Chapitre 13-1 : Une petite pause bien méritée
(Limousin 4 septembre 21h12)
Nos amis ont réussi à se débarrasser des bikers qui les avaient attaqués. Toutefois, le VW est toujours dans le fossé et les passions s'exacerbent. Heureusement, un tracteur arrive à point nommé. À bord, Jacques, un paysan affable et débonnaire, ainsi qu'Olivier, un ado de 15 ans, aussitôt fasciné par Galilée.
L'agriculteur aide les jeunes à sortir leur van du fossé, et comme la nuit ne va pas tarder à tomber, il les invite à passer la nuit chez lui...
Attention pour les allergiques ! Beaucoup de sang dans cet épisode...
Galilée
J'enroule amoureusement mes doigts autour du manche de mon long couteau tranchant. Sa lame suit les mouvements de ma main comme si elle en était la prolongation. Je sais cet instrument aussi indispensable à ma personnalité que ses griffes pour un chat et ses canines pour un loup.
Ou son fusil d'assaut pour un prétorien.
Déjà en manque, je ne peux pas m'empêcher de jeter un coup d'œil furtif au HK418 que j'ai posé au pied de ma chaise. Sans lui, je me sens pareille à une gosse vulnérable...
Rassurée par sa présence froide et métallique, je resserre ma prise sur mon tranchelard, puis plante ce dernier dans le quartier de viande que l'on m'a octroyé. Tel un spéléologue à l'intérieur d'une grotte de Classe 1, la lame d'acier s'enfonce dans la chair avec une facilité écœurante.
Le sang gicle avec un bruit de succion poisseux, puis glisse le long de mon bras comme si j'avais broyé une grappe de raisins au creux de mon poing.
Putain ! Qu'est-ce que je raffole de cette délicieuse sensation...
Hélas, mes compagnons, eux, n'ont pas l'ait d'affectionner particulièrement ce genre de spectacle. D'un coup, leur souffle s'accélère et leur cœur se met à palpiter plus vite que la normale.
Et si mes nouveaux amis venaient à remarquer mon anormalité ? L'existence de mes sens exacerbés ainsi que mon appétence inadmissible pour les armes et l'hémoglobine qu'elle savent si bien faire couler ?
Vite ! Je dessine sur mes lèvres une magnifique grimace écœurée, digne d'une Desperate Housewife (1), puis feins de m'absorber dans ma tâche en cours, la production d'un carpaccio, version retour chez les Cro-Magnons.
Je plante mon couteau dans la chair dépecée comme dans une blessure, en détache un gros morceau que je pose sur ma planche à découper, puis entreprends de le débiter en longues lanières sanguinolentes.
Je devais travailler dans un abattoir avant de perdre la mémoire. Ma lame effilée s'abat, pique, hache et tranche la viande avec une barbarie zélée et une bien trop grande virtuosité.
Soudain, autour de moi, la consistance même de l'air se modifie.
Ça pue.
Le sang, bien sûr. La transpiration, normal. Mais aussi une sale odeur de surprise et de défiance qui me soulève l'estomac.
Aussitôt, mon esprit s'emballe. Dans ma tête plus lourde que le dossier criminel de Norman Bates (2), quelqu'un s'esclaffe bruyamment. Une espèce de grand escogriffe à la crinière rousse en pétard et au jean trop slim.
— Ma pauvre 3.0, déclare sa voix goguenarde. Tu n'es pas bonne à rien, ce serait déjà quelque chose ! Tu es mauvaise en tout (3).
Le souvenir s'efface, aussi vite qu'il est apparu.
Peu désireuse de le raviver, j'attrape un plateau afin d'y ranger ma production et redresse la tête.
Son insupportable sourire de baroudeur aux lèvres, Liam se lève. Il attrape une branche et la jette sur le feu qui se remet immédiatement à crépiter. Les braises rougissent, furibondes et ensorcelantes.
L'atmosphère s'électrise.
Des chiens aboient au loin. Un cheval leur répond d'un hennissement bref et perçant. Et voilà que les vaches tranquillement endormies dans un pré voisin commencent à meugler, telle une fanfare qui débuterait sa première répétition.
