Chapitre 1.2 : Samuel

( Sud Quercy 9 juillet 21h59 )

Et les adultes osent appeler ça des vacances ! L'authenticité, la tranquillité, la véracité, les font se pâmer d'extase !

Mais quel ado de dix-sept ans, normalement constitué, éprouverait le besoin de se ressourcer au fin fond du Lot, dans une bâtisse si vieille qu'elle a sûrement dû connaître la Guerre de Cent ans ! Bon, quand je dis bâtisse, j'exagère, il s'agit plutôt d'un château, vous voyez le genre, avec des tours, des créneaux, des murs aussi épais que tous les tomes réunis d'une antique Encyclopédie Larousse, un pont-levis, des douves et peut-être même des oubliettes ! Le Tuc-Haut, qu'il s'appelle !

Et je ne vous parle même pas de l'intérieur ! La rénovation n'est pas encore terminée. Certaines salles n'ont pas dû être troublées par un pas humain depuis des siècles. Arachnophobes s'abstenir ! Et crise d'asthme assurée ! Je me demande parfois si c'est légal de louer des trucs pareils..

Vous commencez à vous imaginer le tableau, non ?

Heureusement la campagne offre des avantages non négligeables. On peut s'y isoler pour pratiquer certaines activités qui ne sont pas du goût des parents ! Mais non, vous n'y êtes pas du tout, je n'appartiens pas au tout-venant, moi. Je ne me drogue pas, je ne fume pas (enfin pas beaucoup) et je ne bois pas (mais si, je vous jure !!! ).

Le rêve de tout parent. L'ado idéal ! Quoi ? Vous ne me croyez pas... Vous avez raison...

Bref, la campagne, les trous paumés, c'est génial... Pour s'entraîner au tir ( avec un silencieux ) ou au maniement des armes blanches ; je peaufine ma musculation, cours sur des kilomètres, grimpe aux arbres, rampe dans la boue, apprends à me fondre dans le paysage...

Et cela plaît aux autochtones ( femelles ! ). Faut dire que dans le coin, l'arrivée d'un gars plutôt bien foutu, cheveux coupés ras et visage café au lait, affole la population de moins de vingt ans du sexe opposé ; surtout que mes yeux légèrement bridés dissimulent un regard mutin et que mes lèvres épaisses laissent présager un don inné pour les jeux de langue !

Faisant concurrence à la lune, le Voyageur darde sur la campagne endormie ses reflets bleutés. Il me semble d'ailleurs qu'il s'est encore rapproché. Sans doute ai-je déjà trop abusé de la bière que j'ai «empruntée » au bar de l'hôtel ! Et je n'ai pas l'habitude de ce silence seulement troublé par les grillons et les chouettes. 

Un étrange frisson parcourt mon corps dénudé.

À côté de moi, sur notre lit improvisé par nos vêtements éparpillés, Jo éclate de rire. Elle tourne vivement la tête et ses longs cheveux noirs, méchés de rouge, frappent violemment mon visage.

— T'as pas une clope ?

Sans attendre ma réponse, elle fouille dans les fringues emmêlées à la recherche de son portable.

— Toujours pas de nouvelle ! Fait chier !

À la lueur de son téléphone, je distingue ses sourcils froncés, sa mine râleuse. C'est bien la première fille qui me fait ce coup-là ! On vient de baiser comme des dieux et elle me parle déjà d'un autre ! Pour ne pas me sentir atteint dans ma virilité, je me répète que Liam est son copain d'enfance, qu'il est gay, qu'il est en fugue avec un type qui a presque deux fois son âge, que c'est normal qu'elle s'inquiète mais quand même, elle pourrait consacrer deux minutes de son précieux temps au mec qui vient de la faire grimper aux rideaux !

La voilà qui retente sa chance. Dépitée, elle a un mouvement d'exaspération :

— Ce mec, il M'ÉNERVE !!! C'est occupé ! Tu crois pas qu'il pourrait penser un peu à moi ?

Je ne dis rien. Pauvre Liam, je comprends qu'il se soit tiré ! Je m'étais encore dégoté une meuf qui se prenait pour le nombril du monde !

Pour me changer les idées, je promène mon regard aux alentours.

Une voiture grimpe difficilement la colline. Ses phares percent l'obscurité.

Voilà que Jo s'agite à nouveau, elle cherche dans sa playlist et finit par nous dégoter un vieux U2. Ah, non ! Voilà qu'elle chantonne sur l'air préféré de mon père. Elle n'a pas le droit ! Je me jette sur elle pour lui piquer l'appareil. Nous roulons dans l'herbe. Mes yeux balaient l'horizon.

Ça ne dure qu'une fraction de seconde. Est-ce une illusion d'optique ?

Un rayon bleu iceberg, tel le sabre laser de Luke Skywalker mais en bien plus long, illumine les bois et les ronciers au nord-est du château. Au même moment, tous les éclairages indirects braqués sur le monument historique s'éteignent ; le portable de Jo se tait ; il n'y a plus aucune lumière nulle part, ni sur les collines, ni dans la vallée.

Jo secoue son BMI-Phone, il est totalement HS, comme le mien d'ailleurs que je viens de vérifier.

— C'est qu'une rogne ! râle-t-elle. Il est mort, pourtant j'avais rechargé la batterie...

Sceptique, je tourne mon regard en direction de la vallée ; puis porte mes yeux sur la route zigzagant vers la maison d'hôtes. Je ne distingue plus les phares de la voiture qui montait. Pourtant vu la lenteur avec laquelle elle cheminait, elle ne devrait pas encore être arrivée. Pourquoi s'est-elle arrêtée ? Bizarre, vraiment bizarre ! Un rossignol, sans doute dérangé par un autre animal nocturne, perce le silence de son chant mélodieux. L'horloge du village sonne onze coups.

Je m'allonge dans l'herbe et porte mon regard vers la voûte céleste. Je n'ai jamais vu un aussi beau ciel nocturne que dans ce coin perdu. La Voie Lactée étire sa trace laiteuse percée de milliards d'étoiles. Le quartier de lune veille sur nous mais semble en alerte car la présence intrigante du Voyageur trouble tout ce petit monde tranquille depuis des millénaires. Pour la première fois depuis qu'il s'est installé au-dessus de nous, je perçois son attitude menaçante et hostile.

Je me relève et me secoue brusquement.

C'est quoi, ce laisser-aller ? Ma parole, voilà que je deviens complètement mytho !

Affolée, Joséphine tente de se rhabiller tant bien que mal sous la lueur blafarde des astres. J'enfile mon jean et mon tee-shirt. La campagne me semble soudain inquiétante ; des ombres étranges se profilent au loin ; des bruits inconnus me font sursauter.

J'attrape brutalement Jo par le poignet. Elle se débat et regimbe :

— Non, mais ça va pas ! Des fois, tu te conduis vraiment comme un homme des cavernes !

Je n'ai absolument pas le temps de parlementer.

— Ferme-la et grouille ! On va voir ce qui se passe !

Surprise par mon ton alarmiste, Jo oublie de la ramener. Nous galopons à travers champs vers la route. J'ai peur que ma poitrine soit trop étroite pour contenir toutes les émotions contradictoires qui se sont emparées de moi ; de l'exaltation mêlée d'une certaine appréhension. Je suis dans le trou du cul du monde, sans la plupart de mes armes fétiches, et je sais que ça vient de commencer...

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Pensez-vous, comme Samuel, que c'est un inconvénient d'être à la campagne pour la fin du monde ?

Rendez-vous  demain avec Chloé !

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