Chapitre 15-2 (a)
(Limousin 5 septembre 11h02)
Après le séisme et la destruction du VW, Galilée et Thibaut partent sur leur Harley voir si, plus loin, la route est praticable. Liam, blessé à l'épaule, est resté et Thibaut lui a confié son groupe.
Liam
À une centaine de mètres en contrebas, Galilée démarre sa moto dont elle fait vrombir le moteur. Agacé, mon regard se perd sur l'horizon. Malgré la lumière du soleil qui tente de filtrer à travers les nuages de cendres, le ciel ne cesse de s'assombrir. Toutefois, je préfère encore contempler cette avant-nuit que de baisser les yeux sur les cicatrices macabres qui zèbrent le paysage.
— Génial, entends-je Nicolas exulter. J'ai pu récupérer un sac de nourriture.
Si j'avais été un optimiste patenté, moi aussi, je me serais réjoui. Le bosquet dans lequel nous nous sommes réfugiés a bizarrement échappé au massacre. Épais et ténébreux, les arbres y dressent comme une solide barricade entre notre pauvre petite bande et la dure réalité. Mais comme je suis plutôt du genre à voir le verre à moitié vide, là, je frôle les cent pour cent sur l'échelle du désespoir.
— Liam, m'apostrophe Claire, j'ai retrouvé la trousse à pharmacie. Si tu veux, je te file quelques Doliprane. Ça te soulagera pas des masses, mais bon, on peut toujours essayer.
Ignorant le frisson glacé qui sinue le long de mon échine, je secoue la tête.
— Non, réponds-je, bien décidé à boire le calice jusqu'à la lie. Pas la peine de gaspiller le peu qu'il nous reste.
Soulagée de ma décision, elle demi-tourne vers le VW. Non sans oublier de me maudire, je ravale ma salive et me concentre sur le bruit sourd de la Harley. Sa conductrice s'étant enfin décidée à s'éloigner, le ronronnement enroué se fait peu à peu moins intense, puis s'éteint.
Me voilà seul sur mon siège de pierre. Un homme blessé, son Sig-Sauer et ses deux piafs séditieux. Pourquoi ? Pourquoi moi ?
La terre tremblote sous mes pieds.
Je m'oblige à desserrer les dents avant d'abîmer ma mâchoire.
Il y a la douleur qui pulse dans mon épaule, sourde mais coriace. Mais il y a surtout les aiguillons qui me percent le cœur et me vrillent le crâne.
Le découragement, l'angoisse, les remords, la culpabilité, la colère...
Et la jalousie.
Galilée.
La farouche guerrière à la blondeur digne de la Grande Armée Aryenne et aux jambes aussi longues que le tronc d'un pin landais.
Galilée.
Si je n'avais pas autant fait l'idiot ces derniers jours, c'est peut-être avec moi que Thibaut serait parti en exploration.
Galilée.
J'aimerais tant la détester, mais allez savoir pourquoi, je trouve ma rivale si touchante que je ne peux m'empêcher de l'apprécier.
Je me lève brusquement. La douleur se répand dans tout mon corps, déchirant jusqu'à mes os. Je crois un instant qu'elle va me briser et songe à m'évanouir, quand elle décide enfin de me lâcher la grappe.
Une goutte de sueur me coule dans le dos. Un soupir m'échappe, tel un fragment de mon âme que j'enverrai en offrande au Voyageur.
Avec mille précautions, je fais jouer l'articulation de mon épaule, non sans m'étonner du silence qui règne en moi.
Un silence de cathédrale.
Comme une terrible absence à l'intérieur de ma tête et de ma poitrine.
Mes squatteurs post-apocalyptiques seraient-ils en train de fomenter un coup d'état ? Non, je ne les crois pas suffisamment complices pour cela. Alors se pourraient-ils qu'ils soient...
Paniqué à l'idée que mes démons intimes aient du plomb dans l'aile, je sens mon pouls s'emballer. Tex, Léo, hurlé-je muettement, où êtes-vous ? Qu'est-ce que vous fichez ?
