Chapitre 11-1 (a) : Thibaut

( Banlieue sud de Paris 31 août 8 h 30

Lors de sa visite impromptue au domicile de Thibaut, Domitien a convoqué l'adolescent à BMI. Entre temps le jeune homme a pris la décision de quitter Paris avec ses amis pour rallier en Combi VW le point de rendez-vous que son père lui a fixé par téléphone, près de Carcassonne.

Malgré le danger encouru, l'adolescent se rend tout de même au siège de l'Entreprise. Il veut des réponses et bizarrement, au plus profond de lui-même, il a compris que le Tueur ne lui est pas forcément hostile... 

Manon a sacrément mis le paquet. Des cils longs de dix centimètres. Un rouge vif rehaussant ses lèvres pulpeuses. Une blouse blanche légèrement transparente laissant deviner son soutien-gorge noir. Une jupe tout ce qu'il y a de plus mini. Une beauté troublante. Une mante-religieuse au repos.

En la voyant, DEM tire une langue de chien assoiffé ; même Smoky émerge de son état semi-comateux pour lui jeter un regard coquin. Moi, cela ne me fait ni chaud, ni froid.

Je suis bien trop préoccupé à l'idée de mon face-à-face crucial avec Domitien.

Les deux anciens hackers nous ont attendus au pied de l'immeuble abritant le Siège Central. L'immense bâtiment semble respirer le bonheur, son squelette de verre et d'acier captant les rayons du soleil et les renvoyant sur les maisons fatiguées des quartiers alentours.

Soupçonnant des centaines d'yeux de nous observer, je reste sur mes gardes. J'ai refermé mes doigts sur ma météorite, bien planquée dans ma poche, et l'étreins avec force. Mon pistolet me manque mais venir pleurer ma maman armé de mon Glock n'aurait pas été une bonne idée !

Quatre légionnaires à la stature impressionnante font les cent pas devant les marches menant au gratte-ciel où m'attend mon destin. Ils jettent des regards torves sur notre petit groupe hétéroclite, débordant de l'arrogance typique de la garde prétorienne.

— Propriété privée. Défense de s'approcher.

Le miles qui vient de délivrer cet avertissement bref mais explicite s'avance vers nous. Malgré sa fibule rouge, dans son uniforme, aujourd'hui d'un noir-corbeau, il semble l'incarnation de la mort, se composant un visage terrible pour masquer son extrême jeunesse et son manque d'expérience.

Manon propulse vers lui ses longues jambes galbées et son décolleté ravageur.

— Nous avons rendez-vous avec Domitien.

Mentionner ce nom tant honnis et redouté suffit. Le garde, plus tendu que le string qu'elle porte sous sa jupe, ouvre des yeux à faire pâlir de jalousie une orange.

— Personne ne peut entrer, hormis les personnels assermentés ! articule-t-il, d'une voix rêche.

D'un même geste impatient, DEM et Smoky brandissent leur badge. Je l'affronte à mon tour.

— Je suis le fils du Professeur Hébrard. Vous avez certainement entendu parler de lui.

Manon surenchérit, Manon et ses seins comme des ogives nucléaires, Manon et ses fesses fermes et rebondies, Manon et sa tête de mule.

Il ne doit pas en rencontrer souvent des bombes de ce genre dans sa prison de verre !

Elle bat des cils. Des étoiles scintillantes papillonnent dans ses yeux. Cette fois, les prunelles du jeune Rouge crépitent d'une lueur excitée. Le garde est un munifex, il ne sait pas rester de marbre.

— S'il vous plaît ! supplie-t-elle. Mon ami doit voir sa mère ; elle est soignée dans ces bâtiments... C'est peut-être la dernière fois qu'il pourra lui parler !

— Merci Marcus ! tranche brusquement une voix aussi dure que le diamant. Vous pouvez les laisser entrer. Je vais prendre le relais.

Domitien, toujours revêtu de son ample manteau noir, s'est comme matérialisé sur le perron. Le miles s'immobilise sous le soleil en une dérisoire tentative de salut romain ; affreusement livide, on dirait qu'il doit affronter un spectre. Non, un démon !

Un sentiment de terreur m'enveloppe comme un brouillard glacial. Je plonge ma main dans ma poche au risque de faire croire que je suis armé et lève la tête vers le haut des marches.

— Monsieur Hébrard ! me salue-t-il. Je vous avais bien dit que vous viendriez à nous...

