Chapitre 10-3 : Jalousies

( Région Centre 4 septembre 11h23)

Alors que Chloé soigne Sampa, Liam, Thibaut et Galilée réussissent à reprendre l'avantage sur les bikers, non sans dommages collatéraux, trois morts chez ces derniers.

Liam

Je ne vaux pas mieux que Domitien...

Cette pensée pesante s'imposant dans mon esprit comme une obsession, je fixe le cadavre du psychopathe que je viens de supprimer.

Tuer. Se battre et abattre. Encore et toujours.

Si mon avenir se limite à cela, vaut-il la peine d'être vécu ?

Ravalant un haut-le-cœur, j'inspire une grande goulée d'air frais. Non, je ne m'abandonnerai pas une fois de plus à mon passe-temps favori, me lamenter sur mon triste sort !

Fort de cette bonne résolution, je relève la tête.

Et là – malchance ! – mes yeux se posent d'emblée sur Thibaut. Raide tel un réfrigérateur, il pointe son fusil d'assaut droit sur les enfoirés qui ont osé s'en prendre aux siens.

Tex (subjugué) : Quel calme ! Quel sang-froid ! 

Léo (l'aigle mal léché) : C'est bien pour ça qu'on n'avait pas à faire demi-tour.

Tex (docteur ès ténacité) : Avoue quand même que ce garçon a géré comme un chef.

Léo (le chantre du dernier mot) : Tu as tout dit, le pic. En digne héritier de ceux de sa caste, il a délégué la sale besogne à ses hommes de main, pour en récolter seul les lauriers.

Bien que je ne sois pas loin de partager l'avis de mon rapace, je l'oblige à se taire d'un froncement de sourcils, puis m'absorbe dans la contemplation de notre leader auto-proclamé. Bizarre. Hormis le sang séché collé sous ses narines, il n'arbore aucune trace de la raclée que je lui ai infligée.

Tex (déconcerté) : J'aurais pourtant juré avoir entendu ses os craquer.

Moi (piteux) : Je dois me ramollir...

Léo : Pourquoi est-ce que personne ne m'écoute jamais ? Je l'ai toujours dit, quelque chose ne tourne pas rond chez ce garçon !

Aussitôt, mon rythme cardiaque monte en flèche et la rage m'envahit.

Vite ! Je détourne le regard sur les autres membres de notre groupe. Le petit rassemblement au chevet de Nicolas. Charlotte, serrant sa chienne à l'étouffer. Et l'étrange Walkyrie qui vient d'envoyer le biker ad patres. Accroupie à côté du mort, elle récupère son arme, en vérifie le magasin, la dissimule dans sa culotte, puis se relève et repart, la démarche assurée, telle une Miss Seconde Empire Romain.

Une starlette aussi déconcertante qu'une pluie d'été et plus dangereuse qu'une prétorienne...

À peine cette pensée a-t-elle traversé mon esprit que le monde s'inonde de pourpre et d'or. Entamant une nouvelle percée, nos deux astres tutélaires font jaillir sur le paysage des teintes improbables...

Les clins d'œil du destin sont parfois des plus simples à détecter. Comment broyer du noir quand la nature vous offre de si belles couleurs ? Un feu d'artifices de sensations explose derechef en moi. C'est si bon d'être vivant, de savourer la chaleur du soleil sur sa peau et de savoir que le garçon que vous croyiez avoir méchamment blessé se porte comme un charme.

Tels deux aimants, mes yeux reviennent sur Thibaut. De longues mèches blondes échappées de son catogan volettent autour de son visage, tandis que son torse au bronzage parfait se couvre de chair de poule.

Un marbre antique.

Un marbre muni d'un M16, et qui aurait doré au soleil avant de prendre vie.

Se sentant observé, il tourne la tête dans ma direction. Ses yeux s'immobilisent, puis s'ancrent dans les miens, me coupant le souffle.

Aussitôt, mes pieds se mettent en marche d'eux-mêmes. Leur cible, cet insupportable patricien, ce si séduisant emmerdeur.

Ai-je sans le vouloir appuyé sur le bouton start and stop de leur télécommande ? Pour ce qui est de s'immiscer dans ma vie, mes Oiseaux s'entendent à merveille.

