partie 8
8x11 - Dead or alive or
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Dans la cour, tous les Sauveurs sont massés devant la grille où deux rôdeurs sont ligotés, remuant plus ou moins vivement.
Celui de gauche, gris, ouvre la mâchoire à l'approche de Negan, tout sourire.
Emma se tient devant les hommes du leader, groupés dans son dos. Elle sait qu'ils la tolèrent. Elle sait qu'elle est la seule de sa... catégorie. Les femmes du grand homme ne sont surtout pas conviées à ce genre de démonstration pleine de testostérones, hormis ses soldats : Regina, Arat et Laura, qui n'est a priori toujours pas revenue de la nuit précédente.
Emma se demande encore ce qu'elle est dans tout ça, avec sa robe noire et ses pieds nus.
Un soldat, quand il l'autorise à être là, debout. Sa femme soumise, quand elle doit s'étendre entre ses draps...
Elle se demande surtout ce qu'elle fait là. Sa place est à la Colline, près des siens.
C'est lui qui l'a posée là. Il l'a bien surveillée pendant qu'il mettait en place tous ces accessoires nécessaires à sa démonstration, à cette mise en scène sanglante et morbide. Il se retournait régulièrement vers elle avec son sourire amusé, content de lui.
"Tu vas voir ça va les scier! Ils vont adorer ça !"
Elle n'a pas commenté, pas dit un seul mot tandis que les hommes du Sauveur commençaient à se rapprocher d'eux deux d'abord. Certains la regardaient sans gêne, surpris de la voir encore là, aux premières loges. Mais n'osant rien exprimer d'audible, évidemment.
Alors elle obtempère, elle joue son jeu sordide, elle regarde Negan plonger sa batte maudite dans les entrailles du rôdeur, frottant les barbelés contre la joue pourrie et décharnée du mort pour leur présenter les lambeaux sanglants et déchiquetés qu'il a récoltés, suggérant à demi son prochain plan d'attaque. Elle l'écoute, comme eux tous amassés autour, débiter son discours, son nouveau projet de sa voix chaude, grave, presque rassurante. Mais surtout si sûr de lui, si amusé au fond du nouveau jeu collectif auquel Negan veut les voir tous participer.
Emma enserre son corps de ses propres bras pour se donner une contenance, pour atténuer les tremblements d'horreur qui la remuent à l'intérieur, sans jamais quitter l'homme du regard, le visage stoïque à chaque fois qu'il pose son oeil luisant sur elle, son sourire fier de lui, accroché aux lèvres.
Elle sent encore du mouvement près d'elle, remuant lentement avec la foule dans son dos, silencieuse et attentive. A la limite de son champ de vision, elle est attirée par un mouvement plus clair. Elle tourne la tête sur la gauche pour lever les yeux sur Dwight qui se glisse parmi les hommes, s'arrêtant à sa hauteur, sans un mot, regardant d'abord leur leader. Elle sait qu'il ne se poste pas près d'elle par hasard. Et la seconde d'après, ils se regardent le temps d'un furtif éclair.
Emma le voit déglutir quand il fixe à nouveau Negan, sans un mot. Il a ouvert la bouche comme ayant eu l'attention de dire quelque chose justement. Quoi ? Un truc concernant la Colline, sans doute, Rick, certainement ? Son chasseur peut être ?! Mais dans une lutte intérieure décuplée, elle reporte son regard, faute de son attention complète, sur le grand brun. Ses bras resserrent encore un peu son étreinte autour de son abdomen tordu de spasmes d'appréhension et d'angoisse.
"Pourquoi ?! Pourquoi es-tu revenu ?!"
Le rire en ricochet emplit ses oreilles quand Negan s'approche d'eux deux, la faisant imperceptiblement sursauter, plongée dans ses pensées torturées d'angoisse pour sa famille. Les Sauveurs derrière eux se dispersent dans le calme, ravis de ce qu'ils s'apprêtent à faire. Dwight et Emma restent immobiles, l'un à côté de l'autre, sages, figés.
"Mes deux favoris ! écartant les bras, projetant au sol un peu de tissus sanglants et morts tombant des barbelés maculés, dans son mouvement ample. Content de te revoir, Dwighty Boy ! lui administrant une claque virile sur l'épaule gauche.
Emma voit que le blond encaisse, fermant les yeux, oscillant un peu sur ses jambes maigres, devinant une douleur cachée.
