Chapitre 10-1 : Jalousies

Chapitre dédié à Sampa et à Ourale.

Parce qu'elles n'ont pas eu la chance de rencontrer Chloé, mais qu'elles resteront toujours dans mon cœur. 

( Région Centre 4 septembre 11h02)

Pendant que Thibaut, allé se rafraîchir, rencontre Chloé puis Galilée, un groupe de bikers s'en prend aux adolescents restés auprès du VW accidenté. 

L'un d'eux tire sur Sampa qui l'attaquait. 

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Chloé

Paralysée en statue comme dans les musées, je les regarde faire volte-face et s'éloigner. Je voudrais juste qu'ils se retournent et m'envoient un petit coucou avec la main.

Mais rien.

Ils sont partis.

Ils sont partis sans même un petit câlin ou un bisou magique !

Et s'ils revenaient plus jamais ?

Je secoue furieusement la tête pour avaler la grosse boule de larmes coincée dans ma gorge. Mais impossible de me retenir, mon chagrin inonde mon visage.

Tout ça, c'est la faute au Tueur de Mondes qui m'a enlevé ma voix. J'ai pas pu raconter ma peur à Galilée et à Thibaut. Du coup, maintenant, elle déborde de partout, non seulement le long de mes joues et sous mon nez, mais aussi autour de moi, sur les arbres, les feuilles, la terre et les pierres.

Même dans l'eau que roule la rivière et dans les nuages qui foncent à l'horizon !

Refusant de rester là, toute seule, je rampe hors de ma cachette pour me précipiter sur les traces de mes abandonneurs.

Leçon-de-désobéissance-N°3-Toujours-secourir-les-gens-qui-agiraient-pareil-pour-vous...

Le Voyageur a pas le temps de réciter dans ma tête toutes les paroles que je lui ai apprises. Des cris horribles – Aaaaah ! – me déchirent le crâne, suivis d'un terrible coup de feu.

Bang !

Un animal se met à gémir un peu plus haut sur la colline. Sûre que c'est lui qui s'est fait révolvériser, j'accélère, très, très vite.

Peut-être comme ça, mon image arrivera pas à me suivre et je resterai invisible ?

Leçon-de-prudence-N°1-Toujours-éviter-de-se-jeter-dans-la...

Furax contre le Tueur de Mondes qui utilise contre moi l'école que je lui aie donnée, je stoppe net. Serrant les poings, je le chasse de mes oreilles, en même temps que les voix pleines de mauvaiseté qui grondent au loin.

Me sentant de suite mieux, j'ouvre grand mon regard et tourne ma tête d'un côté, puis de l'autre.

Là-bas... Cette tache blanche et rouge... Étalée sur son tapis d'herbes séchées, telle une pizza prête pour le four... On dirait trop Nestor le jour où il s'est fait tamponner...

Sauf que cette fois, il s'agit d'un chien et qu'en plus, il m'a l'air complètement mort !

Un long frisson horrible me parcourt le dos.

Je secoue ma tête pour la vider de toutes les idées affreuses qu'il y a dedans, puis me remets en route. Plus doucement cette fois, pour pas me faire remarquer.

Je regarde tellement partout, la petite boule poilue qui saigne comme un tuyau troué, les arbres, leurs gros troncs et les nuages dans le ciel que j'en oublie où je marche.

Mon pied se cogne contre une racine et je tombe, pile sur un tas de branches qui cassent sous mon poids.

Réveillé par le bruit, le toutou blessé se traîne droit vers moi, sans doute pour m'indiquer que je l'ai enterré un peu trop vite.

Vite ! Je me relève et cours le rejoindre.

Arrivée à ses côtés, je me baisse à genoux contre lui. Content de pas avoir à mourir seul, il plante ses beaux yeux dorés dans les miens.

Mon cœur craque, puis se crève. N'empêche ! Je force un sourire à se dessiner sur mes lèvres.

Pauvre chou ! je lui dis avec mon regard. Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Mon nouveau copain ouvre la bouche comme pour me répondre, mais seul un petit gémissement en sort, tel un grand au secours.

Je fixe son côté tout explosé et le sang qui s'en échappe, noir et gluant.

La peur forme un drôle de hérisson dans mon ventre. Jamais j'aurai assez d'énergie en moi pour le réparer !

Pourtant, je lui dois d'essayer.

Je serre fort mes mâchoires et agite mes mains à la façon d'une magicienne dans un dessin animé. De suite, mes ongles s'enflamment, mais d'un feu si pâle qu'on dirait des bougies sur le point de s'éteindre. Avec ça, impossible de sauver un bébé chihuahua. Alors, une aussi grosse boule de poils !

Malgré tout, je place mes deux mains de feu au-dessus de la blessure.

Surprise !

Aussitôt, les étincelles quittent mes doigts pour se mettre à courir sur la fourrure emmêlée.

Cette fois, le sourire qui s'affiche sur mes lèvres est un vrai de vrai. Si le blessé ressemble encore à un énorme ver luisant fatigué, sa vie a arrêté de s'en aller.

Histoire de me remercier pour cette première victoire, le gentil toutou remue son petit bout de queue.

