Chapitre 15-2 (d)
Petit rappel parce que cela fait une soixantaine de chapitres que l'on a rencontré ce personnage, Vince est le prétorien à qui Galilée a sauvé la vie lorsque Jake s'est échappé.
(Limousin 5 septembre 12h01)
Après le séisme et la destruction du VW, Galilée et Thibaut partent sur leur Harley voir si, plus loin, la route est praticable. Liam, blessé à l'épaule, est resté et Thibaut lui a confié son groupe. Alors qu'il s'est éloigné pour fumer, il entend un coup de feu.
Léo se matérialise avant qu'il ne fasse n'importe quoi. Grâce à une connexion entre eux deux, Liam voit tout ce que voit son aigle. Le campement est sous la menace de huit prétoriens, dont l'affreux Domitien.
Cherchant à gagner du temps pour permettre à Galilée et à Thibaut de revenir, Charlotte entame une discussion houleuse avec le tueur.
Liam
— Mon frère est mort, annonce-t-elle, la voix aussi blanche que son visage.
À peine a-t-elle lâché sa bombe qu'elle éclate en de lourds sanglots. Sans doute Domitien s'attendait-il à mieux ! Mais que croit-elle, cette jeune écervelée ? Qu'un vieux briscard dans son genre qui a fait ses classes sur le limes (1) va se laisser prendre à son stratagème grossier ?
Il souffle par le nez tel un taureau déçu. Toutefois, par acquit de conscience, il se tourne vers Rémy qui confirme de la tête. Aussitôt, l'Impérial se raidit et son attitude se modifie. Je reconnais le discret état de vigilance permanente de Marius, la posture de quelqu'un qui se tient prêt à agir.
— Et en plus, recommence Charlotte entre deux hoquets désespérés, tout est de ma faute. Il m'avait ordonné de ne pas suivre Sampa et je lui ai désobéi. Je l'ai poursuivie jusqu'à une maison abandonnée. Mais elle ne l'était pas tant que ça, deux dégénérés m'attendaient à l'intérieur...
Sachant qu'il n'y a pas meilleur mensonge que celui qui se fonde sur la vérité, je me retrouve à espérer. Néanmoins, comme je doute que l'histoire de Charlotte suffise à occuper Domitien jusqu'au retour de nos deux motards, je me prépare à prendre le relais. Le plan que je viens d'arrêter n'est pas des plus ingénieux, mais il a au moins le mérite d'exister...
Terrorisé, mon pic se ratatine dans mon cœur.
— Jamais ça ne marchera, gémit-il. Nos ennemis ont trop de munitions dans leur fusil.
Le pauvre m'a tellement habitué à jouer les oiseaux de mauvais augure ! Au lieu de lui prêter attention, je me concentre sur la jeune comédienne qui a enfin mis un terme à sa logorrhée. Ça y est, Thibaut est mort, criblé de mille balles ou poignardé par mille couteaux et son corps a été abandonné dans une tombe anonyme au milieu de nulle part.
— Si vous y tenez, conclut-elle, j'essaierai de retrouver le coin, mais je ne garantis rien.
Un soupir plein de culpabilité lui échappe. Bizarrement, Domitien a bu quasi-religieusement ses paroles, aussi sérieux qu'un courtisan qui écoute un discours de son Imperator. Jouant son va-tout, Charlotte lâche les écluses, de grosses larmes qui ruissellent sur ses joues telles les gouttes de pluie qui roulent sur les feuilles sans éclater. La garce est si talentueuse que même moi qui sais le fin mot de l'affaire en suis tout bouleversé.
Son interlocuteur toutefois a été façonné avec du béton dans le cœur.
Une ombre passe sur ses traits, révélatrice de la colère sourde qui hurle en lui. Au mieux, cette petite peste de patricienne se fout de sa gueule ! Au pire, elle dit la vérité, et là, tous ses projets, au Princeps et à lui, tombent à l'eau.
Ses yeux se rétrécissent et son front se plisse en une cogitation furieuse.