Tandis que des plumes se hérissent dans mon esprit, un bec taquin me pique le cœur.
Tex ( le ton haut perché) : On voulait pas t'inquiéter, juste te laisser broyer du noir en paix.
Léo ( surjouant l'accablement) : Tu pestes quand on la ramène, tu t'affoles quand on la boucle. Mon pauvre vieux, faudrait savoir ce que tu veux !
Mon aigle m'échauffe tant la tête que mon premier réflexe est de me la prendre à deux mains. Ce simple mouvement provoque un tel éclair de souffrance dans mon épaule que d'instinct, je me dirige vers Chloé.
Alors que tout le monde s'affaire à trier nos affaires pour n'emballer que le strict nécessaire dans les sacs à dos, la sœur de Thibaut, la gosse et moi, avons reçu l'autorisation de nous reposer. La blondinette et votre serviteur parce que nous sommes blessés. Quant à Charlotte, ben, c'est parce c'est Charlotte... Elle garde Sampa qui surveille Chloé.
— Ça va mieux ? demandé-je mentalement à la fillette, assise sur sa couverture.
Ses paupières cillent sur ses grands yeux noisette palpitant de vie. Toutefois, la gamine est si fatiguée que son cerveau n'arrive pas à formuler sa réponse.
Je la devine pourtant. Papa Liam...
Il ne m'en faut pas plus. La drama queen en moi fond comme Nutella au soleil. Je venais chercher du réconfort, et c'est moi qui vais me retrouver à en donner.
Je m'agenouille auprès de la petite fille et sous les regards sévères de de ses deux cerbères, la prends contre moi.
— T'en fais pas, ma Choupinette, j'en conviens, la journée a vraiment mal commencé. Ça ne peut donc que s'améliorer...
Du pouce, j'essuie une larme furtive qui coule le long de sa joue. Je débute en tant que père et manifestement, il me reste encore beaucoup de progrès à faire en psychologie.
— En plus, rajouté-je, tu vas pouvoir voyager à moto avec ta grande sœur. J'en connais pas des masses, des mômes de ton âge qui ont eu cette chance !
Cette fois, mes efforts misérables pour la dérider ont davantage de succès. Un coin de sa bouche se redresse en un sourire crispé.
Fort de cette première victoire, je dépose un bisou sur son front, la recouche sur son matelas improvisé et me remets debout. Contrairement à certains volatiles de ma connaissance, je suis loin d'être un bourreau sadique...
— Et surtout, t'en fais pas. L'essentiel est que tu reprennes des forces. Mon épaule peut attendre.
Tandis que la bouche de Charlotte prend un pli dédaigneux, Sampa, toute frétillante, se laisse tomber contre Chloé. Rassurée, la fillette la serre dans ses bras et ferme les yeux.
Tous ces efforts m'ont éreinté et ma respiration devient sifflante. Craignant que cette dernière ne trahisse mes piètres mensonges, je vérifie la présence de mon arme à la ceinture et avertis la cantonade :
— Je vais pisser et me fumer une clope.
Je m'éloigne vers le chemin de terre qui sinue à travers le maquis. Mais à peine ai-je fait quelques pas que me voilà pris d'une étrange intuition. Je ne peux m'empêcher de me retourner afin de mater mes amis en catimini.
Les bagages achevés, Nicolas, Rémy, Claire, Maeva et Olivier se sont assis en rond pour discuter. Puisqu'elle s'est d'elle-même exclue, Charlotte les observe, de drôles d'ombres dans le regard. Sa chienne, qui prend son rôle très au sérieux, se tient à côté de Chloé, parfaitement immobile, haletante, les yeux brillants, comme si son seul souhait dans la vie – se dégoter une adorable fillette à câliner – venait de se réaliser...
Cette image quasi idyllique gravée sur ma rétine, j'hésite, le temps d'un battement de cœur.
Toutefois, mes noirs démons – nicotine et fuite des responsabilités – me rappellent à l'ordre. Le bois solitaire et la rivière dont j'entends les délicieux clapotis m'attirent tel un aimant. Et puis, elle nous l'a assuré, Miss HK418, que nous ne risquions rien, réfugiés en haut de cette butte !