Deux coups de bec – l'un dans mon cœur, l'autre dans mon crâne – suffisent pour me remettre les idées en place et les sens en ordre. Je stoppe net avant de faire quelque chose que je regretterais. Genre, jeter mon cerveau aux orties et plaquer mon nouveau béguin sur l'asphalte...

— T'as de la chance, l'apostrophé-je, on dirait bien que je t'ai loupé !

Mon crush se passe une main sur la joue, puis se frotte l'arête du nez. L'aura qui l'enveloppe est si vive qu'elle m'évoque un miroir sans fond.

Mon petit patricien aurait-il profité de mon absence pour se vendre au Diable ? Comment expliquer autrement que par le feu intérieur qui l'habite, sa gueule d'ange retrouvée ?

— T'as rien à me dire ? insisté-je d'un ton un peu trop vindicatif.

Un drôle de sourire dessiné sur ses lèvres, Thibaut plante ses prunelles incandescentes dans les miennes. Bien décidé moi aussi à jouer les sculptures romaines, je soutiens son regard. Que voulez-vous ? J'ai la rancune tenace.

Nous aurions pu rester longtemps ainsi, à nous fixer en chiens de faïence, si sa nouvelle recrue n'avait pas jugé bon d'interrompre notre duel silencieux.

— Hé Rusty Ryan (1), l'interpelle-t-elle, qu'est-ce tu fous ? C'est sur ces salopards qu'il faut pointer ton arme, pas sur notre Arrow (2).

Piqué au vif, mon patricien se tourne vers elle, visage fermé et dents serrées. Toutefois, comme sa Walkyrie n'est pas femme à s'en laisser conter, elle pose, d'un geste rapide, sa main sur le canon du M16 et abaisse le fusil.

— Donne-moi ça avant de faire une bêtise. Une balle perdue, c'est si vite arrivé !

— Vu le petit jeu stupide auquel tu viens te t'adonner, gronde-t-il, je n'ai aucune leçon à recevoir de toi. Moi, je sais très bien ce que je fais.

Il a parlé si sèchement que tous les regards convergent illico vers lui. Oui, tous les regards, même ceux de Charlie et de Sampa.

Interloquée, sa comparse laisse retomber sa main et recule d'un pas. Les deux adversaires se toisent, leur corps figé. Seul le silence les sépare, un vrai voile de brume bouillante.

Mais voilà que la jeune fille part soudain d'un rire profond, son visage se détendant d'un coup.

— Évidemment ! Tu as d'ailleurs fait tes preuves plus que quiconque ici.

Loin de se rengorger, Thibaut soupire, l'air excédé. Changeant illico de tactique, l'enquiquineuse lui décoche une œillade coquine.

— On a beau dire, la taille compte pour une femme. Rends-moi mon flingue...

Cette fois, son interlocuteur ne parvient pas à rester impassible. Alors que j'éprouve la sensation qu'un serpent glacé glisse le long de ma colonne vertébrale, ses lèvres dessinent une jolie moue.

Il lui sourit... Il lui sourit, mais il ne lui rend pas son M16.

— Pas de problème. Toutefois, comme une seule arme suffit par tête de pipe, tu vas gentiment refiler à mon pote le pistolet que tu viens de piquer au mort.

Thibaut ne se rend pas compte combien il peut se faire dominateur quand il endosse son rôle de leader. Dans la lueur sanglante qui dégringole du ciel, la campagne retient son souffle. Tandis que Rémy se rapproche lentement de nous, Claire et Maeva aident Nicolas à se relever.

Plongeant la main sous son tee-shirt, Galilée en ressort l'objet de la discorde.

— Quelle autorité ! ricane-t-elle. Tu ferais un excellent prétorien. Un Vert. Voire un Bleu...

Alors que moi, je lui aurais craché au visage, le noblaillon se contente d'arborer un rictus carnivore. Cela suffit. Sans doute conditionnée à obéir plus qu'à penser par elle-même, Galilée capitule dans un soupir. Elle tend le pistolet du mort à Rémy et son Glock à Thibaut. Satisfait, ce dernier lui restitue son M16 que la jeune fille accueille avec un sifflement admiratif.

— Tu as fait tes classes dans les commandos ? demande-t-elle.

— Pire ! répond-il, sans même tressaillir. Auprès de mon daron. L'un des Pères Fondateurs. Et toi ?

Prise à son propre piège, Galilée se fige et ses yeux s'obscurcissent.

