Partie 28

Another love - Tom Odell

The limit to your love - Feist

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Le soleil a déjà bien entamé son coucher, incendiant le ciel sec. Mais la chaleur ambiante est encore torride de cette longue journée. A moins que ce ne soit sa température interne qui frôle la fièvre.

Emma tombe à genoux devant le petit monticule de terre sèche. La croix de bois est ornée du chapeau beige et d'un flingue au silencieux bidouillé. Il existe toujours ?!

Elle baisse la tête sans pouvoir retenir un sanglot. Un seul.

Puis elle sort la feuille de papier plié qui est restée contre sa ceinture depuis qu'elle a vu le shérif.

Emma est écrit d'une écriture qu'elle ne connaît pas. Une belle écriture. Originale, personnelle, pas comme tous ces mômes qui semblent écrire tous pareil au lycée américain.

Elle passe son doigt lentement sur l'encre de son prénom, comme sentant autour d'elle la présence de son auteur.

"Salut mon ange... dit elle assez bas

-Emma...

-On y va... ça fait un moment pas vrai...

-On ne sait où tu es. Et je ne sais si je te reverrai. J'ai fait une bêtise tu sais... je ne t'ai pas dit au revoir comme j'aurai dû...

-Y en a un autre qui semble s'en vouloir aussi...

-Et maintenant que je sais que je ne te verrai sans doute plus, je regrette.

-Je suis tellement désolée...

-Mais ne sois pas triste pour ça. Surtout pas.

-Tu me manques déjà de trop...

-Rappelle toi seulement de tout ce qu'on a fait ensemble... tout ce que tu m'as apporté...

-Tout ce que tu m'as apporté toi... Le nettoyage des armes...

-Ton écoute quand mon père ne me voyait même plus...

-Les cookies dans votre cuisine... souriante.

-Enid...

-Tes accueils, tes éclats de joie, tes câlins... Le menton tremblant.

-Tes câlins... ma mère m'a tant manqué... mais dès que tu as été là, tes câlins m'ont rassuré... Ca m'a tellement aidé à la laisser partir... je venais te voir juste pour que tu me tiennes contre toi. Parce que j'avais tellement peur. Tout le temps. Mais de moins en moins quand tu me serrais contre toi. Même si Maman ne m'appelait que par mon prénom, ça m'a tout de suite plu que tu m'appelles autrement. Comme personne d'autre ne l'a jamais fait. Je me sentais un peu spécial. Pas insignifiant et inutile comme mon père me faisait sentir la plupart du temps.

-C'était pour te protéger... tu étais si spécial justement, si précieux à ses yeux à lui, comme à nous tous.

-Je sais aujourd'hui que c'était pour me protéger, je le sais et ne lui en veux pas. Plus...

Je sais que ce n'était pas un de nos meilleurs moments ensemble, mais j'ai remercié Negan quand il m'a fait comprendre que tu as eu un enfant. Parce que ça m'a fait t'aimer encore davantage. J'ai compris grâce à lui pourquoi j'avais l'impression d'être ton enfant à toi dans ces secondes là. J'aurais bien aimé être ton enfant à toi... plus longtemps.

Il ou elle a eu de la chance de t'avoir pour maman... tu a du être formidable. Alors merci de m'avoir donné un peu de toi dans ma vie.

Je me souviens aussi de ton jardin. Quand tu m'as dit qu'il pleuvait alors que tu pleurais et que tu ne voulais pas que je le comprenne. Sans doute pour me protéger, là aussi...

-Je ne t'ai pas vu grandir si vite mon ange.... murmurant les mots à travers ses larmes et son sourire.

-Je me souviens de t'avoir dit que je n'étais pas inquiet ni pour Carol, ni pour Morgan. Qu'ils reviendraient. Qu'on les reverrait parce qu'ils étaient des survivants. Je t'avais dit que j'avais eu peur pour toi. De ne plus te revoir... peur qu'on t'ait perdue aux mains de Negan.

Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Si on ne se revoit pas ce sera de ma faute mais sûrement pas de la tienne. Parce qu'aujourd'hui, je n'ai plus peur pour toi. c'est toi la plus forte. C'est toi la survivante, Emma.

-Encore grâce à toi...

-Tu connais sans doute Negan mieux que nous tous réunis. Et si tu lis cette lettre c'est qu'il t'aura relâchée ou qu'il sera mort. Mais je ne crois pas.

-Tu es tellement plus sage que nous tous, si tu savais...

-Si je peux te demander une faveur, ce sera pour mon père. Je suis sûr qu'il y a du bon en Negan et que tu l'as vu. Comme tu sais voir le bon en chacun d'entre nous. Je ne sais qui sera le dernier à convaincre. Ils se ressemblent tant dans leur obstination. Mais empêche les de s'entretuer. Parce qu'un avenir doit pouvoir exister. Pour vous tous.

