Chapitre 10-1 : Thibaut
( Banlieue de Paris 30 août 6 h 30 )
Lors du soirée mémorable ( et arrosée), Thibaut a réussi à convaincre ses amis de le suivre dans la réalisation de son projet : rejoindre son père à Carcassonne.
Le Combi VW du grand-père de Rémy sera parfait pour les y conduire. Il faut toutefois aller le chercher...
— Hé! Debout marmotte ! On a du taff qui nous attend ! C'est plus de six heures !
Dans ma tête trop lourde, la voix de Rémy résonne comme un roulement de tonnerre.
Je me réveille, encerclé par les ténèbres. Tous mes muscles me semblent flasques, mon corps pèse des tonnes, je ne distingue rien autour de moi.
— Ta gueule ! grogné-je. Laisse-moi deux minutes ! Le temps d'émerger.
Mes souvenirs, aux aguets, me terrassent, plus lourds que des haltères. Comment peut-on avoir le tournis dans le noir ? Ma main droite se resserre sur le mystérieux artefact qui a somnolé à mes côtés. Une lueur discrète perce l'obscurité. La météorite propage des ondes apaisantes et des ténèbres, émergent peu à peu des formes floues et des couleurs vagues.
Je pose mes pieds au sol, prends une rapide douche froide et rejoins Rémy en bas. Étonnamment alerte, il est en train de remplir deux sacs à dos pour le long périple qui nous attend. Comme exacerbé par les restes de ma cuite, mon odorat distingue sur lui des senteurs inhabituelles : des fragrances de foin séché et de conifères mêlées à la puanteur de la fumée d'un moteur Diesel.
Je dissimule mon pistolet dans la ceinture de mon short, le détaille de la tête aux pieds, plisse le nez et m'étonne :
— Tu schlingues ! Où t'es allé ? Qu'est-ce que tu mijotes ?
— Tu t'es fait greffer un nez bionique ou quoi ? rétorque-t-il plus agressif qu'il ne l'a jamais été alors qu'une lueur d'inquiétude passe dans ses yeux clairs.
Mon estomac se noue. C'est comme un gros hérisson qui se formerait dans ma poitrine... Je lui lance un regard inquisiteur.
— Ben, tu t'imagines quoi ? s'énerve-t-il. Que je fomente des complots contre toi avec Domitien ? Je suis juste allé chez moi, histoire de récupérer mon vélo et deux ou trois trucs dont on pourrait avoir besoin. Et t'inquiète pas ! Je suis pas passé par la grande porte ! Aucun des légionnaires qui montent la garde dans la rue ne m'a vu.
Je reste de marbre même si une terrible honte m'envahit.
— Je pourrais essayer de me renseigner demain à BMI, avancé-je pour me rattraper. Peut-être quelqu'un de chez eux a-t-il réussi à communiquer avec les USA ?
Rémy hausse les épaules. Il se renfrogne à vue d'œil.
— Évidemment, si t'as envie de papoter de mes petits problèmes avec Domitien ! Tu veux vraiment pas me dire où on va ? ajoute-t-il. Je pourrais laisser l'adresse à mes parents...
— Non ! Domitien t'a vu ; il te connaît ! La première chose qu'il fera, c'est fouiller chez toi. Mon père se méfiait de tout le monde et les événements récents nous prouvent qu'il avait raison. Mais dès qu'on sera arrivé, avec les moyens dont il dispose, s'il peut retrouver tes parents, il le fera...
— Ah, ton père, toujours ton père ! râle-t-il. Tu passes ton temps à t'en plaindre mais tu fais ses quatre volontés et tu te comportes exactement comme lui !
Sans attendre ma réaction, il se tourne et sort. Je lui jette un regard suspicieux, ne pouvant me départir d'un certain sentiment de malaise. Je n'ai pas aimé la façon dont il a hésité avant de me fournir ses explications. M'a-t-il tout dit ? Et surtout y a-t-il une haie de sapinettes chez lui ?