"Ma douce... roucoule gravement Negan en baissant d'un ton. Ca m'a fait quelque chose de terriblement... chaud... de te voir là... glissant sa main droite sous son oreille, prenant prise à la racine de ses cheveux, sur sa nuque tiède. Tu as loupé deux, trois trucs, D ! attirant la femme contre lui par le cou, mais reportant son attention sur le blond. Notamment qu'Emma est maintenant toute à moi... vrai ?! se penchant sur la femme, tout sourire.
Dwight se redresse, gigote, regardant l'homme, puis la femme, puis l'homme à nouveau. Il avale encore, échangeant un regard rapide avec la femme qu'il trouve vraiment très pâle maintenant qu'il peut la regarder en face sans crainte. Elle lui semble sévèrement blême même, ne pouvant se défaire tout de suite de son regard orange assombri de cette tâche de sang noir sur la sclère.
"Comment tu m'as trouvé, ma douce ? demande encore le grand homme, fixant Dwight droit dans les yeux, en posant son sourire sur le haut de la tête d'Emma qu'il tient toute contre lui.
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Voilà enfin les portes de la Colline qui s'ouvrent lentement à leur approche.
Daryl tient Judith qui a bien voulu venir dans ses bras au bout d'un moment. L'enfant n'aime pas l'entendre quand il lève ne serait ce qu'un peu le ton. Et tout à l'heure, dans la forêt, il a clairement grondé après Dwight. C'est vrai. En la voyant se blottir contre Tobin, le chasseur a immédiatement compris que ce n'était ni le lieu ni le moment. Même si Rosita leur a dit et répété pendant des heures. C'est Judith que Daryl a finalement écoutée. La petite avait besoin de lui, comme tous les autres.
Alors quand elle lui a tendu à nouveau les bras, Daryl s'est senti soulagé de ce poids là, prenant immédiatement l'enfant, légère, contre lui. Elle ne lui en veut plus de sa colère. Ils sont toujours amis, elle et lui. Installée sur son avant bras, elle n'a plus tardé à poser sa tête pleine de boucles blondes sur son épaule, son petit nez frôlant son cou au rythme de sa foulée, bien vite assoupie.
L'enfant est maintenant blottie là, sans défense, toute dépendante de lui, si confiante, à pouvoir dormir contre lui en quelques minutes à peine, alors qu'elle lutte contre le sommeil depuis la veille, tiraillée par la peur qui fait pourtant partie de son quotidien.
Cette confiance enfantine, naïve, sincère et naturelle lui fait du bien, lui permet d'avancer jusqu'à la Colline, qui se profile enfin. Est ce que cela va être cependant suffisant pour ne faire qu'annoncer la perte énorme qu'ils ont subi ? Il va bien falloir...
Maggie les accueille, venant à eux dans la cour encombrée de la Colline. Elle a l'air fatigué et préoccupé, mais elle est aussi soulagée et souriante à leur approche. Daryl aperçoit aussitôt Carol qui avance plus vite, juste derrière, plus impatiente.
Ces femmes sont sa famille, une partie du moins. Et sa famille va souffrir.
Mais égal à lui même, arrivé près d'elles, il n'a pas les mots. Son expression, un simple secouement bref de tête, leurs regards échangés suffisent pour qu'elles comprennent.
Il entend les pleurs d'Enid qui s'effondre à quelques mètres de là. Mais il est fermé, silencieux à l'intérieur. Il réalise que ce silence l'habite depuis qu'il a pris Judith dans ses bras. L'enfant lui est enlevée, doucement prise en charge. Sa chaleur quitte son cou instantanément alors que le chasseur la regarde s'éloigner sans rien dire.
Rick et Michonne sont encore à Alexandria. Mais le reste de leur groupe est maintenant ici, dans l'enceinte réduite de la Colline.
A la nuit tombée, Daryl rejoint la chambre qu'il a toujours occupée. Maggie a géré l'affluence nouvelle, avec les Sauveurs pris en otages et parqués. Mais elle a su préserver les espaces de chacun dans la grande demeure victorienne.
"J'ai dû redistribuer les linges de lit... dit tout bas la veuve, se tenant sur le seuil de la porte. Dans le soleil couchant envahissant la pièce, Daryl se retourne, surpris, se croyant enfin seul à l'étage silencieux.
"Pas grave... haussant les épaules en portant le bout de son pouce contre ses lèvres, la regardant à la dérobée.
-Je peux te trouver quelque chose... un drap ou...
-C'est bon... l'interrompt il doucement. Merci c'est bien comme ça... t'inquiète... j'ai besoin de rien.
-Elle va revenir... on va la récupérer... On va trouver un moyen... faisant une moue compatissante, voulant tellement le réconforter.
