Chapitre 12-3 : Newton et Domitien

Attention : scène très violente !

(Sud Quercy 4 septembre 16h03)

Lorsque BMI attaque, Sam prend les armes. Après avoir échoué à abattre l'hélicoptère dans lequel Domitien a pris place, il assiste à l'agonie de son beau-père, grièvement blessé par le Tueur Impérial. 

Décidé à rallier le château, il remonte en courant vers ce dernier, quand il se rend compte que Daphné vient d'être arrêtée par deux prétoriens. 

Samuel

Les deux prétoriens s'arrêtent à dix enjambées de leur prisonnière, le fusil en avant. Épinglée près de leur col, leur fibule rouge sang ressort sur leur uniforme noir tel un coquelicot qui aurait surgi dans un vieux champ de lave.

— Mains au-dessus de la tête ! Sans geste brusque...

La voix autoritaire du plus costaud a grondé dans l'air électrique, menaçante comme une lame bien aiguisée. Docile, Daphné lève les bras. Toutefois, ses sanglots ne s'arrêtent pas, la faisant trembler de tout son corps.

— Et maintenant, tu viens vers nous. Doucement...

La captive esquisse un pas en avant, mais trébuche et manque tomber. Parvenue à se rattraper, elle s'immobilise.

Les culasses des fusils que l'on arme claquent sous l'orage. Les pleurs de la jeune fille redoublent.

— Je ne peux plus marcher. Je me suis foulé la cheville...

Tout en jurant in petto contre la maladresse de la malheureuse, je retire le cran de sûreté de mon pistolet, me redresse et me rapproche en diagonale des antagonistes. Cette idiote avait pourtant une belle avance. Dans quelques secondes, elle aurait pu être sauvée !

— Face contre sol, mains dans le dos.

Tétanisée, Daphné ne bouge pas. S'enhardissant, les deux légionnaires s'acheminent vers elle, épaules puissantes et muscles saillants. N'allez cependant pas croire que je suis jaloux. À l'évidence, leur corps renferme assez d'anabolisants pour combler tous les finalistes au concours de Monsieur Second Empire Romain.

— Je n'ai rien fait, je vous jure !

La voix de leur otage était si stridente et ses protestations si faibles ! Ravis de la terreur qu'ils inspirent à leur victime, les Caméléons éclatent de rire.

Aussitôt, mon sang se fige et ma respiration s'accélère. Deux coups me suffiraient pour descendre ces deux guignols. Sauf que Daphné se tient devant eux et que mon angle de tir est mauvais.

— Alors, on se rebelle contre l'autorité ?

Tandis que le prétorien qui vient de parler attrape sa proie par le bras, son binôme ôte son casque. Sa tête carrée, tel un gros pavé planté de cheveux blonds coupés ras, n'aurait pas déplu au Führer.

— Mais qu'est-ce qu'on a là ? susurre-t-il.

— Un beau brin de fille, s'amuse son collègue, le ton doucereux. Et mate-moi ce pare-choc !

Galvanisé par la hardiesse de son comparse, l'imprudent se met également tête nue, dévoilant ainsi ses oreilles. Aussi larges que les paraboles d'un télescope, elles n'empêcheront pas la balle dont je vais le gratifier de lui broyer le cerveau. Mais pour l'atteindre, je dois changer de poste de tir afin de ne plus avoir leur otage dans ma ligne de mire...

— Et si Mademoiselle était une tueuse ? reprend Troisième Reich. On a tous vu Nikita.

— T'inquiète, lui répond Arecibo (1). Je me porte volontaire pour l'examiner.

La rage qui me vrille soudain le crâne fait pulser mon sang mille fois plus vite dans mes veines. Heureusement, mon père m'a entraîné à neutraliser mes émotions. Je laisse donc à ma colère quelques putains de secondes pour tout balayer, puis la réprime et l'enfouis très profond dans un coin de mon esprit.

Maintenant réduit à l'état de machine à tuer aux nerfs d'acier, j'attrape le silencieux dans mon sac à dos et le visse sur le canon de mon flingue.

— Je l'ai vue le premier, s'amuse le grand blond à la fibule rouge, la fouille, c'est donc pour moi.

Docile, Hubble (2) lâche sa victime qui se serait effondrée si son binôme ne l'avait pas rattrapée à temps. Tandis que cette dernière laisse échapper un petit cri de souris, le prétorien recule de quelques pas. Sûrement, un de ces esthètes qui tient à se régaler les yeux !

