Chapitre 15-4 (b)

 (Limousin 5 septembre 12h55)

Après le séisme et la destruction du VW, Galilée et Thibaut partent sur leur Harley voir si, plus loin, la route est praticable. Ils ont parcouru quelques kilomètres quand ils entendent une explosion, puis une fusillade. Comprenant aussitôt que leur campement a été attaqué par BMI, ils font demi-tour. Arrivés à proximité du bivouac, ils abandonnent leur moto pour finir à pied.

Après avoir croisé un celerrimum dans lequel se trouve Domitien qui emmène avec lui Charlotte et Chloé, les deux jeunes gens découvrent que Nicolas, Rémy, Claire, Maeva et Sampa sont sains et saufs, sous la  garde de deux prétoriens. Ils décident alors de contourner l'ancien campement en passant sur le site de l'explosion pour prendre leurs ennemis à revers. 

Thibaut

— Tu as dit la même chose avant que l'on prenne la Harley, et pourtant...

Galilée pivote brutalement et je recule d'un pas, le front en sueur. L'espace d'une seconde, je crois ma dernière heure arrivée, mais elle se contente de me foudroyer du regard, bouche crispée et poings serrés. Le stress me fait-il penser n'importe quoi pour fuir l'instant présent ? Je ne peux m'empêcher de trouver que la fureur lui va bien. Elle amplifie l'éclat de ses yeux noisette...

— On est d'accord, j'ai merdé, mais tu n'es pas en reste, puisque tu as abondé dans mon sens. Et comment aurait-il pu en être autrement ? Toi, le cerveau sur pattes, tu le sais aussi bien que moi que les probabilités étaient de notre côté : moins d'une chance sur cent de croiser la Garde Prétorienne et une sur mille que mes anciens collègues s'intéressent à ton bataillon de pingouins. Quant au risque de tomber sur Domitien, il frôlait le zéro.

Sous l'effet de la colère, sa voix a enflé sans qu'elle s'en aperçoive. Heureusement, le bruissement du vent dans la forêt a couvert son éclat. Réalisant aussitôt son impair, elle se calme sur-le-champ.

— C'est bien ce qui me tracasse depuis tout à l'heure, réponds-je. Cette foutue coïncidence !

Galilée me scrute d'une façon si intense que je me sens nu devant elle.

— J'aime pas du tout tes insinuations, siffle-t-elle. Tu crois quoi ? Que je dissimule un traceur dans ma culotte ? Viens vérifier si tu veux !

Incapable de décider si sa proposition était sérieuse ou si elle se moquait de moi, je secoue la tête, l'air exaspéré. J'avoue pourtant que l'idée de sa culpabilité m'a effleuré. J'ai d'ailleurs également soupçonné Rémy, Claire ou Maeva d'intelligence avec l'ennemi. J'ai même suspecté Charlotte. En échange de l'immunité de notre père, de mon incarcération à vie ou d'une tonne de croquettes pour Sampa, elle aurait très bien pu conclure un pacte débile avec Domitien !

Galilée me perce illico à jour ; le sourire qu'elle m'adresse me casse les oreilles.

— T'inquiète, je ne t'en veux pas. Au contraire, moi aussi à ta place, je me serais méfiée de moi !

— Ce doit être l'hélicoptère qui nous a repérés, conclus-je heureux de la voir revenue à de meilleurs sentiments. Ce ne peut être que ce fichu hélicoptère !

— C'est sûr, approuve-t-elle. Il devait nous rechercher, Chloé et moi.

Elle se remet en route et tel un bêta derrière son alpha, je lui emboîte le pas.

Perdu chacun dans nos pensées, nous progressons en silence vers le lieu de l'explosion, poursuivis par les hurlements du vent. Comme certains romains de ma connaissance, ce dernier s'est levé du mauvais pied ce matin. Totalement déchaîné, il couche les hautes herbes, agite les branches et secoue toute la nature alentour.

Soudain, une rafale plus forte que les autres rabat sur nous l'âcre fumée noire. À moitié aveuglé et asphyxié, je marque un temps d'arrêt. Toutefois mon Amazone préférée n'hésitant pas à s'enfoncer dans le nuage malsain, je n'ai pas d'autre choix que de me fier à son instinct et de la suivre.

À peine avons-nous parcouru une cinquantaine de mètres que Galilée s'immobilise. Je viens buter contre elle.

— Par les Dieux des Enfers ! frémit-elle. Soit tu as le don de double vue, soit tu n'es qu'un computer déguisé en humain.

Décontenancé par cette nouvelle envolée lyrique, je plisse les yeux pour tenter d'en comprendre la raison, mais les sinistres volutes sont si épaisses qu'ils m'empêchent d'apercevoir quoi que ce soit. Par chance, une violente bourrasque renvoie soudain le panache fuligineux vers le ciel.

