Chapitre 12-7(b) : Newton et Domitien

(Sud Quercy 4 septembre 17h58)

Attention : scène violente 

Joséphine

 — Attends, ordonne Domitien, elle peut encore être utile.

Telle une putain de machine, Copernic s'immobilise sur-le-champ. Je devrais me réjouir de ce petit délai que m'accorde l'Homme en Noir, je sens la main invisible de la peur se resserrer autour de mon cou. Ce chien va encore me forcer à me retourner contre les miens.

— À vos ordres, dux ! riposte le prétorien. Même si je ne trouve pas ça prudent, c'est vous qui voyez.

Son supérieur rejette son capuchon en arrière. Aussitôt, les ténèbres lui lèchent le coin des yeux. Elles me semblent bien affamées ce soir, mais qu'elles se rassurent, elles auront bientôt de quoi se sustenter. 

— Il n'est pas encore né, l'Altéré qui aura ma peau !

Un sourire malfaisant courbe les lèvres du Tueur. Bien que l'après-midi ne soit pas encore achevé, la nuit a déjà posé un pied sur la Terre. Une nuit telle que je n'en ai encore j'avais vue.

— Je suis pressé, m'explique-t-il. Je compte donc sur toi pour que tout se déroule en douceur...

Il ne termine pas sa phrase, il n'en a pas besoin. Je rassemble le peu de pouvoir qu'il me reste et me tiens prête à l'assister. Au moment où il porte son haut-parleur à sa bouche, mon cœur se met à tictaquer tel un réveil mécanique.

— Amenez-vous, crie-t-il en direction du Tuc-Haut. Les adultes d'abord. L'un après l'autre. Et pas d'entourloupes. Sinon, c'est la môme qui trinque...

Sous la surveillance des antesignani – toute une décurie – et de leurs lourds fusils d'assaut, mon père s'avance, mains en l'air et doigts écartés. Gianni suit, puis Zoubida ainsi que Noémie et Mohammed qui soutiennent Clément.

Dès que je l'aperçois, je fixe le chef déchu, juste au cas où. Bien m'en a pris. Quand il voit Domitien, l'ex-légionnaire devient rouge betterave et ses veines saillent, bleues et dures, sous la peau de son cou.

Heureusement, une rapide intrusion dans sa tête l'empêche de se jeter sur son ennemi.

À peine l'optio carceris lui a-t-il passé les menottes qu'un mastodonte émerge du voile de pluie. Tout boueux et ruisselant, on dirait un monstre mythique surgi d'un profond marécage.

Domitien se retourne vers lui. Quelque chose passe dans l'air entre eux, comme un langage composé de molécules et non de mots.

Le nouveau venu hoche la tête, puis vient se planter à côté de son mentor. Un obélisque auquel un obscur dieu de l'orage aurait donné vie.

— À vous maintenant ! déclare Domitien aux ados alignés de l'autre côté des douves. Un seul à la fois. Lentement. Très lentement...

Alison s'avance la première, petite ombre fantomatique dans le halo des projecteurs.

Dès qu'elle arrive à portée, Domitien l'agrippe par les cheveux, lui renverse la tête en arrière et étudie longuement ses yeux.

Un juron lui échappe. Un horrible juron de déception. À cran, il repousse si violemment la jeune fille qu'elle tombe à la renverse. Après l'avoir aidée à se relever, un immunis la met en joue.

— Au suivant ! tonne l'âme damnée de l'Imperator.

Stéphane s'engage sur le passage, puis Jesse, Florian et Medhi. Chacun d'eux est scrupuleusement étudié. Chacun d'eux est sauvagement rejeté.

Frustré par son échec, Domitien s'empare de sa radio. Il est si vénère que je le sens tout disposé à s'en prendre à la mort elle-même. Ben oui, mon kiki ! Tu as un orgueil incommensurable, mais ton intuition n'est pas infaillible.

— Envoyez l'hélico, décrète-t-il. 1.0 et moi devons d'urgence nous rendre dans le Limousin.

Il raccroche.