Les secondes s'égrènent, juste le temps de deux respirations. Et puis le poing du tueur fuse en direction du visage de l'adolescente comme s'il voulait lui rentrer le nez dans la figure.
D'instinct, Charlotte lève un bras devant elle afin de se protéger la tête. Aussitôt, son agresseur lui saisit le poignet et le lui broie de sa main de fer. En proie à une vive douleur, la jeune fille ne peut retenir un cri. Inquiète pour sa patronne adorée, Sampa abandonne son poste auprès de Chloé pour bondir à son secours.
— Noooon ! gronde sa maîtresse. Couché !
Obéissant illico, la chienne se tapit au sol, mais le mal est fait. Tous les regards convergent vers ma petite protégée et son joli minois épouvanté.
Oui, tous ! Et surtout celui de Domitien. À l'éclat qui brille dans ses yeux, je comprends qu'il a reconnu la fillette et que ça le réjouit au plus haut point.
— Mais qui avons-nous là ? ricane-t-il. Candy Fulguropoing. (2)
Son intérêt pour Charlotte passant au second plan, il la lâche brutalement. Puis, il s'avance et s'immobilise à quelques pas de sa nouvelle prise. Avec ses grandes bottes en cuir et son long manteau noir qui flotte derrière lui, il ressemble à Anakin Skywalker, le jour où il a basculé du côté obscur. À la pensée qu'il songe à abattre la blondinette, tout comme le futur Dark Vador avait exécuté les petits padawans du Temple Jedi, un frisson glacé me parcourt le dos.
— Il ne le fera pas, me rassure Tex. Elle a plus d'importance pour son employeur que Thibaut.
Encore moins convaincu que moi, mon aigle plonge à la verticale du campement. Mais que cherche-t-il à faire, le fou ? À déféquer sur le crâne déplumé du vétéran ?
— Plutôt à l'énucléer avec mon bec crochu, enrage-t-il. Et à lui planter mes avillons dans le cou.
Tout en déployant de violents efforts pour ne pas me laisser submerger par la fureur de l'oiseau, je lui enjoins de se calmer. Miracle ! Il m'écoute. Un brusque crochet en pleine vitesse, une vrille pour corriger la trajectoire et le voilà qui se pose sur un poteau téléphonique.
— Attention, hurle un munifex (3). Elle a le feu en elle. Y a deux jours, elle a buté dix des nôtres !
Un éclair de rage zigzague dans les yeux rocailleux de son tribun.
— C'est pour cela qu'aujourd'hui, répond-il, elle a ses batteries complètement à plat.
Il se retourne et balaie ses hommes d'un regard inquisiteur, comme s'il passait ses troupes en revue. L'un des légionnaires osera-t-il une autre remarque ? Non...
— Et en plus, on a ce qu'il faut pour la neutraliser. Optio carceris (4) ?
Pris d'une irrésistible envie d'aider la blondinette, je cherche à fuir le cerveau de Léo. Mon rapace désire-t-il me forcer à boire le calice jusqu'à la lie ? Il s'y oppose. Planté sur mon perchoir, totalement inutile, je me fais l'effet d'une plante verte paumée au milieu d'un champ de bataille.
— Calme-toi, me somme mon aigle, et observe.
À l'orée de mon champ de vision, un parfait représentant de la Garde Prétorienne s'avance vers son chef, d'étranges menottes à la main. Il a des muscles sur des muscles, le salaud, sûrement à force de soulever des haltères dans la salle de sport.
— Arrête de baver, soupire Tex, c'est un ennemi.
Aussitôt refroidi, je reporte mon attention sur Domitien. Il vient de s'emparer des bracelets, sans doute des brouilleurs de pouvoirs, fabriqués dans une pièce d'acier d'un seul tenant. Un cylindre comprenant le système de fermeture sépare les deux anneaux.
Mon soulagement est tel que j'ai l'impression d'être délivré d'un poids incommensurable. Les mains de l'enfant sont trop petites pour que l'Impérial réussisse à les entraver avec son instrument de torture aussi grossier.