— OK, riposte-t-il, son HK418 prudemment dirigé sur l'exubérante poitrine de Daphné. Je te laisse la primeur des investigations. Mais comme deux précautions valent mieux qu'une, ne va pas mal le prendre si j'entreprends de vérifier ton travail...

Tandis que Blondelette pose son fusil à terre, je me relève posément. Bien décidé à utiliser au mieux le sursis que m'accordent les appâts de ma dulcinée, je me plie en deux et m'extirpe du taillis qui me dissimulait. Ces deux crétins ne le savent pas encore, mais ils sont condamnés...

— Quoique, je me demande bien ce qu'elle pourrait cacher. Elle est presque à poil...

L'oreille tendue afin de ne rien perdre de cette intéressante conversation, je recule, puis, mon arme tenue à deux mains, me faufile entre les enchevêtrements de buissons afin de prendre les légionnaires à revers. Cela fait beaucoup d'obstacles à contourner. Pourtant, personne ne me remarquera. J'ai appris à me déplacer en silence et à me rendre invisible, telle une ombre immobile.

Je n'ai pas parcouru la moitié du chemin que la voix de Daphné s'élève au-delà des broussailles, rauque et brisée.

— Pourquoi vous en prendre à moi ? J'ai rien à voir dans vos histoires. Je rentrais juste...

L'explosion soudaine qui déchire la vallée m'empêche d'entendre la fin de sa phrase, mais pas la gifle qui claque sur sa joue, retentissante.

— Personne ne t'a appris que c'est dangereux pour une fille de se promener seule par les temps qui courent ?

Le ton du légionnaire était si menaçant que sa victime se remet illico à pleurer.

Aussitôt, mon assurance se fissure.

Daphné n'a pas opté pour la bonne tactique. Ce fils de pute ne s'arrêtera pas. Plus la jeune femme l'implorera, plus il se montrera horrible.

Alors, tant pis, j'accélère.

Il n'y a plus qu'à souhaiter que les grondements du tonnerre et les staccatos des rafales qui pilonnent le Tuc-Haut masquent le bruissement de mes pas.

Parvenu incognito à destination, je marque une halte au pied d'un chêne digne de la Forêt Interdite. Observer la scène depuis le côté m'offre un excellent angle de tir. Comme je ne rate jamais mes cibles, viser les agresseurs sans risquer de toucher l'otage sera pour moi un jeu d'enfant.

Mais avant de faire feu, je dois prendre la mesure de la situation.

Par chance, elle n'a guère évolué.

Sous la surveillance armée de son comparse, Gros Porc a entrepris la fouille à corps de sa proie impuissante et terrorisée.

Sauf que cette palpation n'a rien de réglementaire.

Non seulement cet enfoiré lui a soulevé le débardeur, mais en plus, il lui tripote brutalement les seins, tout en se frottant contre elle d'une manière obscène.

Les sanglots de Daphné s'intensifient comme si l'homme qui se presse contre elle les faisait sortir.

— Dis donc, on va pas te ramener de suite aux hélicos. Ce serait du gaspillage...

Fourche du pouce et de l'index venant le plus possible dans le prolongement du poignet, j'enroule ma main droite autour de la crosse de mon pistolet, alors que la gauche vient l'envelopper le plus étroitement possible par l'avant.

Ceci fait, j'inspire un grand coup. L'air que j'avale est vif et tranchant tel un couteau.

Maintenant fin prêt, je me risque hors des frondaisons.

À découvert.

Mais les deux pervers sont si occupés que seule Daphné m'aperçoit.

Après qu'elle a plongé ses yeux terrorisés dans les miens, une conversation muette s'installe entre nous. Je sais qu'elle sait que je vais la sortir de ce mauvais pas.

Je suis un excellent tireur et sans me vanter, je pense même être meilleur que ça.

Je lui lance un clin d'œil. Aussitôt, la jeune femme remonte violemment son genou qui vient percuter les parties génitales de son agresseur.

Ce dernier recule d'un bond.

Le hurlement qui lui échappe remonte le long de ma colonne vertébrale avant d'aller se planquer en haut de mon crâne.

C'est le moment.

Campé sur mes deux jambes bien écartées, mon buste légèrement penché vers l'avant, je ferme un œil et vise la tête de l'apprenti SS.

Prêt à faire feu, je laisse mon index glisser sur la détente.

J'adore ce moment où l'existence de ma cible ne dépend que de moi.

Une détonation fracassante ébranle la vallée, une détonation qui me déchire les tympans, une détonation qui résonne longtemps dans mes oreilles après que j'ai vu le front de ma petite amie exploser dans une pluie de cervelle et de fragments d'os.

