Chapitre 11-3 : Au Tuc-Haut

D'autres personnages secondaires du Tuc-Haut apparaissant dans ce chapitre, je vous remets la liste des habitants du hameau.

Gianni et Mary Cagliani : père et mère de Liam – sympathisants des Opposants.

Alison : sœur cadette de Liam ( 16 ans ).

Stéphane : petit ami d'Alison.

François et Laure Lambert : parents de Joséphine – sympathisants des Opposants.

Hugo et Noah : petits frères de Joséphine, 8 et 10 ans.

Clément Adler : ancien militaire à BMI et propriétaire du château-hôtel.

Noémie Adler : sa femme.

Jesse Adler : fils – ex petit-ami de Liam.

Florian Adler : frère de Jesse ( 15 ans ).

Mohammed : ancien militaire à BMI et ami de Clément.

Sa femme, Zoubida et ses enfants, Medhi ( 15 ans ) et Nasma ( 8 ans ).

Ariane : mère de Samuel.

William Chevalier : beau-père de Samuel, ancien militaire à BMI et meilleur ami de son père.

Daphné : serveuse.

David : étudiant en médecine.

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Attention : Scène violente !

Si un connaisseur en armes à feu passe par là, qu'il n'hésite pas à relever mes erreurs !

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( Sud Quercy 4 septembre 14h55)

Jo sert de nounou auprès des enfants du Tuc-Haut quand BMI attaque. Elle voulait prendre les armes pour se joindre aux combattants, mais Adler l'en empêche. 

La voilà enfermée à l'intérieur des remparts.

Joséphine

Jusqu'à présent, hormis mon excursion avec Samuel, en Terre Zombie, je n'avais jamais vraiment été confrontée à la mort. Pire, je vivais cet été post Black-Out avec un étrange détachement, comme un Escape Game grandeur nature, une immersion à durée limitée dans l'univers de Gone (1) ou de U4 (2).

Sauf qu'avec l'attaque de BMI, impossible de continuer à faire l'autruche !

Je me suis pris le mur de la réalité en pleine poire.

À moitié sonnée, j'écoute Adler distribuer ses ordres à tout-va. Tandis que Zoubida et sa propre épouse se voient confier l'opération « sécurisation de la trappe ouest », il nous somme, Mohammed et moi, de l'accompagner au sommet du donjon.

Nous retrouvons Jesse au bas des marches. Hors d'haleine, affaissé contre le mur, le visage caché dans ses mains.

Une attitude si indigne d'un soldat de métier qu'Adler Senior lui administre une gifle retentissante.

— Impossible que tu sois mon fils, hurle-t-il au comble de la fureur. Jamais j'aurais pu engendrer une fiotte pareille.

Il lui agrippe l'épaule et le propulse dans l'escalier. Horrifiée autant par sa violence que par la tournure des événements, je leur emboîte le pas, aussi silencieuse qu'un souffle de l'enfer.

Hélas, notre petit nazillon à nous n'en a pas encore fini avec ses imprécations.

— Et quand est-ce que tu me fais ton rapport, abruti ? Magne-toi le cul !

Tandis que nous attaquons la montée, le pauvre Jesse s'exécute. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Les troupes impériales disposent d'une dizaine de véhicules. Nos sentinelles ont certes fait sauter le pont, mais ce léger désagrément ne les retiendra pas longtemps.

On est foutus. Mes parents vont mourir. Sam et Alison itou. Et je ne reverrai jamais Liam...

Absorbée par ces pensées torturantes, je gravis les deux cent cinquante marches qui me séparent de la terrasse en mode pilote automatique, le cœur aussi lourd que mes pas. Dopée par l'ambiance guerrière et la fermeté inébranlable d'Adler, j'aurais sans doute été capable de les monter à cloche-pied.

Je me retrouve à l'air libre, sans même comprendre comment je suis arrivée là. Complètement désorientée, je fixe David. Arc-bouté contre la rambarde, il pointe ses jumelles vers la vallée.

Clément se retourne vers moi. Ses yeux, striés de fines veines rouges, ont la dureté de la glace.