— Je tire comme une déesse. Tu n'as rien à savoir de plus.

Thibaut range son arme dans sa ceinture. Il est d'un calme inquiétant. Trop distant. Trop ténébreux. Inhumain...

Un zombie, moins les pustules, les grommellements et la démarche vacillante.

— Rémy, tu montes sur le VW et tu fais le guet. Les tirs ont dû s'entendre. Faudrait pas que d'autres malades se ramènent aux nouvelles.

Tandis que ce dernier s'exécute, faisant grincer l'habitacle sous son poids, il s'interrompt pour déglutir. Son visage n'exprime pas plus d'émotions que le Glock qu'il a caché dans son pantalon.

— Toi, ordonne-t-il à Galilée, tu surveilles les prisonniers, et surtout, tu ne tires que s'il est impossible de faire autrement. Il nous faut économiser les munitions.

Les yeux dirigés droit devant lui, il s'arrête à nouveau. On dirait que les mots qu'il a maintenant à prononcer sont trop lourds pour sa langue !

Bien sûr, son hésitation ne passe pas inaperçue. L'une des prisonnières lève la tête, révélant, entre ses mèches brunes collées par la sueur, son regard brouillé et ses traits crispés.

— S'il vous plaît...

En vraie pro, Galilée cale la crosse de son M16 sous son aisselle et pose son index sur la queue de détente. Terrorisée, la motarde ravale sa phrase sans demander son reste.

— Un dernier truc à régler, reprend Thibaut, et on s'occupe de sortir le Combi du fossé.

Ces derniers mots me procurant un soulagement équivalent à mille bouffées de cigarettes, je commence à m'éloigner. Je pensais qu'il voulait s'expliquer avec moi loin des oreilles indiscrètes, sauf que cet enfoiré file vers le VW sans même oser me jeter un coup d'œil.

Quelques enjambées me suffisent pour le rejoindre et lui saisir le bras.

Sa pression cardiaque est inhabituellement élevée.

— Quoi ? explose-t-il.

Il fait volte-face. Je desserre mon étreinte, ce qui n'empêche pas mon cœur de taper dans ma poitrine comme s'il voulait lui sauter au cou.

— Tu n'as vraiment rien à me dire ?

Il me dévisage. Les taches de ténèbres qui dansent dans ses iris m'inquiètent au plus haut point. Mon petit patricien est au bord de la rupture.

— Et toi ? me demande-t-il.

Sa Majesté me semblant en pleine crise de mauvaise foi, je préfère détourner la conversation.

— Tu l'as trouvée où, Lara Croft ?

Ma voix trop amère, légèrement éraillée, ne le trompe pas. Il me fixe, espérant me voir craquer, mais ne trouve qu'une détermination farouche dans mon regard.

— Au bord de l'eau, un peu plus bas, avec sa sœur, à poil et armée, finit-il par répondre. Après, j'en sais pas plus. Elle dit qu'elle a perdu la mémoire et la gosse arrive plus à parler.

Comme pour appuyer ses paroles, il s'est tourné vers la rivière, dont le murmure mélodieux monte jusqu'à nous, telle une chanson rassurante. Mais puisque je commence à bien connaître mon homme, j'ai la certitude qu'il me cache quelque chose.

Élevé par un politique, Thibaut ne sait pas ce qu'est la vérité.

— Elles sont peut-être du village qui a été attaqué hier soir !

— Ah ouais, grogné-je, eh bien, on devrait les y renvoyer !

Ses yeux revenant vers moi, ses pupilles atterrissent dans les miennes. Tout mon corps réagit.

— C'est sûr, riposte-t-il, leurs talents ne nous sont d'aucune utilité. Et puis, c'est pas dans mes habitudes de récupérer des jeunes perdus.

Sa répartie m'arrache une grimace. Je lui en veux de m'avoir insulté, je lui en veux de ne pas s'être encore excusé, mais surtout, je lui en veux de s'intéresser à cette fille. L'aiguillon de la jalousie s'est planté dans mon cœur. Pourtant, j'ai plein d'atouts qu'elle n'a pas et me sens prêt à livrer bataille.

— En tout cas, reprend-il, la petite, Chloé, c'est un véritable cadeau que la vie nous a fait. En l'espace d'une heure et si je compte la chienne, elle a guéri trois d'entre nous !