J'accroche cette image devant mes yeux, ferme les paupières, puis pense très fort à la cheminée de chez mamie, quand papy était pas encore au paradis et qu'il y allumait un grand feu dedans. Les flammes étaient si belles, si chaudes, si rouges...

Mon sang se met à bouillir dans mes veines ; mon cœur fait un bond et une explosion résonne au fond de moi. Un puissant courant d'électricité remonte le long de mes bras.

Mon pouvoir.

Mon pouvoir de guérissage ! Presque tout à fait neuf.

Revenue à aujourd'hui, je ramène mes mains devant mon visage. Chacun de mes doigts ressemble à une petite flamme qui grossit, grossit...

Ça va le faire. Il faut que ça le fasse !

Je réinstalle mes paumes pétillantes au-dessus du blessé.

Aussitôt, le chien se secoue d'un long frisson, puis il ferme les paupières. Non pas qu'il est mort, non ! Mais parce qu'il se sent en confiance.

Me rappelant comment j'ai guéri Tonton Raoul, je me penche et pose mon front sur son crâne. Immédiatement, un tas d'images arrivent dans ma tête. Une ado aux longs cheveux châtains, un petit camion vert avec plein de fleurs peintes dessus, des grosses motos comme dans un film américain et des hommes en blousons noirs dessus, puis de nouveau, la même jeune fille, l'air terrorrifiée.

C'est ma patronne, Charlie ! le chien pleure dans mes pensées. Je l'aime tellement, tellement. Mon travail, c'était de toujours la protéger, mais j'ai failli à ma mission. Et maintenant, elle va se retrouver toute seule...

Sa voix était si triste et la douleur qui lui dévore le ventre lui fait si mal ! Comment lui expliquer que j'ai le Voyageur, qu'il va le guérir et peut-être même lui donner un super-pouvoir ?

De suite, je passe dans ma tête le film de la guerre d'hier soir, moi et Galilée contre les prétoriens, puis je lui montre Thibaut, son pistolet à la main.

Lui, je le connais, le chien me signale, c'est mon chef de meute ! Le maître parfait. Une main de velours dans un gant de fer... Exactement ce dont ma Charlie a besoin.

À bout de souffle, il laisse échapper un soupir à faire pleurer le Voyageur lui-même. Il veut lever sa tête, mais elle est si lourde de tout l'amour qu'il porte à sa famille qu'elle retombe aussi sec.

C'est pour ça que tu dois pas t'inquiéter. Pendant que ma sœur et ton patron s'occupent des méchants, moi, je vais te soigner.

Rassuré, le chien se détend contre moi. Mon énergie guérisseuse roule le long de mes bras, nous entortillant, moi et mon ami, dans un nœud bien serré.

Mais comment la contrôler ?

D'un coup, une image du dessin animé Vingt Mille Lieues Sous Les Mers se fixe devant mes yeux. Aussitôt, mes joues se plissent jusqu'à mes oreilles.

Moi, je suis le calmar, géant et scintillant, et mon pouvoir, c'est ses tentacules. Ils entourent le chien, comme une bouée, puis se glisse sous sa peau, direction là où il a mal...

Au fait, le chien me signale, je suis une femelle et je m'appelle Sampa.

De nouvelles images se bousculent dans ma tête ; une grande maison comme dans le journal BMI-Match de mamie, une dame blonde presque aussi belle que ma maman malgré qu'elle a le tour des yeux tout bleu et un homme en costume, la figure fermée et l'air constipé, planté là dans mon cerveau, comme un pin du bord de la mer.

Le Magister, la chienne m'explique. Le papa de Thibaut et de Charlie...

Il est vraiment flippant ! je m'exclame, la coupant dans ses idées. On dirait trop un robot.

J'ai toujours été très forte pour sentir les gens, s'ils sont bons ou mauvais, mais lui, reste un mystère. Impossible de le cerner. Comme s'il n'était pas véritablement humain...

Mon cœur a si froid soudain que j'ai l'impression de me transformer en bonhomme de neige, avec mon pouvoir tout gélifié.

Je force l'Impérial à s'en aller de devant mes yeux et le remplace par la photo du gentil vétérinaire à Nestor, celui qui lui a soigné la patte quand il se l'avait coincée dans une porte. Aussitôt, ma peau et mes veines se réchauffent, puis mon cerveau se met à bouillir. Siiii te plaît, Voyageur, repasse-moi le tuturiel, le même que pour Tonton Raoul !

Le Tueur de Mondes grince dans ma tête, tel un train qui freine.

Il-serait-temps-petite-humaine-de-réaliser-combien-tu-te-montres-ingrate-Tu-me-rejettes-quand-je-te-donne-des-conseils-mais-tu-m'appelles-lorsque-tu-as-besoin-de-moi.

De surprise, je redresse la tête et lève mes yeux vers le ciel. Tout rapeti entre deux nuages comme deux ciseaux, mon Papa D'en Haut a vraiment mauvaise mine ce matin. Le film d'hier soir, avec ses morts et tout ça, a dû lui donner des cauchemars...