-Si ces deux idiots pouvaient t'écouter toi... si on avait tous voulu t'écouter une minute...

-Enfin, ton avenir à toi, tu le connais déjà.

Et si tu ne veux le voir, tu l'as déjà entendu, parce que je te l'ai déjà dit. Ni Carol, ni Tara et encore moins Negan n'ont quelque chose à faire là...

Je sais que tu ne veux pas que j'imagine ou même ne pense à ce que Negan a pu t'infliger... j'en suis désolé... mais c'est trop tard. Je ne suis plus tout à fait un enfant. Et je suis tellement désolé pour tout ce qu'il a pu te faire... sous ses airs de bien recevoir ses invités...

-Carl chéri...

-Dans le genre têtu tu n'as pas choisi le moins costaud... mais c'est une évidence,et vous le savez tous les deux. Vous refusez juste de vous autoriser à le vivre. Ma dernière faveur sera donc pour toi. Comme tu m'as conseillé pour Enid, c'est à mon tour. Dis lui juste combien tu l'aimes... ou fais lui comprendre si tu as perdu ta langue...

-Je ne perdrai plus ma langue, promis... entre larmes et rire.

-Parce que vous méritez le bonheur que vous pouvez partager. Parce que la vie est trop courte. J'en suis la preuve.

Merci d'avoir fait partie de ma vie. Même un instant.

Emma s'étend à côté du monticule. La chaleur de la terre irradie rapidement contre son corps. L'air chaud emplit sa bouche sèche. Son front est moite depuis un moment déjà et la tête lui tourne sans vraiment qu'elle ne réagisse. Elle a de plus en plus de mal à déchiffrer les mots réguliers écrits sur la feuille qu'elle lit et relit avec difficulté, ne voulant pas quitter son jeune ami. Son enfant un peu, à elle aussi. Elle roule doucement sur le dos, les yeux plein de larmes dévalant ses tempes, se perdant dans ses cheveux à même la terre. Dans le ciel pourpre, les étoiles étincellent d'une force nouvelle.

"Merci mon ange....

Ses mains sont sur son ventre plat, elle entend sa respiration se calmer, régulière, sentant le papier souple se réchauffer sous ses paumes jointes. Ses yeux se ferment sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte. Seul le garçon au chapeau de shérif lui sourit, éblouie de soleil.

.

"Emma !!! Seigneur... DARYL ! Elle est là !

Tara tombe à genoux dans la terre retournée, près du corps de son amie. Les hommes se précipitent en quelques secondes à peine. Rick ralentit en pénétrant dans le petit cimetière où repose son fils. Daryl découvre la Bleue tenter de soulever le corps inanimé de la brune, allongée le long du talus de terre plus long qu'elle, recouvrant le garçon.

"Attend... impose le chasseur calmement.

Il la pousse pourtant sans douceur pour s'accroupir à son tour. Sans plus de difficulté, il soulève son amie dans ses bras. Les longues mèches pendent dans le vide, la tête part en arrière et Tara se redresse vivement pour retenir encore la tête de ses deux mains.

Le corps se soulevant souplement, le petit bouquet de fleurs des champs s'éclate de ses pétales lumineuses quand les doigts meurtris le lâche enfin, venant reposer sur la sépulture récente. Les couleurs vives contrastent avec la terre terne, serrant le cœur du chasseur qui fixe cette offrande de vie fragile et éphémère en se redressant, agrippant un poil plus fort le corps de son dernier amour qu'il tient enfin contre lui.



"Merci Tara... lâche enfin le chasseur.

Il a étendu Emma sur son lit. Elle n'est pas revenue à elle de tout le chemin. Ses yeux ne se sont pas ouverts alors qu'il s'asseoit sur le matelas, près de sa tête. Elle est toujours sans réaction. Pâle comme la mort, le front luisant.

"Je peux rester un peu, suggère la plus jeune.

-La nuit ne va pas tarder. Elle est chez elle, en sécurité. Merci Tara.

-Je peux veiller sur elle, Daryl... On est tous épuisés.

-Moi aussi je peux m'occuper d'elle !!! râle-t-il en se retournant vers la jeune femme, en colère.

-Daryl !... supplie-t-elle davantage. Je vais la changer, la mettre plus à l'aise... j'veux dire... comme ça, quand elle se réveillera... Elle va pas rester toute habillée ! Si ?!

Daryl observe encore Emma étendue, en silence, une minute entière. Son maillot, la longue jupe qui lui enserre les jambes, les chevilles mises l'une sur l'autre, croisées comme elles sont tombées, les chaussures camouflant les bandages de ses pieds... couverts de terre. Alors, il se lève sans un mot, cédant la place. Il passe près de Tara, la fusillant encore du regard.