Tex (la réprobation incarnée) : Mais Thibaut compte sur toi. Et tu lui a promis...
Léo (ravi de lui renvoyer ses propres reproches) : Tu peux pas lui foutre la paix ! Pourquoi tu es toujours sur son dos ? Il a bien le droit de se reposer un peu.
Faisant fi des jacasseries de mes piafs, je demi-tourne et à l'allure d'un escargot non-voyant, m'enfonce dans le chemin, parmi des taillis décharnés et des buissons asséchés qui se ressemblent tous.
Soudain, le sentier pentu fait un coude et je débouche dans une espèce de prairie. J'avance de quelques pas, jusqu'à une mare trouble, tout en bas, dans laquelle flottent quelques canettes et d'horribles algues visqueuses.
— Tu croyais quoi, abruti ? s'énerve Léo. Que tu allais découvrir la clairière des fées et danser en rond avec les petits lutins ?
— Au mieux, renchérit ce traître de Tex, c'est dans le royaume des sept nains qu'on a atterri. Attention cependant ! Faudrait pas tomber sur Grincheux. Il nous décapiterait en moins de deux avec sa grande hache...
Aux trente-sixième dessous, je lève machinalement les yeux au ciel.
Noirâtre et moribond. Désespérément vide.
Pourtant, les insectes crissent et les oiseaux gazouillent. Les alentours semblent sereins. Incapable de faire un pas de plus, je m'assois sur un vieux tronc. Laissant la brise me caresser le visage et m'ébouriffer les cheveux, je m'allume une cigarette. Le Voyageur me manque. Un peu comme un parent qu'on a l'habitude de voir tous les jours et auquel on ne prête pas vraiment attention. Et dont on ne réalise le mérite que le jour où il n'est plus là...
— Qu'est-ce que t'attends ? s'amuse Tex. Je serais toi, je ferais un petit plouf.
— Riche idée ! s'enthousiasme son coloc au bec crochu. Liam, ça te nettoierait drôlement le ciboulot. Il y a tellement de merdes dans ta tête que j'ai peur de finir par m'y noyer.
À bout de nerfs, je pousse un long cri muet. Aussitôt, ma blessure se réveille. Sa brûlure explose en une myriade d'éclats de glace qui me poignardent les muscles comme autant d'aiguilles acérées.
Aussitôt, mes Volatiles se tétanisent. Bien fait pour eux ! Puisque nous sommes liés, ils éprouvent la même souffrance que moi.
— Un quart d'heure ! les supplié-je. Accordez-moi un quart d'heure. Pour mon équilibre mental.
Je ne m'y attendais pas, ils m'obéissent !
Aux anges, j'éteins ma cigarette. La douleur est à nouveau tolérable, mais juste au cas où, je vérifie que mon bras est encore attaché à mon torse.
Miracle ! Il est toujours là.
Aux grands maux, les grands remèdes. Je fouille mes poches et en tire de quoi me rouler un pétard. Tandis que je m'active, le vent qui s'est renforcé fait danser la végétation rescapée et unit sa voix aux lointains grondements de la Terre.
Mon joint achevé, je m'allonge sur l'herbe. C'est doux et agréable. Mes pensées dérivent au rythme des volutes de fumée bleue qui s'élèvent sans bruit vers le ciel.
Plus qu'une centaine de kilomètres et je suis chez moi.
Plus qu'une centaine de kilomètres et je pourrai embrasser ma mère, taquiner ma sœur et partager mes Haribo avec Jo.
Plus qu'une centaine de kilomètres et je reverrai mon père. Je m'excuserai et je lui dirai la vérité à propos de Jesse. Je m'excuserai et je lui raconterai Paris. Je m'excuserai et je lui parlerai de mes morts, Luigi, Julie, Madison, Morgan, Marius et Tessa. Et puis, je m'excuserai encore.
