Chapitre 12-8(a) : Newton et Domitien

(Sud Quercy 4 septembre 18h30)

Pour échapper à Newton qui le poursuit, Samuel se réfugie dans la forêt où est tombée une météorite lors de la Nuit des Étoiles Filantes. 

Pendant ce temps, Joséphine cède au chantage de Domitien et lui livre les assiégés du Tuc-Haut. 

Du haut de l'arbre dans lequel il est monté, Samuel assiste à cette reddition. 

Samuel

Domitien tend le bras. Aussitôt, un trait crépitant en jaillit comme une fusée de feu d'artifice.

La lanière électrique d'un fouet 2.0.

Sous mes yeux hébétés, le rayon aveuglant se dévide au sol pareil à un serpent de lumière, pour filer à toute allure vers Jo et s'enrouler autour de sa cheville.

L'Impérial tire un bon coup et la jeune fille s'écroule sans même avoir compris ce qu'il lui arrivait.

Tandis que sa malheureuse silhouette tressaute, encore et encore, au rythme des violents éclairs, un frisson court le long de chacun de mes vertèbres, des cervicales jusqu'au sacrum, telle la caresse d'un doigt glacé.

Une folle envie de meurtre me saisit.

Si je n'avais pas bêtement perdu mon fusil-sniper lors de mon altercation avec Newton, j'aurais peut-être pu tenter à nouveau de descendre ce chien galeux et rendre ainsi un immense service à l'humanité.

Mais deux bornes au moins me séparent du Tuc-Haut, et mon Beretta a beau être très performant, sa portée de tir ne dépasse pas les cinquante mètres...

J'en suis là de mes réflexions quand le flash d'énergie pure fait machine arrière, puis s'éteint.

Son corps immobile brillant comme des milliers de pépites d'or, la pauvre Jo me fait penser à une fée écrasée.

Je veux zoomer, mais l'image vacille tandis que mes mains tremblent autour du métal de mes jumelles. Mon ex ne bouge pas. Elle ne bouge pas. Mais bon sang, pourquoi ne bouge-t-elle pas ?

Serait-il possible que ce cloporte l'ait tuée ?

À cette pensée, mon cœur se ratatine dans ma poitrine, aussi flétri qu'une éponge sèche. Toutefois, avant que le chagrin n'ait pu déferler en moi, je la vois se redresser.

Oui, oui, elle s'est redressée.

Ou plutôt une espèce d'armoire à glace, comme seule BMI sait en fabriquer, l'a soulevée pour la déposer sur le capot d'un tout-terrain.

S'agit-il d'un nouveau pouvoir surnaturel ou de la simple intuition du militaire aguerri que je suis ? Me voilà persuadé que la nouvelle proie de l'Homme au Grand Manteau Noir ne risque plus rien pour l'instant.

Abandonnant Jo à son triste sort, je promène le double cercle de mes jumelles devant le pont-levis abaissé. Une paire de fourgons cellulaires, six gros 4×4, deux fourgons décapotables équipés d'une tourelle, mitrailleuse tournée vers le Tuc-Haut, et toute une tripotée de prétoriens dans leur combinaison photochromique aussi noire que leur HK418.

Le roi, la dame, les cavaliers et les pions patibulaires de ce gigantesque jeu d'échecs.

Je zoome au maximum à la recherche des pièces blanches et ne tarde pas à les repérer, alignées devant l'immense portail médiéval : les intrépides défenseurs du pont, plus Clément et sa clique. Surpris que ce farouche Opposant ait capitulé aussi vite, je reporte mon attention sur les Impériaux et comprend illico la raison de cette si soudaine reddition.

Les autres villageois, ceux qui, cet après-midi, avaient été assignés aux travaux des champs.

Leur état lamentable – yeux vitreux, vêtements déchirés et membres tremblants – ne laisse aucun doute sur le drame qui vient de se dérouler. L'assassin de mon beau-père leur a fait tâter de son fouet pour forcer les assiégés à se rendre.

J'éructe un violent juron, aussitôt étouffé par le rugissement grandissant du vent.

Sur le coup, j'ai failli ne pas la reconnaître.

