Chapitre 18-2(a)
(Nord Quercy 5 septembre 17h23)
Pendant que Thibaut, Galilée, Nicolas, Maxime et Rémy pénètrent dans le manoir par l'entrée principale, Liam rejoint en douce la vieille demeure. Ayant réussi à échapper à ses gardiennes (Claire et Maeva), Sampa le rattrape.
Juste à ce moment-là, le jeune homme parvient à crocheter la serrure de la porte dérobée qui va peut-être lui permettre de retrouver les deux prisonnières.
Liam
Saluant ma victoire d'un jappement joyeux, Sampa bondit vers moi, me bouscule et disparaît dans les ténèbres. Comme je n'entends aucun bruit suspect, je me glisse à l'intérieur, referme la porte, puis saisis ma torche et projette son faisceau de lumière autour de moi.
Il éclaire une grande pièce vide et froide, sans doute une ancienne cuisine, vu l'immense cheminée qui s'étend sur toute sa largeur.
La chienne m'attend à l'autre bout de la salle, au pied d'un escalier de pierre, très haut et très étroit. Dès qu'elle me voit la regarder, elle remue sa queue à toute vitesse, fouettant l'air entre nous.
— Une dernière vérification, lui dis-je, et on y va.
Je propulse encore une fois mon esprit en dehors de mon enveloppe corporelle. Avalant d'un coup la demeure entière, il étudie les contours de chaque aura qu'il rencontre. Si Charlotte et ses gardiens n'ont pas bougé, Vert Pomme et Jaune Citron se trouvent maintenant au-dessus de moi, au premier étage de la tour.
Toutefois, c'est dans le corps de logis et à l'extérieur que les plus grands changements ont eu lieu. Si l'escouade de sauvetage est enfin arrivée, mes amis sont encore en train de piétiner dans la cour. Le gradé au halo blanc iridescent et l'un de ses sous-fifres leur barrent le chemin.
Subodoreraient-ils un piège ?
Fuyant les auras recroquevillées de Maxime et de Nicolas, j'effleure celle de Galilée, couleur rouge sang, m'attarde un instant auprès du corps astral de Rémy, d'un grenat si sombre qu'il apparaît presque noir, puis me résout à me tourner vers Thibaut.
À la vue des étranges éclairs orangés qui strient son halo d'un bleu intense, une horrible sensation me noue l'estomac. Qu'arrive-t-il à notre leader d'ordinaire si calme ?
Au bord de la panique, je me retire illico.
Bien m'en a pris !
Voilà que mon esprit voyageur en repère un autre, rose fuchsia, immobile, quelques mètres au-dessus des prétoriens.
Cette fois, c'est le soulagement qui m'envahit, au point que des larmes menacent de sortir.
Chloé.
Non seulement l'adorable blondinette est vivante, mais en plus, mes amis l'ont déjà retrouvée.
Tandis que Tex exécute un salto arrière dans ma poitrine, Léo entame une java endiablée au plus profond de mon crâne. Toutefois, le gémissement digne de Chewbacca qui retentit tout près d'eux les calme illico.
Je rouvre les yeux pour découvrir un regard plein d'ombres braqué sur moi.
— Respect, dis-je à Sampa. Vraiment. Pour l'amour que tu voues à ta patronne, ton dévouement sans faille et ta loyauté. Parce qu'il faut se la coltiner, la Charlotte, avec son sale caractère, son entêtement et ses préjugés de classe !
A-t-elle saisi l'insolence de mes propos ? La chienne ébouriffée retrousse les babines en une grimace dégoulinante de dents pointues. Mais comme il en faut davantage pour que je me sente menacé, je m'approche de l'escalier.
— Toi, remarqué-je, t'es loin d'être un animal ordinaire. Tu n'es peut-être même pas un vrai canidé, n'est-ce pas ?
Le silence s'étire entre nous, tel un élastique trop tendu, prêt à claquer. Puis Sampa éternue en secouant la tête. Une réponse énigmatique, s'il en est.
— T'inquiète ! ris-je. Je ne te poserai plus de questions. Chacun ses secrets...
L'air soulagé, la chienne agite sa queue de droite à gauche, puis pivote sur elle-même pour me désigner les marches du bout de son museau humide. Comprenant que j'avais suffisamment retardé l'ascension, je me lance enfin, le labrit sur mes talons.
L'escalier de service se révèle aussi raide et sombre qu'une échelle dans un sous-marin.
La main agrippée à la rampe, je grimpe doucement de façon à ne pas réveiller mes douleurs. Prise d'impatience, Sampa se glisse entre mes jambes, manquant de me faire tomber, puis disparaît dans les hauteurs.
Léo ( dans un vrai cri du cœur) : Eh bien, bon débarras !