Aussitôt, mes entrailles se liquéfient au fond de mon abdomen.

La faute à mon don d'empathie.

Je perçois ses sentiments profonds, je subis le flot d'émotions contradictoires qui le submergent, j'entends ses interrogations, ses doutes et ses certitudes.

Il sait qu'il doit prendre une décision. Très rapidement. Et la meilleure possible !

Sauf que cet homme vit depuis si longtemps dans un tel abîme de noirceur qu'il a moins peur de la mort que de la vie.

— Lambert ! tonne-t-il en dardant sur moi ses prunelles magnétiques.

Soudain victime d'un vertige, je me rattrape à la balustrade et cligne des yeux. Qu'est-ce que ce chefaillon peut bien attendre de moi ?

— On m'a rapporté que Lennox t'a donné des leçons de tir et que tu te débrouillais plutôt bien.

Un soupir sonore m'échappe, comme un sourd éclat de rire. Ce compliment me rassérène. Mieux, il me fait du bien. J'opine du chef.

— Je sais aussi me servir de plein de fusils différents, me rengorgé-je.

Adler me toise de son regard sceptique, puis pivote en direction de David et de son fils qui, d'instinct, se sont rapprochés l'un de l'autre.

— Eh bien, siffle-t-il, aujourd'hui BMI vous offre l'occasion de mettre vos talents en pratique.

Il se dirige vers le mur nord au pied duquel se trouve une grande malle en métal. Quand il se penche pour l'ouvrir, mon cœur s'emballe tel un petit moteur. Ce truc ressemble tellement à un cercueil que je m'attends à ce qu'il en extraie une tête sanguinolente, voire un cadavre putréfié.

Prise d'une fascination malsaine, je m'approche.

Il s'agit juste de sa réserve personnelle d'outils à tuer : fusils, pistolets, mitrailleuses et lance-roquettes, sans compter les grenades, les explosifs et les munitions rangées à part, dans une cantine militaire.

Il s'empare de deux M21 qu'il lance, l'un à Jesse, l'autre à David, puis sort un AS50 qu'il examine sous toutes les coutures avant de le charger.

Persuadée que cette arme m'est réservée, j'avance le bras pour me l'approprier, mais ce sale macho affiche une telle hostilité que je suspends mon geste.

Ses lèvres s'étirent en une fine ligne pincée. Cet enfoiré se fout vraiment de moi !

— Un peu de patience, ma petite ! s'amuse-t-il. Si tu crois que je vais te confier un équipement aussi lourd sans que tu aies fait tes preuves, tu te fourres le doigt dans l'œil.

— On a besoin d'une sentinelle, renchérit Mohammed, pour nous renseigner sur l'avancée de l'ennemi. Ce rôle te conviendra parfaitement.

Tout en parlant, il s'est approprié le AS50 tandis que son barjo de comparse vérifie le bazooka. Bien que mon sang boue, je ravale ma fierté et attrape les jumelles que me tend David.

Je les ajuste à ma vue et les pointe vers le bas.

Le nuage de poussière et de fumée qui s'élèvent des ruines m'empêchent de distinguer quoi ce soit. Toutefois, le bruit assourdissant des tirs qui se répercute jusqu'à notre position trahit la violence des combats.

Aussitôt, mon estomac se serre d'appréhension.

De part et d'autre du pont, la bataille fait rage.

Ne pouvant rien y faire, je ramène mes jumelles vers la pente dans l'espoir de localiser certains des habitants du hameau.

Six adultes, dont ma mère, remontent sur la route en lacets, depuis la ferme des parents d'Estelle, en courant aussi vite qu'ils le peuvent vers le château.

Daphné sprinte à travers champs, dans la même direction.

L'espace d'une éternité, je reste paralysée, transie de terreur, le sang battant à mes tempes. Il y a tant de monde qui manque à l'appel. Mon père, Alison, son chéri. Et Sam...

Le hurlement que pousse à côté de moi le tocard qui nous sert d'optio interdit à mes pensées de prendre un chemin que je ne désire pas.