Mais cette femme au milieu d'eux, avec ses cheveux emmêlés et son visage creusé, c'est ma mère.

Ma mère.

Ma mère qui ne sait pas encore qu'elle est à nouveau veuve. Ma mère qui tient mon pauvre cœur éploré entre ses deux poings serrés.

Tandis que je la fixe, l'orage gronde au-delà des frondaisons, en totale harmonie avec le désespoir qui hurle en moi.

Impossible de rester là, à bayer aux corneilles, alors que les femmes de ma vie sont en train de souffrir ! Je dégringole de mon marronnier en une chute incontrôlée, tombe à terre avec la grâce d'un sac de patates et me relève aussi sec.

Où est donc le chemin que Newton a emprunté pour rejoindre le château ?

Je balaie les alentours du regard à sa recherche. Comme pour me narguer, les nuages éclatent à nouveau et une pluie torrentielle frappe la forêt, si épaisse que je ne vois rien à plus de deux mètres devant moi.

Mais je ne suis pas homme à me laisser abattre par l'adversité.

Poussant un long hurlement qui me propulse comme un turbo, je m'élance à travers les broussailles, direction le Tuc-Haut. Tandis que mes Rangers martèlent le sol irrégulier, encombré de ronces, de végétaux décomposés et de racines dissimulées, mes émotions dansent la valkyrie à l'intérieur de mon crâne. Résultat, mon esprit n'est bientôt plus qu'un chaos sans voix.

Mais je sais que si je veux être un tant soit peu efficace, je dois parvenir à me contrôler.

J'inspire, j'expire.

Ne pas me laisser submerger par des pensées négatives. Contenir le chagrin qui m'enraye la gorge. Réprimer la fureur qui m'entrave le cœur

J'inspire, j'expire.

Être fort. Pour les miens.

J'inspire, j'expire.

Courir. Ne pas flancher. Tenir le coup. Encore quelques minutes. Une heure tout au plus.

J'inspire, j'expire, et mon esprit se vide.

J'inspire, j'expire. J'existe.

Ma respiration ralentit, mon cœur se calme, mon cerveau se concentre sur l'instant présent.

Sur la vie qui vibre en moi. Sur ce que je vois. Ce que j'entends. Ce que je sens.

La forêt. Ses arbres martyrisés qui secouent leurs cimes et son murmure frémissant qui ne cesse d'enfler, se muant en un grondement sourd.

Notre petit bois, à Jo et à moi, si accueillant, si protecteur, si chaleureux, n'est plus.

Quelques coup de fusils et de tonnerre ont suffi pour le transformer et me l'aliéner. Plus j'avance, plus la végétation se densifie et les taillis s'enchevêtrent, comme si le ciel, la terre et les futaies s'étaient alliés pour m'empêcher de me jeter dans la gueule du loup.

Merde !

Je le pense, je le hurle. Sans doute les deux à la fois.

Ce n'est quand même pas une poignée d'arbres, leurs putains de ramifications, leurs troncs pourris et leurs repousses épineuses qui vont me barrer la route !

Je rassemble ma puissance de feu et projette mon pouvoir devant moi. Telle une déferlante, ma télékinésie m'ouvre le chemin, écartant les branches basses qui me cinglaient le visage, arrachant les ronces qui me freinaient.

J'accélère autant que je le peux.

Je cours. Comme un dératé. Comme un zèbre, un lièvre ou un chat maigre.

Je cours, malgré mon énergie vacillante, mon cœur qui cogne et mon souffle qui s'affole.

Je cours.

Droit vers le château, droit vers mon destin, droit vers ma mort.

Je cours, peu importe l'humus meuble et moussu, la pluie diluvienne et mon pouvoir qui s'affaiblit, je cours, seule compte ma promesse à William, seule compte ma mère, seule compte Jo.

Mais soudain, pile au moment où je rejoins le sentier, voilà que je trébuche violemment. Il n'y avait rien sur le sol, et pourtant j'ai bien senti que mes Rangers percutaient un obstacle, de l'air ou du vent, aussi dur que du métal.

Ma surprise est telle et l'impact si brutal que je perds l'équilibre, roule pieds par-dessus tête et me retrouve les fesses posées dans un fourré.