Le silence qui suit est si épais que même les puissants grondements du tonnerre paraissent lointains à mes oreilles.

Dux, déclare soudain Copernic. Je devrais vous accompagner. Votre dernière confrontation avec Galilée n'a guère tourné à votre avantage.

J'ai senti dans la voix de l'antesignanus comme une vibration inhabituelle. Un trouble étrange...

— Hors de question ! J'ai besoin de toi ici pour finir le nettoyage. Et puis, tu es trop impliqué, trop proche de la cible.

Près de nous, des véhicules démarrent dans un grand bruit de moteurs. Le fourgon cellulaire et les premiers tout-terrain qui rentrent à la Base...

— Que je sache, reprend Copernic, vibrant de fureur contenu, votre apprenti est encore plus concerné que moi. N'est-ce pas son frère que vous vous préparez à arrêter ?

— Demi, répond Newton d'un ton âpre. Et il ne représente absolument rien pour moi.

Le bruit infernal d'un hélicoptère qui décolle interrompt leur conversation. D'un mouvement brusque, Newton ôte son casque. Aussitôt, je ne vois plus que son visage et les tatouages impressionnants qui le dénaturent. Une tête de mort sur sa joue droite, un fuck sur la gauche et des larmes qui dégoulinent le long de son nez.

Le gros insecte de métal survole le Tuc-Haut, glisse au-dessus de la cime des arbres, puis s'immobilise au-dessus de nous, sinistre et menaçant, comme pris dans une toile d'araignée. Sans doute, le pilote cherche-t-il un endroit où atterrir...

Domitien est trop occupé à gérer sa rage et sa déception pour être satisfait. Ses yeux fulminants dérivent vers le groupe des adultes. Je crains un instant qu'il ne les abatte sur place, mais il se contente de serrer les poings. Un effort de volonté qui va lui coûter un an d'espérance de vie !

Sa voix gronde dans les graves.

— Qu'est-ce que ces cafards font encore devant moi ?

L'atmosphère change aussi sec. L'air s'emplit de tension. Réagissant au quart de tour, l'optio carceris et ses immunes alignent les prisonniers et les poussent du canon de leurs fusils vers le fourgon cellulaire grand ouvert.

Mais voilà que Zoubida se met à traîner des pieds. Avant que mon pouvoir ait pu voler vers elle, elle s'est brusquement retournée. D'immenses cernes noirs encerclent ses yeux.

— Et nos jeunes ? demande-t-elle. Qu'allez-vous en faire ?

Une simple pression à la surface de son cerveau suffit à la calmer. Sans attendre la réponse à sa question, elle pivote à nouveau et se remet en marche. Toutefois, ses paroles ont réactivé la flamme de la révolte. C'est au tour de Gianni de ruer dans les brancards.

Malgré les fusils qui le menacent, il refuse soudain d'avancer. Aussitôt, les lèvres du suppôt de César se retroussent comme du plastique qui brûle.

Mais ce n'est pas un simple rictus, tout patibulaire qu'il soit, qui va effrayer un père aux abois.

— Pourquoi vous les avez isolés ? proteste-t-il. Qu'est-ce que vous leur voulez ?

Vite ! J'abandonne Zoubida pour le forcer à se taire, sauf que Noémie se rebiffe elle aussi. Encore plus médusée par sa hardiesse que l'immunis chargé de l'escorter, je la vois marcher vers son bourreau. Elle marche vers son bourreau !

— Je vous en prie, l'implore-t-elle, ne leur faites pas de mal ! Cette guerre n'est pas la leur.

Tandis que Domitien manque s'étrangler avec son propre fiel, je sens la panique me gagner. Que faire ? Le Voyageur ne m'a pas enseigner comment trafiquer plusieurs cerveaux à la fois...

— Fermez-la, aboie l'optio carceris en agitant crânement son arme, et avancez.

Subitement consciente de son audace, l'épouse d'Adler s'immobilise, ses compagnons à ses côtés. Vais-je à nouveau pouvoir respirer ?

Non.

