par le nez. Ses lunettes se couvrent de brouillard. À cran, il les enlève brutalement.

— Je pense que la GA que vous avez perdue est avec eux. Cela expliquerait beaucoup de choses.

Dans la radio, son chef pousse un cri terrible, puis furax, il recommence à misérifier son appeleur. Impossible de savoir ce qu'il lui raconte, mais ça doit être vraiment vraiment terrible. L'Impérial transpire tellement que son front a l'air de pleurer.

— Mais... mais... mais, il bégaie, ils tiennent le rez-de-chaussée, la plupart des nôtres sont à terre et le manoir a été tellement ébranlé qu'il risque de s'effondrer...

Les écouteurs se remettent à cracher et à siffler. Complètement assourdi, le légat les enlève et renverse la tête vers le plafond. Ses yeux s'étrécissent pareils que Nestor quand il voyait une souris.

Il respire un bon coup, puis ramène le micro près de sa bouche.

— Bien dux, il dit, il en sera fait selon votre volonté. Terminé.

Il raccroche et se tourne vers son prétorien, aussi blanc que la barbe au Père-Noël.

— Domitien est en route, il lui explique. Newton et lui seront là d'ici un quart d'heure. En attendant, ce malade veut que l'on retienne nos agresseurs.

— Si vous permettez que je donne mon avis, legate, ces racailles sont venues pour la gosse et ne repartiront pas sans elle. Le mieux que nous ayons à faire est donc de grimper jusqu'aux chambres de bonne. Roland doit toujours y monter la garde. Et nous y trouverons peut-être même Julian.

Entendre le nom de l'horrible prétorien suffit pour me paniquer encore davantage. Loin dans mon corps, je sens mon cœur s'emballer.

— C'est exactement ce que j'allais proposer, d'autant plus qu'en cas d'aggravation de la situation, les ordres du dux sont formels. Il faut absolument garder la petite Hébrard en vie, mais ne pas hésiter à abattre la gosse. Cette Altérée constitue une telle arme de destruction massive que les Opposants ne doivent pas remettre la main sur elle.

Tandis que sous moi, le monde se met à tourner, une grosse boule apparaît dans ma gorge. J'aurais pas été déjà déguisée en fantôme, je crois bien que j'en serais devenue un.

Le prétorien tout muscloto sort dans le couloir, pointant son fusil d'un côté, puis de l'autre.

Legate, il annonce, vous pouvez venir. La voie est libre.

Méfiant, son chef hésite. Et si c'était un piège ?

— Vous êtes sûr, Rabascat ? Les coups de feu que nous avons entendus tout à l'heure semblaient pourtant indiquer que l'attaque que nous avons essuyée n'était qu'une diversion. Sans doute nos assaillants voulaient-ils permettre à l'un des leurs de s'infiltrer dans les étages.

— C'est bien pour cela qu'avant de monter, nous allons passer par l'armurerie, histoire de nous équiper davantage...

Rassuré, le commandant du château se décide enfin à franchir la porte et les deux ennemis disparaissent dans le couloir. Vite ! Les oiseaux m'ordonnent de les suivre, mais impossible ! La peur m'a collée au mur. Scraaatch !

Est-ce que je vais rester là pour toujours ? Non, j'ai de nouveaux aideurs maintenant. L'aigle ouvre grand ses ailes devant mes yeux.

Tout devient noir, mais j'avance.

Je flotte et je tangue. Je sais pas où je suis, je sais pas où je vais. J'ai envie de vomir.

Mais soudain, plus bas dans la maison, j'entends de nouveau bouger.

Des bruits de pas, de voix et de dégringolade de pierres, puis un grand coup, une porte qu'on enfonce...

Je me stoppe.

Surtout, petite, le gentil pic me conseille doucement, ne regarde pas !

Il m'en faut pas plus pour ordonner à mes paupières de se lever. Elles papillotent comme des clignophares.

Je plane en bas d'un escalier et sous moi, il y a Julian couché sur le plancher, couvert de sang.

Est-ce qu'il est mort ? je demande.

Complètement et définitivement ! l'aigle rigole. Je peux te le jurer. J'ai assisté en direct à son exécution. C'était quelque chose. L'un des meilleurs moments de ma courte existence...

Je me glace, toute congélifiée.

T'en fais pas, petite ! son copain-ennemi tout coloré reprend. Ce type n'a eu que ce qu'il mérite. C'était un gros méchant !

Je veux lui répondre qu'il a pas à s'inquiéter, que des assassinés, j'en ai déjà vu plein, même que beaucoup, c'était moi qui les avais tués en me défendant parce qu'ils voulaient me faire du mal, m'enlever ou je sais pas quoi d'autre, mais je peux pas, je sens plus le pic dans mon cœur.

Vite ! Je regarde au fond de ma tête, sauf que l'aigle y est plus non plus.

Bizarre... Est-ce que j'aurais rêvé ces oiseaux, comme ces idiotes à l'école qui s'inventaient des amis imaginaires ? Tout émotionnée, je me précipite dans l'escalier, volant au-dessus des marches, puis freine, une fois le virage passé.

Devant moi, il y a un prétorien qui avance lentement, pareil qu'un vieux papy de cent dix ans. Est-ce que j'ai fait du bruit ? Est-ce qu'il m'a sentie ? D'un coup, il s'arrête...

Terrorrifiée, je me ratatine aussi sec en mini-riquiqui.

— Ah vous voilà ! il rognonne comme s'il parlait à quelqu'un. Je n'irai pas jusqu'à dire que vous m'avez manqué, néanmoins je me demandais où vous étiez passés !

Il secoue tout son casque, puis repart. Moi, tellement je suis bouleversée, je reste suspendue là, à me demander si j'ai bien entendu ce que j'ai entendu.

Ce monsieur qui parle tout seul, c'est Papa Liam. En habit de méchant, mais bien vivant.

Papa Liam qui est venu me déprisonner.

Folle de joie, je me précipite vers lui, sauf qu'une si terrible mauvaise pensée me traverse l'esprit que – criiii ! – je freine brutalement et me retrouve à l'envers, la tête en bas et les pieds en l'air.

Bordel de bordel ! Dylan, il aurait dit. Coquin de sort ! l'aigle lui aurait répondu. Punaise de saperlipopette ! moi, je gémis. Ma bouche peut pas parler, mes bras peuvent pas l'attraper. Comment lui faire comprendre que je suis là ?

Et si mon cerveau plein de Voyageur, lui, en était capable ?

Sans même que leur en donne l'ordre, mes pensées commencent à hurler. Le faux prétorien s'immobilise, lève la tête, puis se tord le cou pour regarder en arrière... 

********************

Ouf ! Chloé vient de retrouver Liam. 💗 Peut-être est-ce enfin la fin de son long cauchenoir ? 🙏😰

J'ai eu moins de mal cette fois avec sa voix. 😄🤩

J'espère pouvoir publier le week-end prochain, mais je ne m'engage pas. La semaine qui arrive s'annonce très chargée.

Bisous. 😙 

Bon week-end ! 🥰

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