Consciente de l'imminence du danger, Chloé bat des paupières sur Domitien, campé devant elle.
— Alors elle est où, ta complice ? demande-t-il. Si toi, tu es là, ça m'étonnerait qu'elle soit restée au fond de la rivière.
Tandis que l'enfant le fixe sans broncher, son optio carceris lui tend un bâtonnet métallique, cranté. Sûrement une espèce de verrou...
— Connaissant 3.0, dit le beau gosse, elle doit être loin à l'heure qu'il est. À moins qu'elle n'ait eu peur de vous et se soit planquée.
Son supérieur lance un ricanement indistinct. Il n'est pas idiot. Cinglé avec des penchants psychopathes, mais pas idiot.
— C'est sûr que si elle avait été là, vous seriez déjà tous morts.
Il insère la clé dans le cylindre. Les menottes s'ouvrent dans un terrible déferlement de pouvoir. Mes petits cheveux cherchent à fuir ma nuque, respirer me donne l'impression horrible d'essayer d'avaler de l'air sous l'eau et Léo aurait chuté si ses serres avaient été moins efficaces.
Par chance, le flux d'énergie s'interrompt aussi vite qu'il s'est enclenché. Mon aigle rattrape son équilibre tandis que je retrouve mon souffle.
Terrorisée, ma gosse fait un bond en arrière ; toutefois Domitien l'agrippe par les chevilles et la tire vers lui. Le cri aigu qui échappe à l'enfant aurait ému n'importe qui.
Sauf son bourreau...
Cette crevure resserre juste son étau sur sa proie.
Si Chloé n'avait pas épuisé son énergie à essayer de me soigner, l'Impérial était mort, foudroyé. Sauf que j'ai toujours porté la poisse à ceux qui se sont attachés à moi et que la petite fille a grillé ses dernière cartouches...
— Au lieu de geindre, me reproche Tex, la voix sèche et fêlée, tu devrais tenter de la réconforter.
Vite ! Aidé par mes deux créatures surnaturelles, je plonge dans l'esprit de la môme. Tout n'y est que noirceur, terreur et indicible confusion.
Je cille de conserve avec elle. Domitien s'est placé en position accroupie, son visage à son niveau, un grand sourire aux lèvres. Et oui, finalement, le monstre de ses cauchemars, ce n'est ni un gros ogre glouton, ni un alien gris et filiforme, juste un humain dans un grand manteau noir.
— Je suis là, ma puce, chuchoté-je. Jamais je ne laisserai ce salopard te faire du mal. Je le jure sur la tête de toute ma famille.
C'est fou, la confiance que cette gosse m'accorde ! Apaisée par la solennité de mon serment, elle relève les yeux et parviens à soutenir le regard acéré de son tourmenteur.
— Pas la peine d'essayer de l'interroger, intervient Claire. Elle a subi tant de traumatismes qu'elle en est devenue muette.
— Si c'est de Galilée dont vous parlez, embraye Charlotte, vous n'avez plus à vous en inquiéter. Elle aussi, elle est morte.
— La faille, confirme Rémy, s'est ouverte juste sous sa moto.
Généralement, personne ne sort le même mensonge deux fois de suite. Sauf qu'avec ces ados décérébrés, qui sait ?
Domitien lâche sa victime, se remet debout et poignarde notre chauffeur de sa mine patibulaire.
— Toi, le chef mec', gronde-t-il, je te vois très bien venir avec ton air de ne pas y toucher. Mais ce n'est pas à un vieux singe que l'on apprend à faire des grimaces. Si jamais tu me la joues à l'envers, je fais exécuter tous ceux à qui tu tiens.
Rémy tressaille. Profitant de ce que son bourreau est occupé ailleurs, Chloé tente de s'échapper. Mais Domitien enroule sa grosse paluche autour de ses deux petits poignets et la ramène vers lui.
— Vince, puisque tu es le seul ici avec moi à avoir connu Galilée, tu vas aller vérifier.