Le toutou de l'Imperator ne peut pas laisser impuni un tel affront. Il pioche son pistolet dans son holster et le pointe vers les prisonniers. Dans le halo mouillé des phares, il fulgure telle une panthère noire.

Tandis que la pauvre femme fixe l'homme qui la menace, je me retrouve en train d'adresser au Voyageur la plus honteuse des prières. Si tu pouvais te débrouiller pour que ce fumier ne s'en prenne qu'à Noémie, je te promets que toujours je te vénérerai...

Le silence s'installe et la course du temps s'interrompt. Mon cœur tape à mes tempes comme un forgeron sur son enclume. Ça sent la terre, l'herbe mouillée, mais autre chose aussi, le soufre et le sang sur le point de couler.

Soudain, le canon de l'arme se détourne de Noémie et se braque sur les adolescents.

Queue de détente. Flexion de l'index. Pression.

Le coup part sur-le-champ. Un instant, l'espace d'une respiration, la scène se fige. Puis, Alison s'écroule comme une étoile morte.

Le vieux salopard lui a tiré dans la cuisse.

Gianni pousse un hurlement atroce. Il aurait couru vers sa fille, mais un immunis l'attrape à bras-le- corps avant qu'il ne se fasse descendre à son tour.

C'est tout de même trop tard.

Après avoir adressé à sa victime le sourire d'un Charon s'apprêtant à la transporter aux Enfers, le chien tire à nouveau.

Et cette fois, il a visé le cœur.

Pendant quelques secondes, le corps de la jeune fille tressaute tel un marteau-piqueur, puis se fige. Au mépris de tout danger, Stéphane s'agenouille à son chevet pour prendre son pouls.

À quoi bon ?

Je suis sûre qu'elle est déjà morte.

Mes yeux se remplissent de larmes, mais c'est comme s'ils pleuraient sans moi. Mon esprit refuse encore d'intégrer ce qui vient de se passer.

Ne pouvant en supporter plus, je détourne le regard et rencontre celui de Copernic.

L'horreur de la scène a-t-elle poussé mon protecteur à baisser la garde ? J'entre dans son crâne comme dans du beurre. Sauf que son cerveau ne présente absolument pas la même configuration que ceux que j'ai déjà explorés. Dur, froid, implacable, il me donne l'impression que j'ai pénétré la tête d'un robot. Sauf qu'une machine n'a pas de neurones et que lui, il en possède des milliards et des milliards, plus actifs et performants que des circuits imprimés, mais plus hermétiques que les coffres d'une banque Suisse.

Tel un vaisseau perdu dans la Voie Lactée, j'erre, ce qui me semble une éternité, dans ce dédale foisonnant de petites cellules grises, aussi nombreuses que les étoiles dans le ciel, aussi fascinantes, aussi mystérieuses.

Après plusieurs tentatives infructueuses pour pénétrer certaines d'entre elles, j'arrive enfin dans une zone reculée, très différente des précédentes. Une zone agitée, plus que bouillonnante.

Curieuse telle une fouine, je prends mon élan.

Je m'attendais à une résistance insurmontable, elle s'ouvre comme une fleur. Me voilà derechef face à une très belle jeune fille, une grande blonde au visage d'ange, mais aux yeux farouches.

La meilleure amie de Copernic ? Le coup d'un soir ou la femme de sa vie ? Mon hôte n'en sait rien. La seule chose dont il soit certain, c'est des sentiments forts qu'elle éveille en lui. De la haine. De la fureur. De l'angoisse et de l'amour. Tellement d'amour...

Sûre d'avoir trouvé le point faible du prétorien, j'entreprends illico de lui distiller mon venin. Aide-moi, murmuré-je dans ses neurones perturbés, aide-nous. Ouvre les yeux. Tes amis ne sont pas ceux que tu crois. Révolte-toi...

D'un coup, je me retrouve éjectée hors de sa tête. Devant moi, le colosse se secoue pour réorganiser ses pensées. J'inhale l'air piquant, l'estomac sens dessus dessous.