Tout ébaubi, je me tétanise sur-le-champ. Je n'arrive pas à croire le spectacle ahurissant que mes yeux me rapportent. Mes déductions sont exactes. C'est vraiment un aéroglisseur Impérial qui a explosé ! Et le bidon d'essence abandonné sous un buisson à deux pas de la carcasse calcinée – l'un de ceux que nous avions à bord du VW – ne laisse aucun doute sur l'auteur du sinistre.

Liam. Mon Liam...

Comme si elle avait deviné le tour équivoque que prenaient mes pensées, Galilée m'attrape la main.

— T'as vu la piste en face ? Je veux bien être pendue si elle mène pas au bivouac !

Je presse ses doigts chauds et me tourne vers le chemin qu'il va nous falloir emprunter, conscient de ne pas avoir d'alternative.

Nous nous relevons, contournons l'épave de la batmobile et nous lançons en silence dans l'étroit sentier zigzagant vers notre ancien campement. Plus nous progressons, plus j'ai l'impression de marcher dans du sable mouvant. Ma peur frise la panique.

Mon explorator (1) s'immobilise juste avant le premier tournant et jette un œil vers moi. Aux quatre-cents coups, je remarque ses narines frémissantes. Cette fois, Galilée a perçu quelque chose. Et vu ses yeux inquiets et ses lèvres contractées, ce ne doit pas être bon du tout.

— T'affole pas, chuchote-t-elle. Il n'y a personne. Mais ça a pas mal défouraillé dans le coin.

Nous nous remettons en marche et amorçons le virage. Je ne possède pas le nez ultra-sensible de l'ancienne prétorienne et pourtant, l'odeur du sang qui imprègne l'atmosphère me donne maintenant la nausée. Toutefois l'abominable puanteur n'est rien à côté du spectacle que nous découvrons.

Cinq cadavres alignés. Cinq corps de prétoriens abandonnés là par leurs pairs.

Un optio qui pisse le sang, un simple miles transformé en cyclope, un deuxième dont la tête n'est plus rattachée au cou que par quelques bouts de peau. Et encore deux benefices proprement exécutés... Liam a vraiment fait des ravages !

Dégoûté, je détourne la tête. Malheureusement, mon malaise ne fait que s'amplifier. 

Partout où je pose le regard, je crois voir les végétaux suer du sang. Il a tellement coulé qu'incapable de l'absorber, la terre a pris une teinte écarlate comme si elle avait été colonisée par l'herbe rouge de La Guerre des Mondes (2).

Désireux de fuir cette vision d'horreur, je relève les yeux. Mal m'en a pris. Loin de s'interrompre, le cauchemar s'amplifie. Des myriades de gouttelettes rutilantes flottent toujours au-dessus de la zone des combats, telle une brume rouge dans l'air poisseux de haine et d'humidité. Furieux contre mon imagination débordante, je laisse retomber mes paupières. Las ! Tels des colibris monochromes qui se seraient incrustés dans ma rétine, les taches d'hémoglobine continuent à virevolter devant mes yeux, délétères et démentielles.

Secoué par un terrible haut-le-cœur, je vomis tout le contenu de mon estomac. Mais par l'Empire ! Que m'arrive-t-il ? Je ne devrais pas me montrer si impressionnable, j'ai quand même acquis une sacrée expérience de la mort pour un gamin de seize ans...

— Nom de Zeus, entends-je dans mon dos, je te croyais plus couillu. Si tu as l'intention de me suivre dans ma croisade, il va falloir t'aguerrir !

Vert de rage, je m'essuie avec un kleenex, récupère ma gourde dans mon sac et me rince la bouche. Puis, me jugeant à nouveau présentable, je rejoins Galilée. Elle est en train d'étudier les dépouilles de ses anciens collègues.

— Je ne crois pas les connaître, me dit-elle, mais qui sait ?

Sans attendre un quelconque commentaire de ma part, elle repart sur le sentier et je lui emboîte le pas. Mais trois zigzags plus loin, elle pivote dans ma direction, l'air entre deux airs. Aussitôt, mon cœur s'emballe comme celui d'une vierge effarouchée et je me hâte de la rejoindre, en me demandant quelle horreur m'attend encore là-haut. Tout dans le maintien de la jeune femme, la lueur dans ses yeux et la raideur de ses membres, m'indique que je ne serai pas déçu.

— Eh ben, murmure-t-elle à mon approche, à quelque chose malheur est bon. Je n'aurai plus jamais à subir ses sous-entendus tordus.

Si mon estomac n'avait pas déjà été vide, il aurait sûrement encore fait des siennes. Jeté là comme un vulgaire sac-poubelle, repose le corps du pauvre Olivier. À l'idée que ses parents ne connaîtront sans doute jamais le sort réservé à leur fils, je sens ma gorge se serrer et mes jambes flageoler. Bien que je me maîtrise illico, mon malaise n'échappe pas à l'œil exercé de mon binôme.

— Shit ! me grogne-t-elle dans l'oreille. Tu aurais préféré que ce soit Liam ? Moi pas.