Mais-vu-que-je-n'ai-reçu-aucun-ordre-concernant-les-animaux-et-qu'ils-ne-constituent-pas-un-danger-pour-l'univers-je-vais-t'aider-une-dernière-fois...

Oups !

Un frissonnement me tord le dos et ma peau se met à picoter. La voix avec laquelle le Voyageur a parlé ressemblait beaucoup à celle de maman quand j'ai fait une grosse bêtise, tellement si pleine d'énervement que je me recroqueville sous mes vêtements.

Vite vite ! Je mets mon masque de gentille petite fille écouteuse, puis ferme mes oreilles aux bruits du dehors. Une fois que la musique des oiseaux et les échos de la bagarre sur la route ont disparu, j'abandonne les commandes de mon super-pouvoir au Tueur de Mondes.

Qu'est-ce qu'il faut pas faire pour obtenir ce qu'on veut !

Sauf que j'ai un plan...

Je vais tout bien retenir de ce que le Voyageur va m'apprendre. Ainsi, plus jamais, j'aurais besoin de lui.

Je fais le vide dans ma tête.

Sampa.

Ne penser qu'à elle. Ne voir qu'elle. Mon super-pouvoir, c'est de soigner, pas de tuer...

Dans ma tête, tout se brouille.

Moi et la chienne. La chienne et moi. Impossible de dire qui est qui. Ma vie, c'est la sienne, et sa vie, c'est la mienne.

Heureusement, d'un coup, le monde s'éclaircit. Une nouvelle image – Sampa vue de l'intérieur – se glisse dans mes idées.

Le tuturiel.

Aussitôt, mes bras s'alourdissent et mes mains se remplissent.

J'ouvre les doigts et la magie en jaillit comme un coup de canon, forte et belle. Résultat, un drôle de feu m'enveloppe, un feu qui fait très très mal, mais qui brûle pas.

J'ausculte la blessure et évalue les dégâts, de façon à me mettre immédiatement au travail. Je répare les chairs abîmées, assainis l'entaille, ressoude les os, guéris la peau traumatisée, cautérise les veines percées, remodèle les organes broyés, puis referme les deux pans de la plaie béante.

J'ai senti la vie hésiter, partir et revenir, mais maintenant, j'en suis sûre, Sampa est sauvée.

Sampa est sauvée !

Sauf que c'est allé trop vite et que je suis si fatiguée ! Complètement vidée de ses forces, ma tête part en avant. Le tapis de laine toute chaude sur lequel elle tombe adoucit le choc et mon cri s'étouffe dans ma gorge.

Est-ce que je suis morte ?

Non, je sens comme un tremblement de terre, un souffle chaud dans mon oreille, puis un gros truc humide qui glisse sur ma joue.

Une léchouille. Une léchouille ?

Vite ! Je remonte mes paupières et relève le front.

Toute sale de sang séché et de fourrure roussie, Sampa me fixe. Aussi silencieuse qu'une ombre. Une ombre avec deux yeux dorés, brillants comme des étoiles, et trop trop reconnaissants. Merci, ils me disent, je t'aimerai toujours, toujours, presque autant que ma Charlie...

Je défigure la cicatrice sur sa peau qui prouve que j'ai rien rêvé de ce qui vient de se passer, me serre fort contre le petit corps tout réparé et cache mon visage dans son costume de poils.

On est si bien comme ça, tranquilles, loin des hommes et de leur guerre !

Sauf qu'un grand bruit remplit mes oreilles, coupant d'un coup le bonheur.

La voix de Galilée, aussi méchante que la balle d'un pistolet. Puis deux coups de feu, suivis d'une longue rafale de fusil.

Des pas courent vers nous. Nombreux, et très, très pressés...

Je veux me remettre debout pour fuir, mais comme mes forces sont pas encore trop revenues, je retombe par terre, mes bras se refermant sur du vide.

Aussitôt, mon ventre se tortille. Sampa est plus là !

Elle a filé, m'abandonnant toute seule. Comme papa, comme Nestor, comme...

De petits gémissements, tels des sanglots, me font lever la tête.

Ma nouvelle amie a rejoint un groupe de jeunes qui dévalent la colline dans ma direction. Et parmi eux, je reconnais la fille que j'ai vue dans sa tête, Charlie.

Folle de joie, Sampa s'enroule dans ses jambes, puis se couche sur ses pieds, les pattes en l'air, pour lui montrer son ventre.

Des larmes plein les yeux, sa patronne se met accroupie pour chercher sa blessure, partout dans la fourrure. Croyant avoir à faire à des caresses, la chienne lui lèche adorablement la figure.

Mon cœur dérape. C'est moi qui l'ai sauvée, et pourtant, c'est elle qu'elle aime davantage !

********************

Pourvu que Chloé n'ait pas dépensé toute son énergie ! 

Je crains qu'elle ait aussi bientôt des humains à soigner...

D'autant plus que ses rapports avec le Voyageur semble évoluer.

À votre avis, que s'est-il passé sur la route ? 

Pour me faire pardonner ma petite pause, je posterai la réponse à cette question mercredi 12 janvier. 

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