Chapitre 17-4
(Nord Quercy 5 septembre 17h15)
Thibaut, Nicolas, Galilée, Rémy et Maxime ont laissé Liam à l'arrière du domaine. Sa mission, pénétrer à l'intérieur du parc, localiser les deux prisonnières, puis se glisser incognito dans le manoir pour essayer de les rejoindre.
Pendant ce temps, Chloé joue les fantômes tangibles. Les occupants du celerrimum, eux, sont entrés par la grande porte. Ils sont toutefois bloqués dans la cour par Magnus, l'ancien transporteur de Chloé.
Liam
Même si je n'ai jamais arrêté de croire en des réalités au-delà de la nôtre et en une espèce d'entité supérieure que je ne saurais nommer, je n'ai jamais eu la foi. Au contraire, j'ai toujours été allergique à la religion en tant qu'institution, avec sa ribambelle de règles injustifiées et de rituels ringards.
Pourtant, lorsque la lumière apparaît enfin à travers les ronciers, les buissons épineux et les branches enchevêtrées, j'ai l'impression que les portes du paradis s'ouvrent devant moi.
Comme une douleur fulgurante me traverse l'épaule, je vacille et tombe à genoux.
Prenant cela pour un signe de l'univers, je m'assieds plus confortablement, histoire de marquer une petite pause. Malgré les dires de Maxime, ma progression dans les sous-bois s'est avérée assez laborieuse et j'ai vraiment besoin d'un peu de détente.
Un point de vue que ne partagent hélas pas les squatteurs de mon cerveau.
Léo : T'as du jus de navet dans les veines ou quoi ? Ce n'est pas le moment de faignanter.
Tex (lui volant dans les plumes) : Et si tu lui fichais la paix ! Plus vite reposé, plus vite reparti...
Moi (excédé) : Putain de putain de bordel ! Mais vous allez fermer vos gueules, les mouettes ! Je veux du silence, vous entendez ? Du silence...
Saisis par ma virulence, mes Oiseaux se recroquevillent sous l'assaut. L'espace d'un instant, l'idée m'effleure de m'allumer une cigarette – sans doute la dernière que je fumerai de ma courte vie –, néanmoins, l'expérience m'ayant appris qu'il ne faut pas tenter le diable, je renonce et choisis d'étudier ma destination, l'aile gauche du manoir. Un chêne centenaire, dont le tronc noueux et bosselé me fait penser à une bestiole extraterrestre, en cache les dépendances. Toutefois, sous les éclairs incessants, la tour ouest du bâtiment est parfaitement visible.
Je n'aperçois pas âme qui vive.
À demi-rassuré, je reporte mon attention sur l'horizon. Bien qu'il ne soit que cinq heures de l'après-midi, le jour décline à vue d'œil, à la façon d'une lampe-torche aux piles usées. L'immense obscurité des bois coule vers le manoir telle une tache d'encre, ce qui pourrait être une bonne chose pour quelqu'un qui ne se méfierait pas autant de l'arsenal Impérial. Les ténèbres n'arrêtent ni les balles ni les tueurs, surtout si ces derniers disposent de fusils à viseur infrarouge...
Autant mettre toutes les chances de mon côté.
Je ferme les yeux.
Mon souffle réduit à un murmure, je laisse mes autres sens s'imprégner des lieux à la recherche d'éléments que la vue ne suffit pas à dévoiler.
Ils n'en repèrent aucun d'anormal.
Enfin sûr de ne rien risquer, je passe sur-le-champ en vision extrasensorielle.
Maxime avait dit vrai.
La majorité des Hommes-Caméléons se trouve dans le corps de logis. La forte concentration d'auras que j'y découvre ne peut pas mentir. Rouges, vertes, jaunes, orangées ou bleues, certaines immobiles, d'autres en mouvement, elles pulsent au rythme des battements du cœur de leur hôte, me signalant une fois de plus que mes ennemis sont aussi des êtres humains.
À peine cette idée dérangeante m'a-t-elle traversé la tête qu'un coup de bec bien placé me rappelle que le temps des remords viendra plus tard. Léo est-il capable de me confisquer certaines de mes pensées ? L'impression que ce que je m'apprête à faire est mal disparaît illico de mon cerveau et me voilà de nouveau en mode 2.0.
Liam le Lotois, le tueur insensible et inhumain. Le nouveau Domitien.
L'esprit débarrassé de toute préoccupation parasite, je peux enfin me concentrer pleinement sur ma mission, la radarisation du manoir, le repérage de nos cibles et la localisation des deux otages. Pivotant légèrement sur moi-même, je m'intéresse d'abord à la tour ouest, ma destination, et il ne me faut pas une seconde pour comprendre qu'elle est vide de toute présence humaine. Soulagé, je reporte mon intérêt sur le bâtiment principal, pour voir sur-le-champ mon attention attirée par le premier étage. La plupart des prétoriens semblent s'être installés là, tel un camaïeu de toutes les couleurs de l'arc-en ciel à l'image des fibules épinglées sur leurs combinaisons photochromiques.