— Ces sales putains d'enfoirés de leur race ! Ils ont réussi à les fabriquer...

Mes paupières se plissent tandis que je sens le froid descendre le long de mon dos. Moi aussi, je les vois, les quatre engins noir corbeau qui viennent de franchir la Barguelonne (3).

Profilés comme des fusées horizontales, ils planent un mètre au-dessus du sol, tels des vaisseaux alien.

Vont-ils voler jusqu'au Tuc-Haut ?

Non, ils s'immobilisent pour vomir leur cargaison de prétoriens dans les champs. À coup sûr, leur intention est de prendre les nôtres à revers.

Le nœud dans mon estomac se transforme illico en un énorme poing qui me broie les entrailles.

Vite ! Je me tourne vers Adler. Je ne suis ni un membre de sa famille ni un de ses hommes de troupe. Jamais je ne m'écraserai devant ce gros macho, même si c'est un ancien de la légion.

— Vous avez vu leur arsenal ? Ils vont tous nous tuer, puis raser le château. Notre seule chance de nous en sortir, c'est de nous rendre. Les militaires ont un code d'honneur. Ils nous épargneront...

Mon interlocuteur s'esclaffe méchamment, son rire d'hyène renforçant mon impression de solitude.

— Je crois, ma belle, que tu n'as pas encore pris la mesure du monde dans lequel tu vis désormais. Seule compte la loi du plus fort. Rentre-toi ça dans ta jolie petite tête d'écervelée.

Révoltée par autant de muflerie, je sens la rage monter en moi. Hors de question que ce gros débile ait le dessus !

J'ouvre la bouche pour lui répondre.

Est-ce dû à l'avertissement désespéré que je lis dans les yeux de Jesse ou à ma soudaine lâcheté devant l'autorité martiale de l'ancien légionnaire ?

Mes pensées s'emmêlent et mes mots se noient dans les larmes qui s'accumulent dans ma gorge.

Forcée d'acquiescer, je le regarde coincer son lance-roquettes sur le parapet. Peu importe mes états d'âme ! Notre optio a d'autres chats plus importants à fouetter.

— Clément, l'interroge Mohammed, qu'est-ce que tu veux qu'on...

Le bruit d'une explosion l'interrompt, me faisant tressaillir de la tête aux pieds. Plusieurs détonations secouent la campagne et des rafales de tirs retentissent de part et d'autre de la vallée, prenant pour cible les nouveaux arrivants.

— Attends un peu ! répond notre chef. Y a nos gamins en bas. Et ce n'est pas le genre à se laisser faire.

Mon cœur gronde et mes jambes se mettent à trembler. Sam évidemment. Il fallait bien que ce casse-cou intervienne...

Chaussant mes jumelles, je vois mon ex foncer dans un champ totalement à découvert, puis plonger sain et sauf à l'abri d'un cairn.

Complètement à cran, je fusille la nuque d'Adler de mes yeux brûlants.

J'aurais tant de choses à lui dire, qu'il est plus facile de faire parler la poudre que de mettre son ego de côté pour entamer des pourparlers, que ceux qui sont en bas, en train de risquer leur vie, ne sont pas des pions à son service, mais des humains innocents qu'il a embrigadés, entraînés égoïstement dans sa vengeance et contraints de mener une guerre qui n'est pas la leur.

Mais le souffle me manque, j'ai la tête en jeu de quilles et le trouillomètre à zéro.

Alors, comme la haine qui coule dans les veines de cet émule de l'Imperator est communicative, je rallie à grands pas la malle aux merveilles, m'empare d'un fusil, le même que celui de Mohammed, récupère des munitions, le charge et m'installe à côté d'Adler.

Ses yeux étincellent, mais pas de satisfaction. Je le fixe, sourcils levés, front plissé.

— Non, déclaré-je, je n'ai pas mes règles, et oui, j'ai compris que ça vous fait chier d'être coincé avec moi sur ce putain de chemin de ronde, mais sachez que c'est réciproque et que votre petit numéro de terreur, ça ne prend pas avec moi.