La scène se fige.

À part le corps qui tombe et qui s'entête à tressauter une fois à terre, plus personne ne bouge.

Même le vent s'est calmé.

Tétanisé, je fixe le cadavre au crâne ouvert et le flot de liquide brunâtre qui s'en échappe.

Daphné était si vivante quand je la tenais dans mes bras, et maintenant, elle est étendue là, à baigner dans sa propre matière cervicale.

Une seconde passe. Une éternité.

Mais voilà soudain qu'Atacama (3), le premier, semble se réveiller. Sa poitrine tressaille, ses jambes frémissent et sa tête se tourne...

Mon instinct de survie reprend illico le dessus.

Vite !

Tel un automate, je recule dans les broussailles, me recroqueville dans un taillis et lève la tête dans la direction d'où provenait la balle.

Éclairée par les lueurs mouvantes de l'incendie au loin, une épaisse silhouette fond sur la scène de crime, tel un fléau sorti tout droit de l'Ancien Testament. Les ombres terrifiantes repeignant son uniforme d'un noir de suie, il s'immobilise un peu plus haut sur la pente.

Sa présence est si écrasante qu'elle semble rassembler les éléments et aspirer la lumière.

— Légionnaires, tonne-t-il, au rapport.

La voix du nouveau venu était si tranchante que ses hommes se recroquevillent sur eux-mêmes. Seul le silence lui répond. Un silence de plomb...

L'armoire à glace agite son flingue, un HKP2000, dans la direction des deux recrues.

— On... On avait fait une prisonnière, bredouille James Webb (4), mais... mais... on a pas eu le temps de... de... l'interroger, vous l'avez descendue.

Terré dans mon buisson, j'observe les deux Rouges qui ont perdu toute leur prestance. Ces grands fils de pute essayent de paraître désinvoltes, mais ils le sont autant que des pitbulls qui auraient été coiffés d'une couette et chaussés de socquettes.

— Je ne vois pas ce que vous auriez pu en tirer, à part un un gros tas d'emmerdes...

Se remettant en marche, le malabar descend vers ses hommes. Peut-être est-ce le choc que je viens d'encaisser, aussi violent qu'une chute d'une hauteur vertigineuse suivie d'un atterrissage brutal sur un sol cimenté ? Peut-être est-ce le mugissement menaçant qui sort de sa bouche ou les mots qu'il prononce ? Toujours est-il que face à cet assassin professionnel, je me sens comme une merde.

Une merde incompétente, esseulée et mortifiée.

— Mais Newton, s'étonne Gros Vicelard, pourquoi vous l'avez tuée ? Elle était inoffensive...

Le mastodonte le toise de toute sa hauteur. Par le Voyageur ! Ses yeux bleu glacier sont si sombres qu'ils sont impossibles à déchiffrer.

Cet Impérial ressemble au fils caché de Voldemort...

— Parce qu'elle allait vous distraire. Parce que vous vous seriez disputés à son sujet, peut-être même battus. Alors j'ai éliminé le problème...

En dépit de l'horreur que je ressens, le guerrier impitoyable que je rêve d'être ne peut s'empêcher d'approuver. Ce fumier a la gâchette facile, mais son raisonnement se tient.

Le long frisson salutaire qui me secoue me ramène illico dans le monde des vivants. Ivre de vengeance et de haine, je resserre ma prise sur mon pistolet, comme si ma fureur avait rechargé mes batteries.

Mon ennemi possède-t-il une ouïe hypertrophiée ? D'un coup, il tourne la tête dans ma direction.

Je sens son regard parcourir la distance qui nous sépare, traverser l'embrouillamini de branches et de ronces, puis s'arrêter sur le taillis au sein duquel je me planque, moi, le pauvre gamin qui vient de voir le crâne de sa sex-friend exploser sous ses yeux.

Mes muscles se tendent, ma mâchoire se contracte et la transpiration dégouline dans mon dos, sous le gilet pare-balles qui m'oppresse la poitrine.

Sans plus oser bouger ni même respirer, je fixe les tatouages démentiels qui défigurent le visage de l'Impérial. Une tête de mort sur sa joue droite, un doigt d'honneur sur la gauche, des larmes qui ruissellent le long de son nez. Si mon cerveau est en train de partir en vrille, ça doit faire longtemps que celui de ce gothique enragé bat la campagne !

— Quand même ! ose Antu (5). Domitien a pas cessé de le répéter : César voulait le moins de victimes possibles.