Se doutent-elles qu'on est en train de découper l'une de leur congénère ?
Après avoir étudié les alentours d'un regard vague, Liam se rassied. J'observe un instant son voisin de table, Thibaut, toujours aussi insaisissable en dépit de son hyper-concentration, puis reporte mon attention sur nos hôtes, Jacques, le fermier qui nous a aidés à tirer le VW du fossé et Olivier, son jeune pensionnaire. Ne décelant rien de suspect dans leur attitude, je récupère mon couteau et reviens à mon dépeçage. Toutefois, malgré ma conscience aiguë de chaque bruit, des odeurs doucereuses et de l'ambiance délétère, je ne peux pas empêcher mes pensées de divaguer...
Pourquoi diable m'étais-je portée volontaire pour ce boulot ?
Dès qu'il avait été question de vache abattue, d'équarrissage, de hache et de tranchelard, la plupart de mes nouveaux amis avaient très bien su jouer les tire-au-flanc. Tandis que Rémy se jetait sur sa caisse à outils sous le prétexte débile de refaire une beauté à son Combi, Claire et Nicolas s'étaient éclipsés main dans la main. La seule à assumer son choix, ce fut Charlotte. En digne émule de Nelly Oleson (4), la chipie avait arboré une moue écœurée avant de déclarer qu'elle avait assez vu de sang pour la journée et que sa chienne requerrait tous ses bons soins.
Pour moi aussi, l'excuse était toute trouvée, la petite fille aux grands yeux noisette dont je pensais qu'elle était ma sœur. À peine son repas terminé, Chloé s'était endormie dans les bras de Liam. Tel un vrai papa-gâteau, le beau brun l'avait portée dans la chambre qui nous avait été attribuée à elle et à moi sans même la réveiller.
J'aurais pu alléguer qu'il me fallait rester avec elle. J'aurais dû le faire !
Mais non.
Si les héroïnes de l'Île de la Tentation craquent au moindre torse épilé et bronzé qui leur passe sous le nez, moi, c'est sûr, ce sont les armes qui me font tripper.
Rien qu'à l'idée de tenir un couteau dans ma main droite, j'ai senti mon cœur s'emballer comme si l'on m'avait offert mon cadeau de Noël avant l'heure.
— J'en suis ! m'étais-je écriée, transportée d'enthousiasme.
Surpris par mon empressement, Thibaut et Liam avaient postulé à leur tour. Et bizarrement, le petit protégé de Jacques avait également candidaté. Résultat, jamais, de mémoire de paysan, on n'avait vu autant d'ados montrer un tel engouement pour un job aussi dégueulasse et éreintant.
— Hey ! m'interpelle Olivier. Tu devrais faire attention à ne pas t'abîmer tes jolis petits doigts.
Brutalement ramenée à la réalité par sa mise en garde, j'exhale un soupir usé, de ceux qu'on laisse échapper, les lèvres entièrement closes. Toutefois, malgré une folle envie de lui coller mon poing dans le nez ou mon couteau dans le bide, je me surprends à conserver mon sang-froid.
M'inspirant de Charlotte, je le toise d'un air mauvais, puis, plutôt fière de moi, me lève dans un silence digne de l'inhumation d'un grand de ce monde.
Malgré l'air chaud de la nuit qui me fait penser à du beurre mou étalé sur ma peau moite, je m'éloigne de quelques pas. D'instinct, je laisse courir mon regard tout autour de moi. Le petit feu de camp qui pétille, haut et brasillant. La fumée qui fuit vers les bois, comme aspirée par les frondaisons. Le grand portail fermé à clé qui se dessine, hésitant, sous le halo trouble du Voyageur. Et la ferme qui se détache du ciel pommelé à la façon d'un géant de pierre allongé sur le flanc.
Rassurée par ce calme profond, je m'étire sous la voûte nuageuse, songeuse. Il s'est passé quelque chose de bizarre en moi, un truc indépendant de ma volonté, comme un programme zen qui se serait déclenché en dépit de mon plein gré, pour m'éviter de commettre l'irréparable...