Marcus s'efface pour nous laisser monter et entrer. À l'intérieur, nous attend un décor à couper le souffle. Je pensais être écrasé par l'architecture typique de BMI, sans aucun charme. Pourtant ici, grâce à de grandes baies vitrées, la lumière coule à flots sans que le soleil ne surchauffe le vaste hall d'accueil où s'active une foule bigarrée : des secrétaires disparaissent à moitié derrière des piles de dossiers, des dizaines de costards-cravates galopent d'un pas décidé d'un endroit à un autre, des légionnaires vont et viennent dont deux armés jusqu'aux dents qui font les cent pas devant une grosse porte noire et une cabine d'ascenseur.

Domitien nous a suivis. Tous ceux qui passent à côté lui jettent des coups d'œil nerveux.

Je ferme les paupières, m'étire le cou et roule des épaules afin de me détendre. Mes doigts se resserrent sur ma pierre.

— Venez ! me commande l'homme en noir. C'est malin d'avoir amené vos amis comme garant. Mais ils peuvent vous attendre ici, ajoute-t-il en leur désignant quelques fauteuils regroupés autour d'une table basse. Marcus se fera un plaisir de leur tenir compagnie.

Malgré le frisson glacé qui parcourt mon échine, je me mets en mouvement. Pourtant, juste avant de perdre mes compagnons de vue, je mendie leur soutien du regard. Nos yeux se rencontrent. Et la dernière image que j'emporte, c'est celle du jeune Rouge, l'attention fixée sur les seins de Manon.

Domitien m'escorte jusqu'à un palier chichement éclairé. Bien qu'il ne porte ni uniforme ni fibule, le moindre de ses gestes semble dissimuler une menace.

Mes doigts effleurent mon énigmatique caillou. La voix rugueuse du célèbre Tueur résonne contre les murs rapprochés du corridor.

— Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi ; je m'appelle Domitien et...

— Ouais, ouais, je sais ! craché-je venimeux. Comme l'empereur romain. Aussi cruel. Aussi incorruptible. Et tout ça... Vous savez, j'ai autant de mémoire qu'un computer ! Et avec moi, l'intimidation, ça ne marche pas !

Je me tais, tétanisé. Je n'ai pas pu prendre ce ton provoquant, si ?

Tandis que je sors la main de ma poche, j'ai comme l'impression que les murs se couvrent de givre. Peu habitué à ce qu'on se foute si ouvertement de lui, Domitien reste un bref instant interdit. Puis pose sur moi ses yeux illuminés par un incendie intérieur.

— Ah, murmure-t-il admiratif, les fameux gênes Hébrard ! Je les reconnais bien là ! Un orgueil incommensurable qui vous confère un dangereux courage, une intelligence remarquable, une froide concentration... Même faits comme des rats, les membres de cette gens n'en continuent pas moins à lutter... et réussissent le plus souvent à se tirer des pires situations !

— Alors pourquoi vouliez-vous me voir ? demandé-je, innocemment.

— On vit une époque intéressante ! me répond le tueur. Je n'inspire plus la peur. On ose me braver ! Et qui, me demanderez-vous ? Des adolescents... Deux en moins d'un mois ! D'abord ce plébéien, au Forum Impérial, qui a osé tirer sur moi et maintenant vous...

Je ne bronche pas ; le piège me semble trop évident. Domitien plonge dans ses souvenirs.

— Nos routes se croiseront à nouveau. Je tuerai ce présomptueux mais d'abord, je le ferai souffrir de façon si atroce qu'il en viendra à souhaiter sa mort comme une délivrance...

Ses prunelles gris-acier me toisent sans ciller. Je ne blêmis même pas.

— Vous voyez, jeune patricien, qu'il vaut mieux m'avoir pour allié...

Ce dernier sous-entendu m'inquiète. Je pose ma main contre ma poche légèrement bombée. Une douleur fulgurante se propage à l'intérieur de mon crâne pour le quitter tout aussi rapidement. Mais cela a suffi pour que mon cerveau redevienne opérationnel et enclenche le mode analyse.

Je retrouve la froideur et l'efficacité d'un ordinateur.

— Ma mère est ici, reprends-je calmement. Depuis plusieurs jours. Or, je n'ai pas de nouvelle...

Un éclair passe dans les yeux du tueur. Puis un franc éclat de rire déchire mes oreilles sensibles.

— Vous avez une sacrée chance ! Notre Imperator souhaite vous rencontrer. Mais avant de vous mener à lui, j'ai quelque chose à vous montrer. Et ensuite, nous parlerons. Venez...

Nous descendons, marche après marche, nous passons des paliers, nous parcourons des couloirs et retrouvons le cadre sans âme de BMI, ces coursives interminables et monochromes qui, ici, en plus, sous l'effet du stress, me semblent vouloir rapetisser brusquement pour m'écraser.