-Mmmmh... regardant ses pieds en hochant la tête.
-Bonne nuit Daryl... conclut elle en tirant doucement la porte sur elle, impuissante face à sa douleur.
Daryl regarde le lit vide, le matelas nu. Il a beau essayer, Emma n'est pas ici. Elle n'y a jamais vraiment été. Mais les quelques nuits passées là l'ont tellement pris au dépourvu, tellement marqué, étant trop imprévisibles et irréelles à leur quotidien. A chaque fois. Ils se sont découverts avec tant de timidité, se sont rapprochés avec tant de précautions. Même s'il l'a surtout regardée dormir, la majorité du temps. Il sait pourtant que son âme est davantage à Alexandria que dans ce musée poussiéreux...
Sauf qu'aujourd'hui, un retour à Alexandria est certainement inenvisageable. Au vu du peu qu'il a pu voir en fuyant.
Tout est détruit, là-bas. Tout est si précaire ici et au Royaume. Alors faut il vraiment la retrouver, la faire revenir, l'attirer... pour lui offrir quoi ? Elle est sans doute déjà mieux au Sanctuaire, ne manquant de rien de vital... si ce n'est sa liberté.
Mais une douleur se manifeste, comme une révolte offusquée, dans sa tête et dans son coeur. Cette révolte qui lutte encore pour sortir, cette douleur sourde et lancinante, c'est la même qu'en attendant qu'elle s'éveille, à Alexandria. C'est juste ces mêmes sentiments qui le bouleversent maintenant ouvertement, à tout moment, sans relâche. Ces sentiments là, encore un peu étrangers, inhabituels, surprenants, qui le ligotent pourtant de plus en plus à elle...
Le coeur toujours battant quand il réalise ce qui l'anime, Daryl sait qu'il ne va pas parvenir à dormir malgré sa nuit blanche précédente.
Alors il se laisse tomber dans le fauteuil faisant dos à la fenêtre, fixant encore le lit tandis que la lumière du jour décline maintenant rapidement. C'est bien sa place favorite pour la voir s'éveiller dans la lumière dorée de ses yeux qui tombaient sur lui en émergeant de sommeil.
Au bout d'une minute, torturé de ce souvenir qui ne reviendra plus, il tourne la tête vers la fenêtre préférant le ciel crépusculaire. Si ça ne tenait qu'à lui, il irait direct au Sanctuaire... et s'y casserait sans doute les dents... en plus d'y laisser sa vie.
"Qu'est ce que je dois faire Muskogee ? murmure-t-il en se mordant les lèvres, frustré d'impuissance.
"Dors Grand Chef...
Il tourne la tête vers le lit, saisi... Dans la pénombre de la pièce, ses yeux fatigués perçoivent un petit corps blanc étendu sur le côté, lui tournant le dos. Des tresses fines et terriblement longues s'étalent sur tout le matelas autour de la tête brune. Le corps est silencieux, immobile. Les petites épaules sont définies, hanche courbée, les jambes longilignes maigres, reposent l'une sur l'autres, détendues, comme deux bois flottés.
Daryl
Une inspiration, puis Emma est là, face à lui, penchée, les mains appuyées sur les deux accoudoirs du fauteuil.
Daryl
Les tresses défaites, sales, pendent d'un seul côté du crâne à moitié ras.
Daryl
Le visage pâle et évanescent, les iris oranges bordés de sang noir, à dix centimètres de son nez.
Daryl
Le souffle si froid qui lui tombe sur la bouche.
Daryl
La plaie, dans le prolongement de son oeil, se rouvre, comme vivante, mouvante, béante.
Daryl !
La tempe, la pommette, la joue, la mâchoire gauches couvertes du sang mort qui coule et vient goutter jusqu'au menton.
Daryl !!!
Le visage se rapproche encore plus près. Il se tord soudain en une grimace hideuse, cauchemardesque, démoniaque et douloureuse à la fois.
VIENS ME CHERCHER !!!!
La voix d'Emma hurle dans la boîte crânienne du chasseur. La même voix que celle de la clairière qui a hurlé son prénom comme le premier cri d'un nourrisson, comme une ultime expiration. Dépourvue du moindre espoir.
Une inspiration, puis il ouvre les yeux, comme reprenant son souffle après une apnée forcée dans un gémissement désespéré.
Il se redresse dans son fauteuil brusquement, les mèches de cheveux longs collées au visage, dans la pièce qui est déjà baignée du soleil du matin.
Tout seul.
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