Je le rejoins, quelques minutes plus tard, à l'arrière de la maison, là où mon père a pris soin de faire construire un deuxième portail tout à fait invisible de l'extérieur. Nous le franchissons et enfourchons nos VTT. Pendant que je pédale, des pensées lugubres tournent dans mon esprit...
Rémy avance à mes côtés, il a quelque chose de lointain, comme perdu.
— Tu vas retrouver la route ? demandé-je pour rompre le silence.
— Figure-toi que c'est pour ça que je suis retourné chez moi ! rétorque-t-il en brandissant une carte Michelin. Parce que, de vieux trucs comme ça, j'étais sûr de pas en trouver chez toi !
Comme finalement, sa réponse était aussi peu amène que mon intervention, je me concentre sur la route, impassible malgré ma fureur grandissante.
Nous roulons encore dans des quartiers résidentiels que la lumière montante auréole d'un halo doré. Je savoure cet instant car je sais que ce répit est éphémère. Bientôt, les rayons vont agresser la terre de leur cruelle ardeur. Nous ne serons plus à notre place dans ce monde inondé de chaleur.
Nous progressons, kilomètre après kilomètre, montant et descendant des côtes. Nous ne croisons pas âme qui vive ; les maisons dorment encore ; seules quelques voitures immobilisées ça et là dans des positions qui ne sont guère orthodoxes laissent deviner qu'un événement grave s'est produit.
— Alors, tu te reconnais ? C'est quand même bizarre de pas savoir aller chez ton grand-père !
Rémy freine brutalement et se retourne, l'air presque haineux.
— Parce que tu crois que ta famille est un modèle du genre ?
Je ne bronche pas car je sais que j'aurais dû me taire. Comment lui faire comprendre que la première femme de mon père nous voue une haine acharnée ou que mon demi-frère que je croyais décédé peu de temps après sa naissance d'une maladie orpheline est peut-être encore en vie ?
C'est vraiment trop complexe et je suis trop fatigué.
Alors je me concentre sur le ruban gris sale de l'asphalte qui se déroule sous moi puis regarde défiler les collines d'herbes grillées et les arbres épuisés. Le ciel semble moins bleu ici, plus laiteux ; mais le soleil n'en continue pas moins à darder ses rayons sur nous, pauvres cyclistes, avec beaucoup d'enthousiasme. Le Voyageur est là, lui aussi, un veilleur méditant au-dessus de nos têtes.
Nous nous éloignons de notre banlieue favorisée et empruntons désormais des routes plus importantes. Je commence à manquer de souffle ; mes jambes ne sont plus que douleur, une douleur diffuse, lancinante, ponctuée par de fulgurants élancements qui manquent parfois de me faire tomber du vélo. Malgré ma casquette et mes lunettes fumées, la lumière prodigieuse m'aveugle et des coups de marteau phénoménaux me frappent le crâne en rythme avec mes coups de pédale. J'ai peur de ne pas pouvoir tenir longtemps mais je serre les dents et m'entête, ne voulant pas perdre la face par rapport à Rémy.
Je reçois soudain une légère décharge électrique. Dans ma poche, ma météorite me comble d'ondes positives et apaise mon esprit. Comme à chaque fois que ce dernier, surexcité, manque de chavirer. Et c'est animé d'une énergie farouche que je continue à pédaler. Jusqu'à ce que Rémy me propose la première pause du trajet...
Peu à peu, les quartiers pavillonnaires font place à des habitations plus isolées. Nous apercevons maintenant au loin quelques silhouettes affairées dans les jardins ; nous croisons des groupes, la plupart composés de jeunes gens pressés qui se contentent de nous saluer sans poser aucune question.
Heureusement, il n'y a pas un seul légionnaire en vue !
Ne se préoccupent-ils pas de ce qui se passe en campagne ? Ou ont-ils tellement réussi à développer leurs talents de mimétisme qu'ils arrivent à passer inaperçus ?
Je me décide enfin à rompre le silence tendu qui flotte entre nous deux.