"Merci... lâche doucement Tara, retenant un soupir de soulagement quand l'homme lui tourne le dos.

.

La nuit est tombée depuis un moment maintenant.

Le calme est revenu de lui-même aussi, autant dans la maison que dans son esprit, dans ses veines et dans son coeur.

Il est monté dans la chambre voisine. Tara n'a pas quitté le chevet d'Emma depuis tout à l'heure. Il a vagabondé dans la maison, faisant un semblant de repas qui refroidit sur le plan de travail au rez-de-chaussée. Puis il vient de monter, n'osant aller déranger les deux femmes qu'il n'entend pas, n'osant demander, non, savoir si Emma est au moins revenue à elle. Il se contente de pousser la porte de sa propre chambre, se jetant sur le matelas, regardant la nuit prendre toute la lumière de la pièce.

Il regarde le plafond, il écoute le silence.

Puis il entend des voix, des murmures, une conversation, basse et incompréhensible malgré la fine cloison.

Il reconnaît la voix d'Emma. Tara ne dit que quelques mots à peine. La voix est toujours aussi douce. Mais un peu ferme. Surtout triste. Il soupire. Elle est revenue. Enfin.

Daryl se fait avoir par le sommeil, bercé de cette conversation au senteur de mise au point entre les deux amies. Il n'a pas le temps de se formuler qu'il va sans doute y avoir droit lui aussi. Après ce qu'il a fait, sans réfléchir. Après ce qu'il regrette.


.

Emma inspire, à bout de souffle, avant d'ouvrir les yeux. La pièce est plongée dans le noir quasi complet. Son coeur bat encore à tout rompre. Sa brassière est trempée de sueur.

Elle se redresse sur le lit vide. Les bruits du Sanctuaire cessent de marteler sa tête et ses oreilles au rythme de son coeur qui ralentit enfin. le calme et le silence d'Alexandria reprend ses droits. Encore une minute. Assise, elle baisse la tête et se masse les tempes et des mèches tombent de chaque côté de ses épaules.

Puis elle caresse le drap du matelas sur sa gauche.

"Je suis désolée Tara... dit elle tout bas. Je n'avais pas vu ni tout compris.

"Tu n'y es pour rien, ma douce... C'est elle qui n'a pas compris ni vu que tu es à moi...

La voix grave emplit sa tête, les frissons parcourent à nouveau sa peau moite de cauchemar. Elle réalise qu'il est si près, toujours dans la même enceinte qu'elle. Pourquoi ne pourrait-il pas venir jusqu'ici ?

Prise d'une nouvelle sueur, Emma sort de la chambre, dévale les marches et donne un tour de clé à la porte d'entrée. Puis elle vérifie que la poignée est bien bloquée, l'actionnant plusieurs fois, avant de monter les marches plus lentement, écoutant le silence de la maison. De sa maison, retrouvée. Intacte. Miraculeuse.

La menace est toujours là, dehors, à à peine quelques rues. Il respire, il remue, elle le sent, dans sa chair.

Sur le palier du premier, Emma s'arrête encore une minute. Ses pas la mènent sur le seuil de l'autre pièce, où elle pousse la porte qui s'ouvre doucement, sans oser grincer.

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Le battant s'écarte sans bruit, mais lui fait ouvrir les yeux. Etendu, le chasseur ne bouge pas d'un iota. Il baisse le regard, mais ne bouge pas son bras droit replié, la main sous sa tête. Seul son bras gauche se tend vers la porte maintenant grande ouverte. Seul le chien du Taurus qui s'enclenche claque dans le silence.

"Si ça parle ce n'est pas un fantôme. Alors ça sera bien mort, formule sa pensée, catégorique.

La silhouette se tient un pas après le seuil de la pièce. Définie, petite, blanche, presque évanescente. Mais parfaitement immobile.

Daryl contrôle sa respiration, toujours régulière, pour ne pas effrayer l'apparition qui a surgi à la limite de son sommeil. Il rêvait encore d'elle, la seconde d'avant. Et maintenant qu'il a les yeux bien ouverts, qu'il sent l'arme, petite mais lourde, dans sa main gauche tendue à peine au dessus du niveau de sa cuisse étendue... il la voit, elle est toujours là. Emma est là. Elle est revenue. Pour lui.

Il baisse enfin son arme quand la silhouette ne bouge toujours pas. Et qu'elle est effectivement muette. Il a les yeux baissés, n'osant remuer de peur qu'elle ne disparaisse et l'abandonne encore une fois. Mais la fatigue réclame encore son du... et ses yeux se ferment bien malgré lui.

Il rêve encore.