Moi ( sur le qui-vive) : Il ne faudrait pas qu'elle nous fasse repérer.
Tex : Tu n'as pas d'inquiétude à avoir. J'ai l'ouïe fine. À part son souffle à l'étage, je n'entends rien d'autre. Les prétoriens ont dû repartir...
Mi-inquiet mi-rassuré, je gravis les derniers degrés et émerge dans une pièce carrée, éclairée par une lucarne à travers laquelle se faufile un jour grisâtre. Curieux de ce qui se passe à l'avant du domaine, je me rapproche. Si notre Glisseur est toujours garé dans la cour, mes amis ne sont plus là. Sans doute ont-ils enfin été autorisés à pénétrer à l'intérieur de la demeure ?
Acheminé incognito par mes veines et mes artères, puis chuchoté par les battements de mon cœur tel le murmure du vent dans la forêt, monte soudain en moi un pressentiment sinistre, comme une sensation insidieuse.
Une odeur de sang, une atmosphère de souffrances et de mort.
Un événement terrible va se produire ce soir. Un événement sans retour possible...
Réaction désespérée s'il en est, je me surprends à adresser une courte prière aux Moires, les déesses du destin.
Il n'en faut pas plus pour déchaîner mes Oiseaux, à l'affût de la moindre polémique.
Tex ( aux quatre cents coups) : T'es certain de t'adresser aux bonnes divinités ? Parce que moi, je croyais qu'elles s'appelaient les Parques.
Léo ( toujours aussi infatué de lui-même) : Mais quel ignare tu fais ! C'est kif-kif bourricot. Les trois mêmes salopes...
Moi : Il a raison, il n'y a aucune différence. Ce sont les grecs qui ont créé ces entités. Les Romains les ont juste reprises en se contentant d'en changer le nom.
Léo : De toute façon, si tu veux que ta supplique ait une petite chance d'aboutir, c'est davantage au Dieu de la Mort en personne que tu devrais l'adresser.
Tex ( tout fier d'avoir suivi l'option LCA) (1) : Hadès ou Pluton.
Moi ( Docteur ès Mythologie Moderne) : C'est bien beau tout ça, mais faudrait voir à vous mettre à la page, les piafs ! Même si César le Petit (2) a tenté de les réhabiliter, il y a belle lurette que ces vieux machins n'ont plus pignon sur rue. Notre nouveau Saigneur se nomme le Voyageur...
Est-ce dû à la pertinence de mon argumentation ? Ou plutôt au contact soudain d'une truffe froide sur le dos de ma main ? Non seulement mes deux Volatiles volubiles ne me répondent pas, mais je les sens se rapetisser au fond de moi.
Enfin en paix avec mes voix intérieures, je pivote d'un bloc.
En face de moi, s'ouvre un corridor étroit qui semble mener vers le corps de logis. Sa langue pendante telle une tache rose, Sampa m'y attend à l'entrée.
Dès qu'elle me voit marcher vers elle, ma petite associée s'engouffre à l'intérieur et je la suis, la poitrine comprimée et le cœur battant, sans m'inquiéter des quelques portes fermées, distribuées de part et d'autre. Mais plus je progresse, plus mon propre souffle me paraît trop aisément repérable dans le silence étouffant de cette fin d'après-midi.
Arrivé à l'angle du couloir, je m'arrête et passe lentement la tête pour voir si la voie est libre. Hormis Sampa, assise sur la première marche d'un nouvel escalier, personne ne rôde aux alentours.
Au moment où je m'élance afin de la rejoindre, je la vois se raidir, immobile, et écouter attentivement.
D'instinct, j'attrape mon pistolet et ma main se resserre sur la crosse de mon arme.
Mais ce n'est qu'au moment où la chienne bondit vers moi que je comprends ce qui a alarmé ses sens plus subtils que les miens.
Des bruits en provenance d'un autre corridor donnant sur le même palier.
Une porte se ferme avec fracas, puis des pas pesants se rapprochent rapidement.
Aussitôt, mon sang se glace.
Jamais je ne parviendrai à atteindre l'escalier et à disparaître dans les hauteurs sans que les Impériaux qui s'amènent ne m'aperçoivent !
Je ne peux que faire demi-tour.
Contraint et forcé, je bats en retraite dans le couloir que je viens de parcourir en sens inverse. Ensuite, au lieu de fuir rejoindre la tour, j'ouvre la première porte que je rencontre, me précipite à l'intérieur, puis repousse le battant derrière moi et balaie mon refuge du regard. C'est une espèce de bibliothèque agréablement décorée pour qui sait apprécier le genre ancien...
Moi ( furax) : Putain, les piafs ! Qu'est-ce que vous avez foutu ? On peut vraiment pas vous faire confiance...
Tex ( sa voix comme un mince filet d'eau) : Vraiment désolé ! Ils ont surgi de nulle part.