Mon âme d'artiste se gorge un instant de ce tableau des plus esthétiques, mais rebelote, Léo me recentre sur mon objectif. Un éclair de douleur me traverse le crâne et je me retrouve sous les combles où je bute illico sur le halo de Charlotte, couleur gris-désarroi.
Mon cœur s'emballe comme si j'avais soudain entendu Brad Pitt faire son coming-out et avouer au monde entier son penchant secret pour les grands bruns badass et boderline.
Chassant ce fantasme saugrenu de ma tête, j'élargis séance tenante ma vision à la recherche du corps astral de Chloé.
Mais nothing, nichts, nada, nihil.
Rien.
Si je découvre deux autres auras à cet étage, un halo grossier, brut de décoffrage, et un autre, métallique, tout proche de l'implosion, je ne décèle aucune trace, infime soit-elle, de la petite blondinette.
Un mauvais pressentiment m'envahit, attisant les terminaisons nerveuses de mes doigts aussi sûrement que si je les avais plongés dans de l'acide. Soit ma protégée était morte, soit ces putains d'enfoirés de prétoriens avaient séparé les deux filles. Et une fois de plus, quelqu'un se retrouvait à avoir des ennuis, juste parce qu'il m'avait rencontré.
Moi : Merde, merde et merde !
Tex ( toujours de bonne composition) : Excellent résumé de la situation.
Léo ( furax): Qu'est-ce que tu croyais ? Que ce serait du tout cuit ? Que les Impériaux t'auraient emballé la gosse dans une boîte avec du papier cadeau tout autour ? Arrête de te lamenter et positive ! Tu as déjà localisé Charlotte...
Telle une brûlure, cette engueulade amplement méritée m'électrifie et je plonge vers le rez-de-chaussée où m'attendent trois nouvelles auras, deux plutôt frustes, ondulant paresseusement, et une d'un blanc iridescent, sans doute celle d'un gradé.
Aucune d'elle n'appartient à Chloé.
À ce constat, la panique explose dans le creux de mon estomac et se répand en moi comme un virus. Toutefois, de peur d'essuyer encore les reproches de Léo, je descends plus profond en moi-même et lance un dernier scan de la zone.
À deux pas des trois Caméléons, je distingue une faible lueur, comme une aura éteinte. Bien que sa teinte d'un marron incertain ne ressemble en rien aux couleurs éclatantes qu'arbore généralement le halo de l'enfant, je sais que j'ai enfin localisé ma petite protégée.
Elle est vivante, mais elle ne va pas bien du tout.
Vite ! J'ouvre les yeux sur l'espace qui m'entoure. Autour de moi, les chênes, les pins et les acacias se serrent les uns contre les autres tels de sombres fantômes terrifiés par l'orage à venir. Secoués par le vent, leurs branches laissent toutefois apparaître le ciel, illuminé d'éclairs.
Pour ne pas perdre davantage de temps, j'attrape mon talkie-walkie et contacte Thibaut afin de lui expliquer la situation. Cela fait, je raccroche sans fioritures, me lève d'un bond et me plie en deux.
Le chrono est lancé.
Galvanisé par l'adrénaline, j'oublie mes souffrances pour parcourir en moins de deux la centaine de mètres qui me sépare de la tour ouest du manoir.
Arrivé à destination, je me colle contre le mur et le longe jusqu'à ce que je trouve la petite porte indiquée par Maxime.
Elle n'est pas plus haute qu'un soupirail.
Avant d'entrer, par acquit de conscience, je repasse en vision éthérique.
Bien m'en a pris.
Le halo de Chloé a gagné en vivacité et en consistance, ce qui serait plutôt une bonne nouvelle, si je n'éprouvais pas autant de difficultés à le borner. Descendu d'un étage, il se déplace à vive allure dans les sous-sols de la grande demeure, puis remonte pour s'immobiliser dans l'une des dépendances. Et puisque l'univers ne rate jamais une occasion de me compliquer l'existence, je me rends compte qu'au même moment, deux prétoriens, aura vert pomme et jaune citron, viennent de pénétrer dans le bâtiment à l'intérieur duquel je m'apprête à entrer.
Par le Voyageur ! Il est temps de passer la seconde...
Je rouvre les yeux, si brusquement que la réalité me fonce dessus comme un camion invisible, lourd et dévastateur. L'air chaud et moite, les nuages boursouflés telles des guimauves mouillées, les bois sombres et la tour du manoir si semblable à un ascenseur pour les enfers.