— Tu trouves pas qu'ici on dirait que rien ne s'est passé ?
— Carrément ! me répond Rémy. On arrive bientôt ! La maison de mon grand-père est tout au bout du village que tu vois là-bas!
Nous pénétrons dans la jolie petite commune nichée au creux d'un vallon, où vaquent à leurs affaires quelques personnes qui nous regardent passer avec curiosité. À première vue tout semble normal. Rien ne se voit dans le regard des gens qui ont tous des lunettes de soleil devant les yeux et des casquettes ou des chapeaux bien enfoncés sur leur crâne. Mais cela se devine dans leur allure, dans leur manière de marcher en traînant les pieds ou de tourner la tête au moindre bruit suspect. Même ici, il y a quelque chose dans l'air qui fait qu'on devine que le monde part à vau-l'eau.
— Ouf, soupiré-je lorsque nous arrivons à destination, le portail est intact !
— Ouais... mais les volets sont fermés, c'est mauvais signe.
— Bah, c'est peut-être pour se protéger de la chaleur !
Je n'y crois pas moi-même mais pousse résolument le portillon. Que trouverons-nous à l'intérieur ? Son grand-père agonisant ? Son cadavre momifié ?
— Il vivait seul ? demandé-je.
L'imparfait que j'ai employé sans le vouloir, s'attarde entre nous, sa portée tragique ne faisant aucun doute.
— Ben oui ! Ma grand-mère s'est tirée, y a bien vingt ans, avec un banquier d'Orléans. Elle le trouvait trop farfelu.
— Jamais elle aurait pu deviner que ses extravagances allaient peut-être nous sauver la vie.
Rémy fouille au creux d'un massif de fleurs desséchées et en tire une clé.
— Il l'a toujours cachée au même endroit, me signale-t-il.
La porte émet un grincement plaintif. Nous retenons notre souffle en scrutant l'obscurité. Je sors une torche de mon sac à dos, l'allume et darde un rai fulgurant devant moi. Rémy ouvre les fenêtres, pousse les volets. Tout semble en ordre quand la lumière de cette fin de matinée pénètre à flots dans les pièces.
Rémy appelle son grand-père mais seul un profond silence lui répond. Il n'y a aucune trace de vie nulle part. Pire ! Nos déplacements font se lever une épaisse poussière dont les particules dansent dans les rayons du soleil.
— T'inquiète pas ! Ton grand-père a dû être évacué au tout début ! tenté-je de le rassurer.
— Parce que tu crois que ce lascar se serait laissé faire ? On voit bien que tu le connais pas...
Rémy hausse les épaules et se dirige vers une porte que je n'avais pas vue, tout au fond du couloir.
— Le garage est là derrière.
Je me précipite à sa suite. Le VW apparaît dans la lueur livide et artificielle de ma lampe. La masse qui pesait dans ma poitrine disparaît même si le véhicule me semble bien fragile avec sa ligne du siècle précédent. Une boîte rectangulaire. D'un vert aveuglant. Arborant des fleurs multicolores aux couleurs criardes.
— Ben, ça alors ! grommelé-je. On va pas passer inaperçu !
— Je savais pas, s'exclame mon ami dépité. Il a dû le repeindre depuis ma dernière visite.
— T'en fais pas, le consolé-je, on nous prendra pour une bande d'illuminés qui prône le retour à la nature. Des gens tout ce qu'il y a de plus inoffensifs, et on nous fichera la paix. Mais t'es sûr que tu sauras le conduire ?
— Faudrait d'abord qu'il démarre ! sourit tristement Rémy. Et qu'il y ait de l'essence !
Mon cœur s'embrouille dans ses battements ; j'avais négligé les aspects pratiques de notre plan.
— D'abord, réfléchit Rémy, faut les clés. Normalement, elles sont toutes suspendues dans l'entrée.
Ces paroles me font frémir. Pour ma part, ces temps où on faisait démarrer les engins avec autre chose que des cartes à puce me paraissent bien mystérieux.