Domitien finit par stopper devant une étrange porte capitonnée.

— Entrez ! ordonne-t-il. Et vous aurez des réponses à certaines de vos questions.

Le cœur battant plus fort que je ne le voudrais, je pénètre dans la pièce. Une vague de froid grimpe le long de mes jambes, une autre emprisonne mon crâne. L'air me paraît siffler autour de moi. Je me fige, persuadé d'avoir été téléporté dans un igloo. Je ne distingue rien car une drôle de brume flotte autour de moi et confère à chaque objet des contours fantomatiques.

Je cligne des paupières pour y voir plus nettement...

Et manque me transformer en bonhomme de glace car mon cœur en a oublié de battre.

D'abord, je crois avoir affaire à une statue de marbre, semblable à ces gisants que l'on peut apercevoir dans les églises. Puis la vérité s'impose à moi, dans toute son horreur. Allongée là, dans une sorte de cercueil translucide indigne du pire film de SF, se trouve ma mère. Même si elle paraît plus blanche que le brouillard qui l'entoure, son teint blafard affiche une étrange sérénité, comme si elle avait trouvé une certaine forme de paix...

— Respirez ! souffle Domitien qui jouit de mon effroi. Ce serait regrettable d'endommager un cerveau tel que le vôtre...

Son manque d'empathie me révolte. Mais il obtient ce qu'il voulait. J'ouvre la bouche et inspire une énorme goulée d'air glacé qui me fait immédiatement réintégrer le monde des vivants.

Je me tourne vers lui, interrogatif.

— Elle n'est pas morte... Elle n'est pas vivante... Que lui avez-vous fait ?

— Moi, rien ! s'amuse-t-il. Une telle technologie m'est tout à fait incompréhensible. Nos chercheurs l'ont placée en animation suspendue. C'est un peu comme si elle avait été plongée dans un lac glacé. Ses fonctions vitales sont réduites au minimum ; ainsi, le cancer ne peut plus se développer. Ils ne la soignent pas mais la maintiennent en vie tant que ses nanorobots ne sont pas opérationnels...

Il s'interrompt, me jette un bref coup d'œil et embraye :

— De quoi nous assurer la loyauté de votre père... et la vôtre ; pour que vous participiez à l'effort commun pour tirer la planète de cette crise...

Mon cœur bat désormais à cent à l'heure. Domitien est au mieux de sa forme. Tout l'art de souffler le froid ou le chaud. À la fois rassuré et catastrophé, je m'étonne à haute voix.

— Je ne comprends pas. Si BMI possède une telle technologie, pourquoi les scientifiques n'arrivent-ils pas à rétablir l'électricité ?

— C'est là qu'intervient votre brillant cerveau ! me rétorque-t-il. J'aimerai bien que vous me l'expliquiez ! Et maintenant, enchaîne-t-il comme si de rien n'était, allons discuter avec notre IMP !

Je le suis le long de nouvelles coursives jusqu'à un ascenseur. Nous prenons place et commençons notre montée. Domitien est seul avec moi mais il est tellement impressionnant dans sa tenue sombre, sans parler des armes qu'il porte sur lui, qu'il occupe tout l'espace.

Les battements assourdissants de mon cœur envahissent la cabine. Mon corps tressaille sous ses impérieux martellements. J'ai l'impression de rejouer une scène du Retour du Jedi, celle où Luke Skywalker et Dark Vador montent rejoindre l'Empereur. Alors, mes doigts affolés vont chercher du secours auprès de mon mystérieux artefact.

Le calme revient aussitôt... ainsi qu'une claire vision des différentes options qui s'offrent à moi.

— Que me veut César ? demandé-je à la fois pour me préparer à l'entretien à venir et pour rompre le silence vraiment trop épais.

Sans un mot, Domitien lève son index et appuie sur le bouton d'arrêt d'urgence. L'ascenseur s'immobilise.

Me voilà coincé dans un espace confiné avec un des meilleurs tueurs de tous les temps !

Reverrai-je un jour mes amis qui doivent commencer à s'inquiéter en bas ? Et mon indomptable petite sœur, que va-t-elle devenir, si je ne suis plus là pour mater ses vaines rebellions ?

— Toi et moi, lance-t-il, il est temps que nous ayons la conversation...

Le soudain usage du tutoiement me surprend. Son regard visqueux posé sur moi me déshabille carrément. Non pas qu'il en veuille à mon corps, non, je n'ai pas cette impression. C'est après mon cerveau qu'il en a... Il cherche à lire en lui, il voudrait connaître mes motivations les plus profondes... il n'y arrive pas... et ça l'énerve prodigieusement parce qu'il n'a absolument pas l'habitude qu'on lui résiste.