Ma vue se trouble et je reste assis là, deux, trois secondes, hébété. Un moment cotonneux et suspendu.

Puis la douleur surgit, atroce. Un marteau-piqueur qui me perfore le crâne et mille aiguilles qui me transpercent le corps.

Je serre les poings, cligne des yeux, puis, tous mes sens aux aguets, radarise les environs à la recherche de l'auteur de cette attaque sournoise.

En vain.

C'est un ennemi invisible que j'affronte.

La forêt ? Le Voyageur ? Sa Météorite ? Ou mon père qui depuis le royaume des ombres, essaie à sa façon de m'éviter d'aller au-devant des ennuis ?

De l'opinion de ces casse-pieds, je n'en ai rien à carrer. À quoi bon continuer à vivre, si tous les gens à qui vous tenez sont morts ? Mon nom est Sam Lennox, commandant en chef des Opposants du Tuc-Haut, général survivaliste, fidèle serviteur de la République. Fils d'un père assassiné, beau-fils d'un beau-père assassiné, sex-friend d'une jeune femme assassinée, fils d'une mère torturée, ex petit ami d'une Altérée torturée, et j'aurais ma vengeance, dans cette vie ou dans l'autre (1).

Je me relève péniblement et repars, titubant et suffocant. Non, je ne suis pas têtu, je suis juste déterminé ! Malgré tout, un étrange malaise commence à m'oppresser. Comme si soudain, quelque chose au fond de moi, une vague intuition, me signalait que j'avais pris la mauvaise décision, que je pouvais agir mieux et autrement.

Je m'arrête à nouveau.

Le vent s'engouffre sous mes vêtements, la pluie me martèle le visage, froide et cinglante. Opiniâtre. Et pourtant, l'air me semble brûlant.

Il n'est même pas dix-neuf heures et la soirée précoce tombe déjà sur la Terre tel un linceul.

Je me remets en marche...

Un éclair aveuglant déchire la forêt et une boule de feu vient frapper un arbre tout près de moi. Le fracas qui suit projette des branches et des éclats de bois dans toutes les directions. Par chance, j'ai eu le temps de me blottir contre le tronc épais d'un chêne qui me sert de bouclier.

Mes tympans meurtris se mettent à siffler jusqu'au plus profond de mon esprit.

Incapable de prendre en compte cet avertissement, je me déplie, puis m'étire le dos et les bras.

Ne dites plus que la foudre ne frappe jamais au même endroit !

Une nouvelle colonne de feu s'abat sur l'arbre martyr, le fendant en deux. Cette fois, impossible d'esquiver, je le vois me tomber dessus. D'instinct, je lance mon pouvoir à sa rencontre, mais je l'ai bêtement épuisé à me frayer un chemin à travers les taillis, et j'en ai juste assez pour dévier légèrement sa trajectoire.

Un craquement.

Une vive douleur.

Je cille, étendu face contre terre.

Ma vue se brouille, puis tout devient noir.

Combien de temps resté-je là, groggy et pantelant, je n'en sais rien, mais le vrombissement d'un hélicoptère qui passe rasibus au-dessus de la forêt me réveille.

Les Impériaux seraient-ils en train de me chercher ? Ou se prépareraient-ils à quitter les lieux ?

Ma mère. Jo. Domitien.

Qu'est-ce que je fous couché là, à guigner aux mouches, alors que les miens sont en train de morfler ? J'inhale avec avidité une bonne bouffée d'air humide, puis tente de me soulever. Autant vouloir arrêter le Voyageur dans ses desseins pervers !

Je suis coincé sous une grosse branche que je me révèle incapable de bouger.

Malgré l'insupportable sentiment d'impuissance qui m'envahit, j'étudie les alentours dans l'espoir de trouver un objet qui puisse faire office de levier.

Je ne vois rien, juste les ombres qui dansent une valse langoureuse sous les éclairs et une étrange lueur bleutée qui brille à travers les arbres, comme si quelqu'un se cachait derrière un tronc pour me filmer avec l'écran de son portable.

Le fragment de Voyageur enterré là, qui s'étoile doucement.