À cran, l'assassin de Daphné se retourne comme une bombe vers le jeune contestataire. J'espère un instant qu'il le descende séance tenante, mais le fier-à-bras parvient à se retenir. On ne doit pas gâcher la chair à canon.

— Des ordres de mon mentor et de l'Imperator, explique-t-il d'une voix de stentor, je n'en ai vraiment rien à foutre. Je tue qui je veux et quand je veux.

Dans un vacarme d'enfer, l'hélicoptère qui pilonnait le Tuc-Haut choisit ce moment pour exploser, ses débris s'écrasant dans les douves et sur le sentier.

Aussitôt, Newton lève la tête vers la crête et lâche un juron.

— Surtout, aboie-t-il, que je ne vois pas comment ces bâtards l'apprendraient !

Tandis que les deux bizuths se figent sous la menace à peine voilée, Newton plisse les yeux. Un grondement sourd fait trembler sa poitrine lorsqu'il reprend la parole.

— Vous, lance-t-il le ton monocorde, vous restez ici en faction. Cet incident dont vous avez été le témoin, ce sera notre secret.

Il fait volte-face, radarise une dernière fois les fourrés qui me dissimulent, puis s'élance sur le sentier, si vénère que je le devine prêt à étriper quiconque se mettra en travers de son chemin.

Ses longues jambes avalant la pente à une vitesse hallucinante, il s'estompe dans les ombres avant que j'aie pu le mettre en joue.

Fou de rage d'avoir laissé cette brute m'échapper, je jaillis de ma cachette au mépris de la plus élémentaire des prudences.

Encore sous le choc de l'horrible carnage qu'ils n'arrivent pas à se sortir de la tête, les deux Rouges me fixent, sidérés.

Et c'est là que je commets la pire bêtise de ma vie.

Avant qu'ils aient pu se ressaisir, je les attrape dans ma ligne de mire et fais feu.

Deux coups.

Deux balles entre les deux yeux.

Ils restent debout un instant, puis se tassent sur eux-mêmes et disparaissent dans les herbes agitées par le vent.

Je considère le corps de Daphné.

Je ne ressens plus rien.

Pourtant mon beau-père est mort ! Et ma copine vient d'être assassinée sous mes yeux.

Je m'élance à mon tour sur le raidillon, volant sur le sentier, puis courant à travers les buissons, toujours tout droit devant moi tel un boulet de canon. 

Non ! Je ne cherche plus à regagner le château. J'ai oublié jusqu'à son existence...

Je me dirige droit vers la butte où se tenait cette enflure de Newton. Sans prêter aucune attention aux herbes coupantes qui me cinglent les mollets. Les poumons en feu, tels deux ballons trop gonflés qui menacent d'éclater à n'importe quel moment.

J'ai mal. Mal en crever. J'en appelle à la douleur. À la douleur physique, bien plus douce que la blessure mortelle en train de marquer mon âme.

Arrivé sur le tertre, je balaie les alentours du regard.

Rien. Personne.

Juste le vent furieux qui mugit entre les arbres. Juste l'orage qui revient droit sur nous. Juste le feu dévastateur qui dévore l'espace et qui s'attaque à la pente.

Mon ennemi mortel a pris trop d'avance.

Grand bien lui fasse !

Je le poursuivrais jusqu'à son hélicoptère, puis jusqu'à sa putain de caserne. Je le poursuivrais jusqu'à la mort ou jusqu'à ce qu'il me tue...

Fort de cette résolution, je respire un grand coup et pars en chasse, un grand vide dans la poitrine.

Soudain, un peu plus haut sur la pente, un éclat métallique, fugace mais réel, brille à l'orée de mon champ de vision.

Je plonge à terre.

Trop tard.

Une balle me frappe en plein cœur...

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(1) Arecibo : radiotélescope situé sur la côte nord de l'île de Porto Rico.

(2) Hubble : télescope spatial conçu par la NASA. 

(3) Atacama : télescope cosmologique construit sur le Cerro Toco dans le désert d'Atacama au Nord du Chili.

(4) James Webb : télescope spatial lancé en décembre 2021

(5) Antu : l'un des quatre grands télescopes principaux du site VLT au Chili. 

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Désolée de vous laisser sur ce terrible suspens ! 

J'espère ne pas vous avoir traumatisés...

La suite, très bientôt.

Mais je préfère ne pas m'avancer sur une date, le chapitre est à réécrire.

Merci d'être de plus en plus nombreux à me lire. 

N'oubliez pas la petite étoile. 

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