Puisqu'il m'est impossible de faire comprendre à cette psychopathe patentée la raison véritable de mon malaise – l'immense soulagement que j'ai ressenti à la découverte de l'identité du cadavre –, je me contente de soupirer. Ce qui évidemment, ne manque pas d'agacer mon acolyte.

— Tu le pleureras plus tard. Pour le moment, ce qui importe, c'est de s'occuper des vivants.

Pris en flagrant délit de sensiblerie, je me ressaisis séance tenante. Alors que j'inspecte les alentours pour me donner une contenance, je remarque une haie d'arbustes bordée de hautes herbes. Certain qu'elle fera l'affaire pour nous aider à franchir les derniers cent mètres qui nous séparent du bivouac, je me plie en deux et la longe avec une ondulation souple de félin, Galilée sur mes pas.

Avisant une trouée dans le feuillage, je stoppe net. Je n'ai pas envie de regarder, mais il le faut. Il faut que je sache !

Je m'arme de tout mon courage et place mon œil devant la percée.

Étroitement ligoté sous un buisson d'aubépines, Liam gît à terre, aussi immobile qu'un tas de linge sale. Il a été passé à tabac et une balafre ensanglantée lui déchire la joue jusqu'à sa chevelure.

Aussitôt, le monde vacille. Ma vision se brouille et s'engouffre dans un tourbillon. Je dois être encore plus pâle qu'un linceul.

— Hé, Blanche-Neige, me chuchote ma légionnaire. Respire, tu vois bien que ton mec, il le fait...

Tout frémissant d'espoir, je me focalise derechef sur la poitrine de mon ami. Même si c'est de façon plutôt irrégulière, elle se soulève bel et bien.

Pris d'une impulsion absurde, je me baisse pour tenter de me faufiler sous la haie. Heureusement, ma campidoctor (3) veille au grain. Elle s'écrase sur moi pour me stopper et je me tétanise aussi sec.

Par le Voyageur ! Comment ai-je pu réagir aussi bêtement ? Je ne me reconnais vraiment plus.

— C'est bon, t'es calmé ?

Le nez dans la terre, je ne peux qu'émettre un faible grognement. Prudente, Galilée relâche lentement la pression qu'elle exerçait sur mon torse, me permettant ainsi de tordre un cou mortifié dans sa direction.

Ses yeux se plantent dans les miens comme si elle voulait me les enfoncer dans le crâne.

— Mille milliards de bordel ! Dès qu'il s'agit de cet Apollon des bas-fonds, tu te conduis comme un abruti. Tu me saoules avec ton obsession des guet-apens, mais dès qu'il y en a un qui se profile, tu t'y précipites droit dedans.

Honteux de l'irrationalité de mon comportement, je déglutis. J'avais trop longtemps bridé mes émotions et maintenant que cet abruti de Liam et cette déjantée de Galilée les avaient débloquées, elles m'explosaient à la figure.

— Reçu cinq sur cinq ! dis-je. T'as remarqué un truc ?

Consciente de mon sang-froid retrouvé, l'ancienne légionnaire me libère et je me dégage illico. La culpabilité pèse sur mon estomac comme du lait caillé.

— Regarde ! m'ordonne-t-elle.

Je suis des yeux la direction de son index tendu. Maintenant que je sais qu'il y a quelque chose à voir, je l'aperçois aussitôt, le fin câble d'acier dissimulé dans les herbes.

Mon souffle se fige à l'intérieur de ma poitrine.

— Il s'agit de ce que je pense ? m'enquiers-je.

Elle opine du chef. Je suis encore sous le choc qu'elle s'est déjà faufilée sous la haie. Étendue de tout son long sur le sol, elle fouille les feuilles mortes et dégage les explosifs – probablement du C4 – et un minuteur. Terrifié, je la vois sortir un canif de son baggy.

Elle ne va quand même pas tenter de désamorcer cette bombe ?

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(1) Explorator : éclaireur dans l'armée romaine. 

(2) La Guerre des Mondes : Roman de science-fiction écrit par H.G. Wells, publié en 1898. C'est une des premières œuvres d'imagination dont le sujet est l'humanité confrontée à une race hostile. Les populations terrifiées fuient cet ennemi implacable qui pompe le sang des malheureux qu'il capture et sème partout une mystérieuse herbe rouge qui étouffe toute végétation. Il a été porté de nombreuses fois à l'écran, notamment par Spielberg. Ce roman est l'une de mes grandes inspirations pour Tueur de Mondes.   

(3) Campidoctor : instructeur dans l'armée romaine.

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Désolée pour le retard : la réécriture de la réécriture m'a pris plus de temps que prévu. 😂 Et aussi plus de mots ! 🤣 Du coup, j'ai encore divisé le chapitre, mais la suite ne devrait pas tarder. 🙏🙏 

Si le chapitre vous a plu, pensez à la petite étoile !⭐ Elle me fait tellement plaisir. 🍾

Merci pour votre fidélité. Belle journée ! ❤💖🥰😍 

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