Mon ami me confie son sac, fonce dans la maison, revient, déverrouille la portière côté conducteur, grimpe dans l'habitacle, enfonce la clé et la tourne, confiant.
Rien.
Il renouvelle son essai.
Le moteur ne répond pas.
Déjà plus inquiet, il enlève la clé, la remet, la tourne. La fourgonnette laisse échapper un hoquet avant de se murer dans un silence sinistre.
Avez-vous déjà échafaudé un plan qui réussit comme prévu ?
— Alors quelle stratégie envisages-tu pour nous tirer de là, en vie de préférence ? ironisé-je.
Rémy me regarde d'un œil noir mais sa réponse me scotche littéralement.
— En fait, j'en ai plusieurs. Il faut que je choisisse. Et si tu me foutais la paix, je pourrais cogiter. Va ouvrir la porte du garage que je vois ce que je fais.
Vexé, j'obtempère sans un mot. Une lumière abondante dissipe les ténèbres. Je distingue, traînant à terre, tel un serpent anémique cherchant à se cacher des intrus, un tuyau d'arrosage.
Je le suis du regard. Son extrémité est vissée à une espèce de vieille pompe.
Un puits ? Pourvu qu'il ne soit pas à sec ! Peut-être fonctionne-t-il encore ?
Je largue mon sac à dos et celui de Rémy, en vrac, à mes pieds ; détache le tuyau et actionne la pompe à bras. Une eau fangeuse suinte, couleur rouille. Elle sort avec précaution comme si elle hésitait à revenir à la lumière. Je m'entête et remue la poignée le plus rapidement possible, achevant par la même occasion de froisser certains de mes muscles déjà bien abîmés par notre charmante échappée. Mes efforts sont récompensés et je pousse un cri de joie lorsque, enfin, une eau claire et limpide jaillit. Elle tombe maintenant en cascade comme si elle ne pouvait plus s'arrêter. Je place ma tête sous le jet délicieusement glacé, ouvre ma bouche et laisse le liquide cristallin s'y écouler, me gelant les dents par la même occasion. Un moment de magie pure.
Pris soudain d'une impulsion puérile, je laisse échapper un hurlement sauvage. Rémy sort de sous son capot et se précipite vers moi. Un jet d'une eau glaciale le cueille par surprise. Trempé de la tête aux pieds, il pousse à son tour un cri de guerre et se précipite sur moi. Nous nous débarrassons de nos vêtements poussiéreux et continuons à nous arroser bruyamment. Totalement délivré de mes angoisses intérieures et de mes responsabilités écrasantes, je me laisse aller à ce pur instant de détente. J'ai abaissé ma garde.
Une fois de plus. Une fois de trop.
Une voix de stentor, acerbe et coupante, me fait bondir d'au moins deux mètres de haut.
— Abrutis... Voyous.... Dégagez de là ! Que je vous reprenne pas à gaspiller de l'eau.
Pris de court, je me retourne insensiblement, à pas comptés...
Un homme, en treillis, nous tient en joue avec ce qui me paraît être un fusil de chasse.
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Alors, que pensez-vous du comportement de Rémy ?
Et qui est cet homme, à votre avis ?
Dans le chapitre suivant, une surprise attend Samuel. j'ai bien peur qu'elle ne soit pas vraiment à son goût !
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C'est aujourd'hui que débutent officiellement les vacances scolaires.
J'espère que tous vos examens, brevet, bac ou partiels se sont bien passés et que les résultats sont au rendez-vous !
Je souhaite bon courage à tous ceux qui continuent à travailler.
Je pense garder le même rythme de publication, deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, en début d'après-midi.
Je vous préviens si j'ai le moindre empêchement.
Et j'en profite pour vous remercier, vous, mes premiers lecteurs, toujours à l'affût de mes publications.
@Athelleenn847 @greybmorning @LilyHa59 @ValentineP1 @NobodyDJ @AnoldN6 @maeva314 @BlackWolf1313
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