Mais puisqu'il me faut quand même me débarrasser de ma rage, je me dirige vers la lourde bâche noire qui dissimule la carcasse de la vache récemment abattue.
Je la soulève et m'immobilise un instant, fascinée. Les chairs à vif. Le sang qui coule. Le ventre largement ouvert, les tripes apparentes et le sol écarlate.
Une flaque rouge et obscure, comme une mare de rubis liquéfiés.
Je ne suis pas vraiment un top model, mais je sais comment attirer les regards. Je m'empare de la scie et sous l'œil médusé de mes compagnons de découpe, entreprends de me débiter une nouvelle pièce. Et merde, ce n'est quand même pas la mer à boire que de charcuter un cadavre...
Mais soudain, je m'interromps. Impossible de dire quoi, mais quelque chose a alerté mes sens surdéveloppés. Je me fige, consciente de mon cœur qui palpite et de mon sang qui circule plus vite que la normale.
Aussitôt, mes yeux s'ajustent à l'obscurité et mes oreilles se mettent à trier les bruits. Mon propre souffle et ceux de mes collègues. Le crépitement des flammes. Le hululement d'une chouette. Le chuintement des chauve-souris qui volettent aux alentours. Le crissement des feuilles sèches tels du pop-corn. Le tonnerre dans le lointain et un drôle de martellement...
Des grêlons lourds comme s'ils étaient faits de plomb qui tombent du ciel sur la terre et les hommes.
Je me retourne vers la ferme. De tristes bâtiments vétustes, collés les uns aux autres, l'étable, le poulailler et la grange essoufflée dans laquelle certains d'entre nous vont dormir.
Si cet orage s'abat sur nous, ces squelettes de pierres et de tôles tiendront-ils le coup ?
Le chahut des pensées qui se bousculent dans mon crâne ne m'empêche pas d'entendre les pas en approche.
Thibaut.
— Tu as perçu quelque chose ?
Je pivote sur moi-même. Mon regard se pose d'abord sur la lame étincelante au tranchant trop aiguisé qu'il tient dans la main, puis étudie avec voracité son anatomie. Il est divinement constitué, tel un artiste martial ou un athlète engagé.
G.3.0. Ado amnésique, psychopathe et fleur bleue.
— Une tempête de grêle qui bat son plein, réponds-je. À une vingtaine de kilomètres au sud.
Son visage se voile. Inutile d'avoir recours à mes perceptions extrasensorielles pour suivre le cheminement de ses réflexions. Notre chef s'angoisse pour les siens.
— Pas besoin de vous faire de bile, intervient Jacques. C'est peut-être à cause des collines ou des courants d'air chaud, mais y a comme une espèce de micro-climat ici. La plupart des perturbations nous contournent...
Mes yeux délaissent Thibaut pour se fixer sur la trogne de notre hôte, la peau aussi fripée que celle d'un lézard. J'en suis sûre parce que je sais reconnaître un mensonge, il ne nous raconte pas de craques...
Tandis qu'il se remet au travail, j'achève de me tailler mon bout de steak. Pourquoi cet abruti de Thibaut n'a-t-il pas encore rejoint les autres ? J'ai une conscience aiguë de sa présence derrière moi, physiquement et psychiquement.
— Tu vas bien ? me demande-t-il.
Je pose ma scie et fais volte-face, mon gros morceau de barbaque saignante à la main. Tout en essayant de ne pas avoir l'air d'une tueuse, je soupire bruyamment.
— Je ne vois vraiment pas pourquoi ça n'irait pas ! ironisé-je.
— Ah bon ? riposte-t-il. À peine un soupçon de danger et tu te crois dans Kill Bill (5)!
Je secoue la tête. Uma Thurman. La Mariée. Cette comparaison me va comme un gant, mais pour rien au monde, je n'en conviendrais. Cela n'a rien de sexy...
— Parle pour toi ! rétorqué-je. C'est qui le gars qui se méfie même de son ombre et qui ne quitte jamais son Glock ?