Léo ( qui se veut rassurant) : Mais pourquoi tu flippes ? Il n'y a absolument aucune raison pour que ces deux-là entrent ici...
Moi ( tout en parcourant la pièce des yeux) : Je sais pas. Parce que j'ai un karma de merde, parce qu'il faut bien que ces salopard se rendent quelque part, parce qu'ils ont entendu du bruit et qu'ils se demandent ce dont il s'agit, parce qu'ils s'apprêtent à évacuer les lieux et qu'on leur a demandé de ranger avant de partir...
J'interromps mes explications lorsque mon regard s'arrête sur des piles de dossiers entassés dans un coin. Certains en vrac, d'autres bien rangés dans des caisses.
Et merde ! J'avais raison. On va avoir de la compagnie.
Vite ! Je range mon Browning dans son étui, puis me glisse derrière un des grands rideaux rabattus dans un coin de la fenêtre. Et ce n'est qu'au moment où je le referme sur moi que je réalise que Sampa ne m'a pas suivi.
Léo ( tel un disque rayé) : Bon débarras !
Moi ( mon souffle figé à l'intérieur de ma poitrine) : Bordel ! Si sa chienne se fait prendre, c'est sûr, Charlotte me tue.
Tex ( l'oiseau de mauvais augure) : T'as vraiment pas à t'inquiéter de la réaction de cette pimbêche. Les prétoriens nous auront butés avant que tu la revoies...
Un bruit métallique s'élève dans l'obscurité, la poignée de la porte que l'on secoue sans précaution aucune, suivi d'un horrible grincement qui déchire le silence. Les prétoriens entrent, vont et viennent à quelques mètres de moi, puis s'immobilisent. J'entends des murmures étouffés, puis que l'on remue une chaise et que l'on en pousse une autre. Toutefois, ce n'est qu'au moment où je perçois des froissements de papiers que je commence à sérieusement réfléchir à un plan B. Puisque je ne peux pas attendre ad vitam aeternam que Vert Pomme et Jaune Citron aient fini leur tri, je vais devoir me résoudre à sortir de ma cachette pour affronter l'ennemi.
Tout doucement, je sors mon pistolet de mon holster et enlève le cran de sécurité.
Contrairement à mon pauvre pic qui s'est ratatiné dans mon cœur, je suis tellement familiarisé avec les emmerdes que ce nouveau rebondissement ne m'étonne pas plus que ça. J'espère seulement que celui-là ne va pas encore me mener à l'article de la mort, comme la fois où mon bus pour Cahors a explosé, celle où j'ai provoqué Domitien ou même celle où...
Un choc violent fait vibrer le sol et la bordée de jurons qui suit achève d'interrompre le flux de mes souvenirs. Curieux, j'écarte subrepticement la lourde tenture derrière laquelle je me cache, histoire de jeter un œil sur la pièce. L'un des deux abrutis qui me barrent la sortie a laissé tomber une caisse dont le contenu – des tas et des tas de documents – s'est éparpillé sur le plancher.
— Bordel Julian ! s'énerve son acolyte. Tu fais chier. Pile les dossiers de la Sorcière...
— T'inquiète Ted ! lui répond l'autre prétorien. Je vais ranger. Pendant ce temps, tu n'as qu'à commencer le déménagement.
Mon mauvais karma aurait-il décidé de me tromper avec ce pauvre légionnaire ? Tandis que ce dernier s'agenouille afin de ramasser les liasses de papiers disséminées sur le plancher, son collègue referme une énorme valise à roulettes qu'il tire vers la porte avant de disparaître dans le couloir.
Les dents serrées, je laisse passer deux longues minutes, puis sors de ma cachette et plante le canon de mon pistolet dans la nuque de Julian.
— Tu ne bouges pas ou je te bute.
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(1) LCA : Langues et Cultures de l'Antiquité.
(2) César le Petit : allusion au surnom "Napoléon le Petit" donné à Napoléon III par Victor Hugo, par rapport au vrai Napoléon.
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Ouf ! Il n'est toujours rien arrivé à Liam, mais sur la fin, son destin semble prendre une embardée. 😨 Que va-t-il se passer à votre avis ? 🤔
Avec toutes ses voix intérieures, ce personnage est devenu très bavard. J'ai donc préféré couper ce chapitre en deux, d'autant plus que je me suis aperçue d'un petit souci : dans l'ancienne version, Sampa n'était pas présente et je l'ai oubliée en cours de route. 🐕😢
C'est heureusement un détail qui peut être vite réglé. 😄
Si ce chapitre vous a plu, n'hésitez pas à voter ! ⭐
Merci beaucoup pour votre fidélité. 🥰
Bisous et bon week-end. 💓💓💓💓
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