Pour afficher un air aussi féroce, j'ai dû mobiliser mes dernières réserves d'agressivité. Par chance, cela a plutôt l'air de fonctionner. Ce cinglé de la gâchette m'adresse un sourire amusé.

J'ai marqué un point. Un très, très gros point.

— En voilà une qui a des couilles ! décrète-t-il. Pas comme certaines lopettes de ma connaissance.

Tandis que Jesse courbe instinctivement les épaules, son frappadingue de paternel positionne son bazooka et colle son œil au viseur optique.

— On va quand même pas laisser nos gosses affronter ces salauds tout seuls !

Son index se met en place sur la détente. Le coup part, assourdissant.

Je suis du regard la trajectoire fulgurante de la roquette qui file droit sur sa proie, le bolide oblong qui monte vers le château.

Il va si vite ! Et c'est si difficile d'ajuster une cible en mouvement !

Et pourtant, Adler fait mouche. 

Transformée en boule de feu, la voiture grimpe dans les airs avant de retomber sur la route, coupée en deux. Flammes et fumée s'élèvent de la carcasse calcinée, tandis que des morceaux de tôles et des débris de corps s'éparpillent partout sur les branches et dans l'herbe autour.

Bien que j'aie déjà assisté à pire, je refrène un haut-le-cœur.

— Eh Mo, je vois nos gosses ! Ils s'en sont sortis.

Ma curiosité attisée par l'enthousiasme de notre commandant, j'oriente mon fusil dans la direction indiquée. Quelques réglages plus tard, j'accroche dans mon viseur un petit groupe de personnes autour de Sam : Florian, Medhi, mon père, celui de Liam, Alison et Stéphane.

Aussitôt, l'espoir me gonfle la poitrine. Bien des visionnaires sont pris pour des fous avant qu'on leur donne raison. Sans doute Adler sait-il ce qu'il fait en s'entêtant ! Il a bossé pour BMI et il connaît la Firme. Il pense pouvoir impressionner suffisamment les prétoriens pour qu'ils battent en retraite et nous laissent vivre tranquilles jusqu'au retour de l'électricité.

Sauf qu'avec des si et des peut-être, il suffirait d'attifer le taré qui se tient à mes côtés d'une coupe mulet, d'une chemise à fleurs et d'un pantalon patte d'eph pour le transformer en un chantre du peace and love.

Je secoue la tête pour chasser ce doux rêve qui m'embrume l'esprit. Je suis folle de me laisser aller ainsi. La vérité, c'est qu'on va tous mourir ici, et pour rien...

— Les nôtres,  souffle Clément, ils ont décidé de remonter.  Faut qu'on les couvre...

 Mon sang se glace aussi sec et mes entrailles se liquéfient.

Pourtant, telle une marionnette dont ce fanatique d'Adler tirerait les ficelles, je pose délicatement mon doigt sur la détente et attends les ordres.

Même si je sais qu'on ne fait que retarder l'inéluctable.

Même si j'ai bien compris que Sam ne reculerait jamais devant l'ennemi. 

Même si je distingue, à travers l'horrible fracas des détonations, le vrombissement de plusieurs moteurs d'hélicoptères et le « flap-flap »caractéristique de leurs pales fouettant l'air. 

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(1) Gone : série pour adolescents de Mickaël Grant. Le titre de la série, Gone, signifie littéralement « partis », faisant référence aux adultes qui ont quitté la « Zone », le dôme dans lequel les enfants sont coincés.

(2) U4 : une série de romans post-apocalyptique, française et parue chez Nathan / Syros. La particularité de la série est que les quatre premiers tomes, bien qu'écrits par quatre auteurs différents, forment une seule histoire et peuvent être lus dans l'ordre de son choix.

(3) La Barguelonne : petite rivière qui coule de Cahors à Agen.  

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Désolée de vous laisser sans nouvelle de Sam.

J'espère pouvoir vous en donner le week-end prochain.

Merci beaucoup de votre fidélité à chacune de mes parutions.

Vous êtes vraiment trop sympas !

N'oubliez pas la petite étoile.


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