Sa bouche se tord et ses sourcils se haussent. Me rendant compte de la brutalité de ma réponse, je tente d'en amoindrir l'impact en lui adressant mon plus beau sourire, celui de Serena Van Der Woodsen, dans Gossip Girl.
Aucun effet.
Bon. Soit ce mec est gay, soit les séries nous mentent.
Dépitée, je le regarde tourner les talons et regagner le plan de travail. Vite ! Je me précipite à sa suite, me rassois à ma place et dépose devant lui ma belle tranche de viande.
— Si tu veux, proposé-je, je t'en coupe un morceau.
Sans attendre son feu vert, je récupère mon couteau et commence à taillader les chairs comme si ma vie en dépendait.
Un long sifflement, tel un tomahawk dans l'air, m'interrompt.
En alerte maximale, je redresse la tête.
Mais il s'agit juste d'Olivier, de son adoration poisseuse et de ses hormones en folie.
Le temps est à l'orage. La chaleur lourde fatigue les organismes et irrite les nerfs. Résultat, mon sang ne fait qu'un tour. Ce petit vicelard s'est hasardé à lorgner mon décolleté. Il s'est risqué à mater mes longues jambes. Et maintenant, il ose me traiter comme si j'étais sa copine de classe !
Je roule des yeux assassins.
Pris en flag de reluquage, le pauvre gamin se tasse sur lui-même, bras et épaules rentrés, tête baissée. Toutefois, ses lèvres maussades s'écartent en un rictus sardonique.
— Ben quoi ! se défend-il. Y a pas mort d'homme...
Furax, je resserre amoureusement mes doigts autour du manche de mon tranchelard. Pour poignarder quelqu'un dans le cœur, m'explique l'espèce d'encyclopédie qui me tient lieu de cerveau, tu dois frapper sous la cinquième côte et enfoncer ta lame de bas en haut.
J'inspire un grand coup, vise et prends mon élan.
Splatch !
Mon couteau se plante dans le quartier de bœuf qu'il était en train de découper, en plein milieu, juste à deux centimètres du doigt de mon admirateur maladroit. Ce soir, ses entrailles resteront bien au chaud à l'intérieur de son ventre.
— Oups ! regretté-je, goguenarde. Je ne vise pas si mal, d'habitude !
Aussitôt, Liam s'esclaffe d'un rire franc et sonore. J'aurais pu me réjouir d'être enfin parvenue à un accord de paix avec le mannequin Dior si les yeux désapprobateurs de Thibaut ne s'étaient pas arrêtés sur mon visage.
Un simple regard peut sauver, remettre d'aplomb et redonner goût à la vie. Comme il peut aussi vous tuer.
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(1) Desperate Housewife : série américaine mettant en scène le quotidien mouvementé de quatre femmes vivant dans la banlieue chic de Wisteria Lane.
(2) Norman Bates : Personnage du film d'Alfred Hichkock Psychose. Repris dans la série Bates Motel.
(3) Tu n'es pas bonne à rien, ce serait déjà quelque chose ! Tu es mauvaise en tout : inspiré de la célèbre réplique du Schpountz, film de de Marcel Pagnol.
(4) Nelly Oleson : Peste dans la série La Petite Maison Dans la Prairie.
(5) Kill Bill : Film de Tarantino. Au cours d'une cérémonie de mariage en plein désert, un commando fait irruption dans la chapelle et tire sur les convives. Laissée pour morte, la Mariée enceinte retrouve ses esprits après un coma de quatre ans. Ayant auparavant exercé les fonctions de tueuse à gage, elle n'a alors plus qu'une seule idée en tête : venger la mort de ses proches en éliminant tous les assassins, dont leur chef Bill qu'elle se réserve pour la fin.
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Pas trop gore ?
J'ai eu un peu de mal à retrouver la voix de Galilée, après avoir passé des mois avec Samuel. J'espère que cela ne se sent pas trop.
Samedi prochain, rendez-vous avec Liam et Thibaut...
Si ce chapitre vous a plu, n'oubliez pas la petite étoile.
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