— Me voilà rassuré sur mes aptitudes de bagarreur. Mon poing cause toujours de terribles dégâts.

Encore une fois, j'ai perdu l'occasion de me taire. Thibaut tourne immédiatement les talons, me plantant là pour revenir vers sa blondasse.

— Et Cruella, crié-je dans son dos, que sait-elle faire à part rivaliser avec la Faucheuse ?

Évidemment, seul le silence me répond. Mais comme cette drôle de fille à l'oreille de laquelle mon crush est en train de chuchoter m'intrigue, je m'assieds à l'écart, sors une clope et la plante entre mes lèvres. Sauf qu'au lieu de l'allumer, je ferme les yeux, bien décidé à décrypter sa signature astrale.

Rouge vif, son aura crépite d'étincelles, aussi dangereuse et séduisante qu'un grand feu de bois.

Je m'approche, fasciné.

D'un coup, son halo s'assombrit, virant presque au noir, et la décharge d'énergie qui s'en échappe me repousse manu militari.

Hey ! Tu veux ma mort ou quoi ? proteste Léo.

Ça t'apprendra, renchérit Tex, à pénétrer l'intimité des gens sans leur accord !

Malgré mes idées qui se carambolent dans ma tête et les élancements violents qui me parcourent le crâne, je rouvre les yeux. Niché dans le ciel couleur charbon, le Voyageur flamboie, telle une perle de sang perdue sur une mer déchaînée.

— Je sais que ça fait très Star Wars, entends-je Galilée déclarer, mais vous êtes notre dernier espoir.

Intrigué par sa solennité, je redirige mon regard vers elle. Du canon de son fusil, elle indique le VW aux prisonniers. Comprenant qu'on va aussi avoir besoin de moi, j'esquisse un mouvement pour me lever, mais m'interromps, mon instinct tiraillé par un drôle de pressentiment.

Il y a, à proximité, une aura qui cherche à entrer en contact, une aura d'une puissance inhabituelle. Sauf qu'elle est si brouillonne que ses SOS partent à tous les vents.

En dépit des avertissements inquiets de mes Oiseaux, je laisse tomber mes paupières et abaisse mes barrières psychiques.

Comme aimanté, le halo se précipite vers moi.

Un enfant. Une fillette. La jeune sœur de la Walkyrie.

Perturbée comme ce n'est pas permis. Malheureuse à un point inimaginable.

Remué au plus profond de moi, je n'éprouve plus qu'une envie, la réconforter, sauf que je ne sais pas comment m'y prendre. Et ce ne sont pas les deux parasites qui me squattent le corps qui vont m'aider. Je les sais encore plus troublés que moi...

Au prix d'un effort incommensurable, je rouvre les yeux pour croiser ceux de l'adorable blondinette qui, telle une pieuvre métaphysique, vient de s'emparer de mon esprit.

La pauvre gamine a beau être dans un état déplorable, cheveux emmêlés et vêtements déchirés, ce sont ses chaussures toutes maculées de boue qui accaparent mon attention.

Des Converse blanches qui m'en évoquent d'autres, des roses, toutes tachées de sang.

Le souvenir bien enterré au fond de mon cerveau ne demandait que ça. Il refait surface, plus virulent qu'un poison.

— Hé toi, te contente pas de jouer les beaux gosses ! Viens montrer tes muscles.

Ramené à la réalité par la voix impériale de son aînée, je me lève, quand je sens une onde d'énergie me caresser la peau.

Ma connexion avec Chloé ne s'est pas coupée. Elle ne se coupera plus jamais.

Dis, chuchote sa petite voix, tu voudrais pas être mon papa ?

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(1) Rusty Ryan : personnage du film Ocean's Eleven interprété par Brad Pitt.

(2) The Arrow : série mettant en scène un justicier masqué muni d'une arbalète. ( image en média)

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Merci d'avoir attendu.

J'espère que ce chapitre ne vous décevra pas trop.

J'ai eu beaucoup de mal à gérer le groupe et cela ne me satisfait toujours pas. Trop statique, trop de jeux de regard, trop de participes présents, trop de "scories" et un certain manque de fluidité.

J'y reviendrai à tête reposée.

Et je n'ose pas vous dire à samedi prochain...

La suite est écrite, mais...

Si cela vous a plu, n'oubliez pas la petite étoile !


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