— Tout ce dont je vais te parler maintenant, il faudra le garder à l'esprit face à l'IMP. Mais c'est à toi de décider. Je commence à prendre la mesure de tes talents. La solution que tu choisiras sera indiscutablement la meilleure. Des enfants Hébrard, tu es sûrement celui qui ressemble le plus à son père.

De curieux frissons parcourent mon épiderme, comme si Domitien était une pieuvre géante me piégeant dans ses tentacules ; je crois même sentir des ventouses sur ma peau. J'effleure à nouveau mon capricieux caillou, puis me secoue pour m'extirper de cette transe irrationnelle.

Domitien bondit en arrière, comme électrocuté et heurte violemment la paroi métallique.

— Sache que même avant le Black-Out, marmonne-t-il pour se composer une attitude plus digne, BMI connaissait quelques problèmes. Des opinions divergentes. Des ambitions contrariées. César commençait à avoir du mal à maintenir le cap qu'il s'était fixé...

Mon interlocuteur marque une pause, travaillant ses effets. Mais j'ai bien peur qu'il ne soit déçu ! Grâce au chaud contact de mon météore, je me sens de moins en moins oppressé.

— Ben ouais ! grommelé-je, ironique. Il aurait dû le savoir pourtant ; l'Histoire romaine en est pleine, d'empereurs trahis, empoisonnés, trucidés. Tibère, Caligula, Claude, même Néron... Et Domitien, comment est-il mort ?

Provoquant, j'ai braqué sur lui mes impressionnants yeux bleus. Il m'a semblé se ratatiner.

— Parce que tout le monde un jour ou l'autre, poursuis-je en mélangeant volontairement les époques et les continents, veut être calife à la place du calife. Et c'est qui, aujourd'hui, le grain de sable... Nathalie, mon père, un illustre inconnu, vous ?

— Tu as vraiment l'esprit vif ! me rétorque-t-il en éclatant d'un rire terrifiant. Tu seras un atout incroyable pour qui t'aura dans son camp. L'ex de Philippe est en train de réussir une OPA sur notre IMP. J'ai réussi à le faire revenir sur Paris pour l'arracher à son influence... Mais pour combien de temps, je n'en sais rien ! Faut dire, ajoute-t-il avec un petit sourire en coin, qu'elle use de charmes que je n'ai pas, des charmes dont ton père a, d'ailleurs, eu beaucoup de mal à se dégager...

— Et à vous, le coupé-je, elle ne vous plaît pas ?

Ses prunelles désormais plus froides que le plomb dont il doit aimer cribler ses victimes ne sont plus qu'un trait horizontal en haut de son visage ; il pince sa bouche en un rictus énigmatique.

— Petit, susurre-t-il en me lançant un regard si dangereux que j'ai cru qu'il m'attrapait par le cou, tu n'es pas en avance pour tout... Grandis un peu et tu comprendras... Ce genre de charme m'est heureusement étranger... Si tu vois ce que je veux dire... Contrairement à d'autres, d'ailleurs...

Il achève sa phrase avec une voix si douce que quelque chose en moi me souffle de faire très attention. Domitien, bien évidemment, a su trouver mon point faible, me titiller là où cela fait le plus mal. Mes préoccupations sexuelles étant inversement proportionnelles à mon activité cérébrale, je sais qu'il y a là un vrai problème ; mais j'ai toujours refusé de me pencher sur la question... Il va bien falloir y venir un jour...

Devenu écarlate, je sors précipitamment ma main de ma poche. Il ne manquerait plus que mon interlocuteur ait repéré mon petit manège !

— De quoi parlez-vous exactement ? bredouillé-je car je déteste les situations confuses.

— De l'art de louvoyer en eaux troubles, bien sûr. Tu t'attendais à quoi, petit ?

Cette volonté affichée de me rabaisser commence sérieusement à me taper sur les nerfs. Une onde de fureur s'élève de mon ventre comme pour embraser la cabine. L'ascenseur se remet en route.

Je fixe mon vis à vis, hébété. Je ne m'étais pas aperçu qu'il l'avait redémarré !

— Et mon père, l'interrogé-je pour détourner son attention de ma personne, il travaille pour qui ?

Domitien me regarde bizarrement. Ses yeux pétillent.

— Ton père ? C'est une des plus grandes énigmes de notre époque ! Pour lui, avant tout, je présume !

********************

Alors que pensez-vous de Thibaut et de Domitien ? 

Et comment voyez-vous l'entrevue avec César ?

Thibaut ressortira-t-il de BMI ?


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