Je pose la main sur la poignée en fer forgé et l'abaisse, mais la porte ne s'ouvre pas. Comme de juste, elle a été fermée à clé.
Sauf qu'il en faudrait bien davantage pour me désarçonner. Je savais crocheter une serrure avant même de passer mon Brevet.
J'extirpe un trombone de ma poche, le déroule en un long fil de fer dont je glisse l'extrémité dans le pêne. Puis, je le replie de façon à le couder à angle droit et commence à le tourner à l'intérieur.
Bien évidemment, le mécanisme suranné me résiste et rien ne se passe.
Je grommelle, peste et jure entre les dents, mais je m'échine, pousse, tire et force.
En vain.
Ai-je préjugé de mes aptitudes ? Mon karma s'amuse-t-il une fois de plus à mes dépens ?
Je retire le crochet de de la serrure antédiluvienne pour en vérifier le cran. Satisfait, je m'apprête à l'introduire à nouveau dans le trou quand j'entends des brindilles craquer dans mon dos.
Vif comme l'éclair, je laisse tomber mon outil improvisé et me retourne, mon pistolet à la main, prêt à tirer.
Une boule de poils hirsute déboule des bois à vive allure, contourne in extremis le tronc du vieux chêne solitaire, puis se précipite vers moi, manquant de déraper sur l'herbe sèche.
Sampa.
— Putain, l'accueillé-je en rangeant mon arme dans son holster, tu devrais te montrer plus prudente. J'ai bien failli te buter.
Tandis qu'effrayés à sa vue, mes Oiseaux se ratatinent, qui dans mon cœur, qui dans mon crâne, l'animal s'enroule dans mes jambes et lève ses yeux dorés vers moi. Fort ému, je pose ma main sur sa tête pour la grattouiller derrière les oreilles. Comblée, elle baisse les paupières et lève le museau pour savourer au mieux mes caresses.
— T'inquiète pas pour ta patronne, lui dis-je. Je vais te la retrouver. Mais je suis vraiment ravi que tu sois venue. Tout de suite, je me sens moins seul.
À peine ai-je prononcé ces mot que je réalise qu'une fois de plus, j'ai perdu l'occasion de me taire. Mais c'est trop tard. Voilà mes Volatiles vent debout contre moi.
Tex ( sa voix semblable à un gémissement) : Et nous alors, on compte pour du beurre ?
Léo ( plantant son bec dans mon hémisphère droit tel un drapeau révolutionnaire) : Tu n'es qu'un crétin décérébré. Quel manque de reconnaissance après tout ce qu'on a fait pour toi !
Tex : Le soutien physique et psychologique, la guérison de tes blessures...
Léo : Le coaching en stratégie militaire, les tutos divers et variés, nos conversations à bâtons rompus...
Moi ( à cran) : Les prises de tête, la violation de mon intimité, les conseils foireux...
Sampa a-t-elle entendu les récriminations de mes Oiseaux ? Ou s'impatiente-t-elle de mon soudain désintérêt pour sa propre personne ? Elle laisse échapper un grognement. Trop faible pour ameuter qui que ce soit, il suffit cependant à calmer tout net notre dispute. Tandis que je recommence à promener mes doigts sur le pelage rêche et hirsute de leur bête noire, mes deux petits démons personnels se terrent, chacun dans l'organe qui lui sert de nid.
— Elle et vous, reprends-je, ça n'a rien à voir. Les chiens aiment leur maître d'un amour inconditionnel. Ils sont aussi fidèles que francs et affectueux. Les oiseaux, eux, sont des créatures farouches, fières et indépendantes, les êtres les plus magnifiques que la nature ait imaginés...
Me sentant m'enferrer, je me tais et puisque personne à l'intérieur de moi ne réagit, je reporte mon attention sur Sampa. Assise sur son postérieur, elle fixe la porte de ses grands yeux tristes.
— Message reçu cinq sur cinq ! lui dis-je.
Je ramasse mon fil de fer, l'insère dans la serrure, puis le tourne et le retourne. Mon karma changerait-il enfin ? J'entends un léger déclic.
Incrédule, j'abaisse la poignée et la porte s'ouvre.
Elle s'ouvre !
********************
Enfin un chapitre où il n'est rien arrivé à Liam ! Mais vous connaissez son mauvais karma. Il risque de payer cette petite accalmie au centuple... 😭😨
Bonne nouvelle : j'ai résolu mes problèmes de scénario.🎆
Il ne reste plus qu'à récrire les chapitres concernés. 😅
Si celui-ci vous a plu, n'oubliez pas la petite étoile. ⭐
Merci de votre fidélité. 💗
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