Puis elle avance, sans bruit, sans vraiment aucun bruit. L'apparition blanche s'approche du lit. Alors il rend les armes.

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Emma distingue l'homme étendu sur le lit, un bras plié sous sa tête. Elle fait un pas dans la chambre et entend qu'il enclenche l'arme noire qui se tend à peine vers elle, dans le prolongement du bras toujours alerte.

S'il la touche à la tête ou au coeur, ce sera une belle fin. Tuée par le dernier homme qu'elle veut aimer vraiment. Oui, ce serait une belle fin à tout ce bordel qui dure depuis bien trop longtemps maintenant.

Mais elle ne bouge pas, reste immobile et silencieuse. S'il veut tirer, elle ne veut pas le perturber. S'il veut l'arrêter, l'empêcher d'aller davantage à lui, elle ne lui en voudra pas. Elle l'a rejeté une fois, dix fois, mille fois. Il a le droit de la renvoyer dans ses vingt-deux. Même si celle-ci est définitive.

Elle comprend.

Un courant d'air s'élève entre la chambre et le palier, asséchant la sueur froide qui lui a couvert le corps la minute d'avant à cause du Sauveur qui peuple toujours ses cauchemars ambigus.

Le bras tendu s'abaisse au bout d'un moment. Elle entend sa respiration régulière, calme. Elle sait qu'il ne dort pas. Le chasseur ne dort jamais totalement, par définition.

L'arme a disparu dans la pénombre, quelque part le long du corps de l'homme. Elle attend encore une minute. Elle ne sait trop quoi au fond.

Puis elle s'approche encore, pour venir s'asseoir de l'autre côté du lit, de l'autre côté de l'arme surtout. S'il change d'avis, sa tête sera encore plus proche du canon. Elle s'asseoit et reste bien droite, regardant le mur qu'elle devine face à elle. Elle sent presque le corps étendu dans son dos, qui reste immobile. Il ne va pas ouvrir la bouche. Exprès. Elle le sait. Elle va devoir faire le premier pas.

Mais si elle permet un mot, elle a peur que ce soit une déferlante. Qu'elle soit submergée par tout ce qui l'emplit pour lui depuis si longtemps. Et qu'il la rejette définitivement cette fois.

Alors, assise depuis un moment déjà. Elle desserre quand même la mâchoire.

"Tara est partie.

Emma fait attention de murmurer. Mais sa voix explose à ses oreilles, lui semblant bien plus forte qu'elle ne veut.

"Je n'ai pas compris. Je n'avais pas saisi qu'elle était si attachée... dans ce sens là je veux dire. Et je ne peux lui donner ce dont elle a tellement besoin. Je n'ai jamais intéressé... personne... et encore moins une fille ! rit elle doucement. Je suis flattée... vraiment. Tara est une femme exceptionnelle... mais je ne suis pas pour elle.... ni pour qui que ce soit...

L'homme reste immobile, silencieux. Certainement endormi cette fois.

Emma tourne la tête vers lui, voulant le percevoir un peu.

"Cette maison est davantage la tienne que la mienne aujourd'hui. J'irai ailleurs dès demain.

Elle va pour se lever, même si elle se serait volontiers étendue là, juste une minute. Le courant d'air rafraîchit agréablement la pièce. Elle hésite encore une demi seconde. Mais si elle s'allonge, elle ne pourra plus jamais bouger et quitter cette maison. Elle le sait. Et il la rejettera comme la veille sur la table d'examen, comme tout à l'heure dans son jardin, et ça la déchirera définitivement, à l'intérieur. Elle ne se sentira plus la force de faire face, de ne rien en laisser paraître.

Alors malgré le sommeil qui semble vouloir revenir, elle pose ses mains sur le matelas pour aider ses jambes meurtries, son corps fiévreux à se mettre debout.

Une main tiède empoigne son poignet par derrière, sans prévenir, et la retient doucement. Emma tourne encore la tête vers l'homme qui a peut être penché un peu la sienne vers elle. Mais elle ne peut le jurer.

Le sommeil est là. Si elle lui résiste encore, elle va finir la nuit debout. Son poignet se réchauffe à une vitesse affolante alors qu'elle bascule lentement sur la droite. Sa tempe touche la peau du biseps, fraîche et confortable.

La main au Taurus, maintenant libre, dégage les mèches de son oreille gauche. Elle ne retient pas un tressaillement en pensant à son crane encore ras de la lame de couteau. Ses yeux se ferment en sentant le souffle frôlant à nouveau le dessus de sa tête. Comme si elle avait déjà vécu ça. A moins qu'elle n'ait fait qu'en rêver...

Elle partira demain. Avant le jour. Avant qu'il ne lui dise que tout est fini.

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