Aussitôt, la réalité me frappe en pleine figure, aussi violente et froide que la pluie qui continue à tomber. Alison gît toujours sur le parvis. Mais durant mon voyage en terres Coperniciennes, le fourgon cellulaire a quitté les lieux, emportant les derniers adultes du Tuc-Haut et l'hélicoptère s'est posé. Dans leur accoutrement tout cuirassé et leur casque plein d'excroissances, les prétoriens qui en ont jailli ressemblent à des scarabées irradiés.

Je chasse les larmes qui me coulent sur les joues et me tourne vers le Tuc-Haut pour un dernier adieu. Ses murailles ont la même couleur que le ciel et le vent qui siffle dans les vieilles pierres me parlent avec la voix obscure des anciens Seigneurs des lieux.

À peine ai-je fait volte-face que Copernic m'agrippe et me pose son casque Anti-Altérés sur le crâne. Aussitôt, tout se brouille. Mes repères. Mes sensations. Ma pauvre tête n'est plus qu'un paquet de cordes emmêlées. Si mon tortionnaire ne m'avait pas retenue, je me serais effondrée.

Pour rejoindre l'Alouette, Newton et son mentor passent devant nous. L'impression d'asphyxie qui m'a prise à la gorge s'accentue lorsque j'attends les derniers ordres que Domitien jette à son antesignanus.

— Tu me débarrasses de tous ceux qui restent, et tu ramènes celle-là à Anderton. Ta vieille peau devra s'en satisfaire...

Un reflet brille un instant dans le bleu de l'œil du prétorien, puis s'efface. Tandis que les deux tueurs rejoignent leur hélico, ma sensation de vertige s'accroît. L'univers se brouille autour de moi, se fondant dans un mélange de sons et de couleurs.

Incapable désormais de la moindre pensée lucide, je me sens soulevée dans des bras puissants, puis délicatement déposée sur une surface plutôt confortable, le siège d'une voiture.

Pourtant, au simple contact du dossier, mon dos s'électrise et ma tête explose.

Incapable de me retenir, je laisse échapper un hurlement déchirant et me contorsionne avec frénésie pour tenter d'échapper à la torture que je suis en train de subir.

Séance tenante, mon bourreau me saisit les deux poignets et m'immobilise contre la banquette.

— Arrête de t'agiter, me conseille-t-il d'une voix étonnamment douce. Ton organisme va s'habituer.

Il me maintient ainsi quelques minutes et la douleur reflue. Il n'en reste plus que de longs picotements qui courent sur ma peau et une horrible impression de distorsion entre la réalité et la perception que j'en ai.

L'Impérial me lâche et claque la portière, m'abandonnant là. Aussitôt, je redresse la tête. Devant moi, l'air semble vibrer comme un câble à haute tension.

— Rentrez à la base ! entends-je Copernic lancer à ses hommes. Je me charge du sale boulot...

J'esquisse un geste pour ouvrir, mais ma main retombe, sans vigueur aucune. Ce salaud l'avait anticipé, je suis trop affaiblie pour bouger.

Je ne peux même pas regarder. Juste écouter...

Le tonnerre qui gronde encore et le vent qui s'acharne sur le château.

L'Alouette qui décolle dans un vacarme assourdissant.

Les moteurs des véhicules qui descendent la route en lacets.

Le silence qui retombe, lourd, angoissant, presque palpable.

Puis dans le lointain, la voix de Copernic, qui aboient ses ordres. Quatre coups de feu éclatent. Quatre détonations qui ricochent dans mon cœur comme autant de glas dans mon crâne...   

********************

Un chapitre difficile à écrire et des transitions à retravailler.

Il ne reste plus grand monde au Tuc-Haut, mais Sam est encore dans la nature.

Je lui donne 3000 mots pour conclure cet épisode.

À votre avis, que peut-il faire ?  

Le chapitre est écrit, mais entièrement à remanier.

Vu tout le travail qui m'attend et la fatigue qui s'accumule, je m'excuse par avance du délai que je vais vous imposer.

N'oubliez pas la petite étoile ! 

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