Mon pouls accélère.

Invoquant notre lien privilégié, je tends la main pour attirer l'attention de la météorite.

Aussitôt, la forêt s'éclaire, son cœur battant en un rythme envoûtant. Telle une vague ondoyante, l'énergie alien fuse lentement dans ma direction, avant de se séparer en une dizaine de filaments, fort semblables aux lanières du fouet de Domitien.

Durant quelques secondes, les rayons luminescents jouent parmi les arbres, tournoyant et tanguant entre leurs troncs. Mais voilà qu'ils se rappellent soudain leur mission. Après avoir à nouveau fusionné, ils se précipitent à ma rencontre et leur magie déferle en moi.

Regonflé à bloc, je bande mes muscles, me soulève sur les coudes, repousse d'un coup la branche qui m'emprisonnait et roule sur le côté.

Le soupir de soulagement que je pousse pourrait faire tourner une éolienne une année entière.

Histoire de me retrouver un peu, je m'octroie quelques secondes. Même si la météorite a maintenant cessé d'émettre, les feuilles autour de moi brillent encore comme de la nacre et bruissent comme des amulettes.

Au moment où je me remets debout, j'entends l'hélicoptère revenir, clameur horrible et désolante. Voyant ses phares trouer l'obscurité, je me cale derrière un buisson, juste au cas où, mais l'appareil se contente d'effectuer un demi-tour, puis file vers le nord.

Je n'ai pas le temps de sortir de ma cachette qu'un nouveau vrombissement met mes pauvres oreilles fragilisées à rude épreuve. Les deux Alouettes rescapés qui désertent à leur tour la vallée.

Saisi par un terrible sentiment d'urgence, je me lance sur le sentier. Le sang gicle de mes plaies tel un coca qu'on aurait un peu trop secoué, mais la magie qui chante dans mes veines me l'assure, je suis encore tout à fait capable de me battre.

Et même de triompher.

Alors je cours. Tandis que mes poumons se vident et se remplissent, mes pas s'allongent et mes Rangers avancent d'elles-mêmes, sans rien ni personne pour les arrêter.

Impressionnée par ma ténacité à toute épreuve, la forêt s'est enfin résolue à me laisser sortir. Peut-être désire-t-elle aussi que je la débarrasse des derniers intrus qui sont venus troubler sa quiétude ?

Après le vacarme des rotors, ce sont maintenant des bruits de moteur qui me parviennent depuis la route. Leur mission accomplie, les véhicules Impériaux quittent le Tuc-Haut pour rejoindre leur Base, où qu'elle soit.

Les Impériaux quittent le Tuc-haut !

J'accélère.

J'ai presque atteint mon but quand de nouvelles détonations déchirent l'obscurité.

Quatre coups de feu. Quatre tirs secs et précis.

Une exécution.

Mon cœur aurait dû sombrer, mais le chant du Voyageur est toujours en moi. Comme si j'avais avalé d'un trait une bonne douzaine de bouteilles de Champagne, il fait pétiller chacune de mes cellules, enflamme mes sens, tient les idées noires à distance et la douleur en échec.

Les Impériaux restés au Tuc-Haut sont morts. Simplement, ils ne le savent pas encore...

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(1) Inspirée d'une réplique culte du film Gladiator adressée par Maximus à l'empereur Commode. "  Mon nom est Maximus Decimus Meridius, commandant en chef des armées du nord, général des légions Félix, fidèle serviteur du vrai empereur Marc Aurèle. Père d'un fils assassiné, époux d'une femme assassiné, et j'aurais ma vengeance dans cette vie ou dans l'autre. "

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Non, non, ne vous inquiétez pas, ce n'est pas fini.

Mais Sam, comme Jo, s'est montré trop bavard. Je lui avais octroyé 3000 mots, il en est déjà presque à 4000. 

J'ai donc choisi de couper le chapitre en 2.

J'espère pouvoir publier la fin ce week-end.

Et c'est promis, elle sera beaucoup plus mouvementée.

Avez-vous des pronostics pour la conclusion ?

Afin de soutenir ce pauvre Sam, n'oubliez pas la petite étoile. 





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