Et lui, bien sûr, il me prendra dans ses bras et me pardonnera. Parce que c'est lui et parce que c'est moi. Parce qu'il est mon père et que je suis son seul fils. Parce qu'il a toujours agi ainsi.
Sauf que cette fois sera la dernière. Plus jamais je ne partirai. Plus jamais je ne mentirai.
Et pour sceller notre confiance, je lui présenterai mes Oiseaux.
Comme si les portes de l'au-delà venaient soudain de s'entrebâiller, un souffle glacé me hérisse la nuque. Est-il arrivé un malheur aux miens ?
Je sens aussitôt mon moral tomber dans mes chaussettes.
Les épidémies. La famine. Les Prétoriens. Les pillages. Et mon karma qui est ce qu'il est. Impitoyable et malicieux.
Mon épaule valide à couper que je ne rentrerai pas à temps.
Je suis en train de fantasmer sur un départ anticipé grâce à la dernière Harley que nous avons dissimulée derrière un taillis quand mon cœur et mon crâne explosent.
Pas littéralement bien sûr. Quoique...
Je gémis, éteins mon joint et me cache le visage dans les mains. J'aurais vraiment eu besoin de cinq minutes de plus. Ou de dix !
— Putain ! protesté-je. Je vous avais demandé un quart d'heure. Vous n'avez pas la notion du temps ou quoi ?
Tex et Léo n'ont pas le temps de répondre. Des aboiements furieux résonnent depuis le bivouac.
Sampa. Furieuse, sauvage et acharnée.
Puis, elle se tait. Et une voix tonne au loin, métallique, mordante et monocorde. Une voix qui ne provient pas de mon cerveau. Je sursaute violemment et lève la tête, si vite que j'entends craquer les os dans ma nuque. Les oiseaux et les insectes se sont tus. Même les algues dans la mare semblent s'être recroquevillées sur elles-mêmes. C'est clair, l'ambiance n'est plus à la rigolade.
Malgré mon pouls qui bat sauvagement sous ma peau, je me redresse d'un bond. Je n'ai pas fait dix pas sur le sentier qu'un coup de feu claque, sec et définitif.
Un seul.
Suivi de hurlements indistincts et d'un cri guttural.
Puis le silence retombe, seulement troublé par le bruissement des feuilles, le craquement des arbres et les vociférations du trouble-fête.
Je me fige. Puis d'instinct, je laisse retomber mes paupières et active ma perception extrasensorielle que je dirige vers notre bivouac.
Je flageole illico sous un cruel mal de crâne et me serais effondré si Léo n'avait pas eu la présence d'esprit de me déconnecter de ma vision éthérique.
Aux trois-quarts étourdi, je cille à la lumière retrouvée.
Il y avait tellement d'auras qui s'agitaient au-dessus de la butte que je n'ai même pas réussi à repérer celles de mes amis. Elles pullulaient sous les arbres, rouges, orange, jaunes, vertes, bleues, indigo, blanches ou noires, tels des champignons vénéneux après la pluie.
Léo (étrangement sûr de lui) : À dix contre un qu'il s'agit de prétoriens. On l'a échappé belle !
Tex (hystérique) : Et c'est tout ce que tu trouves à dire ? Je me demande bien ce que j'ai pu faire au Voyageur dans une vie antérieure pour qu'il m'impose un compagnon aussi insensible que toi !
Encore sous le choc, d'un pas machinal, je me remets en marche sur le sentier. Dans mon esprit torturé, le coup de feu se répète encore et encore comme un écho maléfique. L'un des nôtres vient sans doute de tomber. Merde, merde et merde ! Pourvu que ce ne soit pas ma petite Chloé...
Je me fige sous la grisaille. Un plan. Il me faut un plan !
********************
Voici un peu en avance le début du chapitre 15-2.
La suite est en cours de rédaction, mais j'ai quelques difficultés.
Je ne peux donc rien vous promettre.
Bonnes vacances à ceux qui ont la chance d'en avoir.
Si ce chapitre vous a plu, n'oubliez pas la petite étoile !
Merci beaucoup.
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