Fusil braqué à hauteur d'épaule droit devant lui, prêt à faire feu, l'optio carceris s'engage prudemment sur la pente rocailleuse qui mène à la route. L'Impérial le suit un instant des yeux, puis prestissimo, glisse les deux mains de Chloé dans les menottes. Réagissant aussitôt à sa magie, les deux cercles rétrécissent pour épouser la forme de ses poignets.
À peine la peau de la fillette est-elle entrée en contact avec le métal que le dispositif anti-pouvoir passe à l'action. Deux terribles décharges d'énergie fusent dans ses bras, remontent le long de son cou et se rejoignent dans sa tête où elles explosent. Expulsé manu militari du crâne de la gosse, je sens mon propre cerveau s'embraser, puis se vider.
À quelque chose, malheur est bon.
Affecté lui aussi par le phénomène, Léo baisse la garde et j'en profite pour échapper à son emprise. Tandis qu'il tempête dans un incroyable désordre de plumes et d'ailes, je m'effondre sur moi-même, le souffle coupé, luttant contre l'impression d'avoir avalé un charbon ardent.
J'inspire goulûment un air comme de la suie. Lourd, moite et poussiéreux. Pourtant tout à fait sain. Totalement exempt de magie.
Ma panique reflue. Je cligne des paupières. Mon corps est encore perclus du martyre de Chloé et l'écho de son hurlement douloureux hante toujours mes oreilles, mais je suis redevenu moi-même.
Un sentiment d'urgence me saisit illico.
D'abord s'occuper de Léo...
Je rampe en dehors du buisson sous lequel je m'étais tapi et redresse la tête. Le rapace et moi n'avons jamais été séparés autant de temps et je ne crois pas pouvoir lui survivre si jamais il lui arrive malheur.
— Vite ! ordonné-je. Reviens...
Je ne me connaissais pas cette autorité. Léo, qui tournoyait férocement au-dessus du campement, vire instantanément de cap, fondant sur mon crâne telle une torpille ailée.
Afin de me préparer à la souffrance insupportable sur le point de me submerger, je ferme les yeux. Une seconde plus tard, ma tête explose avec une telle violence que tous mes muscles se contractent dans un spasme désespéré.
Mon crâne s'habituerait-il à s'ouvrir et à se refermer ? La douleur disparaît aussi vite qu'elle est apparue. Seules demeurent une affreuse sensation de vertige et la profonde angoisse qui me creuse la poitrine. Je dois à tout prix empêcher Vince de parvenir à la faille.
Je me remets debout tant bien que mal et ramasse une grosse branche que j'empoigne comme une batte de baseball. Ainsi armé, je me traîne vers le Combi avec une démarche de Quasimodo.
— Un aussi beau gosse, se moque Léo, si ce n'est pas malheureux d'avoir à le supprimer.
Ignorant son sarcasme, je continue ma route, m'efforçant d'étouffer toute émotion susceptible de me faire défaillir, toute question à même de me ralentir.
Ma mission.
Ma rédemption.
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(1) limes : sous l'empire romain, ligne fortifiée courant parallèlement à la frontière de la romanité, face aux pays barbares ou aux déserts.
(2) Candy Fulguro-poing : Allusion à deux dessins animés très populaires dans les années 1980. Candy et Goldorak. Cela peut donner une idée de l'âge de Domitien. Candy est une petite orpheline aux deux couettes blondes à qui il arrive beaucoup de malheurs. Les fulguropoings sont l'une des armes du robot Goldorak. Elle consiste à projeter ses poings vers son adversaire.
(3) Munifex : légionnaire soumis à la corvée.
(4) Optio carceris : sous-officier chargé des prisonniers.
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Cette fin de chapitre comprenant malgré de nombreuses coupures plus de 4000 mots, j'ai préféré la couper en 2.
Elle ne me satisfait pas. J'y reviendrai...
Si ce chapitre vous plaît tout de même, n'oubliez